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LA CRISE ANGLAISE ET LA CHAMBRE DES LORDS

A l'origine des grandes controverses constitutionnelles, en Angleterre ou ailleurs, on trouve presque toujours la question des gros sous. Si Louis XVI n'avait pas eu tant de peine à régler ses notes, il n'eût pas convoqué l'assemblée de 1789. Cent ans auparavant, les Anglais n'auraient pas mis les Stuarts à la porte et voté la déclaration des droits, s'ils n'avaient tenu à contrôler les dépenses de leurs rois. La crise constitutionnelle qui met aujourd'hui la Chambre des Lords en péril s'est ouverte, comme la plupart des précédentes, sur le vote du budget. Ce n'est pas que le rejet de la loi de finances soit seul responsable de la mauvaise humeur des Communes ; aujourd'hui comme hier le conflit des deux Chambres dépasse de beaucoup la portée d'un conflit budgétaire ; il intéresse le fond même de cette constitution non-écrite dont tant d'écrivains français, depuis Montesquieu, ont vanté la souplesse et qui est menacée pour la première fois d'un changement radical. Mais si le parti libéral songe, suivant l'expression imagée de M. Lloyd George, à ne plus lâcher les Lords avant d'avoir réglé avec eux tous ses comptes, il n'en est pas moins vrai que la querelle de ménage qui divise en ce moment les deux Chambres anglaises s'explique avant tout par l'histoire de leurs relations en matière de finances.

I

Contrairement à l'usage adopté par tous les pays où la seconde Chambre est élective, les Communes ont en effet revendiqué de tout temps le droit exclusif de diriger les finances nationales. C'était la rançon du système héréditaire qui règle encore le recrutement de la Chambre des Pairs. Que l'aristocratie conservât le droit de dire son mot dans la direction générale des affaires et dans l'ensemble de la législation, cela passait encore; mais on lui laissa entendre de bonne heure qu'il appartenait à la nation de fixer elle-même les impôts. Le développement historique de ce que les Communes ont appelé leur privilège financier, se divise en trois phases assez distinctes.

La première qui s'étend à peu près jusqu'à la révolution d'Angleterre est, pour les deux Chambres, celle de la lune de miel. Le pouvoir royal était encore trop fort pour que les deux Assemblées n'eussent pas intérêt à s'entendre contre lui. Et pourtant, dès cette époque reculée, on voit se manifester nettement l'ambition des Communes. Les deux Chambres ne commencèrent à se distinguer l'une de l'autre qu'à la fin du xôr siècle, et ne siégèrent séparément que vers le début de la guerre de Cent ans ; c'est en 1352 seulement que l'on mentionne la réunion des Communes au Chapitre de l'Abbaye de Westminster, et c'est à partir de 1376 qu'elles paraissent avoir élu un speaker. En 1407, un document célèbre nous apprend que les Lords ayant accordé au roi des subsides sans demander au préalable l'assentiment des Communes, celles-ci protestèrent auprès du roi Henri IV contre cette atteinte portée à leurs libertés. Le roi leur donna raison et décida que dorénavant aucune communication ne lui serait faite en matière de grant avant que les deux Chambres se fussent mises d'accord.

<< Purveuz toutesfois que les Seigneurs de leur part, ne les Communes de la leur, ne facent ascun report à notre dit Seigneur le Roy d'ascun grant par les Communes grantez et par les Seigneurs assentuz, ne de les communications du dit

Grant avant ce que mesmes les Seigneurs et Communes soient d'un assent et d'un accord en cette partie et adonques en manière et forme comme il est accoutumez, c'est assaver par bouche du Purparlour de la dite Commune pour le temps estant. » (1)

Dès ce moment, il semble donc que les impôts étaient considérés comme accordés par les Communes et seulement consentis par les Lords. Insensiblement, cette priorité un peu vague devint un droit formel d'initiative qui fut définitivement consacré en 1628.

Toutefois les Lords gardaient encore un pouvoir financier égal à celui des Communes. C'est seulement à la veille de la Révolution de 1688 et au début de la seconde phase, que les Communes livrèrent à la Chambre Haute un premier assaut à propos du droit d'amendement. Les bourgeois et petits barons des Communes étaient sortis de la guerre civile plus audacieux qu'autrefois; la Chambre des Lords qui avait été supprimée par le Long Parlement et qui venait de se reconstituer, avait au contraire perdu quelque chose de son prestige. Aussi n'est-il pas surprenant qu'en 1671, à propos d'un bill imposant les marchandises d'origine étrangère, les Communes aient provoqué le premier grand conflit constitutionnel.

Rien de curieux comme les discussions qui eurent alors lieu entre les deux Chambres. Les Communes avaient déclaré en avril 1671 que dans toutes les aides accordées au Roi par les Communes, l'impôt (rate or tax) ne devait pas être modifié par les Lords. Elles ôtaient ainsi aux Lords, en matière de finance, le droit d'amendement. Au cours des conférences qui se réunirent à ce propos, on émit des arguments identiques à ceux que nous avons entendus dernièrement aux Communes. « ...Ce droit est si fondamentalement acquis aux Communes, dit l'un des orateurs, que je ne puis tenter de le justifier par une raison, car ce serait affaiblir le droit et le privilège des Communes. » Comme les Lords soutenaient ne pouvoir conserver leur droit de rejet s'ils perdaient celui

(1) Cité par S. Sussmann. Das Budget privileg des Hauses der Gemeinen. Mannheim, 1909, p. 103.

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