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LABRANCHE.

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IMPRIMERIE DE P. A. BONNANT,

Rue Verdaine, no 277.

LE VOITURIER

LABRANCHE.

LABRANCHE revenait du marché, où il était allé vendre des fagots, et il retournait tranquillement à Bon village. MICHEL, un de ses voisins de campagne, qui cheminait du même côté, monta sur la charrette de Labranche, avec lequel il causa d'abord sur le prix des denrées, et sur la récolte prochaine, qui paraissait devoir être assez belle.

Il nous faudrait de la pluie, dit Michel, et si elle ne vient pas, ce sera comme l'année dernière, où tout sécha. Celui qui envoie le soleil, enverra aussi la pluie, répondit Labranche, en fouettant ses chevaux; et il sait bien quand elle doit venir.

Michel, qui n'avait pas l'habitude de penser au Maître du monde, fronça le sourcil en disant : Il faudrait pourtant qu'elle ne tardât pas trop, car tout commence à jaunir.

Labranche ne répliqua rien d'abord : il connaissait

à

Michel, et savait que cet homme était un de ceux qui ensemencent bien leurs champs, et recueillent bien leurs gerbes, mais dont le cœur ne remonte pas Celui qui, seul, fait croître et mûrir le blé; et il cherchait dans son esprit, comment il pourrait faire comprendre à son voisin, que Dieu fait toutes choses avec puissance et sagesse, et que l'homme n'est que sa créature, et non pas son égal. Enfin il lui dit : Croyez-vous, Voisin, que votre vie vous appartienne?

Vous savez, répondit Michel, avec un certain sourire badin, que je ne suis pas un songe-creux, et que je n'entends rien à votre philosophie. Je sais bien que ce n'est pas moi qui me suis fait; mais qu'est-ce que cela prouve quant à la pluie?»

Labranche, qui n'aimait pas la plaisanterie, quand il s'agissait de Dieu, répondit, en appuyant le manche de son fouet sur la croupe d'un des chevaux; Cet animal-ci me connaît, et quand je lui apporte son avoine, il me regarde en hennissant. Je crois aussi que je dois « connaître Celui qui m'a créé, et qui ne donne, avec l'air que je respire, le pain qui me nourrit, moi et ma famille.» (Ésaïe I, 3.)

Michel s'aperçut bien que Labranche lui faisait le reproche de ne pas avoir autant d'intelligence et de sentiment que le cheval, et il en fut humilié. Car cet homme n'était pas un impie; il ne s'associait pas aux moqueurs, et jamais il ne s'élevait contre aucun disciple du Seigneur Jésus. Au contraire; il faisait profession de croire la Bible et d'être un bon chrétien, Mais, s'il tenait cette route, qui est celle de la multititude des chrétiens de nos jours; s'il accomplissait les devoirs de la religion; s'il ne manquait ni les communions, ni les autres fêtes de l'Eglise, à côté de cela, il négligeait «la force de la piété;» et comme un vase lé laisse échapper la liqueur qu'il renferme, il était

« un auditeur oublieux,» et perdait, presque aussitôt, la bonne impression qu'il avait pu recevoir d'un sermon, ou de quelque lecture religieuse. (2 Tim. III, 5. Jaq. I, 25.)

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Vous pensez donc, reprit Michel, que cette bête est plus sage que moi? Labranche, qui avait pour principe de charité, de ne jamais blesser personne, même l'homme le plus coupable; mais de ménager toujours son amour-propre, afin de ne pas l'exciter à un nouveau péché, répondit avec douceur: Je regardais un jour un petit ver de terre, qui était sorti de son trou, et qui se glissait parmi l'herbe ; et je lui dis : Quoique tu ne sois qu'une bien chétive bête, tu vaux mieux que moi en ceci : c'est que tu ne t'es jamais révolte contre Celui qui t'a fait. O Ver de terre! il n'y a point de péché en toi! — Voilà ce que j'ai pensé et dit de moi-même.

Michel reçut l'instruction dans sa conscience. La véracité et la droiture de Labranche lui étaient connues, et il était assuré qu'il avait en effet porté ce jugement sur lui-même.

Qu'est-ce donc de moi, se dit-il en secret, puisque le saint Labranche pense ainsi? Il fut donc de plus en plus humilié; et après être demeuré quelque temps en silence, il dit: Il est certain que si l'on voulait faire bien attention à la conduite des animaux, on pourrait recevoir d'eux plus d'une bonne leçon.

Par exemple, poursuivit Labranche, qui savait que le pauvre Michel était un buveur et un jureur nous ne voyons pas que le cheval, quelque altéré qu'il soit, demeure à l'abreuvoir plus long-temps qu'il n'a soif; ni qu'on puisse lui faire boire une seule goutte d'eau, s'il n'en a pas besoin. Comme aussi les oiseaux de l'air, « qui louent l'Eternel sous le feuillage,» ne le provoquent, ni ne l'insultent jamais dans leurs chansons quelque joyeuses qu'elles soient. (Ps. CXLVIII, CIV.)

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