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FABLE IX.

Le Roi Alphonse

Certain Roi qui régnait sur les rives du Tage,

Et

que

l'on surnomma le Sage,

Non parce qu'il était prudent,

Mais parce qu'il était savant,

Alphonse, fut surtout un habile astronome :

Il connaissait le ciel bien mieux que son royaume,
Et quittait souvent son conseil

Pour la lune ou pour le soleil.

Un soir qu'il retournait à son observatoire,
Entouré de ses courtisans:

Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de croire

Qu'avec mes nouveaux instruments

Je verrai, cette nuit, des hommes dans la lune.

Votre Majesté les verra,

Répondait-on; la chose est même trop commune ;

Elle doit voir mieux que cela.

Pendant tous ces discours, un pauvre,

dans la rue,

S'approche en demandant humblement, chapeau bas,

Quelques maravėdis : le Roi ne l'entend pas.

Et sans le regarder son chemin continue.

Le pauvre suit le Roi, toujours tendant la main,
Toujours renouvelant sa prière importune :

Mais, les yeux vers le ciel, le Roi, pour tout refrain,
Répétait : Je verrai des hommes dans la lune.

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Par son manteau royal, et gravement lui dit :

Ce n'est pas de là-haut, c'est des lieux où nous sommes
Que Dieu vous a fait souverain.

Regardez à vos pieds, là vous verrez des hommes,
Et des hommes manquant de pain.

FABLE X.

Le Renard déguisé.

Un Renard plein d'esprit, d'adresse, de prudence,
A la cour d'un lion servait depuis long-temps;

Les succès les plus éclatants

Avaient prouvé son zèle et son intelligence.

Pour peu qu'on l'employât, toute affaire allait bien.

On le louait beaucoup, mais sans lui donner-rien;

Et l'habile Renard était dans l'indigence.

Lassé de servir des ingrats,

De réussir toujours sans en être plus gras',

Il s'enfuit de la cour; dans un bois solitaire,
Il s'en va trouver son grand-père,

Vieux Renard retiré, qui jadis fut visir.

Là, contant ses exploits, et puis les injustices,

Les dégoûts qu'il eut à souffrir,

Il demande pourquoi de si nombreux services

N'ont jamais pu rien obtenir.

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Le bonhomme Renard, avec sa voix cassée,

Lui dit: Mon cher enfant, la semaine passée,
Un blaireau, mon cousin, est mort dans ce terrier :
C'est moi qui suis son héritier,

J'ai conservé sa peau; pose-la sur la tienne,
Et retourne à la cour. Le Renard avec peine

Se soumit au conseil; affublé de la peau

De feu son cousin le Blaireau,

Il va se regarder dans l'eau d'une fontaine,
Se trouve l'air d'un sot, tel qu'était le cousin.

Tout honteux, de la cour il reprend le chemin.
Mais, quelques mois après, dans un riche équipage,
Entouré de valets, d'esclaves, de flatteurs,

Comblé de dons et de faveurs,

Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage :

Il était grand visir. Je te l'avais bien dit,

S'écrie alors le vieux grand-père ;

Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire, Doit d'abord cacher son esprit.

FABLE XI.

Le Dervis, la Corneille et le Faucon.

Un de ces pieux solitaires

Qui, détachant leur cœur des choses d'ici-bas,
Font vou de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas,
Pour vivre du bien de leurs frères,

Un dervis, en un mot, s'en allait mendiant

Et priant;

Lorsque les cris plaintifs d'une jeune Corneille,
Par des parents cruels laissée en son berceau,
Presque sans plume encor, vinrent à son oreille.
Notre Dervis regarde, et voit le pauvre oiseau
Allongeant sur son nid sa tête demi-nue:

Dans l'instant, du haut de la nue
Un Faucon descend vers ce nid;

Et, le bec rempli de pâture,

Il apporte sa nourriture

A l'orpheline qui gémit.

O du puissant Allah providence adorable!
S'écria le Dervis, plutôt qu'un innocent
Périsse sans secours, tu rends compatissant
Des oiseaux le moins pitoyable!

Et moi, fils du Très-Haut, je chercherais mon pain!
Non, par le prophète j'en jure,
Tranquille désormais, je remets mon destin

A celui qui prend soin de toute la nature.
Cela dit, le Dervis, couché tout de son long,
Se met à bayer aux corneilles,

De la création admire les merveilles,

De l'univers l'ordre profond.

Le soir vint; notre solitaire

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Eut un peu d'appétit en faisant sa prière :
Ce n'est rien, disait-il, mon souper va venir.
Le souper ne vint point. Allons, il faut dormir,
Ce sera pour demain. Le lendemain, l'aurore
Paraît, et point de déjeûner.

Ceci commence à l'étonner;

Cependant il persiste encore,

Et croit à chaque instant voir venir son diner.
Personne n'arrivait; la journée est finie ;

Et le Dervis à jeun voyait d'un œil d'envie

Ce Faucon qui venait toujours

Nourrir sa pupille chérie,

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