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même chose et que c'est justement par ses dons proprement littéraires que Renan a exercé tant d'action, tandis que l'on ne saurait en dire autant de l'auteur du Discours de la Méthode... Tout de même, croyez à l'influence personnelle d'Anatole France, et si vous en doutez, lisez, centre autres, les Années d'apprentissage de Sylvain Briollet.

C'est un livre aimable, un peu diffus (mais exprès et de propos délibéré) où M. Maurice Brillant nous montre avec mille grâce souriantes, savantes et modérées, que (d'avance malheureusement) vous imaginez, divers milieux ecclésiastiques. Le bon curé de Guinoiseau, vous y tiendra en toute occasion des discours inspirés par les mêmes Muses qui ont si souvent animé M. Bonnard, l'abbé Coignard et les innombrables successeurs qu'ils ont eus depuis trente ou quarante ans dans notre littérature, et son disciple Sylvain Briollet ne manquera pas de les commenter, à la manière précisément de Jacques Tournebroche, par des propos de ce genre-ci, que je cueille en ouvrant le livre au hasard :

Au vrai, l'érudition n'était guère, aux yeux de mon vénérable maître, qu'un jeu rare, subtil et délicat, et dont il importait, pour en dégager tout le plaisir, d'appliquer honnêtement les règles laborieuses et compliquées.

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M. André Lichtenberger a plusieurs veines dont certes la moins bonne n'est pas celle dont il a tiré les Centaures, réimprimés récemment, et le charmant roman de Raramémé, qu'il vient de nous donner.

C'est, dit le sous-titre, une « histoire d'ailleurs ». D'où au juste ? Je ne sais trop. Mais, ce n'est peut-être pas ma seule ignorance qui m'empêche d'identifier cette île polynésienne d'Oaleya où M. André Lichtenberger place les deux enfants dont il nous conte l'aventure. Outre la peuplade des Oyas, dont Rara et Mémé font partie, une étrange créature, nommée Kouang, y vit encore.

C'est un singe à n'en point douter, plus formidable que les plus formidables d'Afrique ou de Malaisie (...) Pourtant, n'estce pas du tout un homme ? Il n'a pas de museau, mais un nez épaté. Sous la bourre qui le surmonte, un

commencement

de front doit loger un embryon de pensée. Ses jambes ne se terminent ni par des mains, ni par des pattes, mais par des pieds humains dont seulement les orteils sont munis de fortes griffes.

Dernier de sa race, ce témoin de la préhistoire a été pris un jour, longtemps avant que commence le conte, par Herr Doctor Professor Klagenmeyer qui lui a tué sa femelle ou femme, et ce n'est que par un grand hasard qu'il a réussi à s'échapper du bateau qui l'emmenait dans une cage à Hambourg... Cependant, très loin d'Oaleya, la guerre a éclaté. Un jour l'U-37 bis, sous-marin boche, voit sa campagne polynésienne interrompue par la tempête qui le jette à la côte. Seuls, le docteur Klagenmeyer et quelques matelots échappent au désastre. Ils sont sans armes, mais la douce peuplade d'Oaleya accueille ces dieux blancs. Ils avancent sur le rivage, où ils aperçoivent au haut d'un mât un drapeau français que, depuis des années, un siècle peut-être, la tribu révère, répare comme un totem. A cette vue, le sang de Klagenmeyer ne fait qu'un tour: déjà, il il a ordonné à l'un de ses hommes de l'abattre, au grand désespoir des habitants de l'île, lorsque Kouang paraît. Il a reconnu son

ennemi. Il charge: en un clin d'oeil, le docteur et les cinq matelots ne sont plus que des cadavres.

Et Rara et Mémé, les deux enfants très révérés dans la tribu parce qu'ils portent sur la poitrine le totem du crabe, reprennent leur vie dans l'île paradisiaque. Chaque jour -car Kouang n'est pas la seule merveille du livre ils entonnent l'hymne de leur totem, et de toutes les roches le peuple des crabes, leur peuple, accourt se ranger autour d'eux, agitant ses pinces en cadence.... Les pages où M. Lichtenberger nous conte ces choses sont excellentes.

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Un matin, à l'aube naissante, Rara et Mémé aperçoivent sur la « grande chose molle » qui entoure l'ile, sur la mer, une surprenante baleine-montagne. C'est le petit croiseur français Citoyen, qui porte M. Bedeau-Conflans, député puissant, en mission dans ces parages, Mme Laurette de Vesnage, M. Hugues de Pionne, son cousin, et divers autres personnages. Comment, durant l'escale assez longue du Citoyen, Laurette et Hugues poursui vent dans la douce île leurs amours, guidés par Rara et Mémé; comment ils y découvrent les restes d'un de leurs ancêtres, philosophe et disciple de Jean-Jacques, qui s'était retiré là pour y achever ses jours en compagnie des sauvages; les douces mœurs des Oyas enfin, c'est ce qu'on apprendra avec plaisir dans le livre de M. Lichtenberger.

Ce joli roman, très romanesque et fantaisiste, est plein d'inventions heureuses. M. Lichtenberger y a peint et conté avec beaucoup de charme ce que lui offrait son imagination inépuisable. Le mystérieux s'y mêle au réel avec grâce. On y goûtera sans doute, comme j'ai fait, un plaisir extrême.

La Curiosité.

JACQUES BOULENGER.

Le mystère du batik

La mode est au batik. Nos élégantes ont adopté cette décoration gracieuse et légère des tissus pour leurs blouses d'été, leurs chemiseites, leurs écharpes, les robes de leurs fillettes. La soie batikée est devenue un des plus charmants accessoires de la toilette féminine.

Le mystère de ces dessins aux colorations originales, entourés d'un fin réseau de vermiculures, a séduit nos Eves modernes. Elles se sont éprises de ces étoffes qui ne sont ni brochées, ni brodées, ni imprimées, et qui gar dent la saveur du travail à la main.. Par quel miracle? Bien peu sauraient le dire, bien que la technique en soit vieille d'une quinzaine de siècles. Peut-être me saura-t-on gré de dévoiler les secrets de cette teinture à la réserve, que l'on chercherait en vain dans aucun ouvrage français (1), et de préparer quelques vocables nouveaux pour la (prochaine) édition du dictionnaire de l'Académie. Le procédé du batik le mot vient de l'archipel malais a été vraisemblablement importé de l'Inde par les marins et les marchands de Ceylan et de la côte de Coromandel aux environs du IVe siècle. Dans le drame hindou de Malate et Madhara, attribué au VIII° siècle, il est question d'un rideau en chitte de Java. Chitte est le nom indigène des toiles peintes dans l'Inde.

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La fabrication du batik en Malaisie était réservée aux femmes des hautes castes et servait à faire des robes, des manteaux, des voiles, des rideaux, et surtout des cein

(1) J'ai suivi la version anglaise, donnée par M. Geo P. Baker dans « Cotton painting and printing in the East. Indies ", de Die Indische Batik-kunst und Ihre Geschichte, par Rouffaer et Juynboll (essentiel).

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tures. Le tissu employé, comme celui des chittes, était une fine toile de coton.

Voici comment procédaient les Javanaises: Elles traçaient le dessin sur la toile à l'aide d'un poncis et de poudre de charbon. Puis elles emplissaient de cire liquide leur « tjanting », sorte de petite bouilloire en miniature, munie d'un manche de bois et pourvue d'un bec très fin qui leur servait à recouvrir de cire toutes -les parties du tissu qui ne devaient pas prendre la première couleur, généralement le bleu. L'opération achevée, l'étoffe était plongée dans un bain de pastel « Isatis tinctoria» et exposée à l'air pour développer la couleur. On la trempait ensuite dans l'eau froide pour durcir la cire et provoquer, au maniement des mains, des craquelures à des places déterminées. En renouvelant l'immersion dans la cuve de pastel, le colorant pénétrait à travers les craquelures de la cire et produisait un réseau irrégulier -de fines veines, du même bleu que la première teinture. On débarrassait ensuite la toile de la cire en la plongeant dans l'eau bouillante.

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Pour obtenir le brun, destiné à se marier au bleu, on recommençait l'opération de la mise en cire et on teignait avec du cachou, dont le pays possède plusieurs variétés, au moyen de pinceaux qui forçaient le liquide à pénétrer dans les craquelures et sur toutes les surfaces non recouvertes de cire. La pièce. était séchée, et après avoir été débarrassée de la cire (un bain légèrement alcalin enlevait les dernières impuretés) présentait un agréable mélange de bleu - en deux tons de noir et de brun veinés. C'est ce qu'on appelle l'effet de batik.

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S'il y avait lieu d'ajouter un rouge au dessin, on se servait d'une teinture faite avec l'écorce ou les feuilles du Djirak, «Symplocos fasciculata », qui renferme l'alun nécessaire à mordancer le rouge.

Le batik pouvait s'exécuter des deux côtés de la toile. Une fois la cire appliquée à l'endroit, la toile était tendue dans un cadre et placée à contre-jour pour que l'envers pût être passé à la cire en suivant exactement le tracé exécuté sur le côté opposé. Quant au dessin, il n'était livré ni à la fantaisie, ni à l'arbitraire. Les éléments étaient empruntés à la flore et à la faune de l'archipel, et gardaient une réelle originalité, bien que fortement imprégnés d'influences islamiques.

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Voilà pour le passé. Les musées néerlandais -musée ethnographique de Leyde en particulier sèdent de riches séries de batiks anciens: En France, les collectionneurs ne semblent pas encore s'être tournés vers les tissus javanais, mais j'en ai rencontré cependant des spécimens intéressants dans les collections ethnographiques de M. Rupalley.

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soies ou des velours pour des robes de soirée, ou des manteaux de la rue de la Paix, il faut une sûreté de facture et une égalité de fabrication qui dépassent les capacités du travail d'amateur.

L'atelier du Batik français, dirigé par Mme Marguerite Pangon, et dont récemment le directeur des beauxarts a inauguré l'exposition, n'occupe pas moins d'une quinzaine de petite mains pour la mise en cire, sans parler des dessinateurs ni des teinturiers. C'est une petite industrie. Sur de grandes tables, dans une pièce largement éclairée, sont étalées les pièces de soie où le dessin a été tracé au poncis. Chaque ouvrière - disons élève, le terme est plus familiala près d'elle un récipient où un fourneau à gaz entretient la cire à l'état liquide. Avec un pinceau, de grosseur proportionnée à la surface à couvrir, ellé étend une couche de cire partout où les portions de dessin à réserver l'exigent. Puis lorsque les craquelures sont obtenues aux endroits voulus, c'est un tour de main que se réserve la directrice, la pièce passe à l'atelier de teinture, où des cuves de toutes nuances sont prêtes à la recevoir. Après la teinture, une immersion dans l'eau chaude la débarrasse de la cire, qui est récupérée à la surface. Comme dans le procédé javanais, l'opération se répète autant de

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fois

que

l'on veut obtenir de tons.

malais et le batik français. Le premier est un mélange C'est à peu près la seule ressemblance entre le batik colorants végétaux pour ainsi dire indestructibles. Le immuable de bleu, de brun et de noir, obtenu avec des -second emploie des colorants extraits de la houille et moins résistants, mais qui peuvent réunir toute la gamme des coloris nouveaux des batiks de Java, comme les toiles peintes de l'Inde répètent une leçon séculaire admirable mais sans variante. Les batiks d'aujourd'hui sont des œuvres d'imagination du plus pur goût moderne.

Certes, je le répète, il ne faut pas demander à ces légères soieries la résistance au lavage des cotonnades exotiques. Mais nous n'avons plus l'instinct de conservation de nos aïeules, qui gardaient dans leurs armoires, soigneusement pliée, la p soigneusement pliée, la pièce de soie, qu'elles avaient reçue en cadeau de mariage pour en faire la robe de noces de leur petite-fille. Chaque saison, et souvent plusieurs fois par saison, la mode adopte une fantaisie nouvelle. Pour y satisfaire, le montage d'un dessin au métier Jacquard, la gravure et l'impression d'un décor à la planche exigent des mois de préparation. Mais le batik

On m'a conté l'histoire d'une grande dame qui voulait une robe inédite pour se rendre à un dîner d'ambassade à trois jours de relevée. Elle l'eut en deux jours et demi. Trente-six heures avaient suffi pour composer le dessin, le reporter, mettre en cire, teindre, nettoyer et bâtir la robe. N'est-ce pas tout à fait pour un conte de Perrault?

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Vers 1904 ou 1905, les. Hollandais. songèrent à faire revivre cette industrie de leur plus belle colonie. Des essais furent tentés à l'école des Arts décoratifs de Harlem, imités quelques années plus tard à l'école rhénane Bien entendu, cette célérité d'exécution ne s'obtient de Berlin, puis en Suisse. Si Paris ne vit entrer le batik que par la division du travail telle qu'elle existe dans un dans l'art décoratif qu'aux environs de 1910, avec les atelier. Un autre avantage de cette organisation quasi envois de Mme Pangon, il n'est guère aujourd'hui d'ex-industrielle, c'est le rendement relativement considérable position ni de Salon où ne figurent des étoffes décorées, par ce procédé. A côté de l'initiatrice, ont pris place, avec plus ou moins de réussite, Mmes Blotnitzka, Chavannes, Mourir, Mutti, Maublanc, Vergne, Mme Porto, qui est de Genève, et Mme Prins, qui réside à Java. Car ces jolis ouvrages, chez nous comme dans l'archipel malais, sont restés l'apanage des mains féminines.

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Qu'on ne me fasse pas dire que le batik est un ouvrage de dame, au sens péjoratif que nous appliquons à ces amusements innocents, cuir ciselé, bois pyrogravé, Coussins brodés, vases décorés à la barbotine. Sans connaissances artistiques ni techniques spéciales, une femme de goût peut batiker pour son usage une blouse ou une écharpe de plage. Mais quand il s'agit de décorer des

de la production, qui permet, en payant des salaires équitables aux élèves, d'établir des prix accessibles à la grande couture. Sans doute, ces frais de main-d'œuvre sont assez élevés pour ne pouvoir être récupérés. qu'avec des articles de luxe et des matériaux de prix, comme la soie ou le velours. Mais il est permis d'envisager des ateliers coloniaux, avec une main-d'œuvre indigène et des modèles modernes fournis par la métropole. Ces établissements pourraient décorer des tissus de lin, de chanvre, de coton, accessibles aux bourses modestes.

Récemment, le batika a été appliqué à la décoration des velours pour pro uire des effets de fourrure que les Javanaises n'avaient jamais imaginés. En vérité, le batik n'a pas dit son dernier mot, et il est bon d'appeler

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L'actualité est favorable à ces deux grands adversaires. Metz et Dijon viennent d'honorer Bossuet. Les derniers volumes de laCorrespondance si admirablement éditée par MM. Urbain et Levesque sont consacrés à la querelle du quiétisme. La publication dans la Collection des chefs-d'œuvres méconnus des Lettres et des Ecrits politiques de Fénelon a suscité deux articles de M. Thibaudet, pleins de choses, comme toujours, encadrant une riposte de M. Charles Fontaine (1). Polémistes anciens et critiques modernes ne se tiennent pas assez, il nous semble, au cœur du problème, et nous voudrions par quelques remarques, malheureusement contraintes à demeurer beaucoup trop brèves, les y placer.

Nous nous tiendrons à la controverse sur le quiétisme et nous passerons, par un renversement de la méthode commune, des idées aux personnes. Jusqu'ici, en effet,

on a voulu voir en cette affaire des faits et l'histoire d'une rivalité. S'il faut en croire la séduisante et dangereuse Apologie de l'abbé Brémond, un triple complot, tout extérieur est venu «<envenimer » une «< controverse doctrinale» qui consiste en une « dispute scolastique ». « La querelle entre Fénelon et Bossuet écrit M. Brémond, « si rien ne l'a préparée, si rien n'est venu la compliquer du dehors et la passionner, semble inexplicable ». Paroles inexplicables à leur tour chez un prêtre assez subtil pour être sans doute bon théologien. Et il est vrai, comme il ajoute plus loin, que l'étude « livre par livre, argument par argument » de la doctrine «< mènerait loin », car il ne s'agit de rien de moins que toute la vie chrétienne et peut-être la vie morale tout court.

Passons sur la chaleur du combat et le zèle des combattants. Admettons que Bossuet et Fénelon aient été excessifs, l'un en rudesse, l'autre en finesse : leurs écarts mêmes, provoqués par un intérèt qu'ils croyaient supérieur à tout, ne les diminue point; abandonnons les instruments et les comparses, les abbés Bossuet et de Chanterac, le cardinal de Bouillon. Examinons les pièces publiques du procès.

Je les trouve surtout dans ces textes l'Explication des Maximes des Saints et le Second traité sur les états d'oraison. Ce sont livres sévères mais non pas sans agrément et sans vie. On connaît la thèse, pénétrons-la. Fénelon, d'après Mme Guyon, veut qu'on aime Dieu hors de tout profit. Il y a, dit-il, à l'égard du Créateur, un amour servile, fondé sur la crainte, un amour de concupiscence qui vise le Bien suprême, un amour d'espérance, qui est un amour de reconnaissance, un amour de charité, qui subordonne notre intérêt, et enfin un « pur amour >> qui ne se mélange plus de frayeur ni d'espoir.

C'est ce « pur amour que prêchaient les mystiques. Il est, à la fois, un idéal et une méthode. Comme idéal, il tend à supprimer jusqu'à l'appétit naturel qui attire l'homme vers Dieu ainsi que vers une félicité dernière, comme méthode, il vise à instaurer la « contemplation

passive >>.

Aimer, c'est, communément désirer et vouloir couronner un égoïsme ; c'est pour nous que nous souhaitons

(1) Revue Critique des Idées et des Livres, 25 mai 1921.

la possession de ce que nous aimons. Resterons-nous, dans nos rapports avec Dieu à cette bassesse et à cette infirmité où nous contraint la chair, le choisirons-nous parce que nous espérons satisfaire par lui nos besoins dans leur plénitude? Non, nous tâcherons de parvenir à l'aimer d'une âme purifiée de tout intérêt, même le concernant ; nous aurons pour tous les biens et jusque pour ceux qui nous viendront de sa bonté une «< sainte indifférence»; nous l'adorerons non plus pour nous, mai's pour lui; il nous voudra plus que nous le voudrons; et notre soumission sera telle que nous irons jusqu'à nous désintéresser de notre salut et à le chérir tout autant, s'il doit nous damner, que s'il décide de nous recueillir en son sein.

Et nous ne laisserons pas plus de l'homme dans notre esprit que dans notre cœur. Nous ne le contemplerons ni en des images sensibles, ni dans les concepts que forme péniblement notre raison. C'est ici le secret de la « contemplation passive ». Prenons Fénelon.

« Tout ce grand mystère, dit-il, s'évanouit dès qu'on suppose avec saint Augustin que nous avons sans mirade des idées intellectuelles qui n'ont point passé par les sens et dès qu'on suppose d'un autre côté que le fond de l'âme n'est point réellement distingué de ses puissances. Alors, toute la contemplation passive se réduit à quelque chose de très simple et qui n'a rien de miraculeux. C'est un tissu d'actes de foi et d'amour, si simples, si directs, si paisibles, et si uniformes, qu'is ne paraissent plus faire qu'un seul acte ou même qu'ils ne paraissent plus faire aucun acte, mais un repos de pure union. C'est ce qui fait que saint François de Sales ne veut pas qu'on l'appelle union, de peur d'exprimer un mouvement o action pour s'unir, mais une simple et pure unité... (Art. XXIX).

lèvent ces lignes hardies; ne recherchons pas la possiNégligeons les difficultés de psychologie que soubilité de ces «< idées intellectuelles qui n'ont point passe par les sens»; ignorons qu'on nous propose à l'usage de l'homme, la théorie de la vision angélique. Il reste qe Fénelon préconise l'opération mystique, par excellenc c'est-à-dire la substitution de la connaissance intuitive à la connaissance intellectuelle. En général, et du moins quand nous pensons, nous saisissons certaines réalités et nous en déduisons des conséquences : nous passons, par exemple, à l'Etre Premier et à la cause première de l'idée d'être et de l'idée de cause par la vote lente et com pliquée du syllogisme. Ici, c'est du même coup que nous nous pénétrons de la réalité initiale et de son contenu proche ou lointain. Tout travail de l'esprit, soudain illuminé, est rendu inutile, l'âme opère d'elle-même et sans le secours du corps; elle pénètre la matière et s'assimile l'essence, elle devient ce qu'elle appréhende, et dès lors, évidemment, il n'y a plus qu'à se laisser vivre, ce qui revient à laisser Dieu vivre en soi.

Ce qui se pose, c'est la question éternelle et infiniment féconde de l'intuition, de l'intuition qui se donne pour une prise immédiate du réel et qui n'est peut-être qu'un raccourci de la connaissance intellectuelle. Bossuet n'entre point dans le problème. Mais il examine les consé

quences.

Il est vrai qu'à la lettre et avec les préalables ou les précautions dont elles s'entourent, les propositions de Fénelon ne contredisent ni la discipline, ni le dogme et qu'elles ne sont point singulières dans la mystique. L'Eglise, cependant, qui supporte cette mystique plus qu'elle ne l'encourage, l'Eglise se réserve et sent le danger.

Il est flatteur d'être distingué, on s'applaudit de ne pas penser à la manière du commun et il y a un orgueil des << voies extraordinaires ». Que des âmes comme celle de sainte Thérèse ou de saint François de Sales, avec la sûreté du génie, d'ailleurs, jouissent de l'extase

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et communiquent avec Dieu sans le banal intermédiaire des opérations discursives, ces élus et leurs admirateurs n'ont qu'à s'en louer. Faudra-t-il pourtant aiguiller vers cet idéal dangereux la masse des fidèles et y consacrera-t-on des manuels ?

Dieu agit dans l'homme par les moyens de l'homme. C'est de nous-mêmes que nous passons à lui, c'est par l'intermédiaire des sens que s'ordonnent les opérations de l'esprit, de même que c'est par l'espérance, par l'attrait des béatitudes et le plaisir ou le profit des bonnes actions que nous nous maintenons dans la bonne voie. Nous voulons, enfin, posséder ce que nous aimons. Du moins est-ce là l'ordinaire de nos amours. Sera-t-il bon qu'on préconise une doctrine qui, sous prétexte de purifier nos intentions, nous enlèvera nos moyens d'action; qui, sous couleur de pur amour, nous dégagera des nécessités et peut-être des réalités de l'amour; qui, pour nous égaler aux anges, nous libérera des humbles travaux et des modestes encouragements d'ici-bas?

Certes, de telles modalités de vie intérieure pourront convenir à des saints. Sans compter, pourtant, les dangers qu'elles présentent, même pour des âmes d'exception, de quels mouvements illusoires n'animeront-elles pas les simples, et vers quels excès ne les pousseront-ils point? Cette vétille de théologie, c'est tout simplement le problème de la vie morale.

Bossuet l'a vu et comme toujours

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il est allé « au principe ». Il sait l'aventure que court l'esprit dès qu'il se détache de la terre. Il lui paraît hasardeux, pour mieux comprendre de renoncer à penser, pour mieux as aimer de supprimer le désir. Il croit, avec saint Thomas et le sens commun, que c'est en partant de l'homme qu'on parvient à Dieu, que par la considération et l'humble pratique des qualités usuelles on arrive à se figurer très loin, à l'infini, la Vertu suprême. Il estime qu'il y a de l'orgueil à mépriser les moyens et les dons par lesquels, ordinairement, on gagne le ciel. Et il répond aux propositions de Fénelon par ces fortes maximes :

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« Comme elle est faite (dit-il de l'âme) à l'image de e Dieu, elle étend à elle-même cette connaissance négaertive par laquelle nous avons vu que Dieu était connu... La jouissance est réservée à la vie future, l'espérance est donc le soutien et la consolation de la vie présente... De cette sorte, quand on dit que vouloir jouir ou, ce qui est la même chose, vouloir être heureux est un acte intéressé et un amour-propre, on renverse les notions de jouissance et de félicité. Car jouir c'est aimer pour l'amour de lui-même celui dont on veut jouir, et mettre en lui sa félicité, c'est s'y attacher comme à une nature plus excellente et que l'on préfère à soi-même (1)... » Ne commençons-nous pas d'entendre autrement la cause et n'entrons-nous pas, bien mieux que par l'histoire, dans la connaissance de Bossuet ? On vient de dire sur lui des paroles incroyables et qui ne témoignent que de la faiblesse de l'esprit moderne. Il ne saurait, cet esprit, pénétrer l'économie d'une querelle qui porte sur un point capital de psychologie, et il se contente de s'amuser au détail extérieur de l'événement. Il voit en Fénelon une sorte de rêveur généreux qu'il tâche de se concilier au prix des pires contre-sens; il considère Bossuet sous l'angle de la politique de parti et il en fait un simple « réactionnaire ». Il ne s'aperçoit plus, irrémédiablement borné, que ces grands hommes marquent la fructification dernière d'institutions, de Croyances et de disciplines, sur certains points dépassées ou périmées, mais qui contenaient une telle part d'humanité qu'elles restent la nourriture principale des âmes qui peuvent encore y puiser.

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L'Expansion du Livre Français Le Comité du Livre

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Parmi tant de groupements ayant pour objet l'expansion de la pensée française, j'ai cité le Comité du Livre. Je voudrais aujourd'hui donner quelques détails cette organisation déjà ancienne, qu'une décision récente du congrès du livre va investir d'une autorité nouvelle et qui sera prochainement appelée à coordonner et diriger les efforts entrepris pour la diffusion du livre français.

Sa naissance nous reporte aux jours sombres de 1916. Notre ambassadeur à Rome, M. Barrère, sentant alors le besoin de lutter contre l'emprise intellectuelle de l'Allemagne, chargeait notre consul général, M. TondeurScheffler, d'étudier le moyen pratique de resserrer les relations intellectuelles entre la France et l'Italie. Celuici examina le problème avec deux hautes personnalités italiennes animées du même esprit patriotique, le marquis de Viti de Marco et le sénateur Vito Volterra. Tous trois tombèrent d'accord que, parallèlement à l'action militaire et économique, il convenait de concerter une action intellectuelle contre l'ennemi commun, non seulement dans leurs deux pays mais dans tous les pays. de l'Entente, à qui il manquait surtout de se bien connaître pour n'éveiller aucune susceptibilité chauvine, cette action devait être entreprise dans un parfait esprit de réciprocité; le meilleur agent de propagande étant le livre, c'est surtout par le livre qu'elle devait se faire. Ces principes posés, on considéra donc qu'il y avait lieu de prévoir dans chacun des pays amis ou alliés un comité national représentant son élite intellectuelle et pour réaliser l'entente par le livre d'établir une liaison étroite entre les divers comités nationaux se prêtant mutuellement appui et aide.

Conçu au Palais Farnèse, le comité français qui prit le nom de Comité du Livre naquit le 17 avril 1916 à l'Institut de France et sa double origine, diplomatique et universitaire, en même temps qu'elle lui prêtait une certaine noblesse, lui conféra une incontestable autorité.

A l'appel de M. Tondeur-Scheffler répondirent parmi les premiers MM. Alfred les premiers MM. Alfred et Maurice Croiset, Henri Welschinger, le Dr Debove, le professeur Larnaude, Louis Marin, Ernest Lémonon, etc. Le premier président du Comité fut M. Maspero, auquel succédèrent MM. Emile Picard, le comte Durrieu et Maurice Croiset.

L'article 2 de ses statuts définissait ainsi l'action future du Comité du Livre : « Propager, principalement au moyen du livre, la pensée française à l'étranger dans ses différentes manifestations et rutex faire connaître dans notre pays les œuvres maitresses de la pensée étrangère ».

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Voici ce que pratiquement on se proposait à l'étranger, répandre notre livre, créer dans les grandes villes des maisons de France, foyers intellectuels où se réuniraient les membres de la colonie française et les indigènes francophiles, patronner l'œuvre des institutrices françaises, organiser des échanges de professeurs, des cours et conférences; en France, dans un but d'éducation des masses, s'attacher à la reconstitution et à l'entretien des bibliothèques populaires, scolaires et postsco

laires.

Beau programme dont le Comité a pu remplir une partie depuis sa fondation. Malheureusement la crise de la librairie et l'état des changes l'ont empêché de réaliser sa mission la plus urgente: la diffusion du livre français.

A défaut de pouvoir le répandre, il tenta au moins de le faire connaître au dehors et c'est pourquoi il organisa un service bibliographique chargé de poursuivre le dépouillement méthodique des nouvelles publications

françaises et d'établir mensuellement un état descriptif | des livres parus. Ce travail est aujourd'hui servi régulièrement à différents organes francophiles, aux PaysBas, en Suisse et en Italie. Il est vraiment lamentable que les conditions si onéreuses de toute publication aient empêché son impression et qu'il faille le distribuer en feuillets dactylographiés.

Fort heureusement, le comité a réussi à faire éditer son œuvre capitale, celle qui répond le mieux jusqu'ici à son idée maîtresse, cet Annuaire Général de la France et de l'étranger, petite encyclopédie périodique qui nous dote enfin, comme les autres pays, d'un instrument portatif de documentation générale. Il en paraît une édition en langue anglaise, sous le titre French Year Book.

Les Maisons de France sont encore à réaliser, mais le projet a été précisé et il semble maintenant qu'il n'y ait pas lieu d'envisager des créations, mais seulement l'adaptation d'organisations existant déjà dans divers pays, telles qu'au Brésil, par exemple, la société constituée auprès du lycée français de Rio-de-Janeiro, ou en Ecosse, la Scottisch-French Society.

La place nous manque pour détailler les efforts particuliers faits dans différents pays étrangers. Notons seulement qu'en Pologne et aux Etats-Unis, notamment, des résultats intéressants ont été obtenus.

En France, on sait la part prise par le comité à la préparation et aux travaux du Congrès du Livre de 1917. L'œuvre de reconstitution des bibliothèques populaires a été fort heureusement inaugurée en Alsace-Lorraine, où plus de 25.000 volumes ont déjà été distribués. Telles sont, à l'heure actuelle, les réalisations du Comité du Livre. Quels sont ses projets ?

D'abord, en raison des difficultés actuelles de librairie, la substitution provisoire du périodique au livre, comme agent de diffusion. Cela suppose une réorganisation complète du commerce du périodique et ne se fera pas en un jour.

Ensuite constitution dans tous les pays étrangers de correspondants ou de groupements correspondants, pouvant facilement communiquer avec les intellectuels étrangers pour leur demander des articles à insérer dans les périodiques français et avec les périodiques étrangers pour leur demander l'insertion des articles rédigés par les intellectuels français ». L'idée est intéressante et réalisable, mais, à notre avis, ce n'est pas tant des articles d'information générale qu'il faut échanger avec l'étranger, que des articles de critique littéraire en France. comme à l'étranger, les livres que le public achète le plus volontiers sont ceux dont il a entendu parler.

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Enfin le dernier projet du Comité du Livre est de publier, dès qu'il le pourra, un organe périodique comprenant des informations d'ordre intellectuel, scientifique et universitaire du monde entier et un dépouillement des principaux périodiques de France et de l'étranger. Il n'est pas besoin d'insister sur l'intérêt que présenterait cette publication.

En attendant, le Comité du Livre est immédiatement appelé à jouer un rôle de première importance dans la constitution du Comité intercorporatif d'expansion française, préconisé au congrès dernier par M. Georges Valois.

J'ai dit ce que serait cet organisme groupant des représentants de l'Etat, des groupements intellectuels, des groupements du Livre, des grandes corporations du pays (métallurgie, textiles, produits chimiques, industries de luxe, etc.), des associations déjà créées pour l'expansion française à l'étranger. Dans l'intérêt national, par-dessus leurs intérêts particuliers, il coordonnerait l'action de toutes ces organisations.

L'idée paraît partout être favorablement accueillie. Avant de la soumettre au Congrès du Livre, M. Valois l'a exposée à une séance du Comité du Livre, séance à laquelle assistaient les administrateurs, MM. Ches

neau, directeur de l'Ecole des Mines; Croiset, administrateur du Collège de France; Tondeur-Scheffler, consul général; MM. Babelon, Chatelain, Homolle, Joubin et Pelliot, de l'Institut; Courtière et Langlois, de l'Académie de médecine; Germain, de l'Institut océanographique; Boyer, administrateur de l'Ecole des langues orientales; de La Roncière, conservateur des imprimés à la Bibliothèque Nationale, etc. Devant cet aréopage, M. Valois a exposé que, pour l'organisation et la présidence du futur Comité intercorporatif, con ne pouvait songer ni à une association nettement professionnelle, ni à une corporation industrielle ou commerciale, qui serait presque fatalement entraînée à défendre ses intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général, mais que seule serait qualifiée une association. désintéressée, donnant toutes garanties d'indépendance et groupant de très hautes personnalités. Le Comité du Livre réunissant ces conditions, il-lui a donc demandé de bien vouloir assumer ce rôle délicat.

Assurée de n'aliéner en rien son autonomie, de n'être chargée que des échanges intellectuels, à l'unanimité l'assemblée a accepté.

Demain, le Comité du Livre va donc se trouver à la tête du mouvement d'expansion française. Parfaitement préparé à sa tâche d'organisation, grâce au concours de son très actif secrétaire général, M. Gargam de Moncetz, il sera à l'honneur mais aussi à la peine. Souhaitons que tous ceux qui concourent à l'expansion française, éditeurs, métallurgistes, couturiers ou boxeurs aient quelque reconnaissance à ces intellectuels dont le pres tige rejaillira sur eux.

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La Vie Economique

A

GEORGES GIRARD.

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