Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors]

brusques. Les banques hésitaient autant devant les ouvertures de crédit. Le chômage était endémique; les faillites nombreuses; l'agitation profonde: grèves et émeutes. Si les conflits ouvriers de Londres et de Manchester (16 août 1819), et de Glasgow (août 1820) firent couler plus de sang que les exploits des néo-bolchevistes au XX siècle, c'est que la suppression de la législation protectrice du travail et le maintien des lois protectrices du blé, l'absence d'administration des villes qui poussent à la non-représentation des classes qui naissent, avaient créé des scandales qu'ignore l'Angleterre d'aujourd'hui.

L'Europe lui est cependant aussi indifférente qu'il y a cent ans. Ses républiques de droit révolutionnaires ne lui sont pas plus sympathiques que ne l'étaient, en 1819-1820, ses monarchies de droit divin. Le réalisme juridique du traité de Versailles n'a pas eu plus de succès que l'idéologie mystique de la Sainte-Alliance. Leurs adversaires se recrutent dans les mêmes milieux : conservateurs qu'inquiètent les succès des camarades de combat; radicaux qu'émeuvent les revendications des vaincus d'hier.

Si leurs critiques trouvent des oreilles favorables, c'est que les deux guerres ont laissé après elles une égale rancœur. Les gains n'ont point compensé les

tes. La guerre ne paie pas. Le jeu ne vaut pas la chandelle. L'équilibre européen est une marchandise périssable qu'il faut acheter trop cher. Et les Hohenzollern sont à la veille de bénéficier des mêmes indulgences que connut Napoléon lorsqu'il fut bouclé à Sainte-Hélène.

[ocr errors]

Sous la pression de l'opinion publique qui, dès le début du XIX siècle exerçait, par l'intermédiaire des associations commerciales et de la presse quotidienne, plus encore que pas celui du Parlement, une action certaine sur ses directives générales, le Foreign Office, au lendemain de Vienne et de Versailles, évolue dans la même direction.

A un siècle d'intervalle, il était aussi rebelle au joug des alliances. Après avoir refusé de signer « le pacte personnel et secret » dans la Sainte-Alliance « document de mysticisme et de sottise sublime », écrit Castlereagh, il n'a collaboré, qu'après hésitation, avec difficulté et de loin, aux Conseils suprêmes d'alors, Aix-la-Chapelle (1818), Troppau (1820), Laybach (1821), Vérone (1822). Dès le 19 octobre 1818, au sein du Cabinet, Canning critiquait l'institution d'une alliance permanente et de congrès périodiques : « L'Angleterre se trouverait entrainée dans la politique continentale, alors que notre ligne véritable a toujours été de n'intervenir que dans des circonstances graves et avec des forces prédominantes. » La note du 5 mai 1820, rédigée sous son inspiration, indique à Metternich les raisons pour lesquelles l'Angleterre se refuse à toute coopération étroite: le ministère craint « d'éveiller le soupçon qu'il aurait abandonné les premiers principes sur lesquels repose son gouvernement >>.

Aussi travaille-t-il, sans arrêt, au lendemain comme pendant les Conférences de Paris et de Vienne, à pacifier les esprits et à stabiliser l'Europe. « Il faut essayer de ramener le monde à des habitudes pacifiques, écrit Castlereagh, et le but ne se concilierait pas avec la se concilierait pas avec la pensée d'attirer moralement et matériellement la situation de la France. » Et la même formule devait se retrouver, sauf le dernier mot, sous la plume et sur les livres de D. Lloyd George. Après s'être opposé, d'accord avec la Russie, au morcellement rêvé par la Prusse, le Foreign Office est d'accord avec Metternich pour ouvrir à la France les portes du Congrès d'Aix-la-Chapelle. A cent ans d'intervalle, la rupture des groupes, l'interpénétration des alliances, l'individualisme euro

[ocr errors]

péen restent un des objectifs de la politique anglaise. Pour l'atteindre, pour barrer la route à l'empereur Alexandre, qui rêve de détourner l'attention de ses exalliés sur l'agitation italienne, la révolution espagnole et l'insurrection américaine, afin d'avoir les mains libres en Orient et de reprendre la marche interrompue sur Constantinople, Caslereagh, Canning s'appuient sur la France. D. Lloyd George devait s'appuyer sur l'Italie contre la République, soupçonnée de nourrir, après la victoire commune, des projets aussi chimériques que ceux d'Alexandre. Et si cette collaboration avec les vaincus d'hier ne suffit pas à Canning, il en trouve d'autres, lui aussi, à Washington et à Berlin. Lord Parmerton devait, peu d'années plus tard, en disciple fidèle, systématiser cette méthode dans une formule célèbre l'Angleterre ne nourrit ni amitiés, ni inimitiés éternelles. Seuls ses intérêts sont immuables.

Et ces intérêts se confondent avec ceux du commerce national. Canning n'a jamais cessé de les servir docilement. S'il a collaboré à l'affranchissement du Sud-Amérique, c'est qu'il espérait bien trouver, auprès des colonies de son ex-alliée, des marchés dont la clientèle reconnaissante compenserait, par des commandes croissantes, l'avarice d'une Europe appauvrie par la guerre. Les débouchés étaient déjà plus nécessaires à cet Etat industriel que les lauriers. D. Lloyd George n'eût probablement pas coopéré avec autant d'imprudence à la libération, en Asie musulmane, des colonies grecques et juives, s'il n'avait vu, dans cette opération politique, le moyen de rafler la clientèle commerciale et intellectuelle d'une alliée, à l'heure précise où l'industrie britannique étouffe faute de débouchés.

Et, comme pour symboliser ce parallélisme, l'historien peut découvrir une certaine ressemblance entre les deux hommes, en qui s'incarne, de la manière la plus complète, cette politique d'après-guerre, de liquidation européenne, de pacification continentale et d'expansion industrielle : George Canning et D. Lloyd George.

[ocr errors]

J'entends bien qu'il est impossible de trouver une silhouette plus différente de celle de D. Lloyd George, petit, carré, chevelu, que le portrait de Nini par Lawrence et accroché à Oxford: un dandy byronien, grand et élancé, le front élargi par une calvitie précoce et encadré par des touffes bouclées; des yeux noirs, ardents et profonds; une bouche mobile, vivante et impérieuse.

Leurs origines, cependant, sont également celtiques et également plébéiennes. George Canning est le fils d'un irlandais, brouillé avec sa famille, privé de ressources, successivement avocat, journaliste, marchand de vin, et d'une irlandaise, aussi belle que pauvre. L'empreinte populaire ne s'effaça jamais. Malgré le triple vernis d'Eton, d'Oxford et de la richesse, « Canning, disait-on, ne peut jamais rester plus de deux heures complètement un gentleman ». Il a connu la misère autant que D. Lloyd George. Lorsque son père disparut, sa mère, pour ne point mourir de faim, dut monter sur les planches. Deux mariages successifs ne furent que des faillites successives. Et si un acteur de talent, Moody, ne s'était pas intéressé à l'enfant et n'avait point signalé son intelligence et son charme à un oncle généreux, George Canning n'eût point figuré au grand livre de l'histoire anglaise. Un oncle savetier rendit à D. Lloyd George le même service.

Leurs intelligences sont également riches. A cent ans d'intervalle, malgré une formation différente, ces deux cerveaux eurent la même facilité, la même variété, le même esprit. Fin lettré, George Canning pouvait, tour à tour, rimer une strophe, dicter un pamphlet, écrire sur le change, méditer sur l'histoire, dicter trois dépêches.

[graphic]

ans et demi les bataillons magyars dans une guerre déclenchée principalement par eux, veulent racheter leur défaite en arrachant, eux aussi, un lambeau de territoire à la Hongrie.

Ses plaisanteries étaient célèbres et son ironie féroce. | qui, après avoir sacrifié sans compter pendant quatre
Lloyd George a été, successivement, un économiste
compétent, un financier audacieux, un industriel émi-
nent, un diplomate redouté. Ses jovialités sont connues
et son ironie est narquoise. L'un et l'autre ont eu, à
un degré égal, les dons physiques de l'éloquence : le
port, le geste et la voix. Et si la parole plus classique
de George Canning aime à dérouler ces longues pério-
des, D. Lloyd George se plaît lui aussi à évoquer les
images d'un lyrisme biblique.

Les quelques chiffres et détails que nous donnons ci-
dessous, concernant la Hongrie occidentale, permettront
de mieux comprendre l'importance des événements qui
s'y déroulent et qui menacent l'oeuvre de paix.

Ce que l'on est convenu d'appeler la Hongrie occi-
dentale, est un territoire de 4.399 kilomètres carrés avec
346.000 habitants, c'est-à-dire la région la plus peuplée
de toute la Hongrie. Certes la majorité de la popu-
lation y est d'origine germanique, mais il s'y mêle
environ 50.000 Magyars et
riposté environ 50.000 Magyars et autant de Croates. Com-
parée au reste de la Hongrie, ce n'est pas seulement
la région la plus peuplée, mais aussi celle où la
population est la plus instruite. Il n'y a que 14 0/0
d'illettrés et l'on y compte environ 500 écoles, dont un
bon nombre de supérieures. C'est la patrie d'ailleurs de
plusieurs grands hommes universellement connus
comte Etienne Széchenyi que Louis Kossuth aimait à
appeler « le plus grand des Magyars », les musiciens
Joseph Haydn et François Liszt, pour ne citer que les
plus célèbres.

A un siècle d'intervalle, au cours d'une guerre pour le même équilibre, ces deux hommes ont rendu des services également éminents. Ils ont été, l'un et l'autre, partisans de la lutte jusqu'au bout. Adversaire impitoyable du traité d'Amiens, George Canning a riposté au traité de Tilsitt par la saisie de la flotte danoise et par la signature de l'alliance portugaise. L'armée britannique doit à D. Lloyd George d'avoir eu la conscription, des munitions et un commandement. De même que ce radical devait au lendemain de la victoire être le chef d'un cabinet conservateur, le whip Canning avait, avant de le diriger, collaboré à un ministère Pory. Mais partisan de principales réformes, que Grey devait réaliser en 1832, il est resté fidèle à ses tendances libérales. Il a affranchi politiquement la minorité catholique, de même que D. Lloyd George devait tenter d'affranchir nationalement la minorité irlandaise.

[ocr errors]

Cet étrange parallélisme se poursuivra-t-il plus loin? La politique orientale de George Canning, faite de transactions ingénieuses et d'équilibres éphémères, où il opposa, tour à tour, les uns aux autres, Grecs et Turcs, Français et Russes, s'est écroulée, brusquement et totalement, au lendemain de Navarin. En sera-t-il de même pour celle que D. Lloyd George a échafaudée, avec la même ingéniosité et la même souplesse, en opposant les uns aux autres, Grecs et Turcs, Français et Italiens? Je l'ignore.

Mais ce que je sais, c'est qu'il existe entre les deux situations, auxquelles les deux hommes d'Etat auront à faire face en Europe, une différence capitale. L'empereur russe voulait bouleverser l'équilibre et occuper Constantinople. Il fallait chercher des contre-poids et provoquer des diversions. La République française ne rêve que la paix et ne cherche rien: si, l'exécution d'un traité rédigé sous l'inspiration du nouveau George Canning... Pourquoi, alors, se heurte-t-elle, depuis deux ans, aux mêmes obstacles et tombe-t-elle dans les mêmes

pièges que l'empereur Alexandre? Peut-on expliquer cette sourde hostilité du Foreign Office, aussi réelle et aussi tenace que celle dont se plaignait, il y a cent ans, le Pont-aux-Chantres, uniquement par des erreurs de méthode et des froissements de personnes, dont le Quai d'Orsay porterait toute la responsabilité? Il faudrait être singulièrement ignorant et profondément injuste pour le croire un seul instant. JACQUES BARDOUX.

Le transfert de la Hongrie occidentale à l'Autriche

Céder au plus fort est pénible certes, mais se soumettre sans mot dire à la loi d'un plus faible est plus que pénible, c'est humiliant. Aussi ne doit-on guère s'étonner que les Hongrois se cabrent lorsqu'on leur demande d'abandonner docilement aux Autrichiens, vaincus comme eux mais plus affaiblis, une de leurs plus riches et plus anciennes provinces. Et puis ce qui les révolte encore plus, c'est l'idée d'être dépouillés, non par des ennemis mais par des compagnons d'armes

Si l'on excepte la région de Budapest, ces comitats occidentaux sont aussi les plus riches industriellement. 30 0/0 des habitants y sont occupés dans les diverses usines (au nombre de 50 environ) dont les plus importantes sont les sucreries de Nagyczenk et Félszerfalva, les filatures de Lajtaszentmiklos, les scieries de Lakompakom, etc. Ajoutons-y les dix mines de charbon et de lignite et les importantes carrières de Vinpac qui ont fourni les pierres nécessaires à la construction de la plupart des monuments publics de la capitale et nous conclurons que pour l'industrie naissante de la Hongrie la perte de la région est très sensible.

Au point de vue du commerce, c'est surtout Sopron qui avait de l'importance car de grandes quantités de bétail et de denrées alimentaires y étaient concentrées des régions intérieures de la Hongrie pour être réexpédiées à l'Autriche.

Par contre les ressources agricoles de la Hongrie occidentales sont assez restreintes. Le comitat de Vas recevait annuellement 30.000 quintaux de blé de l'Alfold, celui de Sopron 67.000. La ville de Sopron en consommait à elle seule 72.000 quintaux. Pour le fourrage et les pommes de terre la production est encore plus insuffisante. Sur les exportations en céréales de la Hongrie à l'Autriche 1,8 o/o d'avoine, 3,6 0/0 de blé, 2,6 0/0 d'orge et 7,5 0/0 de seigle provenaient de ces comitats, le reste venait du centre de la Hongrie. Ces chiffres sont intéressants parce qu'ils prouvent que l'espoir des Autrichiens de se ravitailler dans cette région - c'est la raison principale qu'ils ont invoquée pour obtenir la Hongrie occidentale sera fortement déçu.

En somme, en Hongrie la perte de cette province sera surtout ressentie par l'industrie. Aussi, n'est-ce pas tellement pour des raisons d'ordre économique que les Hongrois tiennent à ces quelques comitats; mais pour des raisons d'ordre sentimental dont la puissance est toujours très forte sur les peuples. Pour les Hongrois, la Hongrie occidentale constituait le poste avancé du magyarisme vers l'ouest et leur rappelait leurs luttes séculaires contre le germanisme. Là, comme en Alsace, une race non allemande a combattu endiguer l'expansion germanique. Toute la région bordant la Leitha, ligne-frontière naturelle entre l'Autriche et la Hongrie, est hérissée de vieux châteaux forts et de manoirs moyenâgeux où les seigneurs magyars, les Eszterhazy, les Szapary, les Széchenyi, etc., ont tenu garnison et ont résisté victorieusement à la poussée des Autrichiens. C'est là que se dresse le fameux château

[ocr errors][ocr errors]
[graphic]
[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

de Frakno, propriété des princes Eszterhazy depuis le XVII siècle, merveilleusement conservé et contenant des richesses artistiques et historiques nombreuses, entre autre une collection d'armes unique au monde.

C'est cette marche occidentale, si riche en souvenirs glorieux, qui va tomber maintenant aux mains de l'ennemi. Et ce qui complète encore la ressemblance avec l'Alsace, c'est que la population de la Hongrie occidentale, quoique d'origine et de langue allemandes, est tout aussi antiallemande que les Alsaciens. De tout temps, elle s'est pleinement identifiée avec la race magyare et à l'heure du danger, elle a combattu pour la patrie commune. Ainsi, sans remonter bien haut, lors de la guerre de l'indépendance hongroise en 1848, tandis que les autres nationalités de la Hongrie firent cause commune avec l'Autriche, les habitants de la Hongrie occidentale luttèrent avec acharnement pour la Hongrie contre l'Autriche.

L'accueil fait récemment aux gendarmes autrichiens chargés de prendre possession de la Hongrie occidentale, semble prouver que les sentiments de la population sont restés les mêmes qu'en 1848 malgré l'active propagande des pangermanistes, ces derniers temps. Sans les événements récents, la Hongrie occidentale aurait fini par tout à fait perdre son caractère allemand et se serait magyarisée complètement.

Au lieu de cela, le traité de Trianon livre à l'influence allemande une population de 300.000 âmes, patiemment disputée depuis plusieurs siècles à l'emprise germanique. Etait-ce bien le résultat auquel nous voulions arriver? On aura quelque peine à le croire. Le fait est que, dans cette question comme dans celle de la Haute-Silésie, ce n'est pas le point de vue français qui a triomphé. Le correspondant diplomatique du Daily Telegraph affirmait, il n'y a pas longtemps, que les Alliés décidèrent de donner la Hongrie occidentale à l'Autriche sur l'avis des experts anglais et américains qui estimèrent que, sans cette province, l'Autriche ne serait pas viable. Reste à savoir s'il n'y aurait pas eu d'autres moyens pour étayer cette Autriche chancelante sans favoriser l'expansion germanique. D'ailleurs on se demande si l'acquisition de trois comitats très peuplés et riches en industrie, mais produisant à peine en blé ce qu'ils consomment, compensera pour l'Autriche la perte de l'amitié et du grenier hongrois, et si la première conséquence des nouvelles difficultés de l'Autriche à se ravitailler ne sera pas une recrudescence du mouvement de rattachement à l'Allemagne. Comme ce serait là la pire des solutions, on peut espérer que nos missions diverses qui ont eu le loisir d'étudier sur place la complexité du problème trouveront au dernier moment un compromis permettant de sauvegarder et nos intérêts et ceux des principaux intéressés.

P.-E.-G. RÉGNIER.

NOTES ET FIGURES

Chez Bernstein, à Berlin.

C'est dans un petit appartement, Botzenerstr, 18, à Berlin, plus bourré de souvenirs qu'un musée, que le vieil apôtre du socialisme habite avec son épouse dévouée. On dirait de Philémon avec Baucis, un Philémon plein de verve. Entrons de l'ombre, des livres aux reliures obscurcies, une seule clarté, mais vivante et mobile, celle d'une tête blanche de vieillard inspiré. Les verres de ses lunettes rondes, à monture d'acier, ajoutent, s'il est possible, par leurs reflets, à l'éclat des yeux un peu bridés à force d'application et de travail sur

des textes. Le front n'est pas vaste, mais large, bossué et dégagé; des cheveux courts, tout blancs, presque follets, et ras sur le sommet de la tête, plus allongés et embroussaillés sur la nuque et sur les tempes. Une barbe parfaitement neigeuse, comme les cheveux, allongée en pointe vers la poitrine, achève la ressemblance de ce visage avec celui d'un prophète d'autrefois. Un air d'antan flotte dans la chambre; sur les murs, dans les intervalles étroits que ne couvrent pas les bibliothèques, des portraits anciens, rien que des portraits: Lassalle, Karl Marx, Ed. Bernstein lui-même quand il vivait en Angleterre. Autour des portraits, des livres sur des rayons de chêne, très ordinaires, mais rendus plus sévères pas la patine des temps. Les œuvres des grands socialistes européens, allemands, anglais et français, mais surtout les écrits des auteurs de l'époque glorieuse ou le socialisme naissant prétenda'it affirmer la venue de son régime. On lit plutôt, sur ces rayons brunis, les titres des œuvres de Lassalle, de Kautsky, d'Auer, de Marx et de Bebel que ceux de Longuet et de Guesde ou de Normann Angel, et Bernstein luimême semble préférer les premiers champions à leurs successeurs. L'apôtre pur demeure à part des luttes et des compromissions politiques du jour; il garde sa foi profonde fièrement, au-dessus de la mêlée qu'il domine et ne se commet pas avec les marchands introduits dans le temple.

Ayant orienté la conversation vers le journalisme, Bernstein nous parle, en français, de Vallès, d'Alphonse Daudet et du Café Napolitain. Et sur chacun il sait des anecdotes que le bon vieillard a dû mille fois conter, mais auxquelles il prend toujours plaisir le premier, et qu'un auditeur français peut s'amuser d'entendre quand elles sont dites avec un certain humour ancien et par cette bouche d'étranger.

Comme il se trouvait en Suisse, Edouard Bernstein eut à reviser une œuvre de Marx destinée à être mise en librairie à Paris. Une dame russe l'avait traduite de l'allemand en français. Mais le texte devait être confronté avec l'original d'une part, et parfait dans sa forme en notre langue, d'autre part. Un professeur de la Suisse française, M. X..., devait assurer cette dernière tâche, cependant que Bernstein s'était attribué la première. Bernstein remarquait quelquefois : « Mais ce n'est pas la véritable pensée de Marx ! » Son collégue, de son côté, s'entêtait à répéter, devant l'obscurantisme témoigné par l'auteur à de certains passages: << Soyons clairs, d'abord, soyons clairs et précis ! » Et le vieux Bernstein d'ajouter en finissant de conter son anecdote « L'esprit français ne s'accommode que de la clarté, n'est-ce pas, vous êtes de vrais rationalistes ! >>

D'ailleurs, l'ami de Bebel n'a jamais admis sans réserves les thèses extrêmes des communistes et il ne témoigne pas au capital la haine farouche que lui montre Marx. « Le capitalisme n'a pas inventé la guerre », nous a-t-il dit.

Bien mieux, Bernstein voudrait que l'Etat s'inspirât des méthodes capitalistes. « C'est une erreur, a-t-il ajouté, que de croire que le Reich pourrait combler le déficit de ses finances en aggravant les impôts et en ajoutant à celles qui existent déjà des taxes nouvelles. Le travail seul est source de richesse, et le gouvernement trouverait de plus sûrs revenus à participer à l'industrie et aux exploitations de toutes sortes de l'Allemagne. Enfin, de cette manière, il contribuerait efficacement au développement des unes et des autres. »

Utopie? Qui sait? Et le vieux Bernstein, l'apôtre du socialisme éclairé, le banni de l'Allemagne impérialiste, juge comme autrefois fit Danton chez nous, que « l'éducation est un des premiers besoins du peuple ».

GERMANICUS.

[graphic]

Congrès de coiffure,

Ovide consolait sa maîtresse devenue chauve en lui disant qu'il y avait encore des cheveux allemands. Les tresses germaniques ne sont plus à la mode et nos Figaros n'auront pas le mauvais goût de les imposer, mais leur pouvoir demeure assuré, et ce qui leur passe par la tête, leurs clientes le subiront sur la leur. C'est en vain que les Pères de l'Eglise ont admonesté les femmes en leur rappelant que le Seigneur interdisait de rien ajouter à sa taille et de placer indignement, sur un front sanctifié par le baptême, des dépouilles étrangères; c'est inutilement que Bassanéo, dans Le Marchand de Venise, raille le savant ajoutage des boucles, « beauté qui se vend au poids »; les coiffeurs, qui tiennent en ce moment leur congrès à Lyon, auront raison bien qu'ils aient souvent tort.

Le souvenir même de l'énorme Aglaïs, dont nous parle Elien, qui sonnait de la trompette, mangeait à son souper douze livres de viande, huit livres de pain, buvait six pintes de vin, et qui, l'une des premières, se plut à compliquer sa coiffure, le souvenir même de l'énorme Aglais ne saurait dégoûter nos belles dames, minces à souhait, d'être taillables et corvéables à mercil entre les mains de leur coiffeur. Que dis-je, leur coiffeur? Qu'ai-je écrit ? Les coiffeurs ont leur importance si l'on songe aux fâcheuses aventures de Samson et Absalon, mais n'allons pas, de grâce, les confondre avec les « artistes capillaires >>. On le vit bien, en 1760, lorsque les coiffeurs de dames entreprirent un long procès contre les huit cent cinquante perruquiers de la ville de Paris. Un décret du conseil d'Etat, s'il vous plaît, déclara les coiffeurs de dames des artistes et vous pensez que les artistes se séparèrent bruyamment d'avec les perruquiers. Du reste, les romantiques, ces artistes, n'appelaient-ils pas « vieilles perruques » les classiques?

Donc, ces messieurs de Lyon sont des artistes. En douteriez-vous, il vous suffiraît de relire, de relire, comme le Congrès de coiffure m'y a engagé, L'Essai sur l'art de parer la beauté naturelle et de créer la beauté factice, que publia M. Lafoy, coiffeur de dames, en 1817. Il y a là, dans le chapitre intitulé Du rang que le Coëffeur doit tenir parmi les Artistes, une théorie neuve et originale, vraiment troublante, et qui vaut d'être méditée. Qu'est-ce qu'un sculpteur ou un peintre? se demande M. Lafoy. De froids copistes ayant besoin de modèles, assujettis à une honteuse dépendance, et dont tout le mérite consiste à reproduire servilement ce qu'ils ont vu, à donner une imparfaite esquisse de l'original. « Quelle différence entre eux et le Coëffeur! s'écrie M. Lafoy. C'est la beauté vivante que celui-ci embellit! C'est un sexe à qui tout cède qui implore son secours! La Nature a-t-elle prodigué ses dons? Il les dispose de manière à en augmenter l'éclat. A-t-on moins à se louer de ses faveurs? Il vous console en sachant y suppléer. » M. Lafoy n'hésite pas à aller plus loin, beaucoup plus loin. Peintres et sculpteurs ont impérieusement besoin « qu'un autre Artiste prépare leur modèle, joigne aux miracles de la Nature ceux qu'une innocente illusion peut y ajouter. » Cet artiste indispensable à Phidias et à Raphaël, c'est le coiffeur. Il est leur associé. Evidemment. Et jugeź de sa supériorité, à lui qui doit inventer et combiner sans répit, se renouveler sans cesse, s'inspirer de la physionomie, voire de « la situation de l'âme » de la personne qu'il est chargé d'embellir. Et, tout cela, avec quoi? Avec un peigne, un simple peigne! Et nous irions comparer un coiffeur à Phidias ou à Raphaël?... Vous ne le voudriez pas. Peintres et sculpteurs ont sans doute cette supériorité que leurs œuvres restent et que les fragiles édifices des chevelures s'écroulent. M. Lafoy s'en console: « C'est un malheur mais le Coëffeur en doit-il être humilié? C'est la destinée des plus belles

choses de s'évanouir au moment où leur perfection atteint le culte le plus vif. »

On s'explique la confiance et soumission des jeunes femmes à l'égard d'un tel artiste. Mais, au moins, pour elles et pour nous, qu'elles veuillent bien se souvenir de ce qu'écrivait Mme de Sévigné à propos de son ami Corbinelli qui avait pris perruque « Ce n'est plus cette petite tête frisottée seule semblable à elle; jamais vous n'avez vu un tel changement; j'en ai tremblé pour notre amitié... » Et, comme elles ne se souviendront pas, daigne le Congrès nous épargner. A. DE BERSAUCOURT.

Le chairman de la Standard Oil: A. C. Bedford.

Au mois d'octobre 1920, A. C. Bedford, le directeur des directeurs de la Standard Oil et en somme le roi du pétrole aux Etats-Unis, c'est-à-dire le plus grand pétrolier du monde, est venu en France. On sait qu'il y a lutte entre Américains et Anglais, pour le pétrole. Le livre de Francis Delaisi sur Le Pétrole (Paris, Payot, 1920), quoique incomplet, a donné au grand public un exposé lucide de la bataille en cours; les journaux, à propos de cette lutte, du voyage de M. Bedford et des débats parlementaires sur les pétroles, ont également publié des articles sur les problèmes où une part de notre avenir industriel se joue. Mais ce que l'on ne connaît guère encore en France, c'est la carrière et l'activité de ce « roi du pétrole » qui, dans la lutte, s'est si libéralement jeté de notre côté que le gouvernement français a cru devoir immédiatement le récompenser de son intervention en le nommant officier de la Légion d'honneur.

La carrière de A.-C. Bedford est très simple: c'est celle d'un homme qui, à l'opposé de certains Américains légendaires, n'a pas débuté dans les petits emplois, mais qui a travaillé toute sa vie dans les affaires, et dans celles de la Standard Oil.

Né le 5 novembre 1864 à Brooklyn, c'est-à-dire dans une ville qui est devenue un des quartiers de New-York, A.-C. Bedford, après des études à l'Adelphi Academy de Brooklyn, en Angleterre, en Suisse et en Allemagne, débuta à 17 ans dans une Compagnie de tissus à NewYork. A 18 ans, il entre à la Bergenport Chemical Company, qui était une des entreprises de la Standard Oil, pour y être le secrétaire général de C.-M. Pratt, le fils de l'associé de John D. Rockfeller. Il s'initie ainsi à tous les côtés de l'affaire. Et à 25 ans, il succède à C.-M. Pratt, comme directeur de la Bergenport, Pratt étant devenu à la mort de son père membre du conseil des directeurs de la Standard Oil.

Mais voici que, tout en restant à la Bergenport, les Pratt, reconnaissant son jugement en affaires et son habileté comme organisateur, le mêlent à toutes les affaires de Charles Pratt et Cy, qui s'étendent sur le charbon, les chemins de fer, l'électricité, les vernis, le jute, l'horlogerie, etc. A 31 ans, le voici, par exemple, membre du conseil d'administration et trésorier du Long Island Railroad, à 35 ans l'un des directeurs et secrétaire général de l'Ohio River Railroad Company, et à 37 ans, les Pratt et les Rogers chargent Bedford de la construction de la West Virginia Short Line, à quoi il réussit aussi bien qu'à tout le reste.

A 43 ans, il entre au conseil d'administration de la Standard Oil. Deux ans plus tard, Bedford, comprenant le rapport intime qu'il y avait entre l'industrie du gaz naturel et celle des pétroles, se lance dans l'organisation et l'utilisation des ressources de la Standard Oil en gaz naturel, et il en crée le marché en montant des pipe-lines pour transporter ce gaz naturel de ses sources jusqu'aux lieux où il doit être consommé.

En 1911, il est nommé vice-président et en 1916 président de la Standard Oil. Le voilà chef de l'industrie du pétrole dans son pays.

[graphic]
[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Après que les Etats-Unis sont entrés en guerre, le gouvernement de Washington le met à la tête du comité des pétroles du Conseil de la défense nationale amérıcain. A ce titre, on sait quel rôle il joue dans le ravitaillement des armées alliées.

Ces fonctions l'obligeant à donner une part considérable de son temps à la chose publique, en novembre 1917, Bedford partage ses fonctions à la Standard Oil : avec le titre de président, Walter C. Teagle s'occupera désormais des détails des affaires, et avec le titre de Chairman of the Board of Directors (président du conseil d'administration, mais un président actif, pas du tout honoraire) A-C. Bedford assumera la responsabilité de la politique générale et des progrès d'une affaire qui se développe chaque jour. C'est à ce titre que A.-C. Bedford est venu en France et a pris une attitude

[blocks in formation]

;

il

Une nouvelle philosophie de l'histoire(1) Il est à remarquer que ceux qui déprisent le plus la philosophie de l'histoire, ce sont justement nos historiens. Il est vrai que leurs prédécesseurs avaient cruellement abusé des ambitieuses considérations historicoidéologiques. Par réaction contre l'histoire éloquente à la Quinet, les Renan, les Taine, voire les Fustel de Coulanges, qui pourtant ne se privaient pas eux-mêmes de considérations à perte de vue, ont recommandé la critique « scientifique » et l'érudition à l'allemande n'était que temps, proclamons-le. Mais on en a depuis lors cruellement abusé, et la réaction a été si loin qu'on n'a plus voulu que l'histoire fût autre chose que l'érudition. Depuis trente ou quarante ans, à la Sorbonne aussi bien qu'à l'Ecole des chartes, ce qu'on signale le plus attentivement aux apprentis historiens, c'est le danger des « généralisations hâtives ». Rien de mieux : il n'en est pas de pire. Mais encore faut-il s'entendre sur hátive, car, si l'on veut, en histoire toute généralisation l'est nécessairement et le sera toujours, puisqu'on n'arrivera jamais à établir scientifiquement un nombre suffisant de faits; il faut donc ou bien regarder l'histoire comme une << science morale » et reconnaître comme légitimes certaines généralisations, ou bien comme une science exacte (c'est absurde), et s'abstenir de toute généralisation. Encore un coup, c'est là ce que les maîtres de la critique historique prescrivent pratiquement aux étudiants depuis trente ou quarante ans (laissons à de plus qualifiés le soin de mesurer l'influence de la sociologie de Durckheim). Il en résulte que les historiens se détournent avec dédain des idées générales, et que ce ne sont plus jamais des historiens de profession qui s'en sont souciés, mais des philosophes purs (voire un mathématicien) dont la culture n'est pas spécifiquement historienne; et cela ne laisse pas d'avoir des inconvénients.

La philosophie de l'histoire ainsi déconsidérée auprès des historiens, elle ne l'a pas été moins dans l'opinion,

(1) Une nouvelle philosophie de l'histoire moderne et française, par René Gillouin (B. Grasset, éd.).

c'est-à-dire auprès des écrivains artistes qui s'adressent au grand public. C'est l'influence du renanisme d'Anatole France, de Jules Lemaître et des auteurs les plus intelligents et les plus cultivés de leur génération. Il va de soi que le renanisme n'est pas l'essence de la doctrine ni même de l'esprit de Renan, pas plus que le bergsonisme mondain et littéraire d'aujourd'hui, dont nous parlons souvent, ne reflète exactement la philosophie de Bergson : il est à la doctrine et à l'esprit de Renan comme la légende d'un homme de génie est à sa biographie véridique; il est cette doctrine et cet esprit réduits à leurs traits les plus séduisants et d'ailleurs déformés par l'imagination, tels enfin que nous voyons communément et les assimilons. Les généralisations historiques (et, à plus forte raison, la philosophie de l'histoire) ont fourni précisément un de leurs sujets de raillerie préférés à ces spirituels artistes renaniens, et il faut reconnaître que rien ne prêtait mieux à l'ironie que ces considérations toujours un peu en l'air et ambitieuses, que Renan lui-même, pourtant, aimait de tout son cœur et qui lui ont fourni quelques-unes de ses meilleures études.

les

Mais aujourd'hui, il est certain que la mode renanienne semble dater des robes cloches et des manches ballons. Certes, il paraît encore quelques romans où règnent l'ironie indulgente et le scepticisme universel et souriant que vous savez, et où ne manquent même pas, sous quelque autre nom, Sylvestre Bonnard, l'abbé Jérôme Coignard ou M. Bergeret ces ouvrages semblent avoir été faits par des vieillards, quel que soit d'ailleurs l'âge de leurs auteurs, et leurs badinages, si charmants qu'ils puissent être, ne sont plus pour nous que des sourires ridés. Les enquêtes qu'on a menées sur l'influence intellectuelle de la guerre de 1914 n'ont pas révélé grand'chose, sinon que la culture a souffert et souffre; mais si l'on écarte les puissants effets négatifs du cataclysme sur l'intelligence pour n'en considérer que les positifs (qui sont légers), il semble que l'un des plus certains de ceux-ci, c'est d'avoir vieilli d'un coup quelques-uns des maîtres de notre littérature : ils n'en restent pas moins admirables, certes, mais leur influence, même purement esthétique, a brusquement disparu et l'on n'en trouverait plus traces (à part de rares exceptions) que celles qui demeurent sur quelques écrivains de la génération antérieure.

La philosophie de l'histoire redeviendra peut-être de mode et regagnera du prestige: il est de fait, en tout cas, qu'on n'en a jamais (en dehors des historiens) traité plus volontiers qu'à présent; nous sommes un peu comme ce M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir.

Depuis quinze ans, en effet, la querelle des classiques et des romantiques amuse le monde des lettres. C'est sans doute M. Charles Maurras qui l'avait fait naître. Il n'a pas été le premier, certes, à opposer le classicisme et le romantisme; mais sans doute l'a-t-il été à tirer de ces deux notions toute une philosophie. Ses belles et lumineuses idées à ce sujet ont été développées, renforcées, achevées par M. Pierre Lasserre dans sa thèse, le Romantisme français (1907), dont la soutenance en Sorbonne fut épique; et de cette époque surtout date le succès de la querelle.

Cependant, parallèlement à l'Action française, travaillait M. Ernest Seillière, qui construisait sur une analyse du romantisme un système qui concorde par certains côtés avec la doctrine de MM. Maurras et Lasserre, mais qui est beaucoup plus général et plus vaste encore. Pourtant, alors que l'influence de ceux-ci était et est encore puissante, celle de M. Seillière a toujours été nulle. Ses ouvrages, qui paraissaient avant la guerre en allemand comme en français, trouvaient peut-être plus de lecteurs de l'autre côté du Rhin que chez nous. C'est que M. Seillière manque tout à fait d'art; au juste, il

« AnteriorContinuar »