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L'autre fuit, en pleurant son pauvre compagnor.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,

S'éloigne avec horreur, se cache au fond des flots;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots.

Le monstre a des remords, dit-il; ô providence!
Tu venges souvent l'innocence;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
Ce scélérat du moins pleure ses attentats;
L'instant est propice, je pense,

Pour lui prêcher la pénitence:
Je m'en vais lui parler. Plein de compassion,
Notre saint homme d'esturgeon

Vers le crocodile s'avance:
Pleurez, lui cria-t-il; pleurez votre forfait;
Livrez votre ame impitoyable

Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux! manger un enfant!

Mon cœur en a frémi ; j'entends gémir le vôtre... Oui, répond l'assassin, je pleure en ce moment De regret d'avoir manqué l'autre.

Tel est le remords du méchant.

FABLE XII.

LA CHENILLE.

Un jour, causant entre eux, différens animaux
Louoient beaucoup le ver à soie.

Quel talent, disoient-ils, cet insecte déploie
En composant ces fils si doux, si fins, si beaux,
Qui de l'homme font la richesse!

Tous vantoient son travail, exaltoient son adresse.
Une chenille seule y trouvoit des défauts,
Aux animaux surpris en faisoit la critique;
Disoit des mais et puis des si.

Un renard s'écria: Messieurs, cela s'explique;
C'est que madame file aussi.

FABLE XIII.

LA TOURTERELLE ET LA FAUVETTE.

UNE fauvette, jeune et belle,
S'amusoit à chanter tant que duroit le jour;
Sa voisine la tourterelle

Ne vouloit, ne savoit rien faire que l'amour.
Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette,
Vous perdez vos plus beaux momens:

Il n'est qu'un seul plaisir, c'est d'avoir des amans.

Dites-moi, s'il vous plaît, quelle est la chansonnette
Qui peut valoir un doux baiser?
Je me garderois bien d'oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis point malheureuse,

J'ai mis mon bonheur dans mes chants.
A ce discours, la tourterelle,

En se moquant, s'éloigna d'elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.

Après ce long espace, un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L'âge avoit bien un peu dérangé leurs attraits;
Long-temps elles se regardèrent

Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette polie

S'avance la première : Eh! bonjour, mon amie,
Comment vous portez-vous? comment vont les amans?
-Ah! ne m'en parlez pas, ma chère:

J'ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans, Tout a passé comme une ombre légère. J'ai cru que le bonheur étoit d'aimer, de plaire.......... O souvenir cruel! ô regrets superflus!

J'aime encore, on ne m'aime plus.

J'ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse;
Cependant je suis vieille et je n'ai plus de voix;
Mais j'aime la musique, et suis encore heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.
La beauté, ce présent céleste,

Ne peut, sans les talens, échapper à l'ennui;
La beauté passe, un talent reste;

On en jouit même en autrui.

FABLE XIV.

LE CHARLATAN.

SUR le Pont-Neuf, entouré de badauds,
Un charlatan crioit à pleine tête:
Venez, messieurs, accourez faire emplette
Du grand remède à tous les maux;
C'est une poudre admirable
Qui donne de l'esprit aux sots,

De l'honneur aux fripons, l'innocence aux coupables,
Aux vieilles femmes des amans
Aux vieillards amoureux une jeune maîtresse,
Aux fous le prix de la sagesse,

Et la science aux ignorans.

Avec ma poudre, il n'est rien dans la vie
Dont bientôt on ne vienne à bout;

Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout;
C'est la grande encyclopédie.

Vite je m'approchai pour voir ce beau trésor.... C'étoit un peu de poudre d'or.

FABLE XV.

LA SAUTERELLE.

C'EN est fait, je quitte le monde;
Je veux fuir pour jamais le spectacle odieux
Des crimes, des horreurs dont sont blessés mes yeux.
Dans une retraite profonde,

Loin des vices, loin des abus,
Je passerai mes jours doucement à maudire
Les méchans de moi trop connus.

Seule ici-bas j'ai des vertus :

Aussi pour ennemi j'ai tout ce qui respire,
Tout l'univers m'en veut, homme, enfans, animaux,
Jusqu'au plus petit des oiseaux,
Tous sont occupés de me nuire.

Eh! qu'ai-je fait pourtant?... Que du bien. Les ingrats!
Ils me regretteront, mais après mon trépas.
Ainsi se lamentoit certaine sauterelle,
Hypocondre et n'estimant qu'elle.
Où prenez-vous cela, ma sœur?

Lui dit une de ses compagnes;

Quoi! vous ne pouvez pas vivre dans ces campagnes
En broutant de ces prés la douce et tendre fleur,
Sans vous embarrasser des affaires du monde?
Je sais qu'en travers il abonde;
Il fut ainsi toujours, et toujours il sera;
Ce que vous en direz, grand'chose n'y fera.
D'ailleurs, où vit on mieux? Quant à votre colère

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