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Quoi! votre altesse veut, quittant sa dignité,
Descendre jusqu'à nous! — Oui, c'est ma fantaisie.
Mon altesse eut toujours de la philosophie,
Et sait que tous les animaux
Sont égaux.

Jouons donc, mes amis, jouons, je vous en prie.
Les singes enchantés crurent à ce discours,
Comme l'on y croira toujours.

Toute la troupe joviale

Se remet à jouer : l'un d'entre eux tend la main,
Le léopard frappe, et soudain
On voit couler du sang sous la griffe royale.
Le singe cette fois devina qui frappoit ;

Mais il s'en alla sans le dire.

Ses compagnons faisoient semblant de rire,
Et le léopard seul rioit.

Bientôt chacun s'excuse et s'échappe à la hâte
En se disant entre leurs dents :

Ne jouons point avec les grands,

Le plus doux a toujours des griffes à la patte.

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FABLE I I.

L'Inondation.

DES laboureurs vivoient paisibles et contents
Dans un riche et nombreux village;
Dès l'aurore ils alloient travailler à leurs champs,
Le soir ils revenoient chantants

Au sein d'un tranquille ménage ;

Et la nature bonne et sage,

Pour prix de leurs travaux, leur donnoit tous les ans
De beaux bleds et de beaux enfants.

Mais il faut bien souffrir, c'est notre destinée.
Or il arriva qu'une année,

Dans le mois où le blond Phébus

S'en va faire visite au brûlant Sirius,

La terre, de sucs épuisée,

Ouvrant de toutes parts son sein,

Haletoit sous un ciel d'airain.

Point de pluie et point de rosée.

Sur un sol crevassé l'on voit noircir le grain,
Les épis sont brûlés, et leurs têtes penc ées
Tombent sur leurs tiges séchées.

On trembla de mourir de faim;

La commune s'assemble. En hâte on délibere;
Et chacun, comme à l'ordinaire,

Parle beaucoup et rien ne dit.

Enfin quelques vieillards, gens de sens et d'esprit,

Proposerent un parti sage:

Mes amis, dirent-ils, d'ici vous pouvez voir
Ce mont peu distant du village;

Lå se trouve un grand lac, immense réservoir
Des souterraines eaux qui s'y font un passage.
Allez saigner ce lac; mais sachez ménager
Un petit nombre de saignées,

Afin qu'à votre gré vous puissiez diriger
Ces bienfaisantes eaux dans vos terres baignées.
Juste quand il faudra nous les arrêterons.

Prenez bien garde au moins... Oui, oui, courons, courons,
S'écrie aussitôt l'assemblée.

Et voilà mille jeunes gens

Armés d'hoyaux, de pics, et d'autres instruments,
Qui volent vers le lac : la terre est travaillée

Tout autour de ses bords; on perce en cent endroits
A la fois;

D'un morceau de terrain chaque ouvrier se charge:
Courage! allons! point de repos!

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L'ouverture jamais ne peut être assez large.
Cela fut bientôt fait. Avant la nuit, les eaux
Tombant de tout leur poids sur leur digue affoiblie,
par-tout roulent à grands flots.

De

Transports

et compliments de la troupe ébahie, Qui s'admire dans ses travaux.

Le lendemain matin ce ne fut pas de même:

On voit flotter les bleds sur un océan d'eau ;
Pour sortir du village il faut prendre un bateau;
Tout est perdu, noyé. La douleur est extrême,
On s'en prend aux vieillards : C'est vous, leur disoit-on,
Qui nous coûtez notre moisson;

Votre maudit conseil..... Il étoit salutaire,

Répondit un d'entre eux ; mais ce qu'on vient de faire Est fort loin du conseil comme de la raison.

Nous voulions un peu d'eau, vous nous lâchez la bonde; L'excès d'un très grand bien devient un mal très grand: Le sage arrose doucement,

L'insensé tout de suite inonde.

DE

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EUX jeunes bacheliers logés chez un docteur
Y travailloient avec ardeur

A se mettre en état de prendre leurs licences.
Là, du matin au soir, en public disputant,
Prouvant, divisant, ergotant

Sur la nature et ses substances,

L'infini, le fini, l'ame, la volonté,

Les sens, le libre arbitre et la nécessité,

Ils en étoient bientôt à ne plus se comprendre: Même par là souvent l'on dit qu'ils commençoient,

Mais c'est alors qu'ils se poussoient
Les plus beaux arguments; qui venoit les entendre

Bouche béante demeuroit,

Et leur professeur même en extase admiroit.
Une nuit qu'ils dormoient dans le grenier du maître
Sur un grabat commun, voilà mes jeunes gens
Qui, dans un rève, pensent être
A se disputer sur les bancs.

Je démontre, dit l'un. Je distingue, dit l'autre.
Or, voici mon dilemme. Ergo, voici le nôtre.....
A ces mots, nos rêveurs, criants, gesticulants,
Au lieu de s'en tenir aux simples arguments
D'Aristote ou de Scot, soutiennent leur dilemme
De coups de poing bien assenés

Sur le nez.

Tous deux sautent du lit dans une rage extrême,
Se saisissent par les cheveux,

Tombent, et font tomber pêle-mêle avec eux
Tous les meubles qu'ils ont, deux chaises, une table,
quatre in-folios écrits sur parchemin.

Et

Le professeur arrive, une chandelle en main,

A ce tintamarre effroyable:

Le diable est donc ici! dit-il tout hors de soi:
Comment! sans y voir clair et sans savoir pourquoi,
Vous vous battez ainsi! Quelle mouche vous pique?
Nous ne nous battons point, disent-ils; jugez mieux :
C'est que nous repassons tous deux
Nos leçons de métaphysique.

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