X LE CHEVAL ET LE POULAIN. Un bon père Cheval, veuf et n'ayant qu'un fils, L'élevait dans un pâturage Où les eaux, les fleurs et l'ombrage Galopait sans objet, se baignait sans envie, Ou se reposait sans besoin. Oisif et gras à lard, le jeune solitaire S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien ; Le dégoût vint bientôt : il va trouver son père : -Depuis longtemps, dit-il, je ne me sens pas bien : Cette herbe est malsaine et me tue; Ce trèfle est sans saveur; cette onde est corrompue, L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons; Bref, je meurs si nous ne partons. -Mon fils, répond le père, il s'agit de ta vie; A l'instant même il faut partir. Sitôt dit, sitôt fait; ils quittent leur patrie. Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage; Sur des monts escarpés, arides, sans herbage, Où rien ne pouvait le nourrir. Le soir vint, point de pâturage: On s'en passa. Le lendemain, Comme l'on commençait à souffrir de la faim, A peine après deux jours allait-on même au pas. Le père va reprendre une route secrète Et le ramène à la prairie Au milieu de la nuit. Dès que notre Poulain Il se jette dessus: - Ah! l'excellent festin, La bonne herbe! dit-il; comme elle est douce et tendre! Mon père, il ne faut pas s'attendre Que nous puissions rencontrer mieux; Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux. Quel pays peut valoir cet asyle champêtre? Comme il parlait ainsi, le jour vint à paraître : 5 Le Poulain reconnaît le pré qu'il a quitté ; Il demeure confus. Le père avec bonté Lui dit Mon cher enfant, retiens cette maxime: : Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté; Il faut au bonheur un régime. |