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LA TAUPE ET LES LAPINS.

Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts;

En convenir c'est autre chose :

On aime mieux souffrir de véritables maux

Que d'avouer qu'ils en sont cause.

Je me souviens à ce sujet

D'avoir été témoin d'un fait

Fort étonnant et difficile à croire;

Mais je l'ai vu. Voici l'histoire.

Près d'un bois, le soir, à l'écart,

Dans une superbe prairie,

Des Lapins s'amusaient sur l'herbette fleurie

A jouer à colin-maillard.

Des Lapins! direz-vous; la chose est impossible. Rien n'est plus vrai pourtant : une feuille flexible

3

Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquait,

Et puis sous le cou se nouait.

Un instant en faisait l'affaire.

Celui que ce ruban privait de la lumière

Se plaçait au milieu; les autres alentour
Sautaient, dansaient, faisaient merveilles,
S'éloignaient, venaient tour-à-tour

Tirer sa queue ou ses oreilles.

Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain, Sans craindre pot au noir, jette au hasard la patte: Mais la troupe échappe à la hâte;

Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain,

Il y sera jusqu'à demain.

Une Taupe assez étourdie,

Qui sous terre entendit ce bruit,

Sort aussitôt de son réduit,

Et se mêle dans la partie.

Vous jugez que, n'y voyant pas,
Elle fut prise au premier pas.

- Messieurs, dit un Lapin, ce serait conscience, Et la justice veut qu'à notre pauvre sœur

Nous fassions un peu de faveur;

Elle est sans yeux et sans défense, Ainsi je suis d'avis... - Non, répond avec feu La Taupe; je suis prise, et prise de bon jeu ; Mettez-moi le bandeau.-Très-volontiers, ma chère;

Le voici mais je crois qu'il n'est pas nécessaire

Que nous serrions le noeud bien fort. -Pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle en colère ; Serrez-bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encor.

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1

XIX

LE ROSSIGNOL ET LE PRINCE.

Un jeune Prince avec son gouverneur
Se promenait dans un bocage,
Et s'ennuyait, suivant l'usage;

C'est le profit de la grandeur.

Un Rossignol chantait sous le feuillage: Le Prince l'aperçoit, et le trouve charmant; Et, comme il était prince, il veut dans le moment L'attraper et le mettre en cage.

Mais pour le prendre il fait du bruit,

Et l'oiseau fuit.

- Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère, Le plus aimable des oiseaux

Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire, Tandis que mon palais est rempli de moineaux? C'est, lui dit le Mentor, afin de vous instruire De ce qu'un jour vous devez éprouver :

Les sots savent tous se produire;

Le mérite se cache, il faut l'aller trouver.

L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE.

Aidons-nous mutuellement;

La charge des malheurs en sera plus légère :
Le bien que l'on fait à son frère

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit; suivons tous sa doctrine ;

Pour la persuader aux peuples de la Chine,

Il leur contait le trait suivant :

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.

Ils demandaient au ciel de terminer leur vie :

Ils

Mais leurs cris étaient superflus,

ne pouvaient mourir. Notre Paralytique, Couché sur un grabat dans la place publique,

Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.

L'Aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Était sans guide, sans soutien

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