Que faites-vous ici, seule sur un chemin? De me donner une retraite, Je leur fais peur à tous. Hélas! je le vois bien, - Vous êtes pourtant ma cadette, Partout je suis fort bien reçue. Mais aussi, dame Vérité, Pourquoi vous montrer toute nue? Cela n'est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous; Venez sous mon manteau; nous marcherons ensemble. Chez le sage, à cause de vous, Je ne serai point rebutée ; A cause de moi, chez les fous Vous ne serez point maltraitée. Servant par ce moyen chacun selon son goût, Grâce à votre raison et grâce à ma folie, Vous verrez, ma sœur, que partout Nous passerons de compagnie. LE BOEUF, LE CHEVAL ET L'ANE. Un Boeuf, un Baudet, un Cheval Se disputaient la préséance. Un Baudet! direz-vous, tant d'orgueil lui sied mal. A qui l'orgueil sied-il? et qui de nous ne pense Valoir ceux que le rang, les talents, la naissance Élèvent au-dessus de nous? Le Boeuf, d'un ton modeste et doux, Alléguait ses nombreux services, Sa force, sa docilité; Le coursier sa valeur, ses nobles exercices, Et l'Ane son utilité. Prenons, dit le Cheval, les hommes pour arbitres; Et demande le jugement. Un des juges choisis, maquignon bas-normand, Crie aussitôt La chose est claire, : Le Cheval a gagné. Non pas, mon cher confrère, Tout autre avis serait d'une injustice extrême. Fermier de sa paroisse et riche laboureur, Au Boeuf appartient cet honneur. - Quoi! reprend le coursier écumant de colère, Votre avis n'est dicté que par votre intérêt? -Et mais, dit le Normand, par quoi donc? s'il vous plaît, N'est-ce pas le code ordinaire? Certain monarque un jour déplorait sa misère, Et se lamentait d'être roi : Quel pénible métier! disait-il; sur la terre Je suis consumé de tristesse : Partout je cherche des avis, Je prends tous les moyens, inutile est ma peine; Notre monarque alors aperçoit dans la plaine Un troupeau de moutons maigres, de près tondus, Des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères, Dispersés, bêlants, éperdus, Et des béliers sans force errant dans les bruyères. Leur conducteur Guillot allait, venait, courait, Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt, Tantôt à cet agneau qui demeure derrière, Puis à sa brebis la plus chère: Et tandis qu'il est d'un côté, Un loup prend un mouton qu'il emporte bien vite : Le berger court, l'agneau qu'il quitte Par une louve est emporté. Guillot tout haletant s'arrête, S'arrache les cheveux, ne sait plus où courir, Il demande au ciel de mourir. Voilà bien ma fidèle image! S'écria le monarque; et les pauvres bergers, N'ont pas un plus doux esclavage: Cela console un peu. Comme il disait ces mots, Des béliers grands et fiers, tous en ordre paissants, Et de qui la mamelle pleine Fait accourir de loin les agneaux bondissants. Les chantait doucement aux échos attendris, Et puis répétait l'air sur son hautbois champêtre. |