PREMIÈRE PARTIE LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA RADIODIFFUSION CHAPITRE I Période antérieure au décret-loi du 28 décembre 1926. Un grand principe domine notre législation : toutes les communications postales, télégraphiques, téléphoniques et radio-électriques sont soumises au monopole de l'État. Le monopole de l'administration des Postes est très ancien. Établi, vers l'an 807, par Charlemagne, il fut confirmé par Louis XI, par Louis XIII et par Louis XIV. Des arrêts du Conseil des 18 juin et 29 novembre 1681 protégèrent le privilège du fermier des Postes en frappant d'une peine ceux qui y porteraient atteinte. Ce privilège fut maintenu et confirmé par la Déclaration royale du 3 février 1728; le décret des 26-29 août 1790 sur la direction et l'administration générale des Postes (article 4); l'article 1 de l'arrêté du 27 prairial an IX (16 juin 1801) qui renouvelle les défenses faites aux entrepreneurs de voitures libres de transporter les lettres, journaux, etc...; l'odonnance des 9-16 janvier 1822 contenant de nouvelles dispositions réglementaires pour l'administration des Postes. La loi du 2 mai 1837 étendit ce monopole aux communications télégraphiques: « Quiconque transmettra sans autorisation des signaux d'un lieu à un autre soit à l'aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 100 à 10.000 francs ». Cette disposition législative, conçue en termes des plus généraux, s'applique à toutes les transmissions à distance. Le législateur a voulu réserver l'avenir, englober dans son texte toutes les découverte. ultérieures de la science dont il semblait prévoir les progrès infinis. La loi du 29 novembre 1850 sur la correspondance télégraphique privée permit à toute personne dont l'identité était établie de correspondre, au moyen du télégraphe électrique de l'État, par l'entremise des fonctionnaires de l'administration télégraphique. Le directeur des Télégraphes peut, dans l'intérêt de l'ordre public et des bonnes mœurs, refuser de transmettre les dépêches. A l'arrivée, si une dépêche est de nature à compromettre la tranquillité publique, l'autorité administrative a le droit de retarder ou d'interdire sa remise. Le Gouvernement peut suspendre la correspondance télégraphique privée, soit sur une ou plusieurs lignes séparément, soit sur toutes les lignes à la fois. Enfin, tout fonctionnaire public qui viole le secret de la correspondance télégraphique, est puni des peines portées à l'article 187 du Code pénal. Cette loi, qui soumettait les dépêches télégraphiques privées à une taxe perçue au départ, était exécutoire à partir du 1er mars 1851. Quelques mois plus tard, le 27 décembre de la même année, un décret-loi sur les lignes télégraphiques disposa dans son article 1: <«< Aucune ligne télégraphique ne peut être établie ou employée à la transmission des correspondances que par le Gouvernement ou avec son autorisation. Quiconque transmettra sans autorisation des signaux d'un lieu à un autre, soit à l'aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, sera puni d'un emprisonnement de un mois à un an et d'une amende de 1.000 à 10.000 francs. En cas de condamnation, le Gouvernement pourra ordonner la destruction des appareils et machines télégraphiques »<. Bien que ce texte visât implicitement la télégraphie sans fil puisqu'il s'agissait de la transmission de signaux d'un lieu à un autre, un décret du 7 février 1903 a confié à l'administration des Postes et Télégraphes l'établissement et l'exploitation des postes de télégraphie sans fil. Le décret du 24 février 1917 confirma le monopole de lÉtat en ce qui concerne les transmissions radioélectriques. Aux termes de l'article 2, « l'autorisation d'établir un poste radioélecttrique de transmission n'est accordé aux particuliers qu'autan qu'il ne peut en résulter aucun inconvénient dans le fonctionnement des postes d'intérêt public. Le ministre du Commerce, des Postes et Télégraphes, lorsqu'il estime, après avis des ministres de la Guerre, et de la Marine, qu'il y a lieu d'autoriser l'établissement du poste dont la création est demandée, fixe les conditions d'établissement et d'usage à remplir par ce poste ». Peu de temps après, dès 1922, les postes de l'École supérieure des Postes et Télégraphes, de la Tour Eiffel, de Radiola, commencèrent à fonctionner. Sous leur impulsion, la radiophonie fit des progrès tels qu'une réglementation plus complète et plus souple parut absolument nécessaire. Dans son article 85, la loi de finances du 30 juin 1923, portant fixation du budget général de l'exercice 1923, stipula que les dispositions du décret-loi du 27 décembre 1851 relatif au monopole et à la police des lignes télégraphiques sont applicables à l'émission et à la réception des signaux radioélectriques de toute nature. Une commission interministérielle fut réunie sous la présidence de M. Tirman. Ses travaux ont abouti au décret du 24 novembre 1923 réglementant l'établissement et l'usage des postes radioélectriques privés et qui est entré en vigueur le 1er janvier 1924. Bien que ce décret, qui a institué un régime de liberté contrôlée, ait été abrogé par l'article 37 de celui du 28 décembre 1926, l'examen de ses principales dispositions présente un intérêt tout particulier. Il est à noter, tout d'abord, que ce décret est conçu dans un sens libéral qui est indiqué dans le rapport qui le précède. « La commission interministérielle a estimé que l'établissement et l'utilisation des postes radioélectriques privés devaient être encouragés dans toute la mesure où ils pouvaient fonctionner sans gêner le service des postes publics, sans se brouiller entre eux et sans constituer un danger pour la sûreté de l'État et la défense nationale ». En d'autres termes, l'État n'intervient que dans la mesure strictement nécessaire au point de vue de l'ordre public et du bon fonctionnement des postes publics privés. Tout d'abord, une règle absolument générale aucune installation radioélectrique privée pour la télégraphie et la téléphonie ne peut être établie et utilisée que dans les conditions déterminées par le décret lui-même. Une grande distinction est faite suivant qu'il s'agit de postes radioélectriques privés de réception ou d'émission. Les postes servant uniquement à la réception de signaux ou de communications n'ayant pas le caractère de correspondances particulières, sont divisés en trois catégories : 1o Ceux qui sont installés par les départements, les communes, les établissements publics ou d'utilité publique, pour des auditions gratuites; 2o Ceux qui sont installés par des particuliers pour des auditions publiques ou payantes; 3o Ceux qui ne sont pas destinés à des auditions publiques ou payantes. L'établissement des postes privés servant uniquement à la réception de signaux ou de communications n'ayant pas le caractère de correspondances particulières est autorisé sous la condition, pour le pétitionnaire, de souscrire une déclaration accompagnée de certaines pièces justificatives; Les postes récepteurs ne doivent être la cause d'aucune gêne pour les postes voisins. L'administration des Postes et Télégraphes est chargée d'exercer tel contrôle qu'elle jugera utile sur les postes privés de réception. Les agents chargés du contrôle pourront pénétrer à tout moment dans les locaux où se trouvent installés les postes destinés à des auditions publiques ou payantes. Les postes de la deuxième catégorie sont soumis à une redevance annuelle, ceux destinés à recevoir des correspondances particulières, à une autorisation spéciale dans les conditions fixées pour les postes d'émission. L'établissement des postes radioélectriques privés servant à assurer l'émission ou, à la fois, l'émission et la réception des signaux et correspondances, est subordonné à une autorisation spéciale du sous-secrétaire d'État des Postes et des Télégraphes après avis d'une Commission interministérielle instituée par le sous-secrétaire d'État des Postes et des Télégraphes. Le contrôle de l'État est très sagement organisé sur les postes radioélectriques qui sont divisés en cinq catégories : Les ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur, de la Guerre et de la Marine peuvent faire opposition à l'établissement de tout poste radioélectrique privé d'émission de nature à porter atteinte, soit à la sûreté de l'État, soit au fonctionnement normal des postes radioélectriques relevant de leurs services. Les informations de toute nature transmises par les postes privés d'émission sont soumises au contrôle prévu par l'article 3 de la loi du 29 novembre 1859 sur la correspondance télégraphique privée. Les permissionnaires doivent prendre l'engagement écrit de se soumettre, sans aucune réserve, à toutes les dispositions réglementaires intervenues ou à intervenir en matière d'établissement et d'usage de postes privés ainsi qu'aux conditions particulières qui pourraient leur être imposées par l'administration des Postes et Télégraphes. Le nombre des postes émetteurs, dans une région donnée, peut être limité en tenant compte des possibilités de brouillage avec les postes de même nature. Les seuls types d'ondes susceptibles d'être autorisés, les puissances et les longueurs d'onde pouvant être utilisées par les postes privés sont fixés par les articles 13 et 14 du décret qui prend le soin de préciser que « ces caractéristiques techniques restent, d'ailleurs, soumises à des restrictions éventuelles en raison des besoins des services publics ». Sont interdites: 1o toutes émissions modulées par la parole qui ne seraient pas en langage clair et en français, sauf autorisation spéciale; 2o toutes émissions faites par des procédés spéciaux qui ne permettraient pas, au moyen d'appareils récepteurs d'un modèle agréé par l'administration des Postes et des Télégraphes, la réception et la compréhension des messages. Les postes d'émission des cinq catégories sont assujettis à une taxe de contrôle de 100 francs par an et par kilowatt ou fraction de kilowatt de puissance mesurée à l'alimentation. Le décret du 24 novembre 1923 édicte certaines mesures communes à tous les postes privés d'émission ou de réception. Tous ces postes sont exploités et entretenus par les soins et aux frais et risques des permissionnaires. L'État n'est jamais soumis à une responsabilité quelconque. Les autorisations accordées sont personnelles et ne comportent aucun privilège. Elles sont révocables à tout moment, sans indemnité, par le sous-secrétaire d'État des Postes et des Télégraphes, après avis de la Commission interministérielle. La saisie provisoire des postes, appareils et installations est toujours possible si elle est exigée par les besoins de l'ordre et de la sûreté publics ou de la défense nationale. L'interprétation de ce décret a présenté certaines difficultés. L'une d'elles a eu des conséquences d'une très grande impor tance. |