tement, la besogne de l'Assistance serait singulièrement simpli fiée et son budget pourrait être diminué d'autant. Quand on in terroge les statistiques de la population parisienne, on découvre tout de suite que sur une population de 2.700.000 habitants, il n'y a guère qu'un million de Parisiens nés à Paris, à côté de plus d'un million et demi, bientôt deux millions de provinciaux. On compte à Paris plus de 100.000 Bretons, 50.000 originaires du Nord, 40.000 du seul département de l'Yonne, etc... Par conséquent, si les Sociétés d'assistance dont je parle existaient pour tous les départements, et si elles s'occupaient activement de tous les malheureux de province, il ne resterait plus guère, à la charge de l'Assistance publique, que les Parisiens purs, ce qui soulagerait son budget dans d'énormes proportions. » M. Méline compte, pour engager les initiatives individuelles dans la voie de l'assistance mutuelle, sur le concours pécuniaire de la Ville de Paris, pour laquelle il serait moins onéreux de subventionner largement les Associations régionales que de laisser les nécessiteux venus de province à la charge de l'Administration de l'Assistance publique. On ne peut nier que l'Association Vosgienne n'accomplisse une œuvre admirable et que les résultats qu'elle obtient ne soient pas dignes d'être proposés en exemple à tous ceux qui cherchent à faire le bien; et ceux-là sont très nombreux dans notre pays. Nous croyons cependant qu'on se ferait une grande illusion en voyant, dans l'action de groupements régionaux, le moyen de soulager très sensiblement le budget de l'Assistance publique. Pour obtenir ce résultat si désirable, il faudrait des mesures plus radicales. D'autre part, il nous semble qu'en se multipliant, les Sociétés constituées sur le modèle de l'Association Vosgienne finiraient par s'annihiler en partie. Nous allons voir comment. Ce qui fait l'intérêt de l'œuvre poursuivie par l'Association Vosgienne, c'est l'assistance par le placement. Or, elle ne réussit à procurer du travail à ceux qui s'adressent à elle que grâce au concours actif de tous les membres de l'Association. Le jour où chaque département possèderait une société aussi agissante, tous. les provinciaux habitant à Paris se trouveraient transformés en placeurs, ce qui rendrait la tâche singulièrement difficile. Les Parisiens seraient vite obligés de se grouper eux aussi pour trouver du travail, et le nombre des emplois inoccupés étant, en général légèrement inférieur à celui des bras offerts, on en revien drait exactement à la même situation que si personne ne s'occupait de placement. Il y aurait cependant une différence, c'est que tous ceux qui souffriraient du chômage appartiendraient aux mêmes régions celles dont les groupements seraient les moins actifs. La misère ne serait ni supprimée, ni même atténuée, mais simplement déplacée. Quant au fait qu'il s'est trouvé des entrepreneurs pour embaucher des ouvriers dont ils n'avaient pas besoin et par pur humanitarisme, il est exceptionnel. On ne peut en tirer argument que pour montrer que les patrons ne sont pas des hommes égoïstes et indifférents aux misères sociales comme certains se plaisent à le proclamer. M. Méline a cent fois raison quand il indique les causes de supériorité des groupements régionaux sur l'Assistance publique: économies de personnel, relations plus faciles entre l'assisté et celui qui s'occupe de lui, élimination des faux nécessiteux; mais que des Associations puissent, par le placement, se substituer à l'Assistance publique au point de restreindre sensiblement son champ d'action en diminuant sa clientèle, c'est ce que nous croyons irréalisable. A un seul point de vue les Sociétés régionales pourraient rendre aisément de très importants services, c'est en organisant toutes le rapatriement de leurs compatriotes qui ne réussissent pas à Paris, comme le fait l'Association Vosgienne. Ni l'Assistance publique, ni aucune autre œuvre privée ne peuvent s'occuper sérieusement de rapatriement, car il est indispensable pour cela de procéder à des enquêtes extrêmement sérieuses, que seuls des compatriotes sont capables de faire efficacement. Deux ou trois autres groupements, parmi lesquels nous relevons celui des Aveyronnais, ont inscrit dans leurs statuts l'organisation du rapatriement. Nous ignorons s'ils le pratiquent aussi sérieusement et avec autant d'intelligence et d'esprit de suite que le font les Vosgiens. Quoi qu'il en soit, il serait extrêmement désirable que tous les départements soient organisés de la même manière et poursuivent activement l'œuvre féconde du retour à la terre. De ce côté, l'initiative privée peut certainement jouer un rôle très important et alléger réellement le budget de l'Assistance publique. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un coup d'œil sur les statistiques de la population indigente officiellement secourue. Cette population était, en 1906, de 57.991 individus inscrits au contrôle des bureaux de bienfaisance ou titulaires du secours représentatif du séjour à l'hospice. Or, ces 57.991 indigents se ré partissaient de la façon suivante, en ce qui concerne leur lieu de naissance : Or, en 1906, les secours annuels distribués par les bureaux de bienfaisance se sont élevés, en chiffres ronds, à la somme de 4.650.000 franes, et le montant des secours représentatifs du séjour à l'hospice, à 1.940.000 francs, soit au total 6.590.000 fr. En répartissant ce total proportionnellement à l'origine des indigents, on obtient les résultats suivants : Nés à Paris Nés dans le département de la Seine Nés en Province Nés à l'étranger Fr. 1.413.000 193.000 4.825.000 142.000 Il ne peut être question de réaliser des économies sur la somme relativement minime, de 142.000 francs, attribuée aux indigents nés à l'étranger. En effet, les 1.248 assistés qui se partagent ce crédit sont des étrangers naturalisés, des femmes devenues françaises par mariage et enfin des individus qui étaient déjà inscrits parmi la population indigente à l'époque où les règlements n'exigeaient pas la nationalité française pour l'attribution des secours. Les sommes affectées aux indigents nés à Paris ou dans le département de la Seine sont également incompressibles et il ne saurait être question de les réduire au moyen de rapatriements. Reste 73 0/0 des dépenses qui sont actuellement destinées à des provinciaux et qui pourraient certainement être réduites dans une très large mesure. Beaucoup d'indigents nés en province resteront toujours à la charge des bureaux de bienfaisance de Paris; ceux qui sont très âgés et dont on ne ferait que déplacer la misère en les renvoyant dans leur pays d'origine; ceux qui habitent Paris depuis très longtemps, qui n'ont plus en province ni parents, ni relations et pour lesquels le rapatriement serait un déracinement. Les Sociétés régionales ne sauraient atteindre ceux-là ni leur trouver un coin de terre pour leur permettre de vivre à l'abri de la misère. Par contre, combien ne pourraient-ils pas en sauver parmi les 2.800 femmes chargés de famille, parmi les 13.000 assistés qui n'ont pas atteint l'âge de 60 ans, parmi les 5.000 individus qui habitent Paris depuis moins de dix ans ! Le rapatriement, c'est non seulement l'allègement des charges de l'Assistance publique, c'est le reclassement de l'individu dans le milieu qui lui convient, c'est le renforcement de l'armée des travailleurs agricoles, c'est la réduction de la concurrence et la diminution du chômage dans les grandes villes, c'est pour le rapatrié une existence plus saine et plus hygiénique qui guérira souvent la maladie dont la venue l'avait réduit à l'indigence, c'est l'enfant enlevé à la rue démoralisatrice, c'est enfin, l'exemple donné aux habitants des campagnes des échecs et des déboires qui attendent les émigrants dans les villes. Il appartient à ceux qui dirigent les très nombreuses Sociétés régionales déjà existantes, d'ajouter aux banquets et aux bals qui constituent souvent la seule manifestation de leur activité, l'organisation de services de rapatriements des malheureux. En s'y appliquant avec dévouement, ils accompliront une œuvre de portée très générale, ils collaboreront utilement à la tâche sociale la plus haute et la plus importante: celle qui a pour but une meilleure répartition des forces et des capacités individuelles et dont les simples particuliers ne doivent pas se décharger entièrement sur l'Etat. Il nous semble que, dans sa conférence, M. Méline n'a pas poussé jusqu'à ses dernières conséquences le principe qui domine la question de l'assistance aux indigents par leurs compatriotes. Si l'on admet, en effet, que les individus ont le devoir de soulager les misères de leurs compatriotes au sens le plus étroit du terme, si l'on admet une sorte de classification à cet égard, ceux de notre petite patrie devant passer avant ceux de la grande, alors il faut aller plus loin; il faut que la loi elle-même proclame ce particularisme, -ou cette décentralisation, et qu'elle se charge de l'organiser. Contrairement à ce que l'on s'imagine volontiers, l'obligation joue en France un rôle important en matière de charité. La plus grande partie du budget de l'Assistance publique est alimenté par des impôts ou des taxes perçus d'autorité, et non point seulement par des contributions volontaires. Ce principe posé, la charité obligatoire ne peut être organisée logiquement que de deux façons: elle peut être nationale, tous les contribuables de France supportant la charge de tous les indigents de France, comme ils supportent en commun les charges de la Dette publique ou de la défense nationale, par exemple; elle peut, au contraire, être locale ou régionale, chacun ne payant que pour les pauvres de sa commune ou de son département. Or, ni l'un ni l'autre de ces systèmes n'est, aujourd'hui en vigueur, et il semble que, dans l'organisation de l'assistance obligatoire, on ait posé le principe suivant: les villes riches doivent seules contribuer à améliorer le sort des malheureux; les communes rurales et même la plupart des chefs-lieux de cantons seront dispensés de faire la charité s'ils ne le veulent point, et le fardeau de la plupart des villes de moyenne importance sera insignifiant; Paris est la cité la plus riche de France; ce sont donc les Parisiens qui subviendront aux besoins des indigents dans une proportion inconnue partout ailleurs. Il ne faudrait pas croire, parce que nous posons la question sur ce terrain, que nous soyons hostiles au principe de la charité obligatoire; nous considérons, au contraire, que toute société civilisée a pour obligation stricte de subvenir aux besoins essentiels de ceux de ses membres que la maladie, l'âge ou les infirmités mettent dans l'impossibilité de vivre de leurs seules ressources. Mais précisément parce que la charité est obligatoire, elle perd par cela même, une partie de la beauté morale qui la rend admirable chez les individus isolés, et il est permis d'en parler comme on le ferait de toute autre charge publique qu'on ne peut songer à supprimer mais qui doit être équitablement répartie. Or, dans l'organisation actuelle, cette répartition est absolument défectueuse. Pour en revenir à la conférence de M. Méline, il nous semble que l'honorable sénateur des Vosges aurait dû terminer son exposé des magnifiques efforts de ses compatriotes en préconisant la régionalisation non seulement pour les œuvres privées d'assistance, mais encore pour l'Assistance publique. Nous nous attendions à ce qu'il cite en exemple l'entretien des aliénés qui est mis par la loi à la charge des départements, et à ce qu'il demande que des subventions soient inscrites obligatoirement aux budgets départementaux pour rembourser à l'Administration de l'Assistance publique les dépenses que lui occasionnent les indigents originaires de province. Au lieu de cette conclusion, M. Méline adresse à la Ville de Paris un appel inattendu pour lui demander de subventionner les Sociétés provinciales qui s'occupent ou qui s'occuperont d'assistance! «Par notre fonds de secours, nos placements, nos rapatriements, dit-il, nous économisons au bas mot à l'Assistance publique au moins 25 à 30.000 francs par an. Pour nous en récompenser, le Conseil municipal nous a d'abord donné une subvention annuelle de 500 francs, qui est aujourd'hui réduite à 300 francs.» N'est-ce pas plutôt au département des Vosges et aux |