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encore ne lui donne pas le bonheur ; tout la lasse et l'ennuie, les Suisses lui paraissent au moins aussi fades que les Hollandais. Elle n'a point d'enfants, bien qu'elle ait passionnément désiré d'en avoir; l'amour conjugal n'est pas ce qu'en avait fait son ardente imagination; l'amitié elle-même la trompe et la déçoit. Elle a su que d'Hermenches, furieux et jaloux de son mariage qui ne lui laissait plus rien à espérer, s'en va tenant sur elle des propos facheux. Cet homme qui a été le rayon de soleil de sa jeunesse imaginative, est décidément un mauvais ami : il va jusqu'à refuser de lui rendre ses lettres !

Vraiment on dirait qu'une méchante fée a jeté un sort à Belle de Zuylen! Pour elle les choses les plus douces deviennent amertume. Un jour un jeune homme passe sur sa route et ce jeune homme, c'est Benjamin Constant (qui pourrait être son fils), le propre neveu de Constant d'Hermenches. Cette fois encore le charme des Constant opère et pourtant les procédés de l'oncle auraient dû l'avertir! Mais non : la voilà toute charmée, toute subjuguée et conquise jusqu'au jour où le spirituel, le sémillant Benjamin s'en va porter ses hommages amoureux à une autre femme remarquable: Mme de Staël. Mais ceci est en dehors du volume qui nous occupe.

Et j'en reviens aux lettres de Belle à Constant d'Hermenches. On les a trouvées beaucoup trop vives pour une jeune fille qui se respecte. Je conviens qu'il y a là quelque chose à dire, mais pourquoi s'attacher précisément à ce détail ? Ce qui importe, à mon avis, c'est la révélation que ces lettres nous apportent d'une intelligence véritablement remarquable. Elle n'est pas banale, celle qui, dans sa soif de tout savoir et de tout comprendre, disait en une si jolie formule : « Je voudrais être du pays de tout le monde. »

Elle n'est pas banale, cette aristocrate née dans un château (cequi ne la comblait point d'aise) et qui disait crânement : « J'aimerais mieux être blanchisseuse de mon amant et vivre dans un taudis, que l'aride liberté et le bon air de nos grandes maisons. >>>

Chose bizarre ! cette fille de nobles aimait le peuple, le vrai peuple. Formant le projet d'aller à Paris, elle écrivait à d'Hermenches: «Ma passion serait de voir Paris à pied et en fiacre, de voir les arts, les artistes et les artisans. » Quand elle y fut enfin, elle se trouva tout de suite fatiguée par le « grand monde » qui lui faisait bon accueil.

Et j'avoue que cette jeune fille si franche, si droite, si primesautière, si peu moulée dans le moule de tout le monde m'a conquise

au point que je lui pardonne tout; même les erreurs de son âge mûr. Je comprends très bien que M. Philippe Godet, son historiographe très savant et très subtil, ait passé vingt ans de sa vie à déchiffrer cette âme complexe, et que, tout pesé, tout jugé, il se déclare le champion de sa vertu et se soit constitué son fidèle chevalier.

LOUISE GEORGES-RENARD.

III

LA QUESTION MONÉTAIRE AUX ÉTATS-UNIS

La crise de 1907 n'a pas été une pure crise monétaire, et je ne cherche pas à en donner ici une explication complète: on pourrait, à la rigueur, en faire la théorie en laissant de côté la question monétaire. Ce n'est pas le défaut de monnaie, c'est plutôt le défaut d'épargne qui est à la racine de la crise; elle sera dénouée non par une réforme monétaire, mais par une réorganisation économique générale. « La question, disait M. Hepburn, dans un rapport présenté en octobre 1907 à l'Association des Banquiers américains, doit être résolue dans la ferme, dans la mine, dans la fabrique, dans le comptoir et dans toutes les agences de production que nous possédons. » Aucun régime monétaire, si simple. et si parfait soit-il, ne met un pays à l'abri d'une crise économi

que.

Cependant, quelles que soient les causes véritables de la crise, c'est par des troubles dans la circulation monétaire qu'elle se manifeste. Brusquement, la monnaie semble se raréfier dans le pays; elle se cache, et s'accumule en réserves secrètes entre les mains de thésauriseurs défiants. La crise monétaire est le signe qui révèle au public la crise économique, et la « famine de monnaie » en reste pour lui le symptôme le plus palpable.

Depuis plusieurs années déjà, des économistes clairvoyants avaient scruté les défauts du régime monétaire américain et en préparaient la réforme. La crise convertit l'opinion à leurs conclusions. C'est ce mouvement d'opinion en faveur de la réforme monétaire et la façon dont il s'imposa au Congrès après la crise que je désire étudier.

Le stock monétaire des Etats-Unis s'élevait à la fin de l'année fiscale 1893, à 1.738 millions de dollars (1). Quinze ans plus tard, le 1er juillet 1908, il avait doublé, et atteignait 3.378 millions (2). Ce total comprenait, outre la monnaie divisionnaire:

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1° 1.618 millions d'or, dont une moitié 822 millions était déposée dans les voûtes du Trésor, et représentée dans la circulation par des certificats; le public américain les connaît sous le nom de « dos-jaunes » (yellow-backs ou gold certificates).

2o 563 millions d'argent, dont une petite partie seulement circule effectivement; 474 millions sont accumulés au Trésor, et leur place est tenue dans la circulation par un chiffre égal de certificats de dépôt d'argent (silver certificates).

3° 346 millions de billets d'Etats; on les appelle communément dos-verts (greenbacks), et dans toute la masse de papier qui circule aux Etats-Unis, les greenbacks constituent à eux seuls un élément essentiellement différent des certificats de dépôt d'or ou d'argent, un véritable papier-monnaie.

4° Enfin, 698 millions de billets de banque: j'exposerai plus loin dans quelles conditions très particulières ces billets sont émis par les banques, et comment ils se distinguent autant des billets de la Banque de France, par exemple, que des simples greenbacks.

La situation monétaire est infiniment plus claire en 1907 qu'elle ne l'était en 1893, lors de la crise précédente: en 1893, les EtatsUnis n'avaient pas encore fait adhésion au monométallisme. La frappe de dollars d'argent ne fut arrêtée qu'en août 1893; jusqu'à cette date, le stock de monnaie de métal déprécié ne cesse de s'accumuler au Trésor. Même après 1893, pendant plusieurs années encore, on ne cessa de redouter le retour au pouvoir des bimétallistes. Le candidat démocrate Bryan aux élections présidentielles de 1896 avait inscrit à son programme la frappe libre de l'argent.

Les capitalistes étrangers, inquiets, retiraient au pays une partie de leurs avances; l'incertitude qui régnait sur l'avenir du régime monétaire américain suffisait à déterminer des exportations d'or, malgré une balance commerciale favorable. Jusqu'en 1896, le gouvernement dut lutter sans répit pour maintenir au pair ia masse de la monnaie de papier en circulation. Il essayait vaine

(1) Toutes les sommes citées dans la suite de l'article sont exprimées en millions de dollars.

(2) D'après les évaluations officielles du Secrétaire du Trésor.

s'élève au chiffre formidable de 201.000 par numéro, soit 1 ache teur sur 12 habitants environ.

Or un acheteur suppose généralement plusieurs lecteurs; avant d'être vendus, ces innombrables numéros ont été exposés; les gravures licencieuses qui les illustrent ont été regardées par des passants, par des enfants. En réalité, la proportion de 1 acheteur sur 12 habitants, si élevée qu'elle soit, suppose un nombre d'amateurs bien plus considérable encore. Les publications pornographiques constituent donc, pour la population urbaine tout moins, un redoutable agent de corruption.

au

En dehors des gravures purement pornographiques dont nous parlons plus loin, il convient de citer les caricatures.

Notre collègue, le professeur Ch. Richet, s'amuse à collectionner les caricatures des principaux pays. Il a déclaré à la Commission que celles qui se publient en France ont un caractère licencieux qu'on ne retrouve pas dans celles des pays étrangers.

S'il en est ainsi, n'est-ce pas la preuve que le sentiment de gêne qu'une plaisanterie licencieuse excite chez les gens bien élevés, est plus développé dans les pays étrangers qu'en France ? D'après M. le professeur Ch. Richet, les villes universitaires allemandes ou anglaises ont un aspect entièrement différent de ce qu'on voit en France. La corruption, si elle existe (ce qui est d'ailleurs probable), a, du moins, la pudeur de se cacher; elle est certainement moins répandue.

M. le professeur Gide, étudiant les effets que les mauvaises mœurs peuvent avoir sur la natalité, arrive aux conclusions suivantes, approuvées par la Commission:

Toutes les causes énumérées littérature, spectacles et iconographie liciencieuse, prostitution — tendent à affaiblir la natalité dans la mesure même où elles surexcitent la recherche des jouissances sexuelles.

Elles concourent à cet affaiblissement de la natalité:

1o En faisant de la volupté et non de la procréation le mobile unique de l'acte sexuel;

2o En supprimant ou en retardant le mariage, qui est le mode d'union sexuelle le plus fécond;

3o En stérilisant la puissance génératrice par les maladies vénériennes ou les vices contre nature;

4o En supprimant le fruit, soit volontairement par l'onanisme et l'avortement, soit involontairement par la procréation d'enfants impropres à la vie.

Inversement, toutes les causes qui tendent à combattre ou à enrayer l'immoralité, telle que nous venons de la définir, doivent tendre à

augmenter la natalité dans la mesure même où elles réussissent à réfréner l'instinct sexuel.

Parmi ces causes, figurent certainement les commandements religieux et les doctrines morales qui érigent en devoir la chasteté pour les deux sexes jusqu'au mariage, la fidélité et le respect mutuels pour les deux époux dans le mariage.

II

(A suivre).

BELLE DE ZUYLEN ET SES AMOUREUX

Ce titre est pris dans la vie même, malgré son air de roman. Cela se passe au XVIIe siècle, et cela pourrait fort bien être une histoire d'aujourd'hui ; car rien n'est plus « moderne » que notre héroïne.

Je la présente :

Isabelle de Zuylen, Hollandaise et noble, eut une étrange destinée de jeune fille; devint, à trente ans, Mme de Charrière; joua sous ce nom un rôle connu dans la vie de Benjamin Constant, charma beaucoup de monde durant son existence, et telle la belle duchesse de Longueville, aimée par son biographe Victor Cousin — trouva, cent ans après sa mort, un nouvel amoureux.

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Celui-ci n'est rien moins que M. Philippe Godet, homme de lettres, qui, non content d'avoir écrit sur elle deux volumes considérables (1), nous donne aujourd'hui un nouvel ouvrage intitulé: Lettres de Belle de Zuylen à Constant d'Hermenches (2).

Ces lettres ne sont pas banales, oh non ! D'abord Belle de Zuylen les écrivit en cachette de tout le monde ; ensuite elles furent adressées à un séduisant soldat, à un bourreau des cœurs, au brillant colonel Constant d'Hermenches qui n'était certes pas digne d'une confiance pareille, mais pour lequel Mlle de Zuylen éprouva une très vive amitié amoureuse. Pourquoi ? Comment ? Peu importe. La chose fut, et seule là-dedans, Belle de Zuylen nous inté

resse.

Nulle ne fut plus qu'elle vivante et spontanée; c'était une de ces femmes qui semblent un foyer de flammes et à elles seules illu

(1) Madame de Charrière et ses amies, Genève, 1906. Julien, éditeur. (2) Plon et Nourrit, Paris 1909.

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