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que de le décentraliser. Et après l'avoir rendu à son rôle normal, d'ajuster ses procédés administratifs aux conditions, aux rythmes de la vie moderne. La vie moderne est rapide. L'administration ne l'est pas. Question de géographie ? Non! Question de méthode.

Nous voilà d'accord!

M. C.

#CE QU'ON DITE

Ceux qui n'aiment pas la campagne.

Et, par exemple, Xavier Aubryet, lequel la définit : « Des endroits humides où l'on ne trouve que des oiseaux

crus. >>

Léon Gozlan était, lui aussi, un ennemi de la campagne et des fleurs. « Ne me parlez pas, dit-il dans Une visite chez Bernardin de Saint-Pierre, de l'exécrable lilas, cette fleur violacée et poivrée, qui croît sur le fumier de Romainville pour aller parer le sein des grisettes du faubourg du Temple. »

Duranty, lui, le prenait sur le ton de la diatribe. Lisez son article: Que nous veut la campagne ? « Je veux, grognait-il, vider une fois pour toutes le différend de Paris avec la campagne. Voyant tant de gens célébrer la paix des champs, je suis parti bien souvent, mon admiration toute faite d'avance, et je suis allé seul regarder la nature et me chauffer au soleil. C'était absolument triste et fatigant, et l'on se sentait si peu animé, si peu excité, que la cervelle devenait vide et silencieuse à son tour. » Voici de quoi consoler ceux que leurs occupations retiennent à Paris.

Les femmes et la natation, il y a cent ans.

Ne perdons point une occasion de sourire et ouvrons La Calisthénie ou Gymnastique des jeunes filles, qui parut, il y a un siècle.

Au chapitre de la natation, nous lisons ceci : « C'est l'opinion généralement admise que la natation doit être le partage exclusif des hommes. » Et pourquoi ? Parce que ces vilains hommes se baignent à peu près nus, « véritable indécence qu'il faudrait défendre », et que l'on ne saurait raisonnablement demander à une femme ou à une jeune fille de les imiter et de se montrer en maillot.

Néanmoins, suggère le rigoriste, les femmes pourraient se baigner entre elles, « avec des vêtements légers ». Et n'y aurait-il pas moyen d'interdire à ces coquins d'hommes de nager à peu près nus? « Quand les femmes sauraient que, dans les écoles de natation, les hommes ne nagent qu'habillés, elles auraient moins de répugnance pour cet exercice et l'on verrait se former des établissements à leur usage. Nous formons le vœu bien sincère que les femmes sachent nager. »

La Calisthénie est un petit livre bien amusant à relire en 1928

Racine et la cuisine à l'huile.

Signalons à M. François Mauriac, qui vient de publier une vie de Racine, cette petite curiosité. Le poète séjournait alors en Languedoc, auprès de son onele Sconin, grand-vicaire de l'évêque d'Uzès, en vue d'obtenir une prébende.

A ses amis de Paris il voudrait envoyer des roses et des pois verts, car les produits du sol, non plus que les belles Languedociennes « aux passions démesurées » ne le laissent indifférent.

Un jour, il a voulu manger une olive prise sur l'arbre ; il s'en est amèrement repenti; mais, par la suite, il fait amende honorable, il est devenu un fougueux amateur de cuisine à l'huile. C'est à La Fontaine qu'il en fait l'aveu : << On m'a appris depuis qu'il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange. L'huile qu'on en retire sert ici de beurre ; et j'appréhendais bien ce changement; mais j'en ai goûté dans les sauces, et sans mentir, il n'y a rien de meilleur. 'On sent bien moins l'huile qu'on ne sentirait le meilleur beurre de France. >>

Lamartine, lui aussi, appréciait fort la cuisine à l'huile, et il l'a célébrée dans ses vers.

Perles et spiritisme.

Certaine dame est versée dans le spiritisme. Elle a justement mis la main sur un médium remarquable, un jeune Italien, qui se trouve être, comme par hasard, un fort joli garçon.

Cet éphèbe fut présenté l'autre jour aux amis de la dame et prié de montrer ses talents. On plongea le salon dans l'obscurité pour lui permettre de se mettre en rapport avec les esprits; l'ombre de Machiavel et celle de Bosco furent invoquées. Mais lorsque l'électricité rejaillit, notre gigolo avait disparu, ayant emporté le collier de perles d'une chère amie de la dame.

Elle est désolée ; mais on ne sait pas si elle déplore la perte du bijou ou celle du médium.

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AFFAIRES EXTERIEURES Après la mort de Stepan Raditch

Stepan Raditch, chef du parti croate en Yougoslavie, est mort des suites du coup de revolver que lui avait tiré le 20 juin, en pleine séance de la Skouptchina, le député monténégrin Rachitch.

C'est une étrange figure qui disparaît.

Stepan Raditch appartenait à cette race d'agitateurs populaires qui, dans l'Europe ordonnée d'avant guerre, eussent été condamnés à végéter au sein de médiocres complots et dans d'inglorieuses prisons, mais que les remous de l'après-guerre ont amenés au premier plan de la scène politique.

C'est de la même famille que pouvaient se réclamer, en Irlande, un Michel Collins, en Bulgarie, un Stamboulisky; avec certaines différences, un Pilsudski et un Mussolini ne paraissent pas loin de lui être apparentés.

Tous ces hommes ont un trait commun; sortis du peuple, ils n'ont jamais cessé, en dépit de leur élévation, de demeurer avec le peuple en contact étroit et en sympathie permanente, en un mot de rester « peuple » eux-mêmes.

Et cela, en dépit des flottements et des contradictions de leur vie publique, en dépit de la rigueur de leur poigne et parfois de leur brutalité; d'où la persistance de leur popularité auprès des masses.

Comme Collins, comme Stamboulisky, Stepan Raditch 'était né paysan au sein d'une nation paysanne. Comme eux, il est resté jusqu'au bout l'idole des ruraux; comme eux, 'd'ailleurs, il a fini par périr de mort violente, victime de passions que, comme eux, il n'avait pas peu contribué à 'déchaîner.

Jusqu'à la guerre, l'histoire de Stepan Raditch reste obscure. Il se différencie mal des nombreux agitateurs qui, au nom du principe des nationalités, conspiraient alors contre la tutelle souvent tracassière, mais plus généralement sceptique et hautaine de l'administration austro-hongroise.

A ce moment, Stepan Raditch rêvait d'une union de sa patrie croate avec le royaume de Serbie considéré comme l'Acropole des libertés des Slaves du Sud. Il s'opposait par là assez vivement au plus grand nombre de ses compatriotes qui se seraient satisfaits d'une large autonomie dans le cadre 'de la monarchie habsbourgeoise.

Vint la guerre et puis, avec la paix, l'écroulement de cette monarchie. Versailles vit naître sur ses ruines le nouveau royaume des Serbes, Croates et Slovènes.

Il semble que le rêve de Raditch soit enfin satisfait. Mais de l'habitude de conspireron ne guérit pas aisément. Voici que Raditch considère soudain comme insupportable

cette hégémonie de Belgrade que, naguère, il appelait de

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ses vœux.

Les Serbes, parfois brutaux, encore mal dégagés de la gangue orientale qui les a si longtemps enserrés, ont, certes, commis quelques maladresses dans leurs premiers contacts avec leurs frères » croates, plus affinés et plus européanisés.

Raditch amplifie ces maladresses, les exploite, prêche la

révolte contre un nouveau joug qu'il déclare plus odieux que le joug magyar disparu, bref fait tant et si bien qu'il finit par tâter des prisons politiques de Belgrade.

Il en sort pour aller à Vienne continuer à conspirer; il s'y rencontre même avec des émissaires des Soviets et l'on peut croire un moment qu'il tourne au bolchevisme; il rentre dans sa patrie, y fait encore de la prison, puis, brusquement, on le voit accepter un portefeuille ministériel.

Cette volte-face était due à l'habile diplomatie du roi Alexandre qui, soucieux avant tout de cimenter les moellons encore mal joints de son royaume, n'avait rien négligé pour utiliser à cette tâche la force considérable que représentait Stepan Raditch.

Outil dangereux et toujours prêt à s'échapper des mains de l'ouvrier. Ministre, Raditch demeure tribun. Ses intempérances de langage font le désespoir de ses collègues et amènent la dislocation successive de plusieurs cabinets. (« J'aime bien », disait M. Korochatz, « j'aime bien Raditch; mais il m'est désagréable d'être appelé par lui porc en pleine séance de la Chambre, surtout alors que nous faisons partie du même ministère. »)

Finalement, il est rejeté dans l'opposition. Toujours fidèlement suivi, en dépit de ses palinodies, par les masses paysannes de Croatie, il réclame avec plus d'énergie que jamais non pas peut-être l'indépendance formelle de sa petite patrie, mais une autonomie équivalant pratiquement à l'indépendance. Surtout, il s'oppose avec la dernière violence à toutes les tentatives de rapprochement entre le royaume Yougoslave et l'Italie, cette Italie sur laquelle il reporte toute la haine qu'il avait jadis vouée à la Hongrie.

Le projet de ratification des accords italo-yougoslaves dits de Nettuno lui est une dernière occasion d'exhaler son éloquente véhémence.

Quelques jours après, il tombe frappé par la balle de Rachitch. Le ministère radical, dont il était le plus fougueux adversaire, s'écroule avec lui. Le roi Alexandre vient à son chevet lui proposer la présidence du Conseil. Il refuse, invite ses partisans à déserter la Skouptchina de Belgrade et à se cantonner dans une opposition irréductible.

Puis, il meurt proclamant sa foi dans les destinées d'une Croatie libre, mais en même temps, toutefois, son loyalisme à l'égard de la personne du souverain.

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Ce testament sera entendu et il est certain que les succes seur de Raditch à la tête du parti croate vont poursuivre énergiquement la campagne tendant à remplacer le royaume unitaire des Serbes, Croates et Slovènes par un royaume fédératif uni seulement par une couronne com

mune.

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Les obsèques de Stepan Raditch ont eu lieu dimanche

à Zagreb au milieu d'une affluence de plus de deux cent AFFAIRES INTERIEURES

mille personnes. Elles n'ont été signalées par aucun trouble.

M. Matchek a été élu président du parti paysan croate. Il a été décidé par le directoire de ce parti que, pendant quinze jours, toute réjouissance publique serait interdite en Croatie et, chose plus grave-que pendant la même période tous les journaux de Belgrade seraient impitoyablement boycottés à Zagreb.

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Les Croates sont les méridionaux de l'Europe centrale. Ils ont la tête chaude, mais, ils ne manquent pas de finesse : la voix enflammée de leur leader s'étant tue, peut-être serontils plus dociles aux conseils de la raison.

Or, enserrée entre la Hongrie qui eut toujours des espoirs de revanche et l'Italie impérialiste, la Croatie ne peut, en dernière analyse, trouver un point d'appui résistant qu'à Belgrade.

On peut compter que le roi Alexandre s'emploiera à faire concéder aux Croates toutes les libertés compatibles avec la sécurité de l'Etat yougoslave.

Aller au delà, serait desservir les intérêts de la Croatie elle-même.

Une Yougoslavie sans unité, déchirée par des luttes de races et de religions, animée seulement d'une force centrifuge, encouragerait étrangement l'Italie fasciste à préciser ses vues sur la côte orientale de l'Adriatique. Et s'il en résultait des gestes violents que la prudence même de M. Mussolini ne pourrait peut-être pas empêcher, la Croatie serait la première à en souffrir.

Certes, les Serbes, dans leurs relations avec leurs frères Croates plus affinés et plus sensibles, doivent s'efforcer d'adoucir certains traits un peu rudes de leur caractère.

- Mais les Croates de leur côté ont l'impérieuse obligation d'oublier ces habitudes de protestation et de conspiration qui leur viennent du temps de la domination hongroise.

S'ils n'y parvenaient pas, s'ils persistaient en face de Belgrade dans une opposition systématique et stérile, ils se montreraient indignes de cette liberté qu'ils ont si longtemps âprement réclamée et que leur a procurée la victoire des 'Alliés.

JACQUES CHASTENET.

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:

Les modérés sont-ils la majorité?

(Suite)

J'ai indiqué comme seconde cause au recrutement socialiste, le mécontentement général. Le mécontentement général, les désillusions d'après guerre, les protestations contre les surcharges fiscales excessives, ont fortifié indiscutablement l'armée des révolutionnaires. Recrutement surtout communiste ? Personne n'y contredit. Mais communisme ou socialisme, c'est tout un. Le socialisme débarrassé de son équivoque cartelliste, le communisme débarrassé de sa déplaisante discipline de Moscou, c'est toujours le marxisme et la lutte de classe, et l'esprit révolutionnaire. Mécontentements individuels, et votes paradoxaux sans conséquence? dira-t-on encore. Je veux ici proposer aux optimistes qui tiennent ce langage, deux objections: La première, c'est celle que nous avons formulée déjà : l'habitude crée une seconde nature. Que, par impatience, minorité, on soit entré par hasard dans la clientèle socialiste, ce n'est rien, peut-être. Le curieux est d'y rester, parfois malgré soi. Le spectacle du recrutement socialiste dans le Midi, dans des régions rurales et prospères du Gard, de l'Hérault ou de l'Aude, peut ici servir de leçon il ne faut pas sous-évaluer les forces qui viennent ainsi des suffrages individuels, bientôt collectifs, parce que la propagande et l'organisation socialiste ne laissent rien perdre : ce n'est pas le lieu ici d'examiner la tactique des partis : j'indique en passant un aspect du problème qui n'est pas indifférent. Et voici la seconde objection: c'est celle qu'inspire le spectacle des mécontents collectifs je veux dire les petits fonctionnaires. Ce point de la question est essentiel, à telle enseigne que peutêtre aurai-je pu en faire un paragraphe spécial, parmi les causes du recrutement révolutionnaire. Depuis longtemps, l'évolution des instituteurs, dans l'ensemble, était un fait accompli. Cette évolution fatale tenait à la conception même de l'enseignement primaire. Les hommes politiques qui ont voulu que l'instituteur fût, non point un pédagogue, mais un instituteur civique, démocratique et républicain, un propagateur de laïcité et, tranchons le mo!, sinon un agent électoral, du moins un préparateur des générations électorales, ceux qui, dans ce but, lui ont assigné un rôle politique et l'ont soustrait à ses supérieurs hiérarchiques naturels pour le mettre dans la main des préfets, ont sans doute prévu, à moins d'être totalement dénués de clairvoyance, les conséquences de leur initiative. L'instituteur, agent politique de combat, a évolué du radicalisme au socialisme, et souvent du socialisme au communisme. Sa formation scientifique primaire, dont le défaut essentiel est de ne pas lui donner le sens précieux du relatif et l'expérience désabusée des formules, le pousse facilement, avec l'ardeur des esprits absolus, vers les thèses sociales les plus séduisantes, parce qu'elles lui semblent les plus scientifiques et, à tort, les plus neuves. Placés d'ailleurs systématiquement dans une position fatale de combat contre le curé, défenseur patenté de l'ordre social, et parfois familier du château, il doit automatiquement servir et propager les ordres adverses. Enfin, autre évolution inéluctable, la conscience des services rendus au régime et à ses maîtres, la notion, confuse d'abord

D'autre part, le paysan des régions radicales a subi à la longue les conséquences de la décatholicisation et de la propagande de gauche son anticléricalisme, d'abord historique et limité, s'est généralisé. Il s'est embrigadé dans les clientèles de

et plus claire ensuite, de l'ingratitude de ce régime dont il était le pionnier indispensable et tout-puissant et dont il demeurait le parent pauvre, lui a donné une certaine rancune contre ce régime, entaché pour lui d'opportunisme conservateur, et il en a souhaité la transformation radicale et sociale. La force syndi-gauche, et les a suivies jusqu'au bout. Evolution partielle, assucaliste lui a donné par surcroît conscience de sa puissance et de son autorité politiques. Mais le fait nouveau, récent, c'est l'évolution révolutionnaire des autres petits fonctionnaires de l'Etat et de leurs syndicats. Postiers, douaniers, agents des contributions indirectes, etc., dépositaires de l'ordre hiérarchique consacré, n'ont pas tardé à rejoindre dans le camp révolutionnaire les agents des grands services concédés dont les syndicats les avaient précédés, et ceux des ouvriers d'Etat. Evolution si générale et si compacte qu'elle remplace aujourd'hui dans les effectifs de la C. G. T., les syndicats de travailleurs manuels passés en masse aux communistes, et qu'elle permet seule à la C. G. T. de faire encore figure dans l'internationale ouvrière. Faut-il analyser les causes de cette évolution? Elles sont de même ordre, toutes choses égales d'ailleurs, que celles qui ont guidé les instituteurs. Conviction aussi, peut-être, que les partis extrémistes étaient de plus vigoureux auxiliaires pour les revendications considérées comme les plus légitimes. Et, comme il est difficile de se limiter à gauche, voici que des mécontents d'un autre ordre, des pensionnés, des réformés, des anciens combattants républicains sont entraînés à leur tour dans cette révolution fatale. Notons ceci d'ailleurs, et avec soin: la crise de l'Etat moderne et de ses disciplines périmées, en face de grosses forces syndicales devant lesquelles il est désarmé. Tous les problèmes aujourd'hui se présentent comme des conflits d'intérêts collectifs, et ces intérêts collectifs, conscients de leur force, impliquent la nécessité d'arbitrages constants qui ne sont pas la tâche la moins difficile de l'Etat et sont peut-être sa faillite de demain, en tant qu'Etat.

J'en viens à la troisième cause de l'évolution révolutionnaire. Elle n'est pas la moins intéressante. Il n'est plus vrai que les campagnes opposent la résistance d'une force conservatrice irréductible à cette évolution révolutionnaire. Du moins, ceci n'est plus vrai que relativement. Les philosophes sociaux imbus de ce sens du relatif, si étranger à l'esprit primaire, ceux qui aiment à considérer les compensations fatales des forces, les actions et les réactions inévitables de l'histoire, estiment que, par un

rément. Une partie de cette paysannerie radicale a réagi, au contraire, menacée dans ses intérêts immédiats, et débordés par le prolétariat rural, groupé, lui aussi, depuis peu, et armé d'un terrible cahier de doléances menaçantes. Mais les autres ont glissé peu à peu sans le contrepoids d'une discipline religieuse. La prospérité les a gâtés, leur a ôté leur caractère patriarcal, et leurs vertus héréditaires d'abnégation et de sacrifice. Dans le programme socialiste, la lutte contre la caserne les a séduits, en dépit de leurs qualités militaires et de leur sentiment de l'ordre. L'Ouest normand et picard, l'Est lorrain et franccomtois résistent encore, âprement, défendus d'ailleurs par les fortes assises de leur formation morale et religieuse. Mais il faut constater le fait. Il est d'autant plus essentiel que la masse paysanne est lente dans ses évolutions, mais stable ensuite pour longtemps. C'est un fait que les suffrages catholiques et nationaux progressent dans les villes et diminuent dans les campagnes. Curieuse inversion des forces sociales ! Ainsi se termine l'énumération des causes de l'évolution socialiste. Ceci pose d'ailleurs un nouveau problème. Le socialisme révolutionnaire a recruté non seulement par développement de ses milieux naturels, mais dans des milieux nouveaux. Peut-être subira-t-il de ce fait une transformation doctrinale apparente. Autre problème. L'intérêt de celui que nous avons examiné se suffit à lui-même. Nos lecteurs nous sauront gré sans doute de l'avoir exposé le plus brièvement et le plus clairement que nous avons P. DE PRESSAC (Trygée).

pu.

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curieux choc en retour, c'est dans les milieux urbains, surpeu- AFFAIRES

plés, nerveux, compréhensifs et mobiles, que l'action de renaissance morale et sociale peut trouver ses assises, alors que la campagne, démocratisée, décatholicisée par une action lente, mais continue, défaut à ce rôle traditionnel que lui prêtaient pour l'éternité les esprits optimistes, paresseux et un peu simples. Le paysan français, souvent radical, d'un anticléricalisme historique, dont la source était dans la rancune contre la féodalité ecclésiastique, et contre le presbytère allié du château, ou, parfois, au contraire, soumis à la discipline traditionnelle de son clergé et à la tutelle patriarcale des grandes familles locales, était également, partout en France, d'un conservatisme étroit et résolu peut-être même les populations en apparence les plus dociles et les plus fidèles, parce que les plus incultes et les plus isolées des communications et de courant d'idées, étaient-elles le plus secrètement démocratiques et d'un égoïsme individuel moins rude et moins intransigeant. Il n'en est plus ainsi. Pourquoi ? Le paysan traditionaliste de l'Ouest a perdu sa foi mystique, et ses tuteurs naturels ont lassé sa fidélité : leur incapacité politique et le caractère négatif de leur action politique et sociale leur ont fait perdre leurs fortes situations: les électeurs ont donc orienté vers la mystique révolutionnaire le rêve de leurs âmes, et vers l'action revendicatrice l'effort de leur obstination.

ECONOMIQUES
La troisième manche

ou la servitude financière de l'Allemagne

Lorsque l'Allemagne eut perdu la guerre, et dès qu'elle se vit certaine d'éviter le démembrement, elle entreprit aussitôt, sans défaillance, une nouvelle tâche; elle s'efforça de gagner la paix.

Entre la révolte intérieure, qui pouvait conduire à la débâcle, et l'armistice, qui, grâce au Président Wilson, lui garantissait l'existence, elle avait choisi l'armistice. Deux mois plus tard, la question de vie ou de mort ne se posait plus. L'entité germanique subsistait. L'essentiel était sauvé. L'espoir d'obtenir d'importantes réparations devait même inciter les Alliés à renforcer l'unité du Reich et à désirer sa prospérité.

Nous pensons n'être contredit par aucun de ceux qui firent la guerre, si nous observons que la principale qualité

du peuple allemand est le courage. Courageux étaient ses soldats dans la lutte; courageux furent ses chefs dans l'adversité. Les armes à peine posées, ils fixèrent les yeux, sans hésiter, sur un but nouveau : refaire la grandeur économique de leur pays.

On n'étonnera non plus personne, en Allemagne même, si l'on ajoute qu'un autre caractère de cette grande nation est un réel mépris de ce que nous appelons le scrupule. Nous ne voulons pas dire que, pour un Allemand moyen, la fin, quelle qu'elle soit, justifie les moyens ; mais seulement que si la fin est jugée bonne, les moyens n'importent guère. Or, la grandeur de l'Allemagne, aujourd'hui son relèvement, sont considérés comme un objet si parfait en soi qu'en visant à ce but, on peut avoir la conscience tranquille et que, dès lors, le devoir qui prime tout est un 'devoir tactique.

D'où l'immense entreprise, qui ne fut pas conçue en un seul jour, mais dont le plan, à mesure qu'il se dessinait, se réalisa la chute du mark.

:

Le prix en était pénible: une multitude de nouveaux pauvres se trouvèrent sacrifiés; on les plaignit quelque temps, puis ceux qui ne se redressèrent point furent considérés comme des faibles, et l'on pensa que le sacrifice des faibles est celui qui importe le moins à l'avenir de la patrie. Mais l'Allemagne se retrouvait debout, munie d'un splendide équipement économique, dont les frais d'établissement étaient annulés. De vastes ateliers, d'innombrables maisons ouvrières avaient été construits ou remis à neuf en quelques années, sans qu'aucune charge de capital subsistât.

Bien plus, la dette de l'Etat, des provinces, des communes ayant disparu, les charges fiscales, même augmentées de charges sociales considérables, se trouvaient moindres qu'en Angleterre ou en France. Doublement dégrevée, l'industrie allemande allait avoir une position exceptionnelle. Son handicap paraissait décisif.

Ce fut alors cet effort d'ensemble, raisonné, logique, concerté, qui fit l'admiration de bien des observateurs étrangers la réorganisation industrielle de l'Allemagne. On assistait à la construction d'un vaste édifice, rationnel, établi avec méthode. La concentration « horizontale. » fut réalisée ou complétée avec une rapidité surprenante. A la suppression presque entière des frais de premier établissement, à la suppression totale des charges de la dette publique, qui résultaient l'une et l'autre de l'anéantissement de l'ancien mark, allait s'ajouter la réduction des prix de revient par l'organisation scientifique du travail, par la << standardisation des produits, et par la répartition. méthodique des commandes incombant aux cartels.

Tandis que l'Angleterre subissait une crise économique grave, tandis que la France se débattait encore dans les difficultés monétaires, on put se demander, en 1926, si l'Allemagne ne se trouvait pas prête à prendre décidément la première place en Europe et à s'assurer, pour de longues années, une prééminence industrielle qui en ferait la nation la plus prospère de l'ancien continent.

Mais les plans trop vastes déjouent souvent l'espoir de leurs auteurs. Il apparaît aujourd'hui que l'Allemagne est lancée sur une pente singulièrement dangereuse, et que la mystique de la « rationalisierung » l'a entraînée plus vite et plus loin peut-être que ses chefs mêmes ne l'eussent désiré. La raison poussée à l'extrême voisine avec la déraison, et un mécanisme trop parfait ne peut que réussir à plaire ou échouer complètement. C'est donc une partie fort aventureuse que risque l'Allemagne, une tentative où le demi-succès serait un désastre.

En effet, l'Allemagne, en se jetant à corps perdu dans le sillage tracé par les Etats-Unis, en copiant avec une ardeur enthousiaste leurs méthodes d'organisation industrielle, ne paraît pas avoir tenu compte des divergences fondamentales qui existent entre elle-même et le modèle qu'elle a choisi.

L'économie des Etats-Unis est caractérisée par trois phénomènes principaux l'abondance des capitaux, dont l'offre excède largement la demande, une production considérable de matières premières pour l'exportation, une consommation intérieure immense de produits fabriqués.

D'où la « rationalisation » américaine, fondée sur trois principes: absorber des capitaux par le renouvellement constant du matériel industriel, maintenir le pouvoir d'achat de la population intérieure en améliorant le rendement de la main-d'œuvre, développer la richesse et la puissance financière du pays par les exportations de blé, de pétrole et de coton.

Or l'Allemagne manque de capitaux ; elle n'est pas,' dans l'ensemble, exportatrice de matières premières; sa vie économique est au contraire fondée sur les industries de transformation et sur l'exportation de produits fabriqués.

Le mécanisme de la « rationalisation » s'y trouve donc tout différent du mécanisme américain.

L'Amérique rationalise avec ses propres capitaux, s'entoure de barrières douanières et s'organise, par principe, pour la hausse des prix en vase clos.

L'Allemagne rationalise avec des capitaux étrangers, afin d'exporter davantage et, par là, d'accroître sa production. Si le calcul échoue, et que les exportations n'augmentent pas assez pour lui permettre de rembourser les prêteurs, c'est la faillite du système et, à la moindre crise de confiance, la panique et une nouvelle catastrophe monétaire.

Quelle est, à cet égard, la situation présente ? Le moins qu'on en puisse dire est qu'elle comporte pour l'Allemagne un sérieux péril.

M. Frank Simonds remarquait récemment, dans l'American Review of Reviews, de New-York, que, depuis trois ans, l'Allemagne a payé aux Alliés, au titre du plan Dawes, un milliard de dollars environ, que, pendant la même période, ses importations ont dépassé ses exportations d'environ un milliard et demi de dollars, d'où un déficit total de deux milliards et demi de dollars qui correspond assez exactement au montant des emprunts contractés par l'Allemagne à l'étranger,

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