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jeunes filles vêtues de blanc, ils défilent à travers les rues, au milieu des vivats. Le défilé terminé, ils se rendent, suivant une très vieille coutume à laquelle ils dérogent rarement, à l'église paroissiale, pour y entendre une messe; c'est la messe du bouquet. Alors seulement a lieu le tir.

Il se fait sur un terrain, appelé jardin, où seuls les archers peuvent pénétrer. Là, à une distance de vingt-cinq, trentecinq, parfois cinquante mètres, deux buttes composées d'un cadre en maçonnerie ou en bois, rempli de botillons de paille bien rangés, sont placées l'une en face de l'autre. Elles portent une cible de 0 m. 60 de large sur 0 m. 75 de haut, sur laquelle sont tracés deux cercles, l'un de 0 m. 40 de diamètre, le Cordon noir, l'autre concentrique, le Cordon rouge. 'Au centre, se trouve un noir de 0 m. 035 dans lequel est encore réservé un blanc central de 0 m. 010. Une allée centrale, dite allée du roi, et réservée au roi, et des allées latérales conduisent d'une butte à l'autre. A gauche et à droite, tout le long du champ de tir, des arbres ou des planches, dites gardes, recueillent les flèches égarées.

Un tireur s'avance. Il porte, fixé au bras qui tient l'arc, le brassard fait d'un morceau de cuir garni de lanières, et destiné à préserver le poignet et l'avant-bras des atteintes 'de la corde. Un doigtier en cuir très dur protège ses doigts contre la cuisson et les meurtrissures que peut causer la tension de la corde. Abrité par l'auvent d'une des buttes, il pose le pied sur une planchette, nommée pas, qui délimite la distance. Il tient son arc d'une main ferme, le bras bien tendu. Il vise la cible de la butte opposée. Il tire. Un archer lui succède; encore un autre ; chacun à son tour. Puis ils se rendent tous à la butte où ils viennent d'envoyer leurs fléches et les renvoient dans celle qu'ils ont quittée.

Les prix les plus élevés sont, bien entendu, destinés aux meilleurs coups dans le grand noir. C'est au moyen de ce tir qu'on décerne le championnat. Pour prendre part au tir 'des championnats, il faut avoir fait un minimum de vingtcinq coups dans le cordon rouge lors du concours pour le prix général qui le précède. En 1898, à Fontainebleau, le titre de champion fut décerné au chevalier Coutard, de la compagnie Saint-Pierre de Montmartre, qui mit vingt-sept flèches sur quarante dans le cordon rouge.

Souvent aussi, et surtout dans le nord de la France et en Belgique, le jardin ne renferme pas de butte. Une perche disposée d'une façon spéciale la remplace. Au sommet d'un mât de bois ou de fer, d'environ trente mètres de hauteur, 'des oiseaux de bois ont été fixés sur des barres : le plus élevé se désigne sous le nom de coq; les autres, suivant leur hauteur, s'appellent grandes et petites poules. Il s'agit de les faire sauter à coups de flèches des tiges qui les supportent. Dans les parties ordinaires, le coq vaut en général cinq points, les poules quatre, les canes trois, et les oiseaux ordinaires deux. C'est un tir très difficile. Les oiseaux, solidement assujettis, peuvent être souvent touchés sans être abattus. Aussi, emploie-t-on des arcs puissants, de vingtcinq à quarante kilogrammes, parfois même de cinquantecinq à soixante, et les flèches dont on se sert, les se sert, les <<< muguets », sont différentes des autres. Elles ont de soixante-douze à quatre-vingts centimètres de longueur, pèsent généralement cinquante grammes et se terminent, non

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par une pointe, mais par un tronc de cône en corne dont la base ou extrémité de la flèche a environ deux centimètres de diamètre. Est roi celui qui a été vainqueur une fois, empereur celui qui l'a été trois fois. Ce tir exige une grande pratique, et, indépendamment de la justesse du coup d'œil, une grande vigueur physique et une résistance remarquable à la fatigue. On cite deux tireurs, l'un Belge, l'autre Lillois, qui, faisant en 1890 à Saint-Maurice un match dont l'enjeu était de cent francs, tirèrent de huit heures du matin jusqu'à sept heures du soir, ne s'arrêtant qu'une heure pour déjeuner. Pendant ces onze heures d'escrime, chacun d'eux avait envoyé treize cents flèches et développé, par conséquent, un effort accumulé de quarante-cinq mille kilogrammes, calculé sur la force de l'arc, qui était de trente-cinq kilogrammes.

Il n'est pas facile, vous le voyez, d'être bon tireur, mais le tir de l'arc est un bien joli sport, et nous devons nous féliciter qu'on l'encourage.

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LITTERATURE

Les sources occultes du romantisme

Les discussions sur le romantisme ont fini par ennuyer tout le monde, car il est curieux que la passion puisse engendrer l'ennui. Mais, en somme, c'est assez humain; les convictions inexpugnables sont bastionnées d'indifférence pour tout ce qui n'est pas elles; or, une querelle aussi longue et aussi compliquée que celle du romantisme a du moins permis à chacun de rester sur ses positions et de prendre une vive conscience de la vanité d'argumenter. On a disputé à l'infini sur les bienfaits ou les méfaits du romantisme; et, comme on essaye toujours de mettre les choses d'accord avec la doctrine, on a ergoté encore plus sur la définition même. M. Auguste Viatte, dont nous allons parler, écrit très justement à la fin de ses deux gros volumes: << Il peut sembler imprudent de vouloir ramener à des systèmes dogmatiques ce qui fut avant tout un phénomène littéraire. Mais rien ne défend d'en chercher la psychologie... Dans la controverse qui s'est engagée à la suite de M. Maurras et de M. Pierre Lasserre, bien des généralisations imprudentes ont été faites de part et d'autre sur le génie germanique ou latin, sur le catholicisme ou le protestantisme,sur l'absolutisme ou la démocratie. Bien des considérations étrangères au sujet ont embrouillé le problème. Elles en montrent néanmoins la richesse et confirment que toutes nos idées, que toutes nos sympathies se tiennent.... Par rapport à l'époque des Encyclopédistes comme à celle de Taine et de Renan, on trouvera qu'au-dessus de toute classification trop rigide, partisans et adversaires du romantisme s'accordent à le qualifier de mystique. C'est l'avis de

M. Ernest Seillière comme de M. l'abbé Bremond... Convenons qu'il existe plusieurs sortes de mysticisme, même en admettant que cet état d'esprit suppose la croyance au surnaturel. Rendons-nous compte que le romantisme n'en exclut aucun.

Selon le cas les critiques ont ramené ce mysticisme-là au christianisme ou au « naturisme », son contraire. On sait que pour M. Bremond tout ce qui nourrit les forces spirituelles sert aussi peu ou prou le catholicisme, et la religiosité même n'est pas une cousine trop ennemie de la religion. Pour les gens de l'autre bord, en revanche, les romantiques ont été des païens qui s'ignoraient, et qui adoraient de nouveaux dieux, le moi, la nature, l'humanité, la passion, l'instinct, sur les autels bafoués de l'ancien culte. Impartialement, n'y a-t-il pas un peu de vérité dans les deux opinions, et le tort de chacun n'est-il pas de pousser, vers l'apologie ou l'anathème, les titres mitigés que le romantisme offre à la sympathie ou à l'antipathie ? M. Auguste Viatte s'est donc avisé d'un jugement plus simple. Il consi'dère le romantisme comme caractérisé, spécifié, par une parcelle d'illuminisme. Il ne se demande plus s'il incline au protestantisme ou au catholicisme, s'il procède de Fénelon, évêque de Cambrai ou de Rousseau, citoyen de Genève ; il cherche en lui un autre élément essentielle théosophisme. Voilà un mot qui est revenu à la mode depuis quelques années, et qui marque à lui seul l'intérêt puissant des deux gros volumes de M. Viatte.

machine de guerre contre le romantisme. Il ne l'a pas voulu expressément. Et du reste, peu nous importe : cet ouvrage est fort nourrissant et fort agréable à lire. Les curieux de l'histoire des lettres et des idées ne regretteront jamais de le garder dans leur bibliothèque. Ils y verront grouiller tout un monde inconnu.

Ne vous hâtez pas de dire que ce monde-là ne vous intéresse point. Les grands mouvements d'idées découlent souvent de quelques agitations de sectes. Les extravagants, les fous pèsent parfois plus que les sages dans l'enchevêtrement des causes et des effets, et M. Viatte le marque dans un chapitre final qui est magistral, et équivaut à une sorte de Discours sur la Méthode. Au surplus, le pittoresque, si l'on y tient, semble être réfugié dans ces régions du clairobscur. Un nombre prodigieux de romans, de nouvelles, de récits curieux en tout cas, dort à l'état virtuel dans cette petite histoire qui a tant fait pour créer la grande. Rien ne saurait pourtant y réformer les idées générales qu'on a déjà acquises, rien ne saurait y nourrir un illuminisme nouveau, ni l'obsession de l'illuminisme qui y ressemble fort chez ceux mêmes qui le craignent. Là-dessus, fiez-vous à M. Viatte, esprit fort pondéré et fort lucide. Fort honnête aussi. En voici une preuve : il fait justice en passant d'une légende qui court aisément dans toutes les polémiques catholiques sur la collusion du judaïsme et de la maçonnerie. Une étude sérieuse des textes et des faits lui a permis de conclure que — d'une part les Maçons ont pris un symbolisme biblique sans en demander à personne l'autorisation, et surtout à Israël, - d'autre part les Loges refusèrent jusque sous l'Empire (c'est-à-dire pendant près de cent années) d'admettre les Juifs, et l'on ne compte pas les imprécations des illuministes contre l'obscurantisme ou la perversité du peuple élu... Cela pèse plus lourd, on le voit, que des hypothèses séduisantes : l'influence de la philosophie alexandrine sur la Kabbale, ou de la Kabbale sur les mystiques du XVIII° siècle appartient à l'idéologie, mais non pas à l'histoire. Or l'histoire est déjà assez com

CHEZ

PLON

Cet auteur les a intitulés « Les Sources occultes du romantisme (1). Avec plus de précision et moins d'élégance, il eût sans doute écrit Les Sources occultistes, car enfin l'occulte n'existe peut-être pas, tandis que l'occultisme existe, par sa prétention même. Ne croyez pas d'ailleurs que M. Viatte montre ainsi une indulgence notable envers les illuminés. Sauf erreur, c'est un érudit catholique qui nous vient de l'Université de Fribourg, et qui a écrit déjà un livre très solide et très fin sur la curieuse façon qu'eurent les romantiques catholiques de professer ou de pratiquer la religion romaine (2). Même on peut trouver dans la posi-pliquée par elle-même pour nourrir les polémiques. tion qu'il adopte la preuve d'une critique plus voisine de celle de M. Seillière que de M. Bremond. Un de ses chapitres tend à prouver que chez les âmes féminines, le haut mysticisme des théosophes a vite dégénéré en sentimentalité pure et simple, la notion du péché s'y affadit; le souci métaphysique s'y effaça. Il n'y eut plus bientôt que des cœurs naïvement impudiques, des amantes de l'instinct aveugle, des individualistes exaspérées. Voilà ce que furent des demi-folles comme une nommée Suzette Labrousse, qui florissait sous la Révolution, comme Mlle Brohan, sa devancière (celle-ci, exactement contemporaine de Rousseau, mourut en 1778) qui annonçait la venue du Christ glorieux pour l'an 1866..., comme enfin Mme de Krudener et quelques dames de même farine... A relater certains faits, à évoquer certaines figures, le plus froid historien prend vite l'aspect d'un pamphlétaire, et le livre de M. Viatte, si austère qu'il soit, si scientifique qu'il paraisse (cela n'empêche pas un talent réel de narrateur) pourra sembler une

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ANDRÉ LAMANDÉ ET JACQUES NANTEUIL

LA VIE

DE

RENÉ CAILLIÉ

VAINQUEUR DE TOMBOUCTOU

In-16 avec un portrait et une carte hors-texte... 12 fr.

CHEZ TOUS LES LIBRAIRES

Il ne saurait être question de suivre pas à pas les recherches de M. Vitte à travers un demi-siècle de pensée religieuse ou politique. Bien qu'il annonce devoir continuer quelque jour ces études,il a borné cette fois-ci son propos à 1820, en remontant jusqu'à 1770. L'histoire de la théosophie moderne pourrait dater de plus loin.

possible, si amusant qu'il en devient monotone ou mélancolique, et qu'il fait au moins songer à l'éternel retour.

Aux abords de la Révolution, tant de théories diverses, tant de superstitions dont on peut bien dire que le « progrès des lumières» et la pensée prétendue libre avaient fait le lit, semblent avoir trouvé leur unité dans une sorte de millénarisme, qui annonçait le changement du monde, l'avènement de l'Esprit à travers toute sorte d'épreuves. Une certaine duchesse de Bourbon (Bathilde d'Enghien, la sœur de Philippe-Egalité) donna là-dedans avec ferveur, et sûrement plus de sincérité que son frèré. Des fous ou des policiers comme Restif de la Bretonne ou Sade tournaient la philosophie de Diderot à un véritable illuminisme païen, où l'animisme et le panthéisme cachaient une religion de la sexualité; un sieur Nicolas Bonneville, sans attendre Babeuf, fondait un néo-christianisme communiste. Et SaintMartin lui-même se faisait de la Révolution une théorie

M. Merejkowski, à notre époque, professe sur le bolche

visme...

Le mot même, qui nous est devenu familier, et qui paraîtil, date de Porphyre et de Jamblique, a eu longtemps le sens normal de science des choses divines, et en somme équivalait à théologie : c'est au XVIe siècle que des savants férus de mystère lui donnèrent le sens nouveau de « sagesse inspirée de Dieu ». Une communication directe avec le divin, c'est à coup sûr quelque chose d'hérétique, et que l'Eglise traditionnelle a toujours tenu en suspicion,pour cent bons motifs de discipline et quelques motifs de doctrine qui ne sont guère moins puissants. On pouvait prévoir aisément qu'après le siècle de la Réforme, celui de l'Ency-apocalyptique et doloriste qui présage assez bien celle que clopédie ferait foisonner les théosophes ; et d'ailleurs on ne doit pas oublier que le XVIIe siècle en a suscité infiniment plus qu'on ne pense l'histoire des messies et des prophétesses de ce temps-là remplirait plus d'un volume. En particulier celle de la voyante Antoinette Bourignon (16061683) qui, née à Lille, constitua toute une Eglise gnostique, et fut pourchassée de pays en pays par les princes de tous les Etats et les prêtres de tous les cultes. Mais le XVIII° siècle qui nous apparaît volontiers comme le plus intellectualiste et le moins religieux de tous les siècles, devait vite payer, en France même, la rançon de son peu de foi. Il ne fallut pas longtemps pour que les gens demeurés chrétiens cherchassent des consolations étrangères à l'orthodoxie, dans un mysticisme nouveau qui semblait éternel, ou éternel et qui semblait nouvellement révélé. Les incrédules se sentirent eux-mêmes mal à l'aise dans le monde rationalisé ; quant aux sceptiques de nature, ils révoquèrent en doute l'ordre rationnel comme l'ordre surnaturel. Et sur ce scepticisme-là pouvait repousser n'importe quelle croyance. On le vit bien...

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Dénombrez un peu tout ce qui, à l'époque où expirait Voltaire, germait en fait de religions et de sectes, à Paris et en province, chez les gens du monde et chez les intellectuels, chez les « philosophes » comme chez les ci-devant suppôts de l'Infâme : le martinisme, qui sévit à Paris, à Lyon (parbleu !) et à Bordeaux, le swedenborgisme qui émigra de Berlin en Avignon, et qui eut un grand nombre de cocasses aventures, prédictions, escroqueries, conversions de princes, excommunications diverses, les sociétés mystiques, quiétistes, vaudois, crypto-catholiques, amis de l'Astral, mages, philalèthes,métempsychosistes, en cent autres qu'il serait long de nommer. On se croirait en 1890, au temps du Sàr Péladan; on n'est qu'au temps de Cagliostro et de Lavater... Voulez-vous, à grands traits l'histoire des alchimistes, nécromantes et guérisseurs ? Voulezvous des clartés sur la religion de Saint Martin et de Cazotte? sur le satanisme des salons le magnétisme des boudoirs, le spiritisme (déjà) des cafés, lisez le premier volume de M. Viatte qui forme vraiment une encyclopédie et une synthèse de toute la matière et qui est amusant au

Malgré l'opposition des derniers voltairiens et aussi des (l'une des plus courantes déjà chez les libres-penseurs, catholiques méfiants, malgré les accusations les plus vives c'était qu'il fallait voir là-dedans un coup des Jésuites !) l'illuminisme ne cessa de progresser jusqu'à l'Empire, où ce n'est pas trop d'un volume pour résumer toute son activité. Quand j'aurai dit quels noms paraissent dans le second volume, Nodier et Ballanche, Mme de Staël et Joseph de Maistre, l'intérêt à l'égard de l'histoire littéraire s'en marquera assez clairement. Par une multitude de faits et de noms, M. Viatte montre les deux courants de « gauche >> et de « droite » qui se partageaient alors la religiosité préromantique, comment les uns rêvaient de démocratie intégrale; les autres de théocratie absolue, d'ailleurs en frères ennemis et sans démêler qu'ils servaient au fond la même cause, à savoir la ruine de la tradition en fait d'intelligence et de politique.

Je ne sais d'ailleurs si M. Viatte, malgré une érudition énorme, a pu être complet sur un pareil propos. Je n'ai pas retrouvé dans son étude le nom du D' Koreff, ce médecin allemand qui a joué un si grand rôle dans la société de la Restauration et qui eut à subir dans l'opinion française de si curieuses vicissitudes. En tout cas, on peut saisir à plein et, comme dit l'autre, réaliser, à la faveur de tant d'exemples, l'influence du germanisme sur nos écrivains il y a juste cent ans. En 1820, et malgré une réaction violente des doctrines traditionnelles, malgré la défense jalouse du catholicisme, le terrain est prêt pour le romantisme proprement dit. Fourier est en train d'écrire ses divagations; Pierre Leroux rêve de son néo-paganisme démocratique. Et leurs disciples

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qui s'ignorent encore, ce seront bel et bien des George Sand cent chétif, d'une surprenante beauté en dépit de sa tête étrange et des Victor Hugo ; comme parmi les disciples du sweden- d'hydrocéphale, miné par la tuberculose et dévoré d'un rêve borgisme et du marinisme, comptera un Balzac. D'autres sublime. Et non moins tragique et troublante, celle de Tout chercheurs nous marqueront que trente ans plus tard le spiri- Ank Amon, de la même beauté singulière, écrasé par la force tisme proprement dit naîtra en pays anglo-saxon de cerdu destin et contraint par elle à rentrer dans les voies traditionnelles. Cette aventure vaut à elle seule le plus attachant roman. taines de ces doctrines, que le premier socialisme même, si Mme Geneviève Tabouis l'a contée avec une clarté, une préétranger au matérialisme marxiste (encore qu'hégélien cision étonnantes, et sa ferme et originale pensée se mêle dans comme lui), proviendra en droiture de cette théosophie son récit à sa prodigieuse érudition. Mais le charme de son naïve. Les poètes et les romanciers n'ont qu'à venir, à utilivre est d'avoir situé ce drame de politique religieuse dans un liser cet illuminisme diffus, cet occultisme latent que leur pré- cadre magnifique. Les tableaux de l'histoire sont d'un intérêt sente la mode intellectuelle, que leur fournit une société qui constant et d'une couleur passionnée. De l'enfance de Tout se croit restaurée et qui est plus inquiète, plus instable que Ank Amon dans le harem royal, sur une dure et étroite tutelle jamais. Ainsi l'on surprend la continuité de l'histoire et le jusqu'au seuil de ses destinées éternelles, après son retour recommencement de toutes choses, cela flatte beaucoup l'es-héroïque à la volontaire servitude splendide de Thèbes, nous

prit humain, et cela le désole aussi, en lui montrant que rien n'est jamais tout à fait neuf ni tout à fait caduc sous le soleil.

ANDRÉ THÉRIVE.

CE QU'ON LIT

L'absence et le retour, par Gilbert DE VOISINS (Grasset).

Dans ce beau roman, M. Gilbert de Voisins nous décrit avec une apparente exactitude les visions, les rêves d'un malade brûlant de fièvre qui revient peu à peu à la santé et reprend lentement conscience de son être, de sa vie, de son identité. Sa mémoire, d'abord toute mêlée à son imagination, s'en distingue, mais non pas par un progrès régulier; la marche du malade vers la santé intellectuelle est toute coupée d'arrêts, de retours en arrière, d'obstacles; dans ses songes, la vérité et le mensonge se mélangent longtemps. Heureusement, un double amour le guide dans la ténèbre obscure comme une faible lumière : celui d'une femme, celui de son art... Il était peu de sujets plus difficiles : c'est avec un art merveilleux que M. Gilbert de Voisins a su nous faire sentir toutes ces nuances et, mêlant en guirlandes ce qui pour son héros est le vrai à ce qui est le faux, nous faire reconnaître l'un de l'autre sans pourtant s'abaisser à nous expliquer rien. On voit peu de livres qui aient la qualité de ce roman de M. Gilbert de Voisins. - J. B.

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Tout Ank Amon, fils naturel et gendre d'Amenophis IV, et son successeur par la grâce de ce mariage, rappela la glcrieuse XII dynastie à ses destinés traditionnelles. En 1350, il ramena à Thèbes la cour, et restaura à la fois le culte d'Amon et la suprématie de la caste sacerdotale qu'Amenophis IV avait tenté de transformer. Amenophis IV avait voulu libérer l'Egypte du culte matériel d'Amon et de cette domination des prêtres qui tenait le souverain en étroite tutelle. Reprenant le rêve de son père Amenophis III, il avait brusquement transporté à Aton la capitale des Pharaons, et instauré le culte mystique du soleil identifiant le dieu suprême Râ avec Pharaon lui-même. Mais il avait méconnu la force irrésistible et pesante des traditions qui avaient fait la grandeur et la force de l'Empire, et sa réforme généreuse, à la fois philosophique et démocratique, était bâtie sur le sable. Passionnante et mystérieuse aventure, combien dramatique, que celle de cet adoles

le voyons dans son métier de roi, avec ses secrétaires et ses ministres, sa cour et son entourage, dans sa vie privée et son harem. Le livre dont M. Théodore Reinach a cantonné l'érudition de sa haute et personnelle autorité, est de tous les livres récents d'histoires, un des plus émouvants et des plus attachants, un des meilleurs. P. de P.

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Aventures du Rochelais Nicolas Gargot, dit Jambe-de-Bois, présentées... par Charles MILLON (éd. Rupelle, à La Rochelle).

La mémoire de ce hardi navigateur, qui donna Terre-Neuve à la France, serait sans doute bien effacée, si ses héritiers n'avaient publié un factum en sa faveur contre un adversaire sans scrupules, le trop célèbre maréchal du Dognon. Le récit de ses courses et de ses aventures est dramatique et nullement arrangé par l'éditeur, Mais il est appuyé de notes, de pièces justificatives, d'appendices du plus haut intérêt et qui jettent un jour singulier sur les conquêtes coloniales du XVIe siècle, véritables entreprises commerciales où l'on écartait les concur rents par toutes les exactions et actes de banditisme imaginables. Le rôle de Fouquet apparaît assez mystérieux, disons assez louche, dans ces luttes entre trafiquants. Il semble bien que le surintendant, qui avait sa flotte personnelle, commanditait ces expéditions dans l'unique but de s'en réserver le profit à lui et à ses associés. Ce livre, publié avec une érudition et une critique dignes d'éloge, est illustré par Louis Suire, de nombreux dessins, tout à fait dans l'atmosphère du temps, et qui seraient parfaits si l'auteur n'avait abusé des à plat de noir. La typographie ne peut lutter d'intensité avec un pareil encrage et l'équilibre s'en trouve rompu. Cette légère critique n'enlère rien au mérite de ce jeune peintre, qui consacre son réel talent aux sites et aux écrivains de sa région. - H. C.

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La vie de Manet, par Albert FLAMENT (Plon).

C'est une vie très « romancée », et l'on pourrait trouver des lettres de Manet que M. Albert Flament n'a pas vues, des personnages très bien au fait de la vie de son héros (et pour cause) qu'il n'a point interrogés. Il est possible que le portrait de Manet le père, celui de Mme Manet ne soient pas exacts, possible même que Manet n'ait jamais eu d'enfant naturel. Mais on ne peut s'empêcher de penser, malgré tout, que M. Albert Flament a eu de son héros un sentiment fort juste et qu'il nous en laisse une impression conforme à celle que nous aurions eue nous-mêmes. D'ailleurs son livre très vivant et très amusant

inspire un respect profond du grand peintre, de sa sincérité et de son effort: il donne envie de revoir les toiles de Manet. Hélas ! la plus grande partie s'en trouve aujourd'hui à l'étranger, et surtout en Amérique ! J. B.

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Der Wer zum Abgrund, par le prince LICHNOWSKY (Dresde, Karl Reissner).

<< La route vers l'abîme », tel est le titre donné aux Mémoives du prince Lichnowsky. Tout en se défendant de croire qu'il puisse y avoir une telle chose qu'une responsabilité morale, le prince admet que c'est l'Allemagne qui a commis les

erreurs » devant conduire aux hostilités. « Ce qu'on appelle la culpabilité, en matière de guerre, n'existe pas. Bismarck fut-il jamais surpris par des ennemis ? A-t-il jamais fait une guerre qu'il ne voulait pas faire ? Qui était responsable des guerres de Silésie ou de la guerre de Trente ans ? Qui était responsable de la guerre de Troie ? Etait-ce Hélène de Troie ? Il n'y a que deux sortes de guerres : celles qui sont stupides (celleslà sont un crime) et celles que l'on entreprend en vue d'un but spécial qu'autrement il serait impossible d'atteindre. C'est une erreur qui a conduit à la Grande Guerre.

Rien de ce qui est apparu dans les publications récentes n'a réfuté ma thèse que les méthodes des hommes qui ont succédé à Bismarck devaient conduire fatalement à une catastrophe et je crois que les documents officiels ne réfutent pas mes opinions. » Ch. Ch.

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BIBLIOGRAPHIE

CRITIQUE ET HISTOIRE LITTERAIRES.

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Maurice MAR

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Paul

TIN DU GARD, Vérités du moment (Editions de la Nouvelle Revue critique, 12 r.). Julien BENDA, Properce ou les amants de Tibur (Grasset, 12 fr.). - Jean HYTIER, Les romans de l'individu (Les Arts et le Livre, 12 fr.). RACHILDE, Alfred Jarry ou le Surmåle de lettres, (Grasset, 12 fr.). Benjamin CREMIEUX, Littérature italienne (Kra, 18 fr.). FRANC-NOHAIN, La vie amoureuse de Jean de La Fontaine (Flammarion, 9 fr.). FAURE, Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostand (Plon, 12 fr.). - Roger FRENE, Guy Lavaud (Les Marges). Maxime LEROY, Fénelon (F. Alcan, 12 fr.). Michel CORDAY, Anatole France (A. Delpeuch, 20 fr.). F. FUNCK-BRENTANS, Rétif de la Bretonne (A. Michel, 25 fr.). Félix BERTAUX, Littérature allemande (Kra, 18 fr.). Auguste DUPOUY, Horace (Grasset, 12 fr.). H. DE LATOCHE, La Reine d'Espagne, publiée avec une introduction par Frédéric SEGU (Les Belles Lettres, 12 fr.). - Frédéric EMPAYATZ, Essai sur Montherlant ou la Génération de trente ans (Le Rouge et le Noir). Léon PIERRE-QUINT, Le comique et le mystère chez Proust (Kra). Francis de CROISSET, Nos marionnettes (Editions de France, 12 fr.).

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gions inconnues (Gallimard, 12 fr.). La Fayette, par Joseph DELTEIL (Grasset, 12 fr.). Au pays des mannequins, par Louis ROUBAUD (Editions de France, 12 fr.). las II et de sa mère, l'impératrice douarière de Russsie, trad. par Paul L. LÉON (S. Kra, 12 fr.). Georges OUDARD, Un excentrique en 1830 (Hachette, 7 fr. 50). Vicomte FLEURY, Le prince de Lambesc (Plon, 12 fr.). Henri LAVEDAN, M. Vincent, aumônier des galères (Plon, 12 fr.). Paul CHACK, Ceux du blocus (Editions de France, 12 fr.). Madeleine CLÉMENCEAU-JACQUEMAIRE, Le pot de basilic (J. Tallandier, 12 fr.). René VANLANDE, Souvernirs de la révolution chinoise (Peyronnet, 4 fr.). M. BERGER-CREPLET, Le cardinal Mercier intime (Figuière, 10 fr.).

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MUSIQUE

Au Conservatoire et à l'Institut

<< Le monde musical tout entier s'est tu. Voici le moment de l'année où chanteurs, chefs d'orchestre et instrumentistes se reposent sur leurs lauriers ou gagnent les stations balnéaires en vogue, et popularisent leur répertoire d'hiver dans des casinos cosmopolites. Le Conservatoire a éclos sa nichée habituelle de lauréats dont le couronnement solennel est considéré comme terminant la saison. Le public très spécial qui fréquente les étuves de la rue du Faubourg-Poissonnière et ratifie les décisions du jury a consommé, comme tous les ans, sa provision d'artistes en herbe. Rien n'égale l'infaillibilité de jugement de ce public: il est aussi intéressant à observer que les candidats; il est composé de gens qu'on ne voit nulle part ailleurs. Ils sont là chez eux, et discernent avec une sûreté incroyable si Mlle X... qui a joué la quarante et unième le morceau imposé de Chopin a fait une fausse note de plus ou de moins que Mlle Y... qui a joué la vingt-huitième ou que Mlle Z... qui a joué la dix-septième !... Décrirons-nous ce défilé toujours le même le bambin prodige, qui joue monstrueusement bien du piano; le violoniste chevelu, à la taille cambrée, à la dextre ornée d'un diamant fascinateur, véritable trémolando fait homme, la chanteuse à tempérament, et le grand gaillard chauve et presque quadragénaire qui vient gémir l'immuable cavatine de Lucie? Nous croyons pouvoir nous dispenser de rendre compte ici de ces épreuves d'élèves. Nous estimons, en effet, que ce qui intéresse le public en cette affaire, c'est uniquement de savoir quelle est la valeur des lauréats. Il aura loisir d'en juger en les voyant à l'oeuvre. Quant au reste, petites rivalités d'arrière-boutique, on-dit et potins d'après la classe, il faut en laisser la joie à ce public affolé de cabotinage qui suit les concours et adore en scruter les mystères parfois peu édifiants. »

Ainsi s'exprimait, voici quelque trente-six ans, M. Paul Dukas dans une de ces substantielles chroniques de la Revue Hebdomadaire qui n'ont rien perdu, vous le voyez, de leur actualité, et qu'il devrait bien songer à réunir en volumes. Je ne saurais mieux formuler mon sentiment sur ce que n'ont pas cessé, et ne cesseront sans doute jamais d'être les Concours du Conservatoire, tant qu'ils resteront publics et que leur caractère s'en trouvera, par là même, vicié à la base. Une fois de plus, la qualité de l'enseignement instrumental s'est avérée souvent excellente et, en tous cas, nettement supérieure en son ensemble à celle des classes de chant qui, à part un ou deux lauréats masculins pourvus de dons réels, n'apporteront pas de recrues appréciables aux troupes de nos théâtres lyriques, malgré les panégyriques assez

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