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sérieux désaccord entre le président du Conseil et son ministre des Affaires étrangères, M. Titulesco.

Ce dernier se rapprocherait-il du parti national-paysan et tenterait-il un rapprochement entre ce parti et le parti libéral actuellement au pouvoir ? C'est possible, mais cette négociation apparaît extrêmement délicate dans l'état actuel de surexcitation des passions politiques. Seul un arbitre royal-qui fait actuellement défaut à Bucarest

AFFAIRES EXTERIEURES aurait quelque chance de la mener à bien.

Séismes dans les Balkans

La Roumanie, la Yougoslavie et la Grèce connaissent, politiquement, des heures difficiles.

Causes différentes : la Roumanie et la Serbie, victorieuses dans la grande guerre, ont vu, comme prix de leur victoire, leur territoire et leur population s'accroître de manière démesurée. La Grèce, au contraire, vaincue dans sa téméraire entreprise d'extension en Asie Mineure a dû battre en retraite bien en deça des frontières qu'elle avait un moment espérées.

Conséquences analogues: En Roumanie et en Yougoslavie, les nouveaux éléments de population ne sont pas parvenus à composer avec les éléments anciens un système d'équilibre stable. De même, en Grèce, les populations helléniques d'Asie Mineure, forcées d'émigrer dans l'ancien Royaume, y constituent encore des îlots mal assimilés.

D'où, dans les trois pays, une rupture des traditions politiques, un éclatement du cadre des vieux partis, un afflux d'aspirations mal canalisées, une brusque apparition, sur la scène politique, de couches sociales nouvelles et d'hommes publics nouveaux; bref une série de phénomènes au premier chef défavorables au jeu normal d'institutions parlementaires.

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En Roumanie, le problème s'est trouvé compliqué par la mort, à un court intervalle, de deux hommes : le roi Ferdinand et M. Jean Bratiano.

Le premier, fort du prestige qu'il avait su acquérir pendant la guerre, jouait entre les partis et les factions un rôle indispensable d'arbitre et de conciliateur. Ce rôle, ni bien entendu l'enfant qui lui a succédé, ni les membres du Conseil de Régence, ne sont en mesure de le reprendre. Et l'existence, en exil, du prince Carol, turbulent et mécontent, fait que, provisoirement au moins, la dynastie apparaît en Roumanie plutôt un sujet de discorde qu'un centre d'union.

Quant à M. Jean Bratiano, vétéran du ministère, sa forte personnalité s'imposait, de bon ou de mauvais gré, à ses adversaires même. Lui disparu, la férule est tombée. M. Vintila Bratiano n'a ni l'énergie ni le prestige de son frère et prédécesseur. Et le Cabinet libéral dont il a pris la tête à la mort de ce dernier se voit aujourd'hui brutalement secoué par les violences de l'opposition nationalepaysanne de Transylvanie, opposition qui prend parfois une forme révolutionnaire.

Au sein même du ministère des dissenssions apparaissent : la négociation de l'emprunt de stabilisation a suscité un

A Belgrade, situation à la fois semblable et différente. Semblable, parce que, en Yougoslavie comme en Roumanie, les populations nouvellement rattachées à l'Etat s'accommodent mal des traditions et du personnel politiques antérieurs à leur incorporation.

Différente parce que le royaume yougoslave possède à sa tête un souverain doué de toutes les qualités de médiateur grand prestige personnel, connaissance approfondie des hommes et des partis, tact, patience, autorité. On peut dire que, à l'heure actuelle, l'unité du royauté un peu hébérogène des Serbes, Croates et Slovènes est principalement cimentée par la personne de son roi.

Mais la tâche du roi Alexandre vient d'être singulièrement compliquée par les meurtres commis, le 20 juin, en plein Parlement, par le député monténégrin Rachitch sur plusieurs de ses collègues appartenant à l'opposition croate. Le Cabinet de concentration radicale et démocratique présidé par M. Voukitchevitch n'y a pas résisté.

Le chef du parti paysan croate, M. Raditch, a reçu du souverain l'offre de constituer un ministère d'union nationale. Mais il a décliné cette offre déclarant qu'il ne pourrait l'accepter que si, préalablement, le Parlement actuel était dissout et s'il était procédé à des élections générales.

A l'heure où ces lignes sont écrites, la crise ministérielle reste ouverte. Mais un point apparaît dès à présent acquis : l'ajournement de la ratification de ces conventions de Nettuno, négociées avec l'Italie par le gouvernement radical et auxquelles le parti croate demeure violemment opposé.

En Grèce, crise analogue.

L'Etat hellénique ne s'est jamais bien remis des désastres et de l'humiliation que lui a infligés la campagne d'Asie Mineure.

Après l'essai fâcheux de dictature militaire tenté par le général Pangalos, un gouvernement d'union nationale avait été formé sous la présidence de M. Zaïmis et avait donné de bons résultats.

Mais, récemment, la forte personnalité de M. Venizelos, apparaissant à nouveau sur la scène politique, a renversé l'échafaudage un peu fragile édifié par M. Zaïmis.

M. Venizelos est resté extrêmement populaire parmi les Grecs d'Asie Mineure obligés, en vertu du traité de Lausanne, de quitter en masse leur sol natal et venus s'installer en Grèce. A leurs yeux, l'homme d'Etat crétois demeure l'apôtre de la Grande Idée » et le champion de la Grèce irrédimée.

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Mais, comme M. Raditch en Yougoslavie, M. Venizelos estime qu'il ne peut pas gouverner avec le Parlement actuel. Non content, toutefois, d'exiger une dissolution, il demande, en outre, au président de la République, amiral Condouriotis, de modifier, par simple décret, le régime électoral.

L'amiral Condouriotis, vieux serviteur du pays et de la légalité, a eu des scrupules et on a craint un moment que

AFFAIRES INTERIEURES

la crise politique ne se compliquât, à Athènes, d'une crise AFFAIRES

ministérielle. Finalement, le président a cédé, mais on peut se demander s'il pourra longtemps s'accommoder des manières dictatoriales de M. Venizelos.

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Toutes ces agitations n'auraient pas une importance européenne si elles se déroulaient uniquement sur le plan intérieur.

Malheureusement, la politique interne des pays balkaniques a, depuis longtemps, le fâcheux privilège d'être suivie de près et souvent influencée par des puissances étrangères.

Jadis, la Russie tsariste et l'Autriche-Hongrie s'y intéressaient activement. Aujourd'hui ce sont l'Union soviétique et l'Italie.

Les Soviets, on le sait, sont constamment à la recherche, pour les attiser, des foyers d'incendie.

Quant à l'Italie, elle voit avec beaucoup de déplaisir, en Yougoslavie, l'ajournement de la ratification des accords de Nettuno, en Grèce, le retour au pouvoir de M. Venizelos lequel n'a jamais été favorable à la politique italienne.

Ces causes d'irritation apparaissent dans un temps où le gouvernement fasciste se heurte, sur le terrain financier, à des difficultés croissantes, difficultés dont on vient de voir un signe dans la retraite du comte Volpi, ministre des Finances.

D'un côté, ces embarras financiers peuvent inciter le gouvernement fasciste à une politique étrangère prudente. Mais, de l'autre, ce gouvernement (qui, comme toutes les dictatures, est essentiellement un gouvernement d'opinion), risque 'd'être tenté de chercher une diversion sur le terrain extérieur.

M. Mussolini, personnellement, est trop avisé pour se lancer de gaîté de cœur dans une aventure. Mais il est entouré de têtes terriblement chaudes. Le ton de la presse fasciste en est la preuve. Jusqu'à présent, le Duce a résisté; mais le moment viendra-t-il où il sera obligé de dire, comme beaucoup d'autres avant lui : « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive»?

Un ensemble de circonstances a fait des Balkans le point le plus inflammable de l'Europe.

L'incendie y a éclaté en 1914. Le feu n'y est encore que mal éteint. Des souffles passent qui pourraient bien le ranimer.

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Tous les pompiers de l'Europe il en reste, heureusement, à Genève, à Paris, à Londres et ailleurs - feront bien de tenir l'œil ouvert.

JACQUES CHASTENET.

Considérations sur les jeunes

On a trop médit des jeunes. Evidemment, les jeunes ont des défauts. Ils n'aiment point assez la politique, et, il peut paraître singulier que, n'aimant point la politique, ils désirent faire précisément la carrière de député. Mais il ne faut point leur faire ici la querelle de mépriser à la légère la chose même qui est leur raison d'être. Tout a été dit sur le professeur qui condamne les humanités, ou sur l'officier qui n'aime point l'esprit militaire. Le député qui n'aime point la politique n'a pas ce scepticisme apparent, qui n'est, à tout prendre, qu'une assez basse démagogie. Au contraire, il est entré au Parlement pour ne point faire de politique parce qu'il considère que la politique pure est un mal, et que le malaise actuel tient à la prédominance de la politique sur l'économique et sur le social. Bien loin d'être un sceptique, il a la foi. Foi trop intransigeante, trop absolue, trop contradictoire avec les nécessités évidentes, avec la tradition et avec la force des choses, pour n'être pas insupportable au premier abord, et ne pas causer quelque désordre dans une institution dont le machinisme est réglé autrement.

Mais, il faut en prendre son parti. La situation politique est telle que le syndicat des mécontents nous envoie au Parlement, à chaque consultation générale, un grand nombre d'hommes nouveaux. Le scrutin d'arrondissement, qui a déçu tant de ses partisans doctrinaires, a, du moins, cet avantage de réduire tout à des changements de personnes sans détourner brusquement les grands courants d'opinion, Mais, enfin, il faut prendre notre parti de cette arrivée en masse compacte, à chaque renouvellement législatif, de jeunes avides, tout d'abord de réforme, et qui croient un peu naïvement qu'avant eux tout était mal, et que, par eux, tout sera mieux. Les vieux, les anciens voient impatiemment cet avènement d'une jeunesse un peu présomptueuse, mais ils ont, au moins, le bon sens de ne vouloir point faire d'initiation et de s'en remettre à la Providence d'assouplir ces jeunes intransigeances. La providence n'y manque point. Les jeunes surprennent les pessimistes les plus résolus par la rapidité de leur adaptation, et il faut convenir que le Parlement est une grande école de sagesse. Evidemment, au début des législatures, les jeunes sont un peu inexpérimentés dans la manoeuvre et le sens de la politique de couloirs leur échappe. Mais ils s'y font vite. Il demeure, de leur bonne volonté, le résultat d'un effort qui n'est pas stérile. La politique pure, qu'il ne faut point mépriser puisque c'est une nécessité pour les partis, et que celui qui n'en fait point est froidement la dupe de celui qui en fait, perd progressivement un peu de terrain. Pas trop. Il faut, ! dans les assemblées, une tradition. Sinon, à vouloir trop

réformer, on bouleverse tout sans profit. Mais on respire au Parlement un air de la maison qui n'est point trop délétère, puisqu'il insuffle à des esprits trop absolus et dangereux par cela même le sens incomparablement précieux du relatif. Ainsi, les jeunes apprennent aux anciens à modérer leurs ambitions, à renoncer au jeu de la politique purement destructive, à renoncer à des mystiques un peu désuètes qui ont besoin de se rajeunir; et les anciens, par contre, enseignent aux nouveaux, la mesure de possibilité et le tempérament nécessaire, sans quoi l'agitation désordonnée des plus généreuses initiatives serait proprement intolérable.

Il est possible donc que les nouveaux, vite au fait des aîtres, apprennent la raison des opérations les plus subtiles, et évitent les pièges tendus à leur bonne foi, ou n'y tombent que volontairement. Ceux qui évitent ces pièges et en avertissent leurs collègues sont de précieux modérateurs. Ceux qui y tombent volontairement estimeront qu'ils rendent ainsi service, en jouant la règle du jeu, au suffrage universel, c'està-dire la loi du nombre, qui, essentiellement absurde, n'est tolérable qu'avec des tempéraments de fait. Ainsi peu à peu, sans secousses, sans heurts, se réalise cette bienfaisante évolution vers les problèmes économiques et sociaux, sans que personne soit politiquement dupe de manoeuvre, et sans qu'aucune catégorie de citoyens en soit victime. Et le succès de cette opération est fonction à la fois de l'expérience accélérée des jeunes, et de la philosophie clairvoyante des

anciens.

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Evidemment, le Parlement, compris ainsi comme école de transactions nécessaires, n'est plus le temple de la mystique républicaine. La volonté du peuple y est toujours la préoccupation essentielle. Mais on se soucie des tendances plutôt que de la volonté, et on se permet d'interpréter cette dernière. Ainsi, rien n'est curieux comme cette résistance que toutes les assemblées opposent, de plus en plus, au terme légal de leur mandat. Jamais une Assemblée n'admet plus qu'elle est arrivée à expiration de sa tâche, et les motifs supérieurs de continuer cette tâche ne manquent jamais aux

de la politique pure, et manifestation d'autant plus curieuse qu'elle ne rencontre pas de sérieuse opposition d'opinion. Il faut ranger dans la même catégorie le désir de plusieurs conseillers municipaux de Paris, élus députés, de conserver cependant le mandat municipal. Jamais, en aucun temps, un élu n'a, volontiers, abandonné son mandat. Mais il n'osait point proclamer nettement qu'il entendait le conserver malgré tout. S'il le proclame aujourd'hui, c'est, d'une part, qu'il se mêle à un cynisme un peu candide, une autre idée fort sincère celle de l'intérêt social supérieur, avec lequel on confond, volontiers, son intérêt propre. Et, surtout, parce qu'il ne sent point une hostilité quelconque de l'opinion, qui se désintéresse de l'affaire. Prenons garde à ceci, en concluant l'abandon de la politique, qui est la négation du régime, a l'opinion pour complice. La cause en est aux fautes commises, et à la lassitude de la majorité électorale.. Le danger évident est que l'activité politique demeure aux mains des révolutionnaires. Ainsi, le discrédit de la politique pure, résultat de l'effort des jeunes, n'est qu'une victoire de ceux-ci sur leurs propres troupes et leur triomphe s'évanouit par la facilité même de ce triomphe.

Mais, le merveilleux est qu'ils se rendent compte de cette évidence, qu'ils la corrigent eux-mêmes par une heureuse et rapide adaptation aux habitudes des anciens. Suos majorum. Et ces anciens à leur tour, se corrigent et s'adaptent heureusement. Sauf ainsi de rares exceptions, la Chambre, qui, pourtant n'a point assez de fenêtres, est le temple, plus qu'on ne croit, de la concorde et de l'harmonie. P. DE PRESSAC (TRYGÉE).

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bons ouvriers. Il est acquis à l'histoire que la Chambre de AFFAIRES

1919 eût aimé qu'on proroge t ses pouvoirs, et il n'est pas moins certain que les parlementaires de 1924 avaient songé à demeurer les collaborateurs permanents de l'œuvre de 1926. Il apparaît que les Conseils municipaux élus en 1925 ne veulent point être renouvelés en 1929, et trouvent, pour se survivre pendant un an encore, les plus péremptoires raisons. Il n'est point jusqu'aux conseillers généraux qui n'aient obtenu trois mois de rabiot, que l'intérêt général exigeait évidemment. Ce phénomème, psychologique est 'de plus en plus commun, et il ne s'agirait que de commencer. Il y a à cet état d'esprit une double cause, qu'il faut déterminer exactement. D'abord, l'affaiblissement indiscutable, je l'ai dit, de la mystique républicaine et de la légalité constitutionnelle: forme de la crise du respect dont il faut prendre son parti. Ensuite, cette autre idée qu'il y a quelque chose au-dessus de la volonté du peuple, c'est la nécessité de poursuivre des œuvres sociales à l'abri de brusques changements. Idée de jeunes, de nouveaux, triomphe de cette doctrine de la primauté de l'économique. Abandon

ECONOMIQUES

Conférence de M. Theunis

Les événements, d'une importance exceptionnelle, qui ont marqué, le mois dernier, l'histoire monétaire de la France nous ont empêché de rendre compte à nos lecteurs de la Conférence faite le 7 juin, dans la salle de la Société de Géographie, par M. Theunis.

Cet exposé, dont on ne sait s'il faut admirer davantage la simplicité ou la profondeur, ouvre la série des conférences organisées à Paris, par le Comité économique international.

Encore un Comité, dira-t-on! Encore des paroles! La vie économique n'est-elle donc pas faite de plus d'actes que de discours?

Sans doute. Mais il faut voir que certains discours sont nécessaires aujourd'hui.

De quoi s'agit-il donc ?

Bien des Français, en 1928, ressemblent à ces habitants

de la Chine ancienne, qui croyaient que le monde s'arrêtait aux frontières de leur pays, et que l'ordre ou le désordre 'de la nature, le temps favorable ou contraire, l'abondance ou la famine suivaient la bonne ou la mauvaise administration du prince et ne faisaient que refléter sa vertu ou son incapacité.

Oublier l'existence des autres nations, attribuer aux pouvoirs politiques une puissance imaginaire, ne sont que les deux aspects d'une même erreur de jugement.

Peut-être, ailleurs, ce travers de l'esprit se rencontre-t-il comme chez nous. A chacun de le combattre chez soi. A nous de le voir clairement et de le redresser ici.

C'est donc un service que nous rendent des hommes éminents comme M. Theunis, lorsqu'ils viennent placer sous les yeux d'un public éclairé, ce qui devra le plus tôt possible être connu de tout le monde, mettre en pleine lumière les problèmes économiques internationaux et montrer, en particulier, la situation propre de leur pays.

Nous devons les accueillir avec reconnaissance, comme des hôtes et comme des amis. Telle est l'idée très simple qui a donné naissance au Comité économique international. C'est, à notre sens, une manifestation de modestie intellectuelle. Nous voulons apprendre de chacun ce que nous rougissons d'ignorer et qui n'est, pour lui, que le rudiment.

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Combien y a-t-il d'hommes, parmi nos concitoyens, qui sachent de la Conférence économique de Genève autre chose que son nom? En comptant bien, peut-être en trouverait-on quelques centaines.

Cependant l'Europe, vue de Sirius, est en pleine déca'dence. L'Amérique, l'Asie se développent plus rapidement que le vieux continent. Cette civilisation, née aux bords de la Méditerranée, étendue par la suite jusqu'aux rives de la mer du Nord, il semble qu'après avoir donné aux autres peuples, plus nombreux, et aux autres territoires, plus vastes, tout ce qu'elle avait créé, elle en vienne aujourd'hui à une sorte de vieillesse.

L'Europe est une région de civilisation avancée, dont l'administration est dans un état voisin de la barbarie. Il faut se procurer un passeport et perdre deux ou trois demijournées en démarches, pour aller à quelques heures de chez soi. Il faut à un producteur, pour un acte aussi simple que l'envoi de tonneaux de vin ou la vente de voitures automobiles, connaître vingt volumes de règlements en vingt langages. Encore les règlements sont-ils souvent inaccessibles, les nomenclatures discordantes et pleines d'embûches. Le résultat est que l'Europe ressemble à un cheval qui courrait le Derby avec un poids de cent kilos à chaque pied.

La gravité du danger reste ignorée de la plupart des hommes. Par ce temps de chemins de fer et d'avions, l'on şort de son coin, mais on garde l'œil fixé sur lui. On va vers l'horizon, mais le regard reste tourné en arrière. Pour le Français moyen, exporter est une hardiesse, presque une gageure, ou un pis aller. Connaître l'étranger, une anomalie. Et parmi les lois qui se font chaque année, cinquante sont des entraves, pour une qui est un stimulant.

Aussi, le nationalisme économique fait-il ses ravages,

dans une époque où c'est au continent tout entier qu'il fau drait appliquer la fable des membres et de l'estomac.

Un grand effort pourtant: Genève. Mais, au lieu d le suivre avec passion, la masse l'ignore. Et l'on attei presque à ce paradoxe, que cet effort est comme enferm dans un cercle, connu seulement de ceux qui le font.

D'où la nécessité d'une propagande. La grande press ne pourra entretenir le public de ces problèmes que lorsque le public lui-même en aura le désir. Il faut l'y préparer, pe à peu, par un lent rayonnement.

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M. Theunis fut le président de la Conférence économiqu internationale. Il fut aussi le Premier Ministre de Belgique et l'un de ceux, le principal peut-être de ceux qui eurent la tâche de surmonter les difficultés de la paix. Rien de plus! émouvant, dans sa concision, que le récit qu'il donne de l'œuvre d'après guerre.

Pays de transit et de commerce extérieur, la Belgique trouvait, à l'armistice, privée de toutes ses liaisons ave l'étranger. L'industrie détruite, 91 0/0 des wagons de mar chandises enlevés par les Allemands, le cheptel très dim nué il fallait à peu près tout refaire. Il fallait aussi rem placer les marks et ressusciter la monnaie nationale. D'o les budgets en déficit, les emprunts, l'inflation. A partir de 1925, au moment où l'horizon commençait de s'éclaircir, la crise de confiance, l'échec de la stabilisation au cours de 107 francs pour une livre sterling, une inflation nouvelle ; la consolidation de la dette flottante, le désordre de changes; enfin, la stabilisation à 175, la cession des chemins de fer à une Société privée, l'équilibre budgétaire, l'amor tissement organisé, la restauration économique.

Après ce tableau du passé, celui du présent et de l'aveni L'industrie est rétablie. Les exportations comprenne 57 0/0 de produits finis (au lieu de 38 0/0 en 1914) L'agriculture est prospère et d'un rendement élevé; si Belgique ne produit qu'un tiers du blé qu'elle consomme par contre elle exporte aujourd'hui du bétail et des œufs Le mouvement du port d'Anvers dépasse de 50 0/0 celui d'avant guerre. La balance des comptes est en équilibre.

Mais l'avenir dépend des débouchés internationaux. E 1913, 69 0/0 des exportations allaient aux quatre pays vo sins Hollande, Allemagne, France et Angleterre. E 1927, 57 0/0 seulement. Chiffres qui suffisent à montre l'importance des débouchés lointains.

Et ceci amène M. Theunis à traiter de ces vastes pro blèmes dont il a si heureusement dirigé l'étude à Genève, retracer l'histoire de la Conférence de 1927, à indiquer voie qui mène, à travers quelques méandres, au commerc plus libre, aux échanges plus faciles et plus abondants. Tra vail qui s'est poursuivi, depuis lors; conférence des prohi bitions, conférence des nomenclatures douanières, étude de entraves au commerce, bientôt conférence pour la suppres sion des doubles impositions. Enfin, depuis un an, multiplica tion des traités de commerce.

Sans doute, la Belgique, comme l'Angleterre, est-elle

par la structure même de son économie, orientée d'une manière particulièrement nette vers le commerce international et vers la liberté des échanges.

Mais, à y regarder de près, la France n'est pas moins intéressée à ce vaste mouvement d'idées qui commence déjà 'de se traduire dans les faits. La France n'est pas, comme l'Angleterre ou la Belgique, dans la nécessité d'importer la plus grande partie des vivres qu'elle consomme. Mais elle est un pays de transformation industrielle, grande importatrice de matières premières, grande exportatrice de produits fabriqués.

C'est, d'ailleurs, un fait, que le commerce extérieur de notre pays est, dans l'ensemble, en plein développement, que des progrès certains et considérables ont été accomplis depuis 1914 dans notre outillage et dans notre production.

Nous avons cessé d'être repliés sur nous-mêmes. Il faut que cette vérité pénètre dans la pensée de tous les Français. Sans vanité, mais avec un grand plaisir, nous avons entendu un ami de la France nous la dire avec toute sa sympathie. Mais l'avenir se refermerait d'une manière brutale si nous n'avions pas, aussi profond que M. Theunis, le sentiment de l'interdépendance des peuples, et le désir des solutions larges qu'appelle aujourd'hui l'économie internationale.

IDÉES Sur l'amitié

MAX HERMANT.

< L'hymen n'est pas toujours entouré de flambeaux », dit Hippolyte à Aricie pour l'engager à un mariage clandestin. Il est également des gloires voyantes et d'autres plus discrètes, non moins sûres, familières et dont on ne craint point d'oser faire sa compagnie. M. Abel Bonnard est de ces auteurs qu'on élit et cultive dans le secret. Trop de Français retenus par l'éclat des vedettes littéraires ignorent que c'est un écrivain exquis. C'est œuvre pie de le leur apprendre.

M. Albel Bonnard s'est révélé au public par des poèmes. J'ai des sentiments particuliers sur la poésie et je l'aime mieux prosateur. Souvent, pas assez souvent, les lecteurs des Débats ont pu se délecter à ses chroniques. Il a écrit un Eloge de l'Ignorance où apparaît tout le prix du savoir. Il semblait prédestiné par son génie aimable à parler de l'Amitié (1).

Cette vertu, infiniment précieuse et rare, il commence par la 'distinguer de l'habitude et la montrer moins commune que ne la présente un nom avili. Il est peu d'indifférents qu'on ne traite 'd'ami à la deuxième rencontre. D'autre part, nous tenons aux autres en fonction de nous-mêmes et nous regrettons surtout, dans ceux qui nous manquent, les services qu'ils nous rendaient.

(1) Ces deux volumes chez Hachette,

Nous n'aimons ni à dépeupler notre paysage moral, ni à raréfier notre atmosphère. Que dis-je ! pour le méchant même il faut un aliment à sa haine et il doit garder une certaine dilection aux malheureux qui lui permettent de l'assouvir. Un ami, pour nombre d'inquiets c'est tout simplement un compagnon de misère.

La véritable amitié demeure gratuite. Ne cherchons pas trop comment elle naît: le cœur comme la raison a ses raisons secrètes et se heurte vite à l'irrationnel. Mais ici s'impose une double convenance : celle de la morale et celle de l'esprit. On a dit avec à propos qu'un tel sentiment ne pouvait naître là où ne se trouve point l'estime, il est vrai aussi que le commerce de l'intelligence en reste le grand attrait. Aussi a-t-il fleuri aux époques où la civilisation s'est élevée le plus haut. On sait ce qu'il fut pour des Romains ou des Grecs. M. Abel Bonnard semble apprécier à cet égard notre temps sans optimisme. « Dans une société ramenée à des conditions rudimentaires », écrit-il, << l'amour subsiste parce qu'il est lié au physique, mais il se simplifie et s'abrège; l'amitié disparaît. Il peut y avoir encore des groupes de gens qui se voient souvent, unis par les mêmes habitudes ou forçats des mêmes plaisirs. Il peut encore exister des affections. Il se formera surtout des alliances, d'autant plus nécessaires que la vie devient plus dure et plus difficile. Mais dans un monde sans élite, il n'y a plus d'amitiés. »

Ce qu'elle est surtout, cette amitié, c'est une élévation. Une égalité parfaite, le rang social aboli ou employé discrètement au bon usage des parties, un respect mutuel de soi, une affection profonde, une pleine liberté d'esprit, l'idée que l'élu ne saurait déchoir. M. Abel Bonnard a ici une vue ingénieuse. Les caractères s'affrontent, établit-il, surtout quand ils sont mauvais, non point les idées. Un homme cultivé sait que la personnalité consiste à voir les choses, précisément, d'une manière propre et ne s'offusque point s'il rencontre une contradiction dès lors nécessaire. Le conflit des idées devient l'occasion de faire de belles armes » ou de tâcher de tirer au clair une question épineuse. Le vulgaire ne conçoit point cela. Il ne comprend pas qu'on puisse comprendre autrement que lui. Il veut réduire ce qui résiste. Politique, philosophie, littérature, c'est prétexte à son « moi » pour combattre un autre moi. <<< Les hommes », dit M. Bonnard, « ne se disputent point parce qu'ils ont des opinions contraires : ils ont des opinions contraires pour pouvoir se disputer. »

L'amitié rassemble des égaux, mais seulement parmi les supérieurs. Elle ne s'accommode de rien de bas ou de douteux; elle met en valeur le plus haut de l'esprit et, dans le cœur, touche au point d'extrême finesse. Elle parfait l'être intellectuel ou moral et l'on peut dire d'un homme qu'il n'a pas été complet tant qu'il ne l'a pas connu.

Elle dépasserait l'amour pour se dépouiller de toute équivoque et nous mieux définir. « Tandis qu'un des plus grands bonheurs de l'amour », écrit M. Abel Bonnard, « consiste à fondre enfin notre moi dans la vie universelle, celui de l'amitié consiste, au contraire, à nous porter à la plus haute pointe de la vie individuelle. » Par elle, si quelqu'un nous demeure nécessaire, c'est pour nous accroître, non pour nous troubler ou nous diminuer. << Il est certains printemps de nous-mêmes », conclut le moraliste « que nous ne pouvons connaître que par l'intervention d'un autre être et, autour des palais que nous avons bâtis, il est divin, alors, de voir éclater des jardins qu'il ne dépendait pas de nous de faire fleurir... »

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