Imágenes de páginas
PDF
EPUB

4

[blocks in formation]

Compte rendu.

M. Emile Mâle, en venant prendre séance à l'Académie française la semaine dernière, a prononcé le tra ditionnel éloge de son prédécesseur, le poète Jean Richepin.

S'il parla, et fort bien, de son œuvre, il fut assez embarrassé, par contre, pour évoquer l'homme lui-même, pour l'excellente raison qu'il ne l'avait pas connu. Il le dit expressément :

« Je n'ai malheureusement pas connu mon prédéces teur, et je ne puis vous citer aucun de ces traits, aucun 'de ces mots qui font vivre une physionomie. »

C'est ce que le Matin a ainsi traduit :

« Après avoir rappelé l'amitié qui le lait à l'auteur 'de la Chanson des gueux, M. Emile Mâle a fait un bel 'éloge du poète disparu. »

Asymétrie.

Il y a des gens qui ont du temps à perdre. Un de nos contemporains s'est amusé à examiner la Vénus de Milo 'du point de vue anatomique ; il a constaté que ses yeux et son nez ne sont pas symétriques, étant déviés à gauche 'de sept millimètres. On ne s'en serait pas douté.

Il a généralisé ses recherches sur l'espèce humaine, et, 'de ses mensurations, il résulte que chacun de nous a un bras plus long que l'autre ou une jambe plus courte. Nous sommes tous asymétriques. Il ne nous manquait plus que ça.

L'idylle au balcon.

Dans le Haut-Adige, il est une tradition charmant l'idylle au balcon.

Lorsqu'un jeune homme est amoureux, il va faire u sérénade à sa belle, en compagnie de ses camarade puis, il revient tout seul sous les fenêtres de l'ador appuie une échelle contre le mur et va lui conter fl rette bouche à bouche, au clair de lune.

Le podestat de San-Giovanni vient d'interdire ce. coutume, au nom de l'hygiène et de la morale.

Passe encore pour la morale, bien que la lune en vu d'autres; mais croyez-vous qu'on puisse plus fac ment attraper un rhume lorsqu'on est perché sur L échelle ?

Ce podestat est un méchant homme.

Avis de naissance.

Les avis de naissance, tels que nous les trouvons dr les carnets mondains de nos journaux, n'offrent guère diversité de rédaction et leur lecture n'est pas destinée amuser. Il n'en est pas de même dans les journaux langue anglaise, où des notes très personnelles réserve souvent bien des surprises.

Tout récemment, un ménage annonçait la naissance sa quatrième fille, qu'il faisait suivre de cette remarque << la commisération serait déplacée ». Un autre pub qu'il vient d'avoir « encore un fils » et un autre proclai qu'il lui est né « la plus chère et la plus charmante peti fille ».

La gloire.

[ocr errors]

Il y a plus d'un an que Lindbergh réussit la travers de l'Atlantique. L'enthousiasme provoqué par son exple n'est pas éteint pour cela.

Tout récemment, il s'est rendu au Mexique, où il a honoré et fêté comme il convient.

Plusieurs cafés ont changé leur enseigne pour se bas tiser: « Café Lindbergh ». L'un d'eux a même eu l'id de créer un « cocktail Lindbergh ».

Qu'en pense, cependant, Lindbergh lui-même, qui est on le sait, un partisan déterminé du régime see?

Testament.

Il y a un siècle, mourait non loin de Londres, à Bethna Green, un charpentier du nom de Georges Tennant.

Il léguait aux autorités municipales près de 2.500 f de rentes pour entretenir deux barbiers qui auraien pour mission expresse de faire la barbe aux paroissien, les plus pauvres tous les samedis soir, afin de leur per mettre d'assister au service divin le dimanche.

George Tennant était bien téméraire en préjugeant de préférences du Seigneur pour ce qui est du port de barbe ou de la moustache.

Exigez la marque

PHOSPHATINE FALIÈRES

(Nom dépose). Aliment inimitable.

[graphic]

AFFAIRES EXTERIEURES La crise égyptienne

Il faut revenir aux affaires d'Egypte. Elles sont loin de ne présenter qu'un intérêt anecdotique.

Sur les bords du Nil en effet se joue présentement une partie qui peut être décisive pour l'avenir de l'Empire britannique.

Selon que les Anglais parviendront ou ne parviendront pas à maintenir intact là-bas l'essentiel de leur domination, la vaste chaîne qui enserre le globe, et dont les bouts sont à Londres, demeurera rivée ou se disloquera.

Le gouvernement britannique le sait bien qui, en dépit de son désir de complaire au cabinet de Washington, a posé une condition à son acceptation du pacte contre la guerre proposé par M. Kellogg: le maintien de sa pleine liberté d'action en Egypte.

[ocr errors]

L'affaire a d'ailleurs, sur un plan qui n'est plus uniquement politique, une portée qui dépasse de loin les frontières égyptiennes : il s'agit de savoir comment le verbalisme ou si l'on veut l'idéal wilsonien, dont les alliés ont un peu abusé pendant et après la guerre, peut s'accorder avec les nécessités de l'action occidentale dans le monde telle qu'elle s'est poursuivie à travers le XIX siècle et le début du XX®.

Dans le cas précis de l'Egypte, il s'agit de savoir si et comment les nécessités de l'Empire britannique peuvent s'accorder avec l'indépendance théoriquement accordée au pays par l'Angleterre en 1922.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

(C'est un aspect assez curieux et non négligeable de la politique orientale contemporaine que cette entente tacite des puissances protectrices et des princes protégés ; les éléments nationalistes et antioccidentaux sont au contraire en même temps antimonarchistes, républicains et souvent bolchevisants: cela se vérifie en Egypte, aux Indes anglaises, dans les Indes néerlandaises, voire jusqu'à un certain point en Tunisie et au Maroc.)

Bref, le haut-commissaire britannique et le roi d'Egypte semblent s'être entendus pour jouer un tour plus que désagréable au premier ministre Nahas pacha.

Le 24 juin, certains journaux du Caire, bien en cour au Palais, publiaient un document singulièrement compromettant pour Nahas et pour deux de ses collègues, appartenant comme lui au parti nationaliste. Aux termes de ce document, il apparaissait que les trois ministres, tous trois avocats de profession, avaient obtenu d'un de leurs clients, le prince Ahmed Seiffeddin, la promesse d'honoraires proportionnels aux résultats d'un procès en cours (stipulation absolument contraire aux usages du barreau). De plus, le trois hommes d'Etat s'étaient engagés à user de leur influence politique pour assurer le vote d'un projet de loi transférant aux tribunaux ordinaires les causes intéressant les princes, causes actuellement réservées à la connaissance d'un tribunal spécial.

Ces révélations firent scandale. Et la partie de l'opinion égyptienne sur laquelle le Haut-Commissariat britannique a des moyens d'action réclama la démission immédiate du cabinet Nahas pacha.

Le premier ministre voulut tenir tête.
C'est alors qu'intervint le roi Fouad.

Sa médiocre sympathie à l'égard des nationalistes mise à part, le souverain d'Egypte a des raisons personnelles de ne pas vouloir de bien aux défenseurs du prince Ahmed Seiffedin.

En 1898, en effet, ce dernier blessa d'un coup de revolver, dans un club du Caire, celui qui n'était encore que le prince Fouad, mais qui est le roi actuel.

Reconnu irresponsable, il fut embarqué pour l'Angleterre et interné dans l'asile d'aliénés de Ticehurst.

Cependant sa fortune, considérable, était mise sous séquestre.

En 1925, le prince parvint à s'évader et se réfugia d'abord en France, puis à Constantinople. C'est alors qu'il intenta, pour être autorisé à rentrer en Egypte et pour recouvrer ses biens, ce procès dont il confia le dossier à des hommes politiques en vue appartenant au parti nationaliste.

Inutile de dire que le roi Fouad ne tient nullement à revoir en Egypte ce cousin qui manqua jadis l'assassiner.

Aussi les autorités britanniques n'eurent-elles guère de peine à suggérer au souverain de prendre prétexte de l'incident pour se débarrasser du cabinet nationaliste.

Les deux ministres libéraux ayant spontanément donné leur démission, le roi Fouad fit un petit coup d'Etat : il écrivit, voici une huitaine de jours, à Nahas pacha une lettre invitant le cabinet tout entier à se démettre et lais

[graphic]

sant entendre que lui, Nahas pacha, depuis les révélations de la presse, n'avait plus l'autorité nécessaire pour présider un ministère.

Au point de vue de la lettre constitutionnelle, la démarche du roi apparaissait correcte; du point de vue de la pratique parlementaire, elle était au moins anormale (elle peut exactement se comparer au geste du maréchal de Mac Mahon renvoyant, le 16 mai, le ministère Jules Simon).

Le parti nationaliste protesta véhémentement, mais il fallut bien s'incliner. Nahas pacha et ses collègues se démirent. Et un ministère assez incolore vient d'être constitué.

Ce ministère n'obtiendra certainement pas de l'Assemblée législative un vote de confiance, et celle-ci se verra vraisemblablement dissoute.

Il apparaît probable que les électeurs égyptiens renverront siéger une majorité au moins aussi nationaliste que la précédente,

Que fera alors le roi Fouad ? Ce gros homme placide et non dépourvu de finesse vient de s'engager dans une route difficile.

Il y sera soutenu par les Anglais qui semblent bien déci'dés, pour garder le contrôle de l'Egypte, à renoncer au besoin à la fiction d'indépendance imaginée en 1922.

Le scandale Nahas pacha qu'ils ont certainement contribué à grossir les sert. Non pas tant aux yeux des Egyptiens qui n'en seront pas moins nationalistes après qu'avant, mais aux yeux de l'opinion européenne et américaine. Cette anecdote tend en effet à prouver que les classes dirigeantes de l'Egypte n'ont pas encore atteint un degré de moralité civique suffisante pour qu'on puisse sans inconvénients graves leur confier intégralement le gouvernement slu pays.

C'est d'une présomption analogue que les Etats-Unis se sont servis et se servent pour justifier leurs interventions à Cuba, à Saint-Domingue, en Haïti, au Nicaragua, par tout enfin où leurs soldats ont été défendre à la fois les intérêts d'une « morale supérieure » et ceux des financiers de Wall Street.

Ce procédé justificatif est assez spécifiquement anglosaxon. Il ne manque d'ailleurs pas d'un certain fondement.

Il est certain qu'Haïti et il est probable que l'Egypte seraient dans un état voisin de l'anarchie si les soldats yankees ou britanniques n'y montaient la garde.

Mais et nous revenons à la question posée plus haut cette méthode découle directement de la théorie de la hiérarchie des races » et elle est en opposition flagrante avec l'évangile du « droit des peuples à disposer d'euxmêmes » et de « l'égalité des nations », tel qu'il a été préparé par les révolutionnaires français et promulgué par Wilson.

Redoutable dilemme qui, selon toute vraisemblance, 'dominera, au cours des années qui viennent, une bonne partie de l'histoire du globe.

JACQUES CHASTENET.

AFFAIRES INTERIEURES

Le redressement parlementaire

ou le malentendu dissipé

Nous allons reprendre, avec les vacances, la sérénité des considérations objectives. Mais, une dernière fois, examinons les événements politiques immédiats.

La Chambre clôt sa session après avoir fait une politique meilleure que ses premiers actes, un peu incohérents, ne semblaient permettre de l'espérer. Elle s'est donc disciplinée plus tôt qu'on eût pu croire, et elle a donné assez rapidement, après d'inquiétants débuts, des preuves soudaines, mais bienvenues, de sagesse, de bon sens et de méthode.

:

Le gouvernement, en effet, se trouvait en butte à deux difficultés la défiance hostile du centre droit, et la réserve non moins hostile de la gauche. Il semblait difficile, dans ces conditions, qu'il pût poursuivre l'œuvre entreprise avec l'énergie nécessaire, et il ne pouvait durer, en quémandant sans relâche des crédits de confiance conditionnelle. Une étape comme celle de la stabilisation n'est point le terme d'une politique, et rien n'eût été plus périlleux que de poursuivre la politique nécessaire avec des majorités de hasard, contradictoires et incertaines, auxquelles il eût fallu sans cesse sacrifier. Un gouvernement oscillant entre des courants hostiles, contraint de les apaiser ou de louvoyer entre eux peut durer: il s'interdit toute œuvre solide déceptions qu'il provoque la confiance même du pays, qui est et toute continuité, et perd peu à peu par son inaction et les

la base de son action.

Le gouvernement a fait connaître qu'il ne pourrait garder le pouvoir sans une confiance massive et résolue, et la Chambre a compris les responsabilités qu'elle encourrait devant le pays en provoquant le départ de ce gouvernement au lendemain de la stabilisation. Ce départ, et l'incertitude politique, et les aven tures et les désastres possibles, le pays ne les eût point pardonnés M. Poincaré a senti admirablement qu'il était invulnérable, de par la volonté du peuple, et il a puisé dans cette certitude une force et une énergique clarté, qui lui a permis de triompher de tous les obstacles.

Le malentendu avec l'aile droite de sa majorité paraît avoir été le plus aisément dissipé. A vrai dire, ce malentendu était léger: sa gravité venait de ce qu'il était aggravé à dessein par des conseils et des insinuations perfides, et qu'il a suffi aux groupes libéraux d'un peu de clairvoyance et de raison pour éviter le piège qui leur était peut-être tendu. Sans remanier son ministère, le chef du gouvernement avait marqué par l'adjonc tion d'un sous-secrétaire d'Etat pris parmi les personnalités les plus respectées et les plus éminentes du centre droit, qu'il reconnaissait le léger glissement qui avait déplacé vers ce centre droit la proportion numérique des groupes. Par ailleurs, les échecs des modérés dans les élections au scrutin secret étaient imputables à une erreur initiale de ces modérés, et nullement au gouvernement. Ils avaient, dès les premiers jours, voulu une bataille politique dont le résultat leur interdisait désormais de surévaluer leurs forces. Tel groupe centriste, par dépit de ces erreurs,

par une excessive nervosité politique et peut-être par fausse conception de son rôle, avait aggravé le malaise, mais il avait, lui aussi, puisqu'aussi bien chacun paraît revenir à la sagesse, sans doute reconnu son erreur, et l'avenir s'était éclairé. Dans le grand débat politique, M. Poincaré avait donné à cette aile de sa majorité des satisfactions qui passaient ses espérances, et il avait tenu à reconnaître avec quel esprit de sacrifice la presque totalité du centre droit avait fait, lors du vote sur la stabilisation, abnégation de son sentiment personnel et de sa doctrine proclamée. Il avait donc refusé de se prêter à des suggestions de concentration limitée, et déclaré qu'il ne poserait pas de poteau frontière dans la majorité républicaine. Il avait ainsi donné à la formule « concorde républicaine » le sens d'<< union é nationale» sans limitation ni réserve et proclamé par surcroît que sa fidélité réciproque était acquise à la majorité qui lui serait fidèle sans condition. Un courant de confiance mutuelle paraît donc établi de ce côté, où tout malentendu semble, pour le moment du moins, dissipé.

Plus délicate était l'opération à gauche. Il est bien entendu que, si les radicaux-socialistes avaient refusé en bloc, et simplement en majorité, leur confiance, les ministres radicaux eussent été en fâcheuse posture, contraints peut-être de démissionner, et c'eût été la rupture de l'union nationale et même de la concorde républicaine » entendue comme il faut l'entendre. Le chef du gouvernement eût peut-être trouvé une majorité, da'illeurs précaire et pas très homogène, sans cette aile gauche. Mais il eût été fondé à déclarer que la politique de e violence et d'opposition avait retiré à son œuvre son caractère d'union nationale, et qu'il ne pouvait poursuivre cette œuvre dans de semblables conditions. Il n'avait pas tort de penser que les responsabilités de cette éventualité inspireraient les plus salutaires réflexions, et il pouvait s'en tenir énergiquement dès lors, aux principes qui avaient servi de base à ses précédentes déclarations, sur l'équilibre fiscal, la politique d'apaisement en Alsace, et les droits de l'Etat en face des fonctionnaires. Bien plus, il était sûr de grouper une majorité massive sur un ordre du jour approuvant expressément et sans réserves ses précédentes décla=rations. A vrai dire, les radicaux-socialistes, dont la presque unanimité a voté l'ordre du jour de confiance, ne l'ont pas fait, sinon sans réserve, du moins sans explications. Il est concevable que la rupture assez brutale avec ceux qui furent hier les alliés I de beaucoup d'entre eux leur ait été douloureuse, et ils n'ont jamais caché qu'il leur était pénible de collaborer avec des groupes qu'ils n'estiment pas imbus du véritable esprit républicain. Evidemment, ce n'est point en vingt-quatre heures que l'on transforme sa mystique. Plus grave serait, à l'examen, la déclaration aux termes de laquelle la confiance radicale n'est point accordée inconditionnellement et sans limitation de délai. Mais = l'important était que cette confiance fût acocrdée pour le moment I et presque à l'unanimité. Le parti radical socialiste souffre assurément d'une crise doctrinale et d'un malaise de tactique, que son prochain Congrès devra résoudre. Il eût été fâcheux, par un geste hâtif et irréparable, de préjuger des décisions de ce Congrès d'Angers, qui peuvent, qui doivent être intéressantes. Et il est excellent aussi d'avoir réalisé cette patriotique et sage unanimité à la veille des vacances, toujours salutaires par les Contacts qu'elles établissent entre les électeurs et l'élu.

Aussi bien, n'avoir pas prolongé sa session est peut-être, pour la Chambre, la meilleure preuve de sagesse et de méthode qu'elle pouvait donner.

Le plus grave des malentendus du début était dans la position de jeunes, impatients, en face d'aînés insuffisamment peutêtre philosophes et conciliants. Dans tous les partis existe ce

[merged small][merged small][graphic][merged small]

:

Il est difficile d'assurer que notre époque soit moins gaie qu'une autre, encore que ce soit l'avis de tous les gens qui ont un peu d'âge et d'expérience mais on peut les récuser attendu que le passé semble toujours plus riant que le présent, et parce que personne ne saurait administrer les preuves de son jugement, en une matière si subjective. En tous cas, une remarque est facile à faire, c'est que la gaîté semble s'industrialiser; on l'exploite de façon méthodique et rationnelle. En littérature du moins, où depuis quelques années, on ne voit que recueils d'anas, manuels de commis-voyageurs, répertoires de tables d'hôte, almanachs du plaisantin, et autres beaux ouvrages.

La tradition en est vieille; les anthologies de fabliaux, de << facétieux devis » ou de « bons contes » ne se comptent pas aux siècles fortunés de notre histoire. Les Ecraignes dijonnaises de Tabourot des Accords en sont un exemple. fameux, et Rabelais y a beaucoup puisé, comme firent après lui tous les romanciers libertins ou prétendus réalistes. Si je cite ces garants, c'est pour rattacher ce genre de livres à la littérature, qui les revendique souvent à bon droit. A l'époque moderne, on est devenu difficile, c'est-à-dire blasé. Le bagage de la drôlerie écrite n'est pas infini. Le genre vit de plagiats, d'imitations, de monotonie. De plus, au moins depuis le romantisme, la littérature est montée sur ses grands chevaux; elle est sérieuse en diable et ne connaît que ses devoirs, ses responsabilités, sa dignité. C'est fort bien ainsi, et cela n'a pas peu contribué à son avancement.

Mais on peut se demander si le rire a pour domaine réservé les tréteaux du théâtre ; et si, désormais, la veine comique est vraiment épuisée dans les livres. Il y a encore, en fait de lettres, des livres de fantaisie ou d'humour. Il n'y a plus de livres bouffons. On n'ose qu'à peine faire figurer dans l'histoire littéraire les contes grivois et scatologiques que le pur poète Armand Silvestre écrivait, il y a trente ans; on ne cite guère que pour mémoire les livres d'Alphonse Allais et de Willy, qui ont exercé, cependant, une influence énorme sur les littérateurs » ;- au point qu'il «

y aurait sur ce propos une belle thèse de doctorat à composer. Et, aujourd'hui, on a du mal à énumérer les auteurs comiques qui méritent d'être conservés sans déshonneur. Spécifions toujours qu'il s'agit d'auteurs comiques « à la française », c'est-à-dire, en somme à la gauloise. Parmi eux, le seul immortel s'appelle Courteline.

M. Curnonsky fait, cependant, figure dans cette troupe; naturellement, il ne s'appelle pas Curnonsky, mais Sailland et il est même angevin. Cur non? Why not? ce sont devises altières d'explorateur intrépide ou de farceur audacieux. Quant à son collaborateur, J.-W. Bienstock, dont le nom fait un bruit d'abeilles, comme on eût dit chez les bons symbolards, il est Russe et Israélite; c'est un compilateur patient et spirituel. Bienstock veut dire la ruche; peut-être représente-t-il tout un atelier. Cela ne lui enlève pas de mérite, car le maître d'oeuvre compte seul. De toute façon, cette alliance franco-russe, comme disent lesdits alliés, a 'été féconde et spécifiquement destinée à utiliser le vieux fonds national. Les recueils déjà publiés de MM. Curnonsky et Bienstock servent en quelque sorte de catalogue aux anecdotes et plaisanteries gauloises de tout temps et 'de toute province. Les titres en sont charmants : le Wagon 'des fumeurs, le Livre de chevet, le Musée des erreurs, le Bonheur du jour, le Magasin de frivolités, etc... Comme la propriété littéraire se montre ici peu surveillée ou peu jalouse, on trouve dans ces livres la matière de tous les recueils spéciaux publiés ailleurs, on y trouve aussi du désordre, qui ne messied pas. Cela ne se lit point, ne se feuillette même pas, cela se consulte. Aussi était-il curieux d'attendre les auteurs à une œuvre suivie, à un roman.

Leur Café du Commerce (1) est un roman bel et bien, avec une intrigue solide, voire grosse comme un câble, et un scénario aimable et nonchalant. Il s'agit de la découverte de la France, par un journaliste américain ! En somme, le même propos que les conteurs du XVIII° siècle ont utilisé pour des Hurons, des Persans, des Amabed, des Amazan et autres compères de revue bénévoles. Cette fic(1) Albin Michel.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

tion-ci a l'avantage d'être fort plausible et actuelle, et de toucher même à la politique, à l'ethnologie, à la sociologie, dont M. Curnonsky ne se prive pas. Son dessein est déjà piquant. Il s'agit de révéler à un étranger la vraie France, la France de province, la France éternelle, qui, après la guerre, ressemble à ce qu'elle fut avant, une bourgeoisie découronnée, un peuple embourgeoisé, un grand contentement de soi, une idéologie et une verbomanie incurables, mais presque inoffensives, au demeurant la nation la plus stable et la plus paisible du monde. Rien que cette conception mérite de faire lire le Café du Commerce.

Notez qu'en plus humble, c'est un peu l'Orme du mail, et qu'en fait cela y ressemble beaucoup... La ville de Brineau-sur-Loire, « centre de tourisme très important. Patrie de Saint-Rablay, du jurisconsulte Bobinard (15171599), du peintre Liénard (1670-1747), du céramiste Longin (1640-1735), du maréchal Gouillon, duc de Campo-Formio, du romancier Goyer-Labrosse, et du tribun Hégésippe Vadrouillot..., cette cité est tellement emblé matique qu'elle est comme réelle, et que les habitués de son Café du Commerce n'ont guère moins d'existence que Bouvard et Pécuchet. Vous pensez bien que leurs actes ne sont pas historiques ou plutôt ils le sont d'autre manière, de manière plus sûre peut-être que les actes historiques : leurs discours ne sont pas mémorables; mais si on les ignorait, on ignorerait la réalité vulgaire, qui est presque toute la réalité. Si vous croyez les avoir rencontrés ailleurs, c'est qu'en effet, ils existent à quelques millions d'exemplaires ; depuis le caissier Redoublot jusqu'au sous-préfet Mardochet, qui est un parent pauvre de feu M. Worms-Clavelin.

Bien entendu, cette histoire privée et publique sert à caser un grand nombre de bons mots et d'épisodes grotes ques dont la vertu ne sera épuisée que lorsque la France sera morte. Il en est d'ailleurs de superbes. Par exemple, l'épicier Pécherain avoue : « Moi, j'enrage quand je vois des robes noires: je suis hydroprêtre ! » Par exemple aussi, la fête de la Sous-Préfecture mérite de rester comme un morceau classique, étant elle-même formée de morceaux classiques. Vous y trouverez le texte inappréciable de quel ques romances: « Prière d'une poitrinaire », « Le ramoneur et le moineau », « Elle se vend en détail », qui sont parmi les chefs-d'œuvre de la bouffonnerie, la plus belle, l'inconsciente... Vous y trouverez aussi un numéro supposé de journal: l'Impartial de Brineau, qui peut servir de mo dèle à tous les gazetiers de province; lisez surtout les faits divers, les chroniques politiques et l'arrêté de M. le Maire de Chazé portant établissement d'une maison de tolérance... Ainsi déguisée et tempérée par les besoins d'un récit vague ment romanesque, l'érudition gauloise est une chose très supportable et même très agréable. D'ailleurs, ne doutez pas qu'elle ne soit farcie de littérature.

Car dans notre pays, rien n'est plus spontané, ni instinctif, ni populaire, même les livres destinés au populaire. Et cela vous explique qu'il ne pousse plus d'épopées depuis longtemps sur ce malheureux sol. Dans le Café du Commerce, des blagues de potache sont glissées sournoisement, des vers tout entiers de Racine sortent des lèvres de la caissière, comme de celles des héroïnes de Pierre Benoît. Et il y a

« AnteriorContinuar »