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suivie par Daniello et Jonny. Et nous assistons à une scène sentimentale chez Max, à une séance de T. S. F. qui permet à Jonny de « repérer » le son de son violon, à la classique fuite en automobile dudit Jonny déguisé en chauffeur, au suicide de Daniello, écrasé par une locomotive, au départ d'Anita avec Max qui saute au dernier moment dans un train en partance, puis à une singulière apothéose où une foule de danseurs envahit la gare et, sans prétexte apparent, se livre aux accents de jazz et du violon de Jonny, à une frénétique sarabande ! Ce doit être, j'imagine, la clef philosophique de l'oeuvre. Sur ce scénario de cinéma, M. Kreneck a écrit une musique qui a paru manquer fâcheusement de verve, de spontanéité et de personnalité. On y salue au passage bien des influences hétéroclites, et on y éprouve les effets d'une invention mélodique de médiocre aloi, bien que l'écriture instrumentale soit en général plus soignée que de coutume en l'occurrence, et indique la main d'un musicien au fait des secrets matériels de son art et des procédés en usage par le temps qui court.

Mme Jefferson-Cohn, bien jolie et et délicieusement habillée, surtout au premier acte, Mlle Cecilia Navarre, accorte soubrette; MM. Francell, Georges Petit, Smirnow, ont fait de leur mieux pour défendre l'œuvre devant un public à vrai dire surtout gouailleur ou indifférent. Les grandes passions, les grandes hostilités, les batailles, ne sont plus hélas ! guère le fait de sa politesse résignée, ou prudente. Avec son habileté et son soin habituels, M. D.-E. Inghelbrecht dirige l'orchestre et l'ensemble de la représentation. Une mention spéciale à l'intelligente mise en scène et aux superbes décors du professeur Steinhof qui nous apportent, en cette soirée, plusieurs réalisations de choix, comme l'arrivée et le départ du train dont ne manqueront pas de s'inspirer, j'imagine, maints techniciens de chez nous. Et à ce point vue au moins, ce Jonny n'aura pas été inutile!

Ballets de la Argentina

(Théâtre Femina)

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Je vous ai déjà maintes fois parlé de Mme Argentina et de ses « concerts de danse ». Nulle mieux qu'elle aujour'd'hui par la grâce nerveuse de son corps, l'harmonie naturelle de ses gestes, la justesse absolue et si rare de son sens rythmique, le goût raffiné et somptueux de ses costumes, le vivant langage surtout de ses incomparables castagnettes, - qui ont toutes les ardeurs, toutes les subtilités, ne peut évoquer devant nous l'atmosphère véritable de son pays natal. C'est encore toute l'Espagne, que la prestigieuse artiste nous rend, en ces soirées du Théâtre Femina, où elle a su réunir autour d'elle une troupe de danseurs, de guita- | ristes, choisis avec le plus sûr discernement. Un bref ballet, fort agréable, de M. Ernesto Hallfter: Sonatina, un tableau musical, le Contrebandier empreint de la plus authentique saveur de terroir, quoique instrumenté avec quelque lourdeur par M. Oscar Esplà, une série de danses célèbres d'Albeniz, de Granados un Cuadro Flamenco, réglé suivant toutes les règles sévillanes, constituent le spectacle nouveau qui, cette semaine, a fait courir tout Paris.

Aux côtés de l'inspiratrice et de la première triompha

trice de ces représentations, il serait injuste de ne pas louer la frénésie juvénile de Mlle Carmen Joselito, la souplesse gracieuse de Mlle Lolita Mas, la voix si expressivement gutturale de Mlle Blanca Minundo, le rythme vivant de MM. Martinez, Gollego, Viruta, les décors et les costumes ensoleillés de Salvator Bartolozzi, le zèle du petit orchestre de M. Lauweryns, les frémissements fièvreux ou alanguis des guitares de MM. Montoya et Relampago. En vérité, l'âme même du peuple espagnol, avec ses élans irrésistibles. ses soudaines nostalgies, son indicible fierté, a surgi devant nous, grâce aux sortilèges de Mme Argentina...

Une inauguration
Spectacles de fin de saison

Sans doute, les plus pures intentions de principe ont-elle inspiré l'initiative des directeurs de l'OPÉRA-COMIQUE quand ils ont décidé de convier le public et la critique l'inauguration du buste de Gabriel Fauré dans le grand foyer de la Salle Favart. Mais il faut bien reconnaître que rien n'a été fait pour donner à cette manifestation le reten tissement digne de la mémoire d'un grand musicien, qu n'est pas encore à sa vraie place dans le culte respectueux des artistes. Pourquoi n'avoir pas attendu l'époque plu favorable de l'automne pour préparer une Journée Faure à l'Opéra-Comique, où Pénélope, soigneusement remist au point sous le double rapport de la mise en scène et d l'interprétation musicale eût été représentée en soiré tandis qu'en matinée un concert consacré aux œuvres du maître eût été organisé avec le concours d'interprètres illus tres et autorisés de la pensée de Fauré, dont les noms sort) présents à nos mémoires et qui auraient certainement, pres sentis d'avance, considéré comme un honneur et un devoir de participer à cet hommage solennel. On s'est borné organiser à la hâte une séance de chant et de musique de chambre, au programme singulièrement composé, avec le concours de certains artistes de la troupe habituelle du théâtre, qui à l'exception de MM. Bourdin et Dupré, inter prètes émus de l'Horizon chimérique et du Cimetière, ne semblaient guère se douter qu'une mélodie de Fauré ne se chante pas comme un air de bravoure, et que cet art subt et profond ne se prête guère aux gros effets, et aux rubatos intempestifs ! Tout cela se passait devant une salle à moitié vide, devant un public clairsemé où l'on comptait à peine quatre compositeurs dont pas un seul n'était l'élève direct du maître, quelques critiques, quelques amis fidèles. Pas un seul représentant officiel ou officieux de l'Ins titut et du Conservatoire qui pourtant avaient, j'ima gine, été conviés, n'arriva, même en fin de séance pour assister à l'inauguration du buste auquel on aurait su gré de nous représenter le maître autrement que déjà miné par le mal, - et pour applaudir aux paroles pourtant émues et justes, de M. le ministre de l'Instruction publique! Il y a quelques mois, j'avais la tristesse de constater ici d'aussi regrettables absences, à la célébration du dixième anniversaire de la mort de Claude Debussy. En vérité, l'ingratitude de ce pays envers ses morts illustres, qui font la richesse de son passé, et la qualité de sa réputation dan

= le monde, passe l'imagination ! Pendant ce temps, les pays d'outre-Rhin fêtent chaque année par de multiples manifestations les anniversaires de leurs grands artistes défunts et même de leurs compositeurs vivants, tels M. Richard Strauss, qui vient de se voir offrir par la ville de Vienne le terrain nécessaire pour la construction d'une somptueuse demeure susceptible de l'engager à y prolonger ses séjours. Ainsi se trahit la différence de deux mentalités, et s'explique-t-on pourquoi nos grands musiciens, si peu honorés chez eux, ne le sont pas davantage hors de nos frontières...

Je vous ai assez longuement parlé, dans mes dernières chroniques, du Cycle Mozart pour être moins au regret de ne pouvoir aujourd'hui longuement vous entretenir, faute de place, de la représentation des Noces de Figaro qui l'a terminé. Malgré les efforts valeureux de M. Reynaldo Hahn, auquel M. Bruno Walter, souffrant, avait passé la baguette de commandement dans des conditions un peu inattendues, il a semblé que l'interprétation, où figuraient pourtant quelques artistes notoires, ayant fait ailleurs leurs preuves, n'était pas exactement au point. Restons-en sur le beau souvenir de la Flûte Enchantée... Enfin, je n'oublie pas, aux BOUFFES-PARISIENS une excellente reprise, sous l'égide de l'auteur en personne, de Passionnément, la dernière comédie lyrique où M. Messager a mis toute sa grâce et son charme si vraiment de chez nous. La charmante Mlle Sim Viva, l'irrésistible M. Koval, en milliardaire yankee, y ont retrouvé tous leurs admirateurs. Et en voici encore, je pense, pour de longs soirs !

GUSTAVE SAMAZEUILH.

La musique enregistrée

Nul n'ignore ce que la machine parlante doit à Charles Pathé, dont on trouve le nom à l'origine des premiers phonographes, et qui a réussi à populariser en France et même à l'étranger - le rouleau de cire, puis le disque. Fidèle à son programme, la maison Pathé, depuis des années, a enregistré pour une clientèle toujours plus nombreuse, les couplets de nos chanteurs populaires, la voix de nos interprètes lyriques, la diction d'une quantité de nos artistes de music-hall ou de caféconcert, les cuivres de nos fanfares militaires, et il faudra plus tard puiser dans cette collection pour écrire l'histoire des premières manifestations de la musique en conserve. Les dernières années ont apporté une petite révolution dans l'enregistrement; au saphir, dont Pathé fut le plus tenace champion, l'aiguille s'est substituée; l'électricité a supprimé le grincement de la pointe sur la cire; enfin, des firmes étrangères, surtout américaines, ont assis leur renommée en éditant une musique destinée à conquérir, non plus les foules seulement, mais les élites au commerce de la machine parlante. Je passe sur le détail historique et les tribulations de la concurrence dans l'industrie du phonographe, à travers ces années cruciales. Les maisons françaises avaient, et ont encore, une lutte très dure à soutenir et du temps perdu à regagner. Mais le terrain a été bien déblayé. La voie à suivre est nettement tracée et voici que Pathé prend la tête du mouvement en France, comme il l'avait prise aux heures héroïques des premiers balbutiements.

Pour les disques populaires, Pathé est venu à l'aiguille, et peut-être verrons-nous sans tarder la disparition du dernier aphir. Ici, sa production n'est pas de notre domaine; un enre

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gistrement de jazz quelconque, et il en est tant de médiocres, si intéressante qu'en soit la musique, est parfaitement ennuyeux. On voit bien les firmes étrangères courir à l'originalité à tout prix, découvrir les meilleurs artistes, des pianistes virtuoses, des chanteurs, blancs ou noirs, à la voix exceptionnellement phonogénique. Le disque gai, le disque dansant, ce que j'appellerai d'un terme seulement à peu près juste « l'enregistrement de puisque jazz il y a, la supériorité, incontestablement, n'est plus 25 centimètres », a besoin de se renouveler constamment. Et chez nous. Quant aux airs de revue, aux « numéros chant, ils peuvent faire rire au théâtre, dans l'ambiance et avec la mimique indispensables, et ne plus rien valoir sous l'aiguille. Je ne citerai pas tels couplets de Dranem, plus bêtes encore que Les petits pois, qui m'ont fort diverti au music-hall, et qui tombent lamentablement à plat, répétés par le diaphragme... Mais, encore une fois, cela est d'un autre domaine, et mériterait une étude critique qui sort des cadres que nous nous sommes fixés.

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Où nous devons nous réjouir, c'est en voyant naître et prendre de l'élan les nouveaux enregistrements Pathé-Art. Les premiers parus forment une petite bibliothèque déjà intelligemment choisie. Enluminés de bleu, d'orange et d'or par le goût très fin et bien moderne de F.-L. Schmied, ils donnent à l'audition une impression de perfection technique. Ils sont solides, silencieux, clairement conçus; nul doute qu'ils aient bénéficié des derniers progrès mécaniques et électriques, peut-être même plus complètement que certains enregistrements étrangers. Au point de vue musical pur, ils valent, bien entendu, ce que valent les partitions et les artistes choisis. C'est à l'orchestre de Ruhlmann qu'a incombé la charge de nous traduire Schubert aussi bien que Wagner, d'accompagner les choeurs de Mozart, et il s'en tire avec la netteté qui est sa caractéristique. Peut-être, dans l'Ouverture des Maîtres-Chanteurs, la part faite aux cuivres est-elle excessive. C'est un défaut habituel des interprétations françaises, et la connivence nécessaire du chef d'orchestre et de l'ingénieur chargé de l'enregistrement pourrait y reméPrêtres, dont le caractère religieux fait songer déjà au Requiem, dier. Les choeurs de la Flûte Enchantée, surtout le Cheur des sont parfaitement traduits, et ceux qui ont entendu la Flûte aux Champs-Elysées, lors du cycle Mozart, y retrouveront un écho de l'ensemble qui emportait leur admiration. L'organe de Rambaud, dans Sigurd (« Le bruit des chants s'éteint... ») et la Cavatine de Roméo et Juliette, est l'un des plus phonogéniques que l'on puisse rêver. Il rajeunit cette musique et nous fait redécouvrir dans l'opéra de Reyer des beautés auxquelles nous ne nous croyons pas si sensibles encore. Grâce à l'effort d'une direction artistique intelligente, Pathé-Art peut nous faire espérer désormais beaucoup d'occasions de nous séduire et même de nous enthousiasmer.

Columbia poursuit son édition de Pelléas. Cette fois-ci, il y a moins de réserves à faire que pour les premiers disques. Le choix de Mme Croiza et de M. Narçon pour tenir les rôles de Geneviève et d'Arkel (dans la fameuse scène de la lettre) peut nous réconcilier avec l'enregistrement de Pelléas, qui semblait une entreprise bien téméraire. M. Ph. Gaubert rend son hom

RASPAIL

EXCELLENTE LIQUEUR DE DESSERT La plus digestive

Reg. du Comm.19.01 32.

mage à Debussy en conduisant Nuages, un peu hésitant, mais où les sonorités sont d'une très belle puteté. Toujours chez Columbia, le charmant Trio, de Poulenc, pour piano (Poulenc lui-même), hautbois et basson, tout classique de pensée, reposant, charmant comme une miniature ou de vieilles rondes villageoises. La Garde Républicaine avec son nouveau chef, M. Dupont, justifie sa grande réputation, en conduisant avec fermeté, et aussi une brillante couleur orchestrale, les Dyonisiaques, de Florent Schmitt.

Chez Gramo, je me contenterai de recommander un nouveau Blue Heaven (quand nous serons à cent...), qui révèle Gene Austin. Gene Austin chante, non pas en confidence comme Jack Smith, mais d'une voix mourante et négligente, la mélodie que semble jouer pour d'autres un orchestre lointain, et brode des variations autour du thème de Blue Heaven, en pensant à beaucoup d'autres choses, bien mélancoliques. Pour les amis des « Revelers », quelques nouveautés, toujours charmantes. et notamment Ol'man River et Oh ! Lucindy.

MEMOIRES

BERNARD COLRAT.

ET DOCUMENTS La conquête du pôle

La tragique aventure de l'Italia a passionné l'opinion publique, et d'autant plus qu'il s'agissait de la conquête du Pôle, laquelle a toujours éveillé une âpre curiosité. Cette conquête n'est-elle pas, par excellence, la lutte dramatique que ses périls même rendent passionnante ? L'obstacle à vaincre est le plus formidable que la nature ait jamais créé : une banquise large de 1.100 kilomètres en sa partie la plus étroite. Encore n'offre-t-elle pas une surface plane et unie comme celle qui recouvre en hiver les lacs de nos régions; elle est bourrée de chaînes de monticules, découpée de vallées et hérissée d'icebergs hauts de cent mètres, et davantage, qui surgissent comme des montagnes au-dessus de collines. Telle serait une terre accidentée où la glace remplacerait le sol. Tout à coup, sous le souffle impétueux d'un ouragan, la nappe rigide s'agite en de violentes convulsions. Soulevés par l'effort de l'eau sur laquelle ils reposent, les blocs se heurtent avec une force terrible, s'écrasent avec un fracas effroyable, chevauchent les uns par-dessus les autres et se précipitent ensuite en avalanches irrésistibles; soudain, un déchirement strident se produit et une nappe d'eau apparaît, que la gelée solidifiera bientôt.

Au cours des premières expéditions dans l'Océan Polaire, dont nous avons cru intéressant d'évoquer le souvenir à l'occasion de la tentative de l'Italia, combien de navires furent fracassés et coulés par ces terribles collisions des glaces ! Au XVIe siècle, le Hollandais Barents, bloqué autour de la Nouvelle-Zemble, est contraint à un hivernage et obligé

d'abandonner son navire dans l'étau glacé qui le retient. En 1777, sur la côte est du Groenland, douze baleiniers sont brisés par la banquise et plus de trois cents hommes périssent de froid ou d'inanition. En 1873, le Tegelthoff est immobilisé aux environs de la terre François-Joseph, et, après une détention de vingt et un mois, doit être abandonné, rivé aux glaçons qui l'enserrent. Enfin, en 1881, a lieu l'épouvantable drame de la Jeannette. Le navire, captif pendant deux ans, est défoncé par les glaces, et sur trente-trois hommes que comptait l'expédition, vingt et un sont engloutis.

Le drame de l'emprisonnement par les glaces n'a d'ordinaire pour témoins que ses victimes. Toutefois, un phénomène de physique très curieux le donne souvent en spectacle aux habitants des régions tempérées. Très fréquemment, en hiver, la mer demeure liquide alors même que le thermomètre est au-dessous de zéro; mais dès qu'elle brise, par l'effet du choc elle se solidifie instantanément. Une gerbe d'eau saute en l'air et il retombe une pluie de glace. Malheur au navire surpris par une tempête dans ces conditions! Les vagues qui déferlent sur lui se congèlent immédiatement et le recouvrent d'une couche de glace dont l'épaisseur augmente à chaque lame, tant et si bien qu'en quelques heures le navire est coulé par le poids de cette surcharge. Pareille catastrophe faillit arriver au transatlantique le Germanic, en 1899. L'énorme paquebot cut tout juste le temps d'atteindre New-York et n'échappa qu'à grand'peine à l'étreinte mortelle de la carapace de glace

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qui le recouvrait.

Pour s'ouvrir une brèche à travers l'épaisse muraille du désert de glace, plus résistante que les plus solides maçonneries, les explorateurs ont dépensé des trésors de courage et d'ingéniosité. Lançant leur navire comme un bélier, au prix d'efforts surhumains, ils arrivaient péniblement à gagner quelques kilomètres, puis devaient s'arrêter devant le rempart incompressible. C'est alors que Nansen conçut cette idée géniale de s'abandonner dans un solide navire à la lente dérive du courant qui pousse les glaces vers le Pôle. Utilisant pour l'accomplissement de son dessein les forces de la nature, il arrive à une très haute latitude; puis, dans un élan d'héroïsme, avec un seul compagnon et quelques chiens, il s'enfonce dans l'effrayant désert glacé ; alors que toutes les expéditions n'avaient pu vivre que quelques semaines dans cette solitude morte, il trouva le moyen d'y habiter quatorze mois. Grâce à son endurance exceptionnelle, l'audacieux Norvégien remporte une victoire extraordinaire. S'il n'atteint pas le but suprême, il a la gloire de s'en être approché d'une façon inespérée et d'avoir pris sur ses devanciers une avance considérable.

Ce succès sans précédent enflamme l'ardeur des combattants. Encore un effort aussi puissant, la victoire semble certaine. A Nansen succède un prince du sang, marin consommé et alpiniste audacieux, le duc des Abruzzes, petit-fils de l'intrépide soldat que fut Victor-Emmanuel. Le duc part pour la terre François-Joseph; il dispose d'un solide baleinier, d'une meute de cent cinquante chiens et d'une troupe de vaillants guides des Alpes, fidèles compagnons de ses périlleuses escalades. Il parvient à la terre la

plus septentrionale de l'archipel, lorsque le navire est à moitié éventré dans un abordage avec un formidable glaçon. Les explorateurs n'ont d'autre ressource que de passer T'hiver sous de frêles tentes. Le duc des Abruzzes s'expose comme le plus humble matelot, et, en donnant l'exemple, Il a une main gelée pendant une tempête. Aussi, lorsqu'une fois la longue nuit hivernale passée, les explorateurs s'élancent vers le Pôle, doit-il demeurer au camp, et laisser à son second, le capitaine Gagni, l'honneur de tenter l'assaut suprême.

Le 11 mars 1900, Gagni se met en marche. La banquise n'est qu'un hérissement fantastique de blocs ; n'importe, grâce à la force des meutes, on réussit à avancer. On atteint * la latitude à laquelle Nansen a dû s'arrêter, on la dépasse, et l'on continue à avancer. Le record du célèbre Norvégien qui semblait ne pouvoir être dépassé, est battu. On n'est plus qu'à trois cent quatre-vingts kilomètres du Pôle. Encore un mois d'effort, et le but suprême sera atteint. Mais les vivres font défaut, la retraite est commandée par la disette. Elle fut terrible. Le 23 juin seulement, Gagni rejoignait le reste de l'expédition. Des cent quatre chiens qu'il avait au 'départ, il en ramenait sept. Plût au ciel qu'il n'eût pas eu 'd'autres pertes à déplorer! Hélas ! une escouade de trois 'hommes s'était perdue dans les glaces et dans les brumes, engloutie sans doute dans quelque crevasse. Le Pôle avait

fait trois nouvelles victimes.

1 A peine le duc des Abruzzes est-il rentré en Europe, que l'Américain Baldwin le remplace à la terre FrançoisJoseph. Mais, cette fois, ce n'est plus la compacité de la banquise qui arrête les voyageurs ; elle est au contraire toute disloquée, et, sur ce terrain mouvant, il est impossible 'd'avancer.

Pendant ce temps, dans une autre région, le Pôle était assiégé non moins énergiquement. Par le bras de mer qui sépare le Grönland de l'archipel polaire américain, le Norvégien Sverdrup, le second de Nansen, et l'Américain Peary donnaient l'assaut aux banquises. Quatre années durant, sans jamais se laisser rebuter, ils bataillèrent contre les glaces, l'un avec l'invincible Fram de Nansen, l'autre au moyen de traîneaux; et, quatre années durant, ils demeurèrent au milieu de cette solitude effroyable, cherchant de tous côtés, par des froids de cinquante degrés, le 'défaut de la cuirasse glacée. Tant d'efforts héroïques restèrent vains, et le Pôle demeura inaccessible.

Aussi les explorateurs arctiques songèrent-ils à employer les moyens extraordinaires que le génie de l'industrie moderne a enfantés. Andrée a, le premier, osé employer le ballon. Son audace aboutit à une catastrophe, et l'on jugea que, de longtemps encore, on ne pourrait atteindre au Pôle par-dessus la banquise. Il ne restait donc que deux moyens à tenter passer à travers la banquise ou passer par-dessous, c'est-à-dire, soit employer le brise-glace, soit recourir au sous-marin.

Le brise-glace est un navire capable de s'ouvrir de vive force un passage à travers les banquises. Le type en fut réalisé par l'amiral russe Makarov. Le bâtiment construit par l'ingénieux marin était un véritable bloc d'acier divisé en compartiments étanches pour qu'il put continuer à flotter

si un choc ouvrait par hasard une voie d'eau. C'était une suite de cellules toutes fermées par des cloisons qui ne laissaient pas filtrer la moindre goutte d'eau. Ce qui distinguait la conception de Makarov de celle de Nansen, c'était que le navire russe, muni d'une machine extraordinairement puissante, devenait un instrument offensif, tandis que le fameux navire norvégien ne pouvait opposer à l'assaut des glaces que la défense. Le Fram pouvait recevoir sans dommage les coups les plus violents, mais il ne pouvait en donner; c'était un bouclier. Le navire de Makarov, lui, était une pièce d'artillerie, une arme qui envoie des projectiles et qui est elle-même protégée. Ce brise-glace fut baptisé l'Ermack, du nom de ce hardi Cosaque, qui, en conquérant la Sibérie, a ouvert à la Russie les portes de l'Asie nom symbolique et bien choisi, car, lui aussi, par son invention, Makarov a ouvert à la Russie un nouveau domaine.

Pour expérimenter son navire, Makarov choisit la banquise qui, en hiver, ferme l'accès de Cronstadt. C'était en mars, à l'époque où tout le golfe de Finlande est emprisonné par une lourde carapace cristalline. Si stable et si épaisse est cette banquise que des villages temporaires de pêcheurs y sont établis. Sans aucune difficultés, l'Ermack arrive à l'entrée du golfe, où il se heurte aux premières glaces, avant-garde de la banquise. A travers la brume qui enveloppe ces parages, elles n'ont pas l'air bien rébarbatif, et semblent de grandes mouettes nageant à la surface de la mer; elles mesurent pourtant une épaisseur de soixante à quatre-vingts centimètres, plus du double de la largeur d'un gros mur en maçonnerie. Lancé à toute vapeur, l'Ermack passe à travers ces blocs comme un couteau dans une motte de beurre. On n'éprouve même pas un choc; à peine une vibration dans la coque.

Ce ne sont là que des escarmouches préliminaires. Bientôt, il faut aborder la véritable banquise, un agrégat de glaçons épais de deux ou trois mètres. De sa puissante étrave métallique le vapeur donne de terribles coups de bélier; un bruit sourd d'écrasement roule comme un tonnerre lointain; des blocs soulevés, concassés, retombent les uns sur les autres, dans un crépitement fulgurant. Partout, sous l'attaque, l'obstacle est brisé, défoncé, démoli. Si la muraille ne cède pas au premier assaut, l'Ermack, pareil à un lutteur, recule, prend de l'élan, et du second coup renverse tout devant lui. La victoire est désormais certaine, et, pour l'assurer plus complètement, Makarov s'en va foncer sur un glaçon épais de sept mètres. Du premier choc, le bloc formidable est disloqué. Au milieu de la banquise, l'Ermack s'ouvre ainsi une route triomphale, et finalement, entre dans le port de Cronstadt, aux acclamations de ses habitants, qui, désormais, grâce à cette victoire remportée sur la nature, sont libérés du long emprisonnement des glaces.

Quelques jours plus tard, l'importance des services que pouvait rendre l'Ermack était démontrée encore plus brillamment. Sur l'autre rive du golfe de Finlande, une flotte de seize vapeurs prisonniers dans la banquise courait le danger de couler bas. Immédiatement, le navire libérateur part, s'ouvre un passage et vient attaquer les glaces. La banquise est épaisse de six à sept mètres. A toute vitesse l'Ermack heurte la muraille. L'abordage est tellement vio

lent qu'une partie de la nappe glacée saute, disloquée, réduite en miettes; du premier coup un des captifs se trouve délivré. Trois autres vapeurs sont en très grand danger, menacés d'un côté par les glaces,de l'autre par des récifs. Quatorze fois, l'Ermack charge à fond; il n'est plus qu'à une centaine de mètres des navires, lorsque la nuit survient, la large et épaisse nuit du nord. Aussitôt, les puissants projecteurs électriques sont allumés, et, soudain, jaillit une lumière crue, aveuglante, sur la nappe blanche. C'est un éblouissement féerique, un scintillement extraordinaire, une blancheur de paysage lunaire, et, sous cette clarté irréelle, l'Ermack continue son œuvre libératrice. En quelques semaines, Makarov ne sauva pas moins de quatre-vingtdeux navires en perdition, arrachant à une mort atroce plusieurs centaines de marins. C'est le plus bel éloge que l'on puisse faire de sa merveilleuse invention.

Ce brillant succès ne satisfaisait pas, cependant, l'intrépide amiral. Pour prouver l'invulnérabilité absolue de son navire, il rêvait d'exploits encore plus extraordinaires, et, l'été suivant, il allait attaquer la formidable banquise polaire du Spitzberg septentrional, devant laquelle tant de navires avaient été jusqu'alors contraints de reculer. Représentezvous une muraille épaisse d'une vingtaine de mètres, voire davantage, et vous vous rendrez compte de la résistance de l'obstacle que l'Ermack va tenter de renverser.

Les premières glaces dépassées, commence une lutte épique. Tantôt le vapeur fonce à toute vitesse ; tantôt, s'appuyant contre un champ de glace, il le repousse devant lui et l'écrase contre ses voisins. Sous l'assaut, la banquise se tord en convulsions. N'importe, l'Ermack avance toujours, lentement, très lentement même ; sa vitesse ne dépasse pas trois kilomètres à l'heure à travers cet amoncellement ; c'est comme s'il s'ouvrait un passage dans l'épaisseur d'une maçonnerie. Sur ces entrefaites, dans un choc plus terrible que les autres, un glaçon dur comme un roc défonce une plaque d'acier de la coque ; une voie d'eau se déclare. En pareille occurrence, tout autre navire eût rapidement sombré ; à bord de l'Ermack l'accident fut un simple incident. Un compartiment fut rempli d'eau, voilà tout. Après deux jours de travail, le trou était bouché, la cellule vidée et le bâtiment reprenait sa marche.

Une autre fois, les glaces devinrent à leur tour assaillantes; sous la poussée des vents et du courant, elles vinrent battre furieusement l'Ermack, mais leurs attaques demeurèrent vaines; les blocs s'écrasèrent contre la coque sans pouvoir l'entamer. L'Ermack parcourut deux cents kilomètres. Après une telle victoire, le succès définitif ne semblait plus dépendre que d'une question de ravitaillement. En effet, un pareil monstre, consumait par jour une consi

dérable quantité de charbon. Pourrait-il prendre un appro visionnement suffisant pour parcourir les huit cents kilomètre qui séparent le Spitzberg du Pôle ? Tels étaient les termes dans lesquels se posait le problème. Il ne fut pas résolu.

Mais, sous un autre rapport, la construction de l'Ermac est le point de départ d'une véritable révolution militaire économique. Bordée par des mers couvertes de banquise pendant plus de quatre mois, la Russie était jusque-là cap tive dans l'intérieur des continents; désormais, hiver comm été, ses cadres et ses flottes de commerce pouvaient libre ment entrer et sortir.

On s'avisa également, nous l'avons dit, d'utiliser les sous marins et d'atteindre le Pôle en passant sous la banquise Le premier projet d'attaque du Pôle, au moyen de ce engins, est dû à un officier de la marine française. Un jeun enseigne de vaisseau, M. de Monthille, présenta à la Société de Géographie de Paris un plan de reconnaissance de la banquise en sous-marin. Les ingénieurs de la marin déclarèrent la tentative possible avec les moyens d'action dont on disposait alors. Toutefois, par un souci exagéré de sa responsabilité, la Société de Géographie refusa d'enten dre M. de Monthille. A Vienne, on se montra moins réservé, et en présence d'un archiduc, le Dr H. Anschütz Kuempfe y développa un projet de navigation sous-marine

au Pôle.

Ce qui, dans ce projet, semblait le plus curieux, c'éta qu'on n'avait pas à compter avec certains obstacles D'abord, nulle nécessité de plonger à de grandes profor deurs les plus grosses glaces au nord de l'Europe n'on pas un tirant d'eau dépassant vingt à trente mètres. E second lieu, les banquises en été sont morcelées par des canaux et des étangs. Dans sa fameuse marche vers le Pôle, à plus de cent lieues de la mer, Nansen a rencontré des troupes de narvals. Ces animaux étaient arrivés jusque-là en suivant ces canaux, puis en passant par-dessous les champs de glaces qui les séparaient. Les sous-marins opére raient dans les mêmes conditions, navigant tantôt à la surface dans les canaux, tantôt immergés. La marche d navire serait assurée par deux moteurs, l'un au pétrole pou la marche à la surface, l'autre actionné par une batter d'accumulateurs pour les plongées. Et dans ce singulier bâtiment, s'étonnait-on, l'équipage pourrait demeurer sour l'eau pendant quinze heures, sans crainte d'étouffer, grâce à d'ingénieux appareils absorbant l'acide carbonique !

Depuis... Mais nous avons voulu nous borner seulement à rappeler, à titre de curiosité documentaire, les premières tentatives et les premiers projets de la conquête du Pôle

A. DE BERSAUCOURT.

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