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aussi des maximes de morose sagesse, peu faites pour flatter le gros public, et que probablement M. Curnonsky prend de à son compte (La France est le pays le plus détesté du | monde entier. - L'information est une baliverne, une de ces superstitions dont notre incroyance a encombré le cerveau des pauvres gens, etc.). Il-y a enfin des inventions de cour#riériste lettré, des « canulars » d'universitaires, des scies de chansonnier, bref tout ce qu'on peut imaginer de plus des tiné aux mandarins, comme disait Jules Lemaître. Et cela n'empêche point le Café du Commerce d'être un livre bien vivant. Quand pourtant M. Curnonsky prétend qu'un de ses héros a servi au front, comme « chirurgien-major », le lecteur pourrait bien se hérisser devant un tel archaïsme, se demander si ce tableau de moeurs n'est pas, lui aussi, une rêverie d'écrivains pince-sans-rire.

Nous avons jadis signalé le premier livre de M. Marcel 'Arnac, qui s'appelait le Brelan de joie et se montrait digne de la tradition rabelaisienne. M. Marcel Arnac, depuis lors, et cela fait quatre ans et plus a continué dans la même voie, réveillant sans doute chez de nombreuses gens le goût de la gauloiserie pure et simple. C'est un genre bien périlleux, et un de ses livres est déplorable, d'un ignoble comique, d'une atroce cruauté de carabin. Les autres au contraire sont charmants, pleins de verve et de beau langage, avec, chaque fois, un sujet fort ingénieux. L'auteur brode toujours sur ce thème qu'arriverait-il si, par suite de quelque circonstance, la nature se montrait à nu? Joyeux tempérament, disciple de maître François et point du tout du professeur Freud, M. Marcel Arnac suppose qu'il arriverait le triomphe de la gaîté, et en somme de la vertu... Lisez Loin des Mufles, où un couple rendu insociable par l'amour s'arrange pour disparaître aux yeux de ses amis et entendre ce que rapportent de lui ces bonnes langues. Lisez Saint Lettres, histoire d'un village obstinément demeuré Vieille-France et médiéval, qui soutient le siège homérique du Progrès, du Tourisme et de tous les ridicules modernes. Lisez à présent la Farce de l'île déserte,

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qui vient de paraître (1), et qui ressortit au gente pseudoanglais, caricaturalement britannique tel que l'ont pratiqué Alphonse Allais, Gabriel de Lautrec, et quelques autres qui n'ont point le talent de M. Marcel Arnac. Mais, direzvous, c'est une trahison ! Cet auteur français passe à l'ennemi? Non, car son livre offre une parodie cruelle des récits d'aventure, et même du style moderne, agréablement mêlé ici de style-feuilleton. Cela forme de la bonne critique, et, pour les âmes simples, cette arrière-pensée ne gêne nullement l'humour ni l'étonnement.

Le sujet est à tiroirs et ressemble à celui du Décaméron ou des Cent Nouvelles Nouvelles, compte tenu que les récits qui se succèdent ne sont pas contés près de Florence ni à la table du Dauphin Louis, mais à la cour d'un milliardaire de fantaisie qui, pendant une croisière, organise un concours d'émotions et d'aventures... On brode sur ce thème-là des tartarinades inouïes, ou des blagues désenchantées, dont le comique chagrin est peut-être le plus sûr. En effet, d'après les exemples qu'en fournissent au cinéma les meilleurs comiques américains, on pourrait se demander si le comique moderne n'est pas d'une part international (je tiens ceci pour démontré empiriquement), d'autre part fondé sur la désillusion.

En d'autres termes par les déceptions de l'homme opprimé par les servitudes sociales, ramené sur terre, désarçonné de ses rêves par le prosaïsme de toutes choses. Hé, en somme, n'est-ce pas Don Quichotte ? En effet, c'en est du moins la monnaie. Il y a du Don Quichotte dans les Charlot, les Buster Keaton et les Harry Langdon ; il y a de lui dans tous les héros mesquins de M. Marcel Arnac, qui sont tous des évadés repris, des « schizoïdes > guéris par force, des poètes rudement étrillés... Par exemple, un des chapitres montre la compétition de deux amoureux près d'une veuve appétissante, Mme Plantiveau. Un des deux amants est un vrai colonial, l'autre joue au colonial, loue un nègre à Montmartre, le déshabille en Vendredi et raconte des histoires de crocodiles. Il l'emporte à la fin, non pas parce qu'il est le poète, mais parce qu'il est le mufle. Vous le voyez, il y a bien de la moralité dans l'Ile déserte.

Nous voici bien loin de Marguerite de Navarre, et d'ailleurs bien loin d'une conception « nationale » de l'esprit, de la drôlerie. Consolons-nous en pensant que l'esprit gaulois, comme l'humour, n'était pas spécialement français, et qu'il a dû sa vogue à des mœurs fort différentes des nôtres : les aventures de maris trompés, de muletiers, de chambrières ne déridaient les gens qu'au temps d'une société hiérarchisée, et d'une morale chrétienne. Aujourd'hui, le grand ressort du comique réside dans le conflit de l'initiative ou de la rêverie individuelles avec les lois collectives, la nature méconnaissable et domptée, l'interdiction de tout loisir, de tout caprice. Dans la société future, si elle ressemble à une termitière, ce comique fondera peut-être des espèces de vaudevilles militaires, des', 'oires de casernes, de murs sautés, de salle de police inevitable...

ANDRÉ THÉRIVE.

(1) Nouvelle Société d'Edition.

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admirables. Mlle Kikou Yamata (à demi-Japonaise, croyonsnous), nous offre une version française de cette traduction, qui comprendra certainement plusieurs volumes. Rien de plus délicat, de plus délicieux que le roman de Genji, chef-d'œuvre classique de la littérature du Japon et qui en est le premier roman réaliste. Remercions Mlle Kikou Yamata d'avoir entrepris .ce grand travail. Nous préférerions sans doute qu'elle eût translaté directement le japonais ancien dans notre langage, au lieu de nous donner la traduction d'une traduction; mais il faut l'entendre... On goûte, au total, un plaisir exquis à suivre un par un les longs fils gracieusement emmêlés de ce long et lent récit. - J. B.

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Le centenaire de la mort de Schubert nous vaut l'apparition de diverses monographies intéressantes sur l'existence et l'œuvre du musicien du Roi des Aulnes et de la Symphonie Inachevée, que certain jury musical a eu, vous le savez, l'idée saugrenue de vouloir faire terminer par les lauréats d'un concours. Pénétrant, et solidement documenté, le travail de M. Paul Landormy établit entre la destinée de Schubert et celle de Beethoven, entre la nature si profondément différente de leurs deux génies, un curieux parallèle. Plus anecdotique, le livre de M. Robert Pitrou caractérise cependant avec une intelligente perspicacité, en particulier en ses dernières pages, la force et la faiblesse de cet art imprégné de romantisme viennois. Tous deux constituent un digne hommage à une mémoire qui survivra dans le culte de tous ceux qui ont dans l'âme un peu de poésie et de musique. G. S.

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ART ET CURIOSITE
Apologie pour Mme Palissy

La vie de Palissy est de celles que l'on donne à lire aux enfants. L'exemple pourrait être mieux choisi, surtout s'il s'agit de préparer de bons artisans. Mais le récit des luttes 'du potier de Saintes est pittoresque et dramatique. Il l'est 'd'autant plus que maître Bernard a pris soin de le rédiger lui-même et qu'il n'a eu garde d'oublier de s'y poser en victime des railleries de ses voisins et de la malédiction de sa femme.

Mme Palissy n'a pas laissé de mémoires, peut-être parce qu'elle ne savait pas écrire, plus probablement parce qu'elle était obligée de gagner la vie de ses enfants en nourrice et de leur songe-creux de père. Regrettons-le. Son témoignage nous aurait permis de réparer une injustice et de corriger une des grandes erreurs de l'histoire. Nous saurions par ces confessions ce que valaient à un liard près, ces bonnes tables de noyer qu'elle voyait briser pour alimenter un four aussi décevant qu'un feu d'alchimiste, puisqu'il n'en sortait que des pièces manquées. Nous nous lamenterions avec la bonne ménagère, sur la destruction de cette treille à l'italienne dont le berceau l'abritait pendant la canicule. Nous découvririons ces trous béants du plancher dont les lames n'ont pu suffire à parfondre des émaux dont le potier ignorait la dose. Nous verserions quelques larmes de regret sur cette armoire vide et béante, dont les solides effets de droguet ont disparu pour payer le salaire de l'aide-manceu

vre.

Mme Palissy n'avait pas tort. Son mari est vraiment le type des autodidactes qui prétendent réinventer un à un les procédés de leur art, au lieu de profiter de l'expérience de leurs devanciers. C'est l'homme à tout faire, comme on en voit tant au XVe siècle. Peintre verrier, géomètre, géologue, écrivain disert, conférencier, prédicant à l'occasion, il s'improvise un beau jour céramiste, sans y entendre plus qu'au haut-allemand. Ainsi avons-nous vu, en 1900, des peintres, fruits secs des Salons, se faire bijoutiers, potiers d'étain, relieurs, ébénistes. Pourtant Palissy aurait pu trouver à s'instruire. Depuis des siècles, on utilisait les glaçures plombeuses et les émaux dans les carrelages des églises et des châteaux. Certes, son impécuniosité lui rendait difficile, sinon impossible, le passage des monts pour aller étudier l'art des Della Robbia et de majoliqueurs de Faenza. Ce n'est pas sans raison qu'il avait pris pour devise [<< Povreté empêche les bons esprits de parvenir ». Mais il était passé à Limoges, peut-être à Rouen, où Abaquesne et autres esmailleurs en terre » connaissaient la pratique

de l'art, du feu et des émaux. Les secrets de métier étaient, il est vrai, jalousement gardés, mais les habiles savaient le moyen de se les approprier, comme le fit, au dire de Du Fail, le forgeron breton Tourtelier, aux dépens d'Houlard d'Avranches, qui cachait une recette pour tremper les arcs d'arbalètes et s'enfermait quand il se livrait à ce travail délicat.

Mais les autodidactes ne veulent rien devoir à autrui. Ils entendent faire figure d'inventeurs même sur un terrain où il n'y a rien à inventer.

C'est pourquoi nous pouvons plaindre Palissy. Mais nous sommes obligés de convenir que ses déboires lui sont arrivés par sa faute. La technique est à la base de tous les arts. On peut se passer de génie (et le potier de Saintes est loin d'en montrer dans ses rustiques figulines), mais il faut savoir malaxer les terres, tourner les pots, broyer et mélanger des émaux, les enfourner et conduire un feu. Philibert de l'Orme, cet autre homme de la Renaissance qui s'est raconté avec encore moins de modestie, était fils de maçon. Avant de bâtir à sa nouvelle mode, il était allé à Rome mesurer, toise en main, les pierres de la ville des Césars. Cellini, encore un qui a pris soin de se recommander lui-même à la postérité et qui n'avait probablement pas le génie qu'on lui prête avait longtemps travaillé dans les ateliers d'orfèvre et avait tenu boutique, à Florence. On trouverait bien d'autres exemples.

Lorsque, vers la fin du siècle dernier, les gens du monde commencèrent à s'intéresser à ce qu'on appella si improprement < art décoratif », des recrues improvisées s'engagèrent dans les métiers manuels. A la suite des réussites de Gallé, qui savait, des verriers, des céramistes ignorants feuilletèrent fièvreusement le Bontemps et le Manuel-Roret et mirent au feu des barbotines extravagantes, des grès beaucoup moins beaux que les simples pichets campagnards et des terres vernissées incapables de conserver une goutte d'eau.

Peu importait, à vrai dire, qu'ils fussent bons à l'usage, puisque leur place était en vitrine, à côté des Rouen, des Moustiers, des Nevers, qui, en leur temps, furent des ustensiles ménagers, destinés à paraître sur la table et même à être brisés. On vit même naître ce singulier état d'esprit chez les acheteurs et les critiques à leurs yeux prévenus, les imperfections de cuisson, les coulages baveux des émaux, les craquelures, devinrent des qualités, où se révélait la main de l'ouvrier! Palissy n'avait pas prévu une si facile complaisance, lui qui se refusait à donner et même à vendre les pièces qui ne répondaient pas à son attente.

Que restera-t-il de cette production de vingt années où le << fait à la main » fut une tarte à la crème applicable à toutes les matières ? Ne craignons pas de l'écrire. Seules subsisteront les oeuvres élaborées avec une parfaite technique, seuls auront place dans la postérité les artisans ou les artistes qui auront possédé la maîtrise des procédés et des matières. Mais cette maîtrise ne peut être livresque. Elle ne s'acquiert pas dans les manuels comme « l'art de discerner les styles ». Il faut la puiser dans les ateliers, dépositaires de la tradition et ouverts aux progrès mécaniques. Avant de devenir un maître, l'apprenti doit passer par l'école,

Nulle part, plus que dans la céramique et la verrerie, cet axiome n'est plus de mise, et nulle part, il n'est plus négligé. La poterie émaillée remplace dans les Salons et les Galeries d'art les cuirs décorés, les coussins et les abat-jour de 1900. Les amateurs des deux sexes se livrent à cet art

aimable et, ne craignons pas de l'avouer, y cueillent quelques lauriers, tant l'industrie est parvenue à livrer des produits chimiques aisés à employer. L'art appliqué d'à présent - je m'excuse du piètre jeu de mots souffre d'une cruelle maladie de pots.

Qu'on me comprenne. Je ne fais pas ici le procès d'indépendants et d'isolés que j'admire et je pense à Decœur et à Delaherche. Mais, c'est une singulière mentalité que celle qui pousse tant de céramistes improvisés à revenir aux procédés primitifs de l'art de terre, tels qu'on les pratiquait il y a des siècles faute d'en connaître d'autres, et de se priver, par vanité ou par ignorance, des procédés nouveaux que la mécanique et la chimie mettent au service de l'industrie. Une fournée sera-t-elle moins bonne si la terre a été préparée par des malaxeurs et des concasseurs mécaniques, une cuisson moins réussie si elle s'opère dans un four électrique ? Bien plus, pour avoir une belle matière, il faut qu'elle soit préparée en grande quantité. Marinot lui-même, qui travaille à la canne traditionnelle du verrier, puise dans les cuves d'une grande verrerie de Troyes et personne n'osera prétendre que certaines verreries de Lalique perdent en beauté, pour avoir été moulées ou pressées.

On pourrait en dire autant de tous les métiers, des fers de Brandt et de Subes, qui ne craignent pas d'employer'

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la soudure autogène et le marteau-pilon, des tissus de Singulière relique de Molière.
Rodier, où le Jacquard incorpore des lancés audacieux,
mieux que ne le ferait la plus habile brodeuse.

Le temps n'est plus des curiosités de cabinet, des « gentillesses » comme s'efforçait d'en produire Palissy pour le connétable de Montmorency ou la Reine-Mère. Nous avons besoin d'objets d'usage irréprochablement fabriqués, abordables aux fortunes moyennes. La science et l'emploi des techniques éprouvées n'excluent pas le mérite artistique. Tout au contraire.

L'Exposition coloniale est commencée.

HENRI CLOUZOT.

L'Exposition internationale des colonies a fait ses premiers pas, et il est bon de noter que c'est sur le terrain de l'art. Un jury, présidé par le maréchal Lyautey, a choisi dans un concours de deux cents concurrents, cinq affiches pour annoncer la grande manifestation de 1931.

Les deux liseuses de Corot.

Chacun connaît l'admirable figure de Corot Femme lisant dans les champs, de la collection Moreau-Nélaton. La réplique vient de passer en vente à New-York et l'acquéreur en a fait don au Musée Métropolitain. Cette œuvre de la vieillesse de Corot fut exposée au Salon de 1869, et le peintre y ajouta un bouquet de saules qui n'y figurait pas à l'origine. Une litho

On vient de vendre chez Sotheby's, à Londres, le 9 mai dernier, une miniature de Molière, par Petitot, 305 livres (38.000 francs). C'est un chiffre. Mais ce n'est pas trop pour une relique accompagnée de cette mirifique attestation: << donné à Mme la comtesse de Feuquière par son ami Molière, MDCLX ». A la place de l'acquéreur, nous chercherions savoir: 1° Si la miniature est bien de Petitot; 2° si elle représente Molière ; 3° si l'inscription est l'oeuvre d'un farceur ou d'un truqueur.

Un peintre de la Tunisie.

Le peintre Rodolphe d'Erlanger, qui vient d'exposer au Salon le beau portrait du Docteur Nicolle, de l'Institut Pas teur, de Tunis, prix Nobel, est un fervent du pays de Salamba qu'il habite depuis plus de vingt ans. Sur les hauteurs du cap Carthage, il a construit une admirable demeure andalouse, dont les jardins descendent en terrasses jusqu'à la mer. C'est à cette implantation dans la terre d'Afrique qu'il doit d'en avoir sais les multiples aspects, et surtout la lumière irisée, impalpable,' changeante que Marquet seul a aussi bien comprise. /////////////////////////............................................................---------------------------------

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MUSIQUE

Marouf, savetier du Caire:

(Opéra)

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Si l'on envisage la question au seul point de vue de la musique, il n'est pas douteux que la présence de Marouf sur l'affiche de l'Opéra, après la Flûte Enchantée, l'Enlèvement au Sérail, Roméo, Thaïs, l'Heure Espagnole, se justifie guère davantage que celle du Roi d'Ys, d'Ariane et Barbe Bleue, de Pénélope, de Scemo, de Tristan, et demain paraît-il, pour comble, de Lohengrin ! au répertoire de l'Opéra-Comique, qui n'a ni la scène ni l'orchestre indispensables à la fidèle traduction d'œuvres de cette nature. Mais les contingences de la vie et les convenances personnelles des auteurs et des directeurs ont des conséquences parfois inattendues... Je reconnais d'ailleurs volontiers que l'oeuvre charmante et achevée de M. Henri Rabaud, naguère intitulée Opéra-Comique, aujourd'hui devenue « Opéra », avait en elle assez de substance, assez de fermeté, pour conserver son attrait dans un cadre plus vaste et y retrouver le succès très vif et très mérité qui lui fut fait l'autre soir.

Vous connaissez, je pense, les qualités diverses qui ont justement assuré à Marouf, depuis sa création à la veille de la guerre, la faveur persistante du public. La vertu expressive de la musique est, ici, en exact accord avec l'esprit de sa facture et de son style, avec la signification poétique du livret extrait par M. Népoty des Mille et Une Nuits. Partout elle dénote la sobriété, le tact, une élégance naturelle qui, sans surcharger outre mesure l'appareil du discours, sans s'abaisser jamais à aucune fâcheuse vulgarité,

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sait réaliser tout son dessein. Elle allie, avec une mesure et un goût trop rares la tradition classique et la couleur orientale. J'en veux surtout pour preuve le premier acte si adroitement mouvementé, où le mélange d'indolence, de tendresse et de fantaisie ironique du personnage de Marouf est traduit à merveille, puis la poétique conclusion du troisième tableau et le quatrième en entier, dont la langueur amoureuse puis l'entraînante allure finement et nerveusement rythmée, produisent sur l'auditeur l'effet le plus heureux. Je ne méconnais nullement d'ailleurs les mérites des autres parties de l'ouvrage, la fête des noces, la danse des génies, l'arrivée de la caravane, et ce vigoureux choeur final qu'eût aimé Mozart, et auquel les ressources chorales de notre première scène lyrique permettent, je le reconnais volontiers, de prendre, pour la première fois, toute son ampleur.

L'Opéra, décidé à bien faire les choses, a offert à Marouf, j'ai plaisir à le constater, l'hospitalité la plus somptueuse. Les décors de Quelvée sont particulièrement

évocateurs, et admirablement éclairés. La mise en scène de M. Chéreau reste, comme naguère, conforme au caractère de l'œuvre, et profite habilement des possibilités du nouveau cadre. Sans doute la distribution vocale ne fait-elle pas oublier celle de la création, en tête de laquelle triomphait M. Jean Périer, incomparable dans le personnage du Savetier. Mais M. Thill, dont les progrès scéniques sont constants, y fait résonner la voix d'or que vous savez, et observe la version originale du rôle, écrit pour ténor, ce qui est préférable à tous égards au point de vue de l'équilibre de la musique. Mlle Marcelle Denya, sous les traits de la princesse, est pleine tour à tour de grâce séductrice et de spirituelle gaieté. Mlle Georgette Caro fait une Calamiteuse achevée, et des artistes tels que MM. Journet, Huberty, Mauran ont accepté des rôles secondaires avec un désintéressement qui les honore, et assure à l'ensemble de l'interprétation une cohésion rare. Les choeurs déploient un zèle des plus louables, et M. Ruhlmann, comme en 1914, fait valoir avec une remarquable sûreté, la finesse, l'exact équilibre, la variété pittoresque de l'instrumentation de M. Rabaud, qui bénéficie ainsi qu'on pouvait le prévoir, de l'effectif nombreux du quatuor du superbe instrument collectif qu'est l'orchestre de l'Opéra quand ses chefs d'emplois sont à leur pupitre, et tout à leur besogne... Tout s'accorde, vous le voyez, à faire prévoir que Marouf, cette œuvre si joliment française, poursuivra sous cet aspect renouvelé, sa fructueuse carrière. Je souscris d'autant plus volontiers à son succès que j'y vois la brillante exception qui confirme la règle, et dont il serait dangereux de s'autoriser pour entreprendre entre nos deux théâtres lyriques, de nouveaux chassé-croisés dont les œuvres et les auteurs sont en général les premières victimes.

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Jonny mène la danse

(Théâtre des Champs-Elysées)

Jonny mène la danse « opéra-jazz en deux parties et onze tableaux de M. Ernest Kreneck ». Ainsi s'exprime l'affiche du nouveau spectacle du Théâtre des ChampsElysées, qui forme évidemment avec la représentation du Cycle Mozart un contraste tranché ! Il paraît que cette œuvre étrangement composite a connu en Europe centrale une fortune éclatante. Des juges autorisés en la matière y distinguent une évocation efficace de la beauté pathétique et trépidante de la vie actuelle, une apothéose de l'électricité, du machinisme, du music-hall, de la danse. Oserai-je avouer que j'y ai surtout vu une médiocre modernisation, toute extérieure, des poncifs de maintes pièces à grand spectacle du répertoire du Châtelet? Je ne puis songer ici à vous dire le détail de l'action, qui peut lutter en invraisemblance avec les inventions les plus saugrenues du film à épisodes! Qu'il vous suffise de savoir que la cantatrice Anita, éprise du compositeur Max qu'elle a connu sur un glacier alpestre, le trompe à Paris avec un bellâtre, le violoniste Daniello, qui l'a défendue, dans un dancing quelconque, contre les avances trop pressantes du nègre Jonny. Celui-ci, pour se venger, vole le précieux violon de Daniello, le cache dans un étui de banjo qu'Anita emporte dans ses bagages en repartant pour l'Europe centrale rejoindre Max, pour

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