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Autant que le Français, l'Anglais fut intrépide,

Tous les deux ont plané jusqu'au plus haut des airs, Tous les deux sans navire ont traversé les mers Mais la France a produit l'inventeur et le guide. Enfin, sur la demande du corps de ville les aéronautes consentirent à laisser quelque temps leur ballon « qui fut mis dans la paroisse de la ville, pour l'offrir plus aisément à la curiosité du peuple, qui d'ordinaire paie les fêtes, et qui doit au moins les partager quelque fois par les yeux ».

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La courageuse entreprise de M. Blanchard ne resta pas, cependant, sans rémpense.

Le vin de ville, le quatrain c'étaient peut-être beaucoup d'honneur; ce n'était, certes pas suffisant, et il est heureux que Louis XVI l'ait compris. Il accorda à Blanchard une pension de 1.200 livres et une gratification de 12.000 livres.

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Ajoutons à ceci les considérations du rédacteur du Mercure de France, enregistrant l'intention de Pilatre de Rozier d'imiter Blanchard en partant de Boulogne.

« Ces deux entreprises sont différentes. Celle à venir est contrariée par les vents dominant sur la Manche; la pointe du Comté de Kent, une fois manquée, les côtes d'Angleterre s'écartent tellement au nord et à l'ouest, qu'on peut parcourir les airs dans la mer d'Allemagne ou dans l'Océan pendant bien des jours avant de toucher terre. Il est même difficile de prévoir la durée de ce séjour aérien. On assure qu'en conséquence, M. Pilatre prend des vivres pour six mois et que son ballon est imperméable...

« Les esprits ardents l'envoient déjà en Amérique ; tout est possible disent-ils, puisqu'on a traversé la Manche... »

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Vacances économiques

C'est des prix que je parle. Il est assez mélancolique, dans ce moment-ci, de se reporter aux mémoires et aux documents qui nous renseignent sur les conditions matérielles de la vie d'autrefois, et ces recherches ne laissent point aussi d'être divertissantes, pourvu que l'on ait joyeuse humeur et souriant optimisme.

Vous plaît-il, par exemple, d'ouvrir ce carnet de dépenses d'un bon bourgeois qui vivait sous le règne de Louis-Philippe, et s'accordait, chaque année, l'honnête distraction, si raisonnable à cette époque, de goûter en famille, « les douceurs de la plage », comme il l'écrit, deux mois durant ? Quand on dédaignait, non l'hôtel qui n'existait pas, mais l'auberge où l'on était traité le mieux du monde à raison de trois francs par jour, on descendait chez les gens du pays.

Une grande salle, une cuisine, quatre ou cinq chambres, meublées de deux lits chacune, coûtaient de cent à cent cinquante francs pour la saison. Notez que l'installation était d'une propreté exemplaire. Notre méticuleux bourgeois ne manque pas de consigner qu'il a emmené sa vieille bonne et il prend garde de mentionner quotidiennement les prix du marché.

Frémissez en 1835, on payait le boeuf de la meilleure qualité 0 fr. 50 la livre, le mouton 0 fr. 40, le veau 0 fr. 50, le poulet 2 francs le couple, les canards 2 fr. 50 la paire, les oies 3 francs la pièce, les dindes 7 francs, les œufs 0 fr. 20 la douzaine, le beurre 2 francs le kilogramme, la barrique de cidre de deux cent vingt-cinq litres, dix francs. On donnait le poisson plutôt qu'on ne le vendait. Songez qu'un gros bar se payait un franc et une belle sole soixante-quinze centimes. Les prix consignés sur ce petit cahier sont même supérieurs aux mercuriales officielles. On en conclut que les bons villageois ou les braves citadins percevaient déjà la taxe de luxe sur leurs clients, mais convenons qu'elle était légère et désuète.

Et, chose extraordinaire, invraisemblable, à l'encontre de tout ce que nous voyons aujourd'hui, non seulement on ne volait point les baigneurs outre mesure, mais l'on daignait être poli avec eux. Que dis-je ! A la fin de la saison, les fournisseurs venaient remercier << leur aimable clientèle >> et remettaient un pourboire à la servante, en témoignage de gratitude. Il s'agissait d'un don honnête et avoué, non pas du honteux sou du franc. Bref, en la bienheureuse année 1835, le bon bourgeois et sa famille composée de cinq personnes, plus la domestique, vivaient très largement, deux mois durant, pour 275 francs !

Aux habitués de Trouville et de Deauville je conseille de relire les Mémoires d'Alexandre Dumas père. Alors que Trouville ne se composait que de quelques maisons de pêcheurs sur la rive droite de la Touques, l'auteur de Monte-Cristo y passa plusieurs semaines. Comme il se demandait quel asile choisir, on lui indiqua l'auberge de la digne mère Oseraie. Celle-ci montra d'abord une certaine méfiance. Ce grand monsieur crêpu, sans profession définie, ne lui disait rien qui vaille, mais pouvait-elle résister longtemps à la jovialité communicative de l'excellent Dumas? Les pourparlers ne tardèrent point à s'engager.

La brave femme avait deux prix de pension : l'un pour les peintres qui, les premiers, étaient venus chez elle et avaient commencé la réputation de son auberge, l'autre pour les touristes ordinaires; et, aux yeux de la mère Oseraie, on appartenait à la catégorie des gens ordinaires quand on ne maniait ni pinceau ni crayon. Donc, Decamps, Jadin, Huet, ou d'autres gloires, se voyaient accueillis, et tendrement accueillis, contre fastueuse rémunération de deux francs par jour; les clients ordinaires étaient taxés à deux francs cinquante. La mère Oseraie n'en démordait pas. Ainsi que l'on sépare le bon grain d'avec l'ivraie, la mère Oseraie séparait les peintres du reste de l'humanité. Alexandre Dumas, ayant révélé et fourni des preuves personnelles et péremptoires qu'il connaissait Decamps, Jadin et Huet, ce pauvre monsieur Huet qui avait failli s'étrangler, certain jour, avec une arête de poisson, et auquel Mme Oseraie avait sauvé la vie, l'aube

giste fut sur le point de s'attendrir et de ne réclamer à Dumas que le prix des peintres.

Mais quoi, c'était rompre avec une tradition solennelle, mentir à sa conscience, renier d'un seul coup la peinture et ses représentants. La mère Oseraie s'y refusa. Ce grand monsieur paierait quand même deux francs cinquante. Il n'avait pas l'air commode, du reste, et, un prix si élevé lui inspirant quelque doute, ne s'inquiétait-il pas de ce qu'on lui servirait à dîner ! La mère Oseraie, fâchée tout de bon, pria son client de la laisser tranquille, de monter chez lui et d'attendre les événements. On l'appellerait au moment voulu. Et savez-vous ce que l'on trouvait, moyennant cinquante sols, dans cette auberge ? Les chambres les plus propres avec la vue la plus magnifique, trois ou quatre repas à son gré, et quels repas ! « O digne mère Oseraie, s'écrie Dumas, comme je me repentis, à la vue de votre potage, de vos côtelettes de présalé, de vos soles en matelote, de votre homard en mayonnaise, de vos deux bécassines rôties et de votre salade de crevettes, d'avoir pu un instant douter de vous ! » Le dîner, à lui seul, aurait coûté vingt francs à Paris, ajoute Dumas ; et nous, n'ajoutons rien; mais nous pouvons méditer.

Il n'est pas mauvais de rappeler ces choses afin de donner tout leur prix à nos joies actuelles. «Tout leur prix », ne voilà-t-il pas les mots qui conviennent ?

A. DE BERSAUCOURT,

LITTERATURE
Confidences de romanciers

Il y a eu dans le public un peu de surprise et même de mauvaise humeur quand cette année, deux auteurs, d'âge inégal (dont l'un peut passer pour le maître de l'autre), ont publié une espèce nouvelle de mémoires intimes. M. André Gide fit paraître d'abord le Journal des « Faux Monnayeurs » (1) M. Jacques de Lacretelle, suivit avec le Journal de « Colère » (2), qui accompagnait une nouvelle appelée Colère, en effet.

Où irait-on, disait, naguère, un critique à propos d'un livre de Mme Raymonde Machard, où irait-on, si ces dames écrivaient toutes leurs souvenirs de grossesse et d'accouchement ?

Où irait-on de même si tous les romanciers croyaient devoir raconter comment ils ont conçu, composé, rédigé leurs œuvres, s'ils déballaient pour nous leurs carnets de notes, leurs brouillons, leurs fiches ? D'abord, ils détruiraient chez le lecteur ce qu'on appelle, au théâtre, l'illusion comique, laquelle est ruinée quand le spectateur se promène

(1) et (2) Nouvelle Revue Française. Librairie Gallimard.

dans les coulisses, parmi les accessoires et la machinerie. Ensuite, ces confidences ne marquent-elles pas un fameux orgueil? Servez-nous votre plat et gardez pour vous vos recettes et vos fonds de casseroles! Telle est l'opinion du gros public, qui n'adore pas tant qu'on le croit être informé sur l'art, mais goûter l'art même, et qui, d'ailleurs, ne tient pas la littérature pour une fin en soi.

Le gros public, en l'occasion, a tort. Il faut bien admettre que la genèse d'une œuvre a son intérêt, puisque l'oeuvre peut être passionnante en dehors de toute utilité ou de toule morale, et puisque, d'ailleurs, depuis que l'histoire littéraire existe, on a éveillé des curiosités pour les auteurs indépen damment de leurs œuvres...

Est-ce un bien, est-ce un mal? Voilà qui importe peu. Le fait est là. Nos aïeux ne se souciaient point de savoir en quelles dispositions de cœur et d'esprit, en quelle villé giature, en quel mois de l'année Euripide a écrit son Hélène. Et, d'ailleurs, il n'y avait aucun moyen de le savoir. Nous, nous donnerions gros pour apprendre les circonstances de ce travail, les desseins du poète, à plus forte raison ses arrièrepensées (car il en eut). Les historiens ne nous renseignent pas assez, les anecdotiers ont trop de discrétion, les savants trop de prudence. Il semble que la connaissance des lettres ait pour but second de nous faire connaître des hommes (des hommes de lettres, mais tant pis), des âmes particulières.

Cela est, du reste, consolant, car il n'y a pas besoin de chefs-d'œuvre pour donner prétexte à cette connaissance. Un ouvrage raté, mais non pas médiocre, peut susciter autant de passion psychologique et autant de problèmes sur le beau. Quand on parle de psychologie, il faut enfin songer que le point le plus obscur de l'être intérieur, c'est celui où se forge la création artistique. On n'a jamais démêlé encore les parts inconscientes ou demi-conscientes de ce travail. Toutes les confidences à ce sujet, même contradictoires, seront les bienvenues; il restera toujours un mystère irritant au fond de la caverne diabolique. Et, d'ailleurs, aucune générale de la production n'en sortira jamais. Si quelque chose demeure arbitraire, hasardeux, individuel, c'est bien l'association des idées et des images dans une même conscience, la cristallisation, autour d'un plan préconçu, des souvenirs, des données d'expérience. Par suite, nulle confidence ne sera plus intime, plus vraiment impudique que celle du romancier sur ses états de gestation.

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A cet égard, vous pensez bien que M. André Gide doit se présenter presque sans émule. Et le prétexte qu'il a choisi, son roman des Faux Monnayeurs, est également hors de pair. Nous en avons parlé jadis, ici même. C'est à la fois, le contraire d'un chef-d'œuvre et une œuvre forte et riche. On verra aujourd'hui si c'est pour avoir voulu traduire trop de choses, et trop méditées. Mais il ne faudrait pas en argüer pour soutenir, comme c'est la mode, que le grand romancier doit être une brute, un organisme inintelligent. Certes, un Balzac n'a pas le temps d'écrire le Journal de la Cousine Bette ni des Paysans. Et aussi bien les balzacistes s'en chargent avec une passion admirable. Mais on sent que Balzac aurait pu l'écrire malgré tout, s'il eût été de loisir. M. Gide est évidemment d'une autre espèce: on n'est pas bien sûr que les Faux Monnayeurs l'aient obsédé comme livre à faire, et non pas comme méthode de réfléchir. Entendez

qu'un auteur si intelligent ne peut, quoi qu'il en dise, perdre de vue que l'œuvre objective elle-même lui sert à expliciter, à développer son moi. Cela n'entrave pas nécessairement sa puissance créatrice, ni sa naïveté, mais cela le force à les raisonner après coup. Et aussi à respecter trop fidèlement les tentations diverses de son démon, à dévier du propos primitif, à lutter avec les servitudes techniques : bataille où on est forcément vaincu. Les Faux Monnayeurs, pour avoir trop bien obéi à la vie, aux caprices de la vie, font trop bon marché de ce qui est la vie d'une œuvre d'art, et qui n'est pas du tout la même chose.

L'aveu de ce demi-échec est déjà en soi dramatique; et la confession d'une âme inquiète est pathétique par surcroît. Ceux qui en doutent n'ont qu'à lire ce Journal où ne se révèle pas l'impuissance d'un artiste, mais les vicissitudes de sa volonté. «Par instants, je me persuade que l'idée même de ce livre est absurde, et j'en viens à ne plus comprendre du tout ce que je veux. » Cela, c'est le jardin des Oliviers, où passent tous les auteurs... « Cet effort de projeter au dehors une création intérieure, d'objectiver le sujet (avant d'avoir à assujettir l'objet) est proprement exténuant ». Mais voici la consolation: Il m'est certainement plus aisé de faire parler un personnage que de m'exprimer en mon nom propre. Et ceci d'autant que le personnage créé diffère de moi davantage. Sans cette facilité, les romanciers aimeraient mieux devenir cantonniers ; et le plaisir qu'ils tirent de cette espèce de délivrance, M. Albert Thibaudet l'a justifié par des vues qui suffiraient à faire l'honneur d'un grand critique. Que n'ai-je des lettres d'or pour les reproduire ici ?

« Il est rare qu'un auteur qui s'expose dans un roman, fasse de lui un individu ressemblant, c'est-à-dire vivant. Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible. Le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le génie du roman fait vivre le possible; il ne fait pas revivre le réel. »

M. André Gide est donc bien un romancier authentique. Cela règle aussi la question de sa véracité dans le roman. Bien qu'il prenne à son compte plusieurs aventures de son héros Edouard (qui, primitivement était le Lafcadio des Caves du Vatican) on doit reconnaître que cette hypostase ne coïncide pas de tout point avec lui-même. Et c'est bien heureux, tout en restant un peu gênant. Car la vraie confidence de M. Gide ne s'arrête pas aux timidités ordinaires. Elle n'a garde de se travestir en fable romantique. Dans le Journal, elle va au fond plus avant, et vous devinez quel genre d'aphorismes sataniques abondent sous cette plume. Reste à savoir s'ils ont été provoqués par le désir de se plaire à soi-même ou de déplaire aux censeurs. « Inquiéter, tel est mon rôle. Le public préfère toujours qu'on le rassure. Il en est dont c'est le métier. Il n'en est que trop. » Cela, c'est une admirable formule d'esthétique plutôt que d'immoralité. J'aime moins cette maxime renouvelée des hérétiques qui poussèrent le quiètisme jusqu'à la débauche: Renoncement à la vertu par abdication de l'orgueil. On nous permettra de suspecter cet excès de modestie. De même certaines déclarations que l'auteur sent en lui « un tel envahissement du mal qu'il semble que le mauvais prince y procède à un

établissement de l'Enfer ». C'est peut-être pour scandaliser un peu plus M. Henri Massis. Et quand il donne d'un sentiment assez ordinaire cette définition : « Un ami, c'est quelqu'un avec qui on serait heureux de faire un mauvais coup » on peut bien trouver là de l'idéalisme à l'envers, bref une petite fleur bleue.

Le Journal des Faux Monnayeurs abonde, à l'égard des questions artistiques, en vues exquises dont on pourrait faire une anthologie classique. Il serait un peu technique d'entrer dans le détail. Qu'il suffise de savoir qu'elles aideront les lecteurs à respecter dans le roman moderne certaines subtilités de composition, les détails éludés, l'horreur du didactisme, la recherche d'une perspective, fort différente de la vision claire ou théâtrale, où les ombres servent autant que la lumière. M. Gide qui montre de la dévotion à Stendhal, reproche très justement à Balzac d'avoir annexé et amalgamé au roman « le plus d'éléments hétérogènes et inassimilables par le roman ». Le roman pur, sans scories, encore idéal et rêvé, mais qui se réalisera peut-être, lui plaît autant que le lyrisme pur, la tragédie pure, et tous les genres qu'il rend grâces à notre XVII° siècle d'avoir dépouillés, simplifiés, restitués à leur essence: aussi bien la fable que le sermon. Mais que sera le roman pur? Je n'ose croire que les Faux Monnayeurs, où il avoue avoir voulu verser trop d'expérience, de pensée, et même d'investigation psychologique, en donnent déjà l'exemple. En tout cas, il est facile de deviner quelle opinion doit nourrir M. Gide sur l'art de M. Paul Bourget...

L'auteur des Faux Monnayeurs tient que le style d'un roman << ne doit présenter aucun intérêt de surface, aucune saillie ». Tout doit être dit de la manière la plus plate. Cette maxime excellente en soi lui engendre pourtant d'effroyables disciples. Un jeune romancier se vante couramment de n'avoir pas de style, et écrit, en effet, comme les concierges ou les rédacteurs de rapports. Cette répugnance à la « littérature » a déjà porté malheur à certains jansénistes qui sont devenus illisibles faute d'avoir recherché des attraits. Aujourd'hui, elle est particulièrement dangereuse, car, sauf un homme aussi cultivé que M. Gide, peu de gens savent

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que le style courant ou vulgaire est le contraire du style naturel c'est plutôt un style journalistique qui est, à son tour, un style littéraire dégénéré. La vraie simplicité, la << platitude> classique n'a aucun rapport avec cette vulgarité-là.

Ce n'est pas dans les mauvais disciples qu'il faut ranger M. Jacques de Lacretelle. Son Journal de Colère, paru dans le recueil Aparté, fait le plus grand honneur à son goût et à son intelligence, qui sont une seule et même chose, comme il convient. Colère est une agréable nouvelle, un peu froide et, d'ailleurs, composée sur commande; le commentaire en a infiniment plus de couleur, de romanesque, de feu. Cela permet de voir quelle noble prévention inspirerait la séparation des genres. L'essai est ici plus passionnant qu'un récit, et, d'ailleurs, il forme un récit lui-même, avec des anecdotes, des maximes, des confessions nonchalantes, des méditations solides. M. Gide disait dans son livre: « Je ne veux gagner mes procès qu'en appel, je n'écris que pour être relu ». Le Journal de Colère est aussi bon à relire, et voilà, en effet, le meilleur critère d'un ouvrage substantiel.

Le manque de cynisme et la peur du trivial, quel dommage chez un romancier !... L'effet d'une révélation psychologique est amorti si elle ressort d'une explication et non d'une scène... Il y a dans ces préceptes la marque d'un artiste trop conscient de son art pour n'être pas aussi un moraliste. Je ne sais, par exemple, si l'occasion de Colère était bien choisie pour faire confesser à l'auteur les hasards ou la méthode de sa création. Colère a été imposé comme sujet, accepté sans enthousiasme, illustré par la réflexion plutôt que par le génie (j'appelle ainsi le besoin intime de produire). Nous aimerions mieux lire le Journal de la Bonifas. Mais on peut trouver, en revanche, que le mécanisme, agissant seul, est plus facile à démonter, plus instructif à considérer.

Et puis, M. de Lacretelle professe que pour éviter de tout tourner à la littérature, de ne vivre que pour elle, de lui rapporter ses soucis et ses pensées, il faut écrire de temps à autre des récits sur soi-même, les publier comme des récits romanesques. M. Gide tenait, au contraire que le roman est plus hardi, plus sûr dans l'investigation, que la confession proprement dite. Mais, les deux démarches se rejoignent à mi-chemin car l'essentiel reste bien de ne transcrire que des sentiments éprouvés, des choses vues; les transposer plus ou moins, c'est l'affaire de l'art ou de l'audace.

Pour l'audace, M. de Lacretelle ne saurait égaler M. André Gide. D'ailleurs, le propos de son œuvre, tout objectif, ne lui sert que comme un thème d'exercices spirituels. Ce propos est fixé dès le début, il l'avoue, avec le plan et le dénoûment compris. Les Faux Monnayeurs n'en pouvaient dire autant c'était le guignol ou l'enfer capricieux où grouillaient en liberté les fantômes de M. André Gide, qui eût trouvé criminel de les diriger vers un but. M. Gide a-t-il écrit les confidences d'un écrivain torturé et şi l'on veut, maudit, M. de Lacretelle produit celles d'un heureux auteur qui flâne, mais qui sait où il va. Selon le tempérament du lecteur, on préférera une voie ou l'autre.

Il convient de signaler dans Aparté les Dix jours à Erme

nonville où M. de Lacretelle prend pour héros Jean-Jacques, son ami Jean-Jacques Rousseau, menteur, névrosé, mais grand intercesseur auprès de la Sincérité et de la Rêverie, déesses modernes. C'est encore un journal que cet entretien posthume, plein de détails exquis et d'intuition psychologique. Une figure y paraît, ressuscitée par un vrai miracle d'intelligence et de sympathie : celle de Claude Anet, le jardinier de Mme de Warens, âme probablement jalouse et fière et qui n'accepte pas le partage de sa maitresse avec le jeune secrétaire qu'elle s'était donné. M. de Lacretelle le pousse au suicide par colère discrète et par désespoir. Et Jean-Jacques, lui, n'a vu dans l'histoire que l'illusion réalisée d'un ménage à trois, tolérance, harmonie, sainteté et respect de la nature... Ce sera l'origine de la fabuleuse situation de la Nouvelle Héloïse, où le romancièr. cependant, dénoua tragiquement, comme eût fait la réalité même, cette utopique rêverie. Tant y a que le roman sert de contre-épreuve aux billevesées, et que les romanciers ont le droit de nous conter leurs expériences, comme les chimistes. ANDRÉ THÉRIVE

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<< Je ne lui vois, dit-il, aucun des défauts du romantique, mais toutes les qualités. L'homme, d'après tout ce qu'on sait de lui, était un ami exceptionnel... Le premier dans son art, auquel il donne sa vie, il fut, en outre, un écrivain remarquable. Son Journal est probablement, de tous les ouvrages confidentiels, celui dont je me passerais le plus malaisément. Il connaissait et chérissait la musique. Etre l'ami de Delacroix, c'est être aussi l'ami de Chopin. Enfin, près de lui, j'aurais eu le privilège de voir naître, à la vie superlative de l'art, un peuple de héros, de princesses et de dieux. »

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Pour être appelée femme de lettres.

Un correspondant du Canada nous envoie cette coupure de la << Petite Correspondance », insérée par la Presse de Montréal. Demande : Faut-il avoir écrit un livre pour être appelée femme de lettres ? et pour écrire un livre faut-il avoir une très grande instruction ou s'il suffit d'avoir du goût?

Réponse: C'est un titre qu'on ne devrait donner qu'aux per sonnes exclusivement vouées à la carrière des lettres; mais on

l'applique souvent à tort. Pour écrire convenablement, il faut posséder le talent et le goût littéraire, une instruction solide et une véritable culture d'esprit.

BIBLIOGRAPHIE

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Lemerre). 12 fr.).

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La Divine Comédie tient entre les deux noms de Francesca et de Béatrice, la comédie aussi de nos jours périssables. Toute âme qui vit oscille de la chair à l'esprit. Dans l'ordinaire des choses, la vieillesse l'allège, l'épure, le temps triomphe de lui-même et le dernier soupir peut s'exhaler en haut. Parfois, les sens restent les maîtres. Selon l'aventure on est accueilli hors de l'espace par le sourire de la Vierge toscane ou le gémissement de la maîtresse de Paolo.

Mille guides se tiennent aux abords de la forêt dantesque et souvent ne servent qu'à y égarer davantage. Celui qui vient de nous enseigner est une femme qui, dans l'Argentine lointaine, s'emploie à la diffusion de notre langue qu'elle écrit comme si elle la parlait communément au bord de la Seine. Elle a touché à un génie qui ne lâche point sa proie et, prise aux tercets prestigieux du Maître de Florence, elle semble avoir passé ses jours à s'en nourrir (1).

Elle est bienvenue à nous faire part de son expérience. Le poème de Dante, historique, cosmique, théologique, moral apparaît surtout humain et il est tout cela parce qu'il demeure ceci. Nul système, nulle connaissance, nulle loi, point de moeurs que l'intelligence ne conserve s'ils ne sont passés par le cœur.

Aussi, Mme Victoria Ocampo, c'est son nom, a-t-elle bien raison de nous initier par son exégèse au sens que prennent les Cantiques si on les considère non comme des allégories, mais en les transposant au mode de l'amour et du terrestre au divin.

Les grandes énigmes du livre querelles sur le lieu ou le temps, souvenirs, prophéties, occultisme, identifications des personnages ne sont pas son gibier. Elle veut moins et mieux, entendons-le. Nous avons vu Francesca, Béatrice, plus concrètes et plus colorées qu'en leur vie, symboliser la passion et la béatitude. De l'Enfer au Purgatoire, considérons deux modes de la souffrance: celui qui châtie, celui qui purifie et deux destins : le désespoir, l'invincible espérance.

Que dit, en effet, le jeune Manfredi, et surtout que faitil?« Ce jeune prince », écrit le commentateur, « ce jeune prince biondo, bello e di gentile aspetto, qui, pour se faire reconnaître de l'Alighieri, lui découvre, avec un sourire plein de mansuétude, sa blessure, nous révèle du même coup un des privilèges du lieu nouveau où nous pénétrons. Car

(1) Victoria Ocampo, De Francesca à Béatrice (un vol. aux co Bossard.)

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