Et pourtant l'Egarée sur la route se termine bien, ayant mis dans son jeu, si je puis dire, la bonne nature, un souci médiocre de la morale ordinaire, et plusieurs autres circonstances favorables. Ici le grand peintre est le paysagiste Bertrand Gallois, quinquagénaire, homme superbe (comme son nom l'indique). Sa maîtresse s'appelle Rose Againe ; elle a trente-sept ans ; sa fille Gertrude en a dix-neuf, mais c'est une jeune personne moderne, les temps ayant changé et les mœurs. Elle est éprise de Bertrand sans se le cacher trop longtemps à elle-même, sans le cacher trop bien à lui. Heureusement, les amours de Bertrand et de Rose sont inatta quables, indestructibles, cimentées par la volupté parfaite, la prédestination physique. Quand Bertrand aura ei tendu Gertrude, mariée depuis quelques heures à un bon jeune homme, lui avouer sa passion en face, l'appeler son beau seigneur, s'offrir comme compagne, comme maîtresse, comme servante, il aura la sagesse de lui parler en beaupère et même en homme d'âge. Il l'envoie « sur la route, sur la route magnifique qui monte, qui monte » c'est-à-dire sur la vie toute neuve. Elle n'y sera plus égarée. Cela n'empêche que le lecteur conserve des doutes sur l'avenir de cette petite femme. Elle a tout ce qu'il faut pour essayer plusieurs sentiers défendus. Et Bertrand Gallois qui reste-l'amant de sa mère, n'en deviendra pas le mari ; Mme Againe, après avoir si longtemps dissimulé sa liaison, refuse d'en faire un bonheur bourgeois ». L'amour triomphe, donc il triomphe même avec tant d'assurance et d'ostentation que l'on devrait concevoir quelques craintes. Et c'est ici que je voudrais m'expliquer. Ne soyons pas dupes en effet de la fable née de la situation dont le dramatique est moins touchant qu'il ne' semble, bien moins, en tout cas, que dans Fort comme la mort. L'Egarée sur la route par son titre ancien abuse un peu le lecteur ce n'est pas Gertrude qui en fait le sujet principal; c'est l'amour de sa mère et du magnifique Bertrand. Cet amour n'est guère menacé de l'extérieur ; il ne progresse ni ne diminue. Le livre tout entier se réduit à son chant d'allégresse, à sa proclamation de victoire. L'intrusion de la jeune fille sert à peine de réactif à une passion si absolue. Et pourtant la première moitié de l'ouvrage tendrait à nous faire croire qu'un vrai drame de jalousie va éclater entre la mère et l'enfant. En réalité, elle est consacrée à nous. marquer la surveillance mutuelle de ces deux êtres. Rose se croirait déshonorée de dévoiler sa liaison, Gertrude se croit piquée envers Bertrand de curiosité, de colère et d'admiration. Quant à nous, pas un moment ces fauxsemblants ne nous voilent le conflit véritable, qui serait une VIENT DE PARAITRE DALE VAN EVERY et MORRIS DE HAVEN TRACY LA VIE DE LINDBERGH 16 photographies hors-texte Le livre le plus complet, documenté aux sources directes, sur la vie inconnue de Charles Lindbergh. Payot, Paris, 106. Boulevard St-Germain - 15 fr. net Mais le vrai sujet a besoin d'une autre condition pour se dévoiler. Or, le vrai sujet, c'est la déclaration d'un amour libre devant Dieu et devant les hommes. Sujet lyrique plutôt que romanesque, et que des péripéties serviraient assez mal. Mme Againe, ayant surpris chez sa fille une obsession de Bertrand, qu'elle tient à bon droit pour dan gereuse, croit donc un instant qu'il est de son devoir de changer un peu d'air. Elle part pour le Midi avec sa fille ; Bertrand vient l'y rejoindre, l'y reprendre ; au fait ils n'ont jamais eu idée de rompre ni de se séparer vraiment. Voilà tout l'épisode. Il est maigre. Il a la nudité d'une histoire vraie les détails d'une aventure si restreinte emportent la créance quand on lit le livre: ils sont même gênants comme ceux d'une confidence privée, sans grande ampleur; mais résumer l'ensemble, y chercher une ligne dramatique, ce serait le trahir. Cette étude de psychologie pure, subtilement dessinée, n'a guère plus de théâtral que la vie même. Peut-être aussi n'a-t-elle guère plus de sens qu'un cas particulier, un chapitre de mémoires. Mais si l'on aime la vérité en soi, une histoire d'âme authentique, c'est déjà beaucoup. M. Gaston Chérau trouverait sans doute que ce n'est pas assez, car sa préface et quelques passages du livre ressemblent un peu à des manifestes, pour justifier le sujet qui reste en dernière analyse savoir un hymne à l'amour. Ce serait trop simple, s'il ne s'agissait, en termes exprès, de l'amour complet, savoir de l'amour physique. « La plus noble des joies corporelles... Pourquoi rougir de parler de ce bonheur...? » C'est l'auteur qui parle. Voici maintenant Mme Againe, en termes que je coupe et censure: « C'est Dieu qui nous a donné notre chair. Alors c'est dans le moment où le cœur et les sens sont si bien accordés que nous nous approchons le plus de Lui... etc. » Il y a là plusieurs pages sur l'oreiller que je ne résume pas, parce qu'on les devine; depuis George Sand le thème en est connu. Lélia disait déjà à son amant : « Tu es le fil qui me rattache à Dieu. » Et les imprécations de Mme Againe contre la morale chrétienne (Les prêtres nous racontent que nous nous damnons? C'est abominable, etc., etc...) sont conformes à une tradition respectable (Dieu n'a pas voulu que les hommes se torturent, Dieu a voulu qu'ils soient heureux, etc... Un péché, çà ? etc...). La question d'ailleurs est insoluble, elle est d'ordre métaphysique. Il est malaisé de convertir les adeptes du pessimisme et du renoncement à l'ethique apollinienne; et la réciproque aussi. L'amour ou la haine de la vie, c'est affaire de tempérament. Je vois bien dans quel sens Mme Againe prendrait ce dernier mot. Cette personne « vésuvienne », ni ses théories sur la bonne nature n'ont d'ailleurs à être jugées qu'à l'égard du roman. Et c'est là qu'il faut rappeler à M. Chérau quelques vérités paradoxales. D'abord pour être franc, l'exaltation de l'amour forme un bon thème en littérature; mais l'exaltation du bonheur en fait un déplorable. De même que les peuples tranquilles n'ont pas d'histoire, les amants comblés ne sont guère objet de roman. Pour deux raisons aussi générales l'une que l'autre le bonheur n'est, certes pas, moins perceptible aux hommes que le malheur, mais il est moins susceptible d'analyse, d'explication, d'explicitation; c'est une banalité, une évidence, sans prétention philosophique que le douloureux est plus positif dans la vie que l'agréable, lequel représente un équilibre, une plénitude (d'ailleurs passagère) et qui tend, faute de variété, à l'inconscience. D'autre part, la peinture du bonheur amoureux, entendez le bonheur charnel, n'est pas si fertile qu'on le croit : car, tous les psychologues l'accordent, rien n'est si individuel, rien n'est si impropre à éveiller la sympathie. Un homme normal est indifférent aux plaisirs d'autrui, plutôt hostile même; car l'amour est par essence une ardeur égoïste, une affirmation du moi. Il ne suffit pas qu'elle soit semblable chez tous les êtres pour être aussi en commun: la vie est commune à tous les vivants (belle trouvaille) et cependant les oppose essentiellement les uns aux autres ! Aussi le héros de M. Gaston Chérau, que son amante traite de beau Dieu et de mille autres gentillesses touchantes, ce costaud tant aimé, n'en est pas pour cela plus aimé du lecteur. Son amante incomparable, et leurs ébats, ne sont pas non plus aussi admirables qu'on pourrait croire, et cet échec n'est pas dû le moins du monde aux préjugés chrétiens, mais bien à la nature même ; ou à la tradition sociale, dont on me fera croire avec peine qu'elle se trompe sur les lois naturelles. Ainsi Rose Againe dans ses lyrismes, Rose Againe dans ses expansions, Rose Againe dans ses impudeurs (prenons le mot conventionnel) rompt avec une vieille règle qui est la réserve féminine, l'hypocrisie si l'on veut, mais qu'on ne renverse pas impunément. Cette personne semble croire que les masques de la morale ont été posés sur le visage. du libre amour, par l'erreur, la malignité, la haine du genre humain. Ce n'est pas sûr. L'amour a des conséquences sociales; la société a eu tôt fait de s'en aviser et de le régenter. S'il y a des lois divines, elles recouvrent et renforcent probablement des lois humaines, sans quoi (je n'excuse du prudhommisme) il y aurait vite moins de passions sublimes que de chiennerie, et en tout cas pas de littérature. Car la littérature, et tout le pathétique des hommes, naît de ce qu'ils n'ont pas droit, en aucun domaine, à toute la liberté... L'Egarée sur la route en forme d'ailleurs un bon exemple. L'histoire prouve que l'amour suit justement des règles qui oppriment les uns (Gertrude en l'espèce) pour favoriser les autres. Qui pourrait, en effet, dire de quel côté sent les vrais droits, la vraie passion, le vrai bonheur ? C'est après coup que les personnages en jugent, et non selon l'économie probable de la vie, qui exige qu'un couple plus vieux cède à un plus jeune. Dans cette hésitation-là résidait l'égarement. Le retour au sens commun, voilà la route. Il se trouve que sur cette route cheminent deux amants parfaits, deux amants comblés. C'est bien par hasard. M. Gaston Chérau n'a pas abdiqué, cette fois-ci, ses préférences ordinaires. Bien que d'une psychologie nuancée et exacte, ses personnages restent en somme peu compli qués dans un autre milieu social, ils montreraient au fond plus de pathétique encore. Car je me demande si le cadre mondain ne banalise pas un peu le drame d'une passion si proche de la nature. Une conversation au téléphone (dont il y a ici des exemples) reste moins touchante qu'une discussion face à face, tout en prenant un dramatique particulier. Les malentendus que la courtoisie, la vie citadine, entretiennent et aggravent, forment aussi un excellent ressort de l'action psychologique. La retenue enfin des gestes (en société du moins) et des sentiments apparents accroît la force des choses cachées. Et malgré tout, il reste dans certains épisodes un peu d'arbitraire et de factice : le vrai n'est pas toujours le plus plausible dans la vie. Si l'Egarée sur la route était porté au théâtre, en dépit d'un manque de progression évident (tous les personnages sont fixés vers la 40° page) cela ferait une pièce robuste et charpentée. Une autre observation où ne manqueront pas les lecteurs, c'est que M. Chérau n'a pas laissé périr, même en cette occasion le romancier rustique. Certaines comparaisons le révèlent en pleine psychologie (elle avait senti passer une menace pareille au grand souffle qui se lève par un jour clair du bel été... (ici huit lignes d'ailleurs très belles) ou bien à l'horizon de ces complications un éclatant et même point lumineux apparaissait, bref, net comme la lumière d'une maison forestière que... (etc...). Et cela est très bien, cela aide à replacer ce, roman dans une œuvre déjà si admirée et, comme on dit, si classée. ANDRÉ THÉRIVE. Successeur de Librairie Jules MEYNIAL E. JEAN FONTAINE 30, Boulevard Haussmann, PARIS. Tél. : Central 85-77 Grand Choix de Beaux Livre Anciens et Modernes. Achats de Livres et de Bibliothèques-Direction de ventes publiques, Expertises. Catalogue mensuel franco sur demande. Enquête sur les romantiques Réponses de Mme Gérard d'Houville et de Mme Gérard d'Houville Je crois que je vous aime, le dernier livre de Mme Gérard 'd'Houville est un charmant recueil de proverbes où l'auteur sème à foison la malice et la grâce. L'un de ces proverbes (Une hirondelle ne fait pas le printemps) débute ainsi deux bonshommes, Alphonse Hugaal « poète honorable» et Emile Patinet, directeur d'un journal, se promènent dans un jardin public. La scène est en 1840. Ils s'entretiennent de toutes sortes de sujets et, bien entendu, des affaires politiques. M. Alphonse de Lamartine est fort critiqué. On raille son discours à la Chambre sur l'agriculture « A chacun son métier, dit Patinet, que font les poètes à la Chambre ? » C'est fort juste. L'on ne saurait être d'un autre avis que Patinet, mais si Mme Gérard d'Houville ne goûte pas chez Lamartine l'homme parlementaire, en revanche, elle célèbre le poète de la jolie manière que voici : Je choisis Alphonse de Lamartine. Parce qu'il a écrit quelques-uns des plus beaux vers romantiques; parce que son génie est magnifiquement ailé ; parce que sa gloire est belle comme il fut beau; parce que sa jeunesse a été troublée, son âge mûr frappé, sa vieillesse pauvre et délaissée. Pour tout cela... pour le Lac et pour Jocelyn, cet étonnant chef-d'œuvre. Parce qu'en toutes choses, amour, renommée, douleur, il semble plus haut que le reste des humains. Heureux Lamartine ! C'est un privilège du poète que de s'entendre dire un demi-siècle après sa mort : « Je crois que je vous aime. » M. le baron Scillière Le baron Seillière a souvent traité les romantiques d'une façon assez dure. Mais il ne leur en veut pas. Les maux et les vices dont il les montre chargés ne sont, dit-il, qu'un lourd héritage et c'est contre leurs ancêtres, dont Fénelon, selon lui, est au XVII° siècle, le représentant, qu'il dirige tout son courroux. Avec cela, dans le domaine de la passion, il est sain malgré ses désordres, par la sincérité de son élan : dans le domaine de l'art, il échappe pleinement aux ridicules et aux responsabilités du messianisme romantique dans le domaine social, il voit clair et ne perd pas de vue la nature humaine. Il évite l'écueil du précieux. Ses défauts, ses vices même s'oublient parce qu'ils n'ont pas laissé trace en son œuvre. Il apparaît, dans le recul du temps, comme l'incarnation du charme juvénile et de la plus exquise distinction française. N'est-ce pas tout ce qu'il faut pour inspirer, pour commander la sympathie ? M. Pierre Mille Décidément Musset est fort aimé. Les deux réponses suivantes en font foi. M. Pierre Mille choisit l'auteur des Nuits. Qui s'en étonnerait ? Nul n'a davantage de curiosité pour la vie ni d'amour pour la littérature que M. Pierre Mille. Et Musset n'est-il pas l'un des plus humains et surtout le plus << parisien » des romantiques ? Le plus grand des romantiques est sûrement Hugo. Mais le plus sympathique ?... J'ai bien envie de nommer Musset. S'il eut des défauts qu'on connaît - ces défauts ne faisaient de mal qu'à lui-même. Ils ne l'empêchaient point d'être charmant. ... Et puis, il fut tellement lui, rien que lui ! Et son théâtre, qui chaque jour nous paraît plus fort! Et je ne sais quelle veine lyrique, qui, sans qu'on sache comment, nous mène à Verlaine. Car ceux qui aiment Verlaine, c'est à remarquer, aiment aussi Musset. M. Jacques Bainville L'art de dire beaucoup de choses en peu de mots est celui de M. Jacques Bainville. Il le prouve tous les jours dans l'Action Française et dans tous les journaux où il lui plaît d'écrire. Sa réponse nous en donne une nouvelle preuve. Elle tient en une demi-ligne et la voici : << Musset... comme à vingt ans ! » M. Lucien Descaves M. Descaves choisit Gérard de Nerval et il n'est pas le seul, comme on le verra. Les dernières lettres que nous avons reçues témoignaient d'une grande sympathie pour l'amant de Jenny Colon. Il fut malheureux et discret. Beaucoup plus discret que Marceline Desbordes-Valmore, certes ! Censeur vigilant, il discerne la qualité purement française M. Lucien Descaves est bien placé pour le savoir. 'd'un Musset auquel il rend un bel hommage: Celui de nos romantiques qui fut de tout temps en possession de ma sympathie la plus entière est Alfred de Musset. D'une part, il est impossible d'incarner plus brillamment les 'dons de l'école. Sa poésie est assurément celle qui va le plus droit à l'âme. Et qui de nous n'a su par cœur les Nuits et Rolla, avant sa quinzième année, pour ne plus les oublier jamais ? Non moins évidemment génial est son théâtre. S'il n'a pas la puissante diversité de Shakespeare, il en a toute la grâce ailée, sans heurter par les fautes de tact et de goût qu'engendre une culture encore à demi barbare. Son roman, qu'on néglige à tort, est l'un de ceux qui vont le plus avant dans l'exploration du cœur. (1) Voir l'Opinion du 16 juillet. Si j'avais vécu au temps du romantisme, c'est Victor Hugo que j'eusse admiré, mais c'est Gérard de Nerval que j'eusse aimé. M. Noël Sabord M. Noël Sabord rédige dans Paris-Midi un courrier 'des lettres fort vivant. En tête de ses informations où la vie littéraire est très exactement tenue à jour, il pique chaque matin un petit « papier » alerte et concis sur une question. ou un livre actuel. Cette enquête a retenu son attention. Le romantique choisi par lui est Gérard de Nerval. Mais il se demande, tout d'abord, si nous ne connaissons pas un peu trop les gena du siècle passé pour les trouver encore sympathiques... Sachant d'eux ce que nous en savons, vers lequel nous sentirons-nous poussés par un élan du cœur? Vers Victor Hugo, grand poète, certes, mais olympien et distant comme l'Himalaya? Vers Vigny, que, personnellement, je préfère, aux plus grands, mais que des petitesses d'homme ne me donnent nulle envie de connaître ? Vers Lamartine, ce « dadais », qui soigne sa gloire dans les salons comme un cygne lisse son plumage ? Vers Musset, ce dandy souffreteux, efféminé, faux bohême, d'une gaminerie un peu vicieuse? Vers Sainte-Beuve, sa lippe, sa calotte et son armoire à poisons ? Cependant, sur le divan du bon Théo qu'on aimerait, lui, s'il n'était hors du jeu (1) voici un petit homme à demi chauve, pelotonné sous un plaid et dormant. » Il dort entre deux nuits, car il est funambulesque et noctambule. C'est sa façon à lui de vivre toujours dans la nuit et avec ses rêves. Celui-là, oui, ma sympathie lui est tout acquise. « On l'aimait, dit un de ceux qui l'ont connu, car il était d'une aménité touchante. Je n'ai jamais rencontré personne qui n'en ait dit du bien. » Le jugement a du prix, venant d'un témoin qui eut le cœur sec et la dent dure. Le « Confrère sympathique », le voici : il se nommait Gérard Labrunie et se fit appeler Gérard de Nerval. « < 30 janvier 1898. M. Huysmans, sous-chef du 4 bureau de la direction de la Sûreté générale, doit demander sa retraite au commencement de février. M. Renard, rédacteur principal au même bureau, demande à le remplacer. Services: neuf ans comme conseiller de préfecture et sous-préfet, quatre ans comme rédacteur principal. >> Telle est la petite note que j'ai reçue ce matin. M. Renard étant un charmant homme, qui va régulièrement à son bureau et qui y travaille, je ne vois pas de mal à le voir remplacer Huysmans. Au moins aura-t-il sur son prédécesseur cet avantage qu'il s'occupera un peu du service qui lui sera confié. Huysmans, l'auteur des Sœurs Vatard, passe pour un jeune! Mon doux Jésus ! Quelle erreur ! Il est de ma génération : c'est tout dire. Depuis trente-deux ans, il est, au ministère de l'Intérieur, le prototype du fonctionnaire homme de lettres, voué au rond-de-cuirat, une institution bien française, celle-là ! Il paraît qu'il ne s'est jamais soucié de la Sûreté générale, des affaires départementales, de l'Assistance ou du régime pénitentiaire plus que du grand Turc. Il arrive, il s'installe, ouvre les fenêtres, si c'est l'été, s'approche du feu, si le temps est froid, et se met à travailler à un de se livres. Pendant qu'il écrivait A Rebours, il n'a pas une seule fois ouvert une lettre du ministère, ou écrit une ligne pour l'Administration qui le paie. Je ne le juge point. Peut-être a-t-il fort bien fait ! Le rond-de-cuirat étant chose sacrée, le plus fort est celui qui en use le mieux à son usage. Huysmans, cependant, ne pensait pas en avoir tiré tout le profit. qu'il en pouvait attendre. Le vcilà en proie à une crise mystique. En allant demain demander sa mise à la retraite à Barthou, il lui remettra la Cathédrale, son nouveau livre. Je voudrais assister à l'entretien. » Droits d'auteurs. Si l'on compare aux copieux revenus que les éditeurs assurent à certains auteurs notoires d'aujourd'hui, les modestes honoraires que recevaient les écrivains célèbres du siècle dernier, on constate que le métier d'homme de lettres ne périclite pas. D'après Emile de Girardin, les auteurs, en 1835, se divisaient en cinq catégories : 1° Ceux qui se vendaient jusqu'à 2.500 exemplaires, chaque ouvrage étant payé de 3 à 4.000 francs. Deux écrivains seulement connaissaient cette fortune: Hugo et Paul de Koch ; 2 Ceux qui se vendaient jusqu'à 1.500 exemplaires. Ils étaient quatre Balzac, Soulié, Eugène Sue et Jules Janin ; 3o Ceux dont la vente allait à 1.200 exemplaires, et qui recevaient de 1.000 à 1.200 francs. Alphonse Karr était de ce nombre ; 4 Ceux qui, pour 6 à 900 exemplaires touchaient 500 fr. Il y en avait douze, dont Musset ; 5 Ceux qui pour moins de 500 exemplaires recevaient de 100 à 300 francs, tel Théophile Gautier. Combien y a-t-il d'écrivains connus, à notre époque, qui accepteraient des conditions aussi désavantageuses ?... Madame de Sévigné contre les jupes courtes. La Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne a consacré tout un gros fascicule aux rapports de Mme de Sévigné avec la Bretagne. M. Pocquet du Haut-Jussé, en particulier, nous montre la marquise guerroyant contre les jupes trop courtes, à son gré, de certaines demoiselles de l'aristocratie bretonne. << Pour les jupes courtes écrit-elle, vous aurez quelque peine à les rallonger. Cette mode vient jusques à nous; nos demoiselles de Vitré, dont l'une s'appelle, de bonne foi, Mme de Croque-Oison et l'autre Mlle de Kerborgne, les portent audessus de la cheville de pied. » C'est encore au-dessus de la cheville de pied que les jupes arrivent, mais tellement au-dessus ! Un aveu. Un écrivain anglais, M. Lewis Hind, publie ce qu'il appelle le résultat de son expérience personnelle et d'une enquête menée auprès de ses confrères. Il a voulu savoir, dit-il, pourquoi un écrivain écrit. Et il a trouvé ceci : 50 pour 100 obéissent à l'ambition et au désir de s'évader de la monotonie de la vie quotidienne; 25 pour 100 à la vanité; 20 pour 100 pour gagner de l'argent et 5 pour 100 parce qu'ils ont quelque chose à dire. M. Lewis Hind est sévère pour ses confrères. Mais dans quelle catégorie se range-t-il lui-même ? Germain Pilon, par Jean BABELON (Edition « les BeauxArts »). Pas à pas, l'érudition française complète son outillage pour l'étude des grands artistes. Je ne crois pas qu'on puisse réunir un ensemble de documents, plus complet, plus clair, mieux ordonné que celui que M. Jean Babelon a rassemblé sur la vie et les œuvres de Germain Pilon. Biographie, tableau chronologique, avec reproduction intégrale des textes, catalogue raisonné et méthodique des œuvres, bibliographie, tables, rien ne manque à cette excellente monographie, illustrée de 80 reproductions. Le sculpteur des Valois méritait ce traitement de faveur. Il n'est peut-être pas de tempérament artistique, à la Renaissance, qui semble plus près de nous (de nous, à la fin du XIXe siècle). Pilon est tout mouvement. L'académicien naissant n'a pu lui faire oublier les traditions de fantaisie et de franchise héritées du moyen âge. Son génie oscille entre le platonisme et le réalisme, sans prendre décidément parti », dit très justement Jean Babelon. Charme et faiblesse à la fois, et qui se retrouve à toutes les crises de croissance de l'art. H. C. Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes. Rapport général, par M. Paul LEON, Tome V. Accessoires du mobilier (Larousse, éditeur). Le premier volume de cette œuvre magistrale, qui en comprendra 18, est consacré à la tabletterie et la maroquinerie, l'art et l'industrie du métal, la céramique, la verrerie. Ce rapport, dirigé par H.-M. Magne, diffère essentiellement des publications dont les matériaux ont été réunis par un Comité de rédaction, officielles consacrées aux Expositions précédentes. Au lieu d'un palmarès qui n'offre d'intérêt que pour les exposants, il donne, sur toutes les classes envisagées, des notions techniques et artistiques précises et ordonnées. C'est une documentation d'autant plus précieuse qu'elle est illustrée par 96 planches en noir et en couleurs, reproduisant les meilleures œuvres exposées. L'ouvrage est imprimé sur vélin d'Arches, par l'Imprimerie Nationale. Il consacre dignement le souvenir de l'éclatante manifestation de 1925, où la France a tenu dans toutes les matières et dans toutes les techniques une place de premier rang. — H. C. BIBLIOGRAPHIE Jacques HISTOIRE, MEMOIRES, REPORTAGES. ROBERTI, Maisons de société, choses vue (A. Fayard, 12 fr.). Etienne TARDIF, Le roman du pays de France: Nos P. C. R. (Alexandre, 15 fr.). René C.-T. ZELLER, La vie dominicaine (B. Grasset, 12 fr.). KOU-HOUNG-MING, L'esprit du peuple chinois (Stock, 12 fr.). Francis JAMMES, Lavigerie (Flammarion, 12 fr.). André HALLAYS, Les solitaires de Port-Royal (Plon). Dr Paul VOIVENEL, Les belles-mères tragiques (Renaissance du Livre, 10 fr.). Raymond RECOULY, La Troisième République (Hachette, 20 fr.). Emile LUDWIG, Guillaume II (S. Kra, 18 fr.). Pierre LHANDE, Le Christ dans la banlieue (Plon, 15 fr.). André MAUROIS, La vie de Disraëli Dans le Petit Courrier de la Vie Financière, que publient en ce moment la plupart des périodiques, et qui paraît sous la res-Gallimard, 12 fr.). - |