élégante et libérale, avait réussi, en dernière analyse, par consacrer le départ de la bourgeoisie radicale, et par livrer Tours aux révolutionnaires, à leur tour menacés par les communistes. La Touraine est le pays de la mesure et de la souriante raison, mais aussi de la logique je n'ai pas rappelé encore qu'elle est le pays de Descartes. Mais oui, à l'entrée du pont de la Loire, devant les deux nobles monuments un peu décrépits qui furent naguère l'Hôtel de Ville et le palais, se dressent, dans la verdure d'un square, comme des armes parlantes de la Touraine, la AFFAIRES INTERIEURES statue de Descartes et celle de Rabelais. La sagesse tourangelle Les forces politiques de la France L'Indre-et-Loire (Suite) L'Indre-et-Loire, avec des mouvements d'indépendance et de fronde, était donc, en somme, un département modéré. La ville de Tours, sortie de ses épreuves, relevée tant bien que mal des conséquences de la Révocation de l'Edit de Nantes, témoin attristée et grave des désastres de 1870, et capitale de la Défense nationale demeurait une ville conservatrice, avec une minorité radicale issue d'un patriotisme révolté. La majorité bourgeoise de la ville indépendamment d'un noyau clérical et d'un noyau légitimiste constituant une société assez fermée avait été orléaniste, bonapartiste et ralliée, avec une tendance de droite, à la république conservatrice et libérale de M. Thiers. C'est peu à peu que les éléments avancés deviennent la majorité. Eléments avancés contenus cependant dans un cadre traditionnel et national, et dont la première explosion fut une explosion boulangiste. Car il faut tenir compte aussi, en même temps que du bon sens et de la raison, toujours souveraine en Touraine, du caractère volontiers frondeur et vif de la province. Aussi bien, le radicalisme à peine maître de Tours, n'allait-il pas tarder à être dépassé, et de beaucoup, par le socialisme naissant. La population grandissante des faubourgs, les cheminots, la petite bourgeoisie désillusionnée du radicalisme, constituaient de solides éléments d'un socialisme très actif, qui ne cesse de grandir et qui finit en 1925 par arracher la municipalité de Tours à ses alliés du Cartel. En même temps, une partie des troupes boulangistes, très nationales, ne servait pas le radicalisme dans son évolution vers le Cartel, et grossissait les éléments modérés, renfort suprême qui rendit quelque vitalité aux forces décimées de l'aristocratie et de la bourgeoisie conservatrice. Tours présente, en effet, sous une apparence harmonieuse, des caractères très différents : il y a autour des rues animées, vivantes et joyeuses, de nobles quartiers d'une élégance un peu sévère, un peu silencieuse et triste; il y a une vieille ville pittoresque aux rues tortueuses et aux maisons anciennes, pleine d'une population à la fois ardente et sceptique, et il y a enfin des faubourgs qui grandissent. En 1919, il y avait dans la ville 7.500 socialistes contre 3.610 radicaux et 4.340 libéraux : les radicaux parvinrent cependant à garder la municipalité, mais en 1925, réduits à un effectif minime, il leur fallut abandonner la lutte. En 1924, les socialistes les rouges, les frondeurs, les avancés, étaient menacés cruellement sur la gauche par 3.190 communistes, et les modérés étaient devenus 4.500. En 1925, les modérés furent toujours 4.500, les radicaux laïques 4.000, les socialistes, ayant repris, par la lutte de classe et leur évasion du Cartel, quelque prestige aux yeux du prolétariat, furent 6.000 contre 2.000 communistes. Au ballottage, les socialistes triomphants voulurent bien accueillir 15 radicaux sur une liste de 36, et battirent ainsi les modérés, à 4.000 voix de majorité. Ainsi, la propagande radicale, laïque et cartelliste, dans cette jolie ville aime les leçons à demi mot: j'ai peur que certains politiciens n'aient pas suffisamment compris celles-ci. Au demeurant, Tours a subi la loi inéluctable des cités des afflux d'éléments nouveaux ont violemment remué l'élément stable de sa population et les leçons de la raison risquent d'être moins bien entendues. Quant au département, il est évidemment plus complexe. Longtemps, il est demeuré conservateur, mais, peu à peu, les forces de droite s'affaiblirent. La tradition aimable du pays n'empêchait point que la population ne fût frondeuse, et volontiers démocratique. Pour tout dire, elle n'aimait guère le château, et l'influence des grandes familles territoriales ne se maintenait pas sans lutte. La question religieuse était aussi, à la campagne, moins simple que dans les villes. La Touraine cultivée avait été accoutumée de bonne heure à la liberté de pensée, mais, aux champs, cette lutte revêtait un autre caractère. Elle se traduisait par une émancipation plus facile lors des poussées démocratiques. Cependant, l'Indre-et-Loire ne fut pas un dépar tement particulièrement irréligieux, et ce n'est qu'après le 16 mai qu'une démocratie radicale, volontiers anticléricale, s'affirma dans les cantons ruraux, sous la conduite et la direction, d'ailleurs, de la petite bourgeoisie voisine. Le plus illustre représentant du radicalisme tourangeau fut, d'une façon assez inattendue, Wilson. Je ne sais pas quelle put être, dans sa popularité et son influence, la part de la corruption électorale: la seigneurie démocratique du maître de Loches dont la sœur était châtelaine de Chenonceaux ne déplaisait ras à la population, et il n'avait pas fallu grand effort pour l'asseoir solidement. Encore que, d'ailleurs, elle fût un peu distante, et point joyeusement vigneronne, Wilson était tout près de son cœur. Il vengeait la population égalitaire et frondeuse de tant de dominations aristocratiques, héréditaires et insupportables, décriées, persiflées, combattues, et même quelque peu détestées, du côté le plus rouge de l'Indre-et-Loire. Mais, en 1889, l'Indre-et-Loire fut boulangiste. Boulangiste avec passion. Tours avait été la capitale attristée de la défaite. Elle fut la capitale de toutes les espérances démocratiques et nationales écloses. à l'aurore du boulangisme. C'est là que Naquet prépara, et fit célébrer la fameuse réconciliation du révisionnisme radical avec l'Eglise traditionnelle, et, tranchons le mot, la droite. Tours élut trois boulangistes sur cinq bientôt quatre. Les mouvements de passion, dans ce pays de raison et de mesure, sont de courte durée. Sauf la circonscription de Tours, longtemps conservée à l'opportunisme libéral, l'Indre-et-Loire redevint radical. Il ne l'est plus. Ce département frontière aime à secouer ses idoles et à affirmer son caprice. Il ne va jamais jusqu'à perdre de vue ses intérêts, et tout, chez lui, est affaire de mesure. Mais enfin, les radicaux, maîtres de la situation, ne furent jamais très solides. D'abord, la droite, regroupée, transformée en formation modérée, grossie de tous les mécontents, de tous les indépendants et de tous les inquiets, ne perdit jamais beaucoup de terrain depuis 1893 en 1919, les modérés furent aussi nombreux que les radicaux, plus nombreux même, à aller au fond des choses et en tenant compte des situations acquises: en 1924, malgré la poussée cartelliste, ils avaient plutôt gagné des voix. Mais le socialisme grandit, et menace les radicaux. Le péril, pour les derniers radicaux, forte- pour disparaître, et perdraient alors une partie importante de AFFAIRES ECONOMIQUES L'expérience financière de M. Poincaré aux désillusions. Les espoirs du Cartel, éclos en 1924 et pas L'expérience encore évanouis en 1925, avaient fait tomber, à Tours même, les radicaux de 3.500 à 2.000 voix. Qu'en advient-il maintenant ? La résistance modérée est forte, je l'ai dit, surtout à Loches et à Chinon, qui fut le coin le plus modéré du département. Des situations cantonales expliquent certaines sautes de l'opinion. Loches paraît la citadelle la mieux défendue actuellement par les modérés. D'abord, je l'ai dit, la tradition est plus stable : encadrée par la Vienne, d'une part, et le canton du Blanc où survit une vieille force conservatrice, l'arrondissement de Loches échappe un peu à la poussée rouge et à la verve frondeuse de la Touraine de 1919 à 1925, les modérés étaient en gain dans tous les cantons, passés à Loches même de 840 à 1.200 voix, et, dans l'arrondissement, de 3.630 à 4.500 voix. Vouvray et Montbazon offrent aussi des points d'appui solides. Mais le principal service que l'opposition modérée ait rendu, en s'organisant, à la province, c'est d'avoir renoué une vieille tradition libérale et tolérante que l'âpreté des luttes de clochers semblait avoir un moment irrémédiablement compromise. TRYGÉE. Notre Service de Librairie Nous rappelons à nos abonnés que nous pouvons leur procurer tous les ouvrages qu'ils désireront, ainsi que toutes éditions musicales. A. Comme par le passé, nous leur livrerons leurs commandes contre remboursement. B. S'ils le préfèrent (et ce serait plus économique) nous offrons de leur ouvrir un compte courar, comme en banque, moyennant le dépôt d'une provision qu'ils épuiseront, au fur et à mesure de leurs commandes. Nous leur faisons remarquer que ce système supprime les frais assez élevés d'envois contre remboursement et permet de les servir avec plus de rapidité. Un relevé leur sera adressé à chaque livraison et les avertira de la situation exacte de leur compte ; Il y a aujourd'hui exactement un an que M. Poincaré formait son Ministère d'Union Nationale et commençait ce que certains appellent, non sans une nuance de scepticisme, voire de complète incrédulité, - << son expérience financière ». Si éclatants qu'apparaissent les résultats obtenus depuis cette journée du 23 juillet 1926 où les caisses du Trésor étaient vides, où la livre dépassait 200 francs, il se trouve en effet des critiques pour douter de leur solidité, pour contester même leur réalité. Un volume paru récemment sous la signature de M. Marcel Chaminade (1) proclame d'ores et déjà l'échec de l'« expérience >>. « Conduite comme elle le fut, elle a produit tout ce qu'elle pouvait produire un replâtrage sans consistance, un semblant d'équilibre. Politiquement sans soutien, et monétairement sans assise, elle évoque l'image d'une pyramide dressée sur sa pointe. Il ne reste plus qu'à attendre son renversement et à calculer son point de chute. » Telle est la thèse dont le livre tente d'apporter la démonstration, par une analyse subtile de toutes les mesures prises, de tous les phénomènes survenus depuis un an. On peut heureusement estimer que, malgré son talent, M. Chaminade n'a pas réussi dans sa paradoxale entreprise. Pour le prouver complètement, il faudrait écrire un volume, ou tout au moins une longue étude qui dépasserait singulièrement le cadre de ces chroniques nous nous bornerons ici, laissant volontairement de côté l'aspect politique de l'ouvrage, à passer en revue quelques-unes des critiques d'ordre technique qu'il contient, ainsi que les réserves qu'il appelle M. Chaminade s'attaque d'abord à l'œuvre de M. Poincaré en matière de budget et d'amortissement. L'équilibre du budget lui apparait précaire et l'amortissement illusoire. L'excédent des rentrées sur les dépenses a été obtenu non par des économies salutaires, mais par une fiscalité dévorante le fardeau des impôts est trop lourd pour l'éco S'ils le désirent, nous pouvons leur adresser automatiquement nomie nationale, surtout depuis que le taux de 125 francs et dès leur parution : à la livre a été imprudemment substitué au taux de 150; la crise économique imminente, annoncée par l'affaissement du commerce extérieur, rend inévitables des moins-values qui rouvriraient l'ère des déficits, si l'augmentation inéluctable des dépenses, et notamment des arrérages de la dette, n'y suffisait pas. La Dette, en effet, n'a cessé de s'accroître depuis qu'on a officiellement inauguré une politique d'amortissements massifs. Les emprunts de consolidation, (1) L'expérience financière de M. Poincaré (Emile-Paul, éditeur), conclus à des taux élevés, ont aggravé les charges d'intérêt et augmenté le capital nominal, sans empêcher l'argent frais. d'affluer et sans entraîner, par conséquent, une réduction corrélative de la dette flottante: au total, la Caisse d'amortissement, dont le premier acte a été l'emprunt illégal d'octoble 1926, et qui a crevé depuis longtemps son « plafond » n'a pas mieux réussi que ses devancières. Par ailleurs, de nombreux emprunts ont été contractés à l'étranger, sous le couvert des Chemins de fer de l'Etat ou d'AlsaceLorraine, des grands Réseaux, de la Ville de Paris, entraînant eux aussi de lourdes charges, et risquant de peser dangereusement sur notre balance des comptes, lorsque l'afflux actuel des capitaux français émigrés et des capitaux étrangers aura cessé. Pour notre auteur, la politique d'amortissement a donc dès maintenant échoué : quant à l'équilibre budgétaire, il s'effondrera, à tout mettre au mieux, en 1928 ou 1929. De ce sombre tableau, la plupart des traits appellent fort heureusement maintes retouches. Que le budget soit lourd il atteindra 42 milliards en 1928, et près de 50 milliards avec les impôts affectés à la Caisse autonomenul n'en disconvient, mais il n'est pas certain qu'il dépasse les possibilités du pays. On peut remarquer en effet que les prix étant environ six fois plus élevés qu'en 1914, notre budget d'avant-guerre représenterait une trentaine de milliards: la charge réelle n'est donc accrue que des deux tiers, même avec la livre à 125 francs. Certes, il eût été désirable d'alléger par des économies les charges fiscales, et on peut regretter que l'effort entrepris en 1926 n'ait pas été poussé plus loin; mais il ne faut pas oublier qu'à aucun moment nos dépenses administratives n'ont augmenté aussi rapidement que les prix et que, du fait de la dépréciation, beaucoup de crédits étaient devenus insuffisants. Cela seul expliquerait que les économies réalisées n'aient pu être comparables à celles qui, en Angleterre, ont fait disparaître les gaspillages inouis nés de la guerre. Jusqu'ici, d'ailleurs, le rendement des impôts a été, dans l'ensemble, et malgré des taux parfois excessifs, satisfaisant, puisque des plus-values notables ont été réalisées en 1926, et dans les premiers mois de 1927. La situation vat-elle, à cet égard, se transformer comme l'annonce M. Chaminade? Il en donne pour preuve la diminution progressive de nos importations, passées de 5.106 millions de francs en octobre 1926 à 4.414 millions en mars 1927 et de nos exportations, passées entre les mêmes dates de 6.103 millions à 4.693 millions. Ces chiffres ne nous paraissent nullement significatifs. La valeur des marchandises importées et exportées a été, en effet, affectée par la baisse des devises étrangères et des prix de gros français nous procurons aujourd'hui pour un moindre nombre de francs que l'an dernier, une même quantité de marchandises anglaises, de même que nos exportateurs reçoivent moins de francs pour les produits qu'ils envoient au dehors. En réalité, ce sont les quantités achetées ou vendues qui im nous portent surtout en matière de commerce extérieur ; vues sous cet angle, les statistiques sont beaucoup moins alarmantes puisque, entre les deux époques prises comme point de comparaison par M. Chaminade, les importations ont passé de 3.488.000 à 4.363.000 tonnes (et 4.610.000 en mai) et les exportations de 2.689.000 à 2.952.000 (et 3.385.000 en mai). Certes, dans le détail, divers indices moins favorables apparaissent, qui, comme le fléchissement des importations de matières premières et des exportations d'objets fabriqués (témoignent d'un certain ralentissement économique; mais ce ralentissement, inévitable après l'excitation passagère de l'inflation, n'a jusqu'ici, grâce à la stabilité maintenue depuis six mois sur le marché des changes, que de faibles répercussions sur les rendements fiscaux. S'aggraverait-il demain et entraînerait-il des moins-values que le déficit ne serait pas inévitable. Le projet du budget de 1928, qui n'a été connu dans sa forme définitive qu'après la publication du livre de M. Chaminade a, en effet, montré qu'à côté de dépenses nouvelles, dues aux nécessités de la défense nationale ou au rajustement des traitements et pensions, les progrès de l'assainissement permettaient de faire état de certaines économies, en particulier sur le chapitre de la Dette. Le remboursement de la créance que possédait la Banque d'Angleterre sur notre Institut d'émission, la détente des changes et l'amélioration des recettes du Plan Dawes ont permis de réduire les crédits, affectés au service de la Dette extérieure; la réduction du taux d'intérêt des bons de la Défense Nationale a entraîné la suppression de l'annuité servie par le Budget à la Caisse autonome. déjà Les économies de ce genre doivent se multiplier se prépare la conversion de l'emprunt américain 8 % à mesure que se développera la politique d'amortissement, dont M. Chaminade conteste cependant qu'elle ait produit le moindre effet heureux. Mais ce nouveau grief est-il plus fondé que la critique de l'équilibre budgétaire î Il importe, pour répondre à cette question, de prendre tout d'abord une vue nette des deux principes qui ont inspiré les lois d'août 1926 et la politique suivie depuis cette date création d'une Caisse autonome chargée, en premier lieu, de gérer les bons de la Défense Nationale, ainsi séparés du reste de la dette publique, d'en assurer le service, la consolidation, le remboursement progressif aménagement des échéances de la dette à court terme (bons du Trésor à 3, 6, 10 ans, bons du Crédit National, etc) par des emprunts de consolidation ou des opérations d'échange, effectués directement par le Trésor. Ces deux séries de mesures avaient été préconisées par les Experts, comme indispensables pour supprimer les demandes de remboursements massifs, écarter un risque redoutable d'inflation et rendre. possible la stabilisation. Quant à l'amortissement de la dette consolidée ou à terme, il reste gouverné par les contrats d'émission, la Caisse autonome n'y intervient qu'accessoirement, en annulant les titres de rente qui lui sont remis en paiement des droits de succession ou de la taxe de première mutation. Dès lors, la plupart des critiques de M. Chaminade perdent beaucoup de leur valeur. : Si la Caisse autonome n'a pas encore amorti, c'est qu'elle a d'abord rempli son premier rôle gérer les bons de manière à en allonger l'échéance et à en réduire la charge annuelle. On sait que cette entreprise a réussi d'une manière presque inespérée; les bons à 1, 3, et 6 mois ont été supprimés; les bons à 1 an sont suspendus à leur tour, si bien que dans quelques mois il n'y aura plus que des bons à 2 ans et, sans doute, à 5 ans ; pratiquement le danger des remboursements a dès maintenant disparu, sans aucune charge nouvelle. D'autre part, quelques milliards de bons ont été consolidés en octobre 1926 et en mai 1927. Sans doute, ces consolidations n'ont pas diminué effectivement la masse des bons en circulation, qui a dépassé le plafond légal, mais c'est là un phénomène passager, qui est dû aux conditions du marché monétaire, et au souci de ménager les transitions. D'ailleurs, le programme initialement tracé à la Caisse : rembourser les bons jusqu'à extinction, devra peut-être s'assouplir quelque peu. Les Bons de la Défense peu coûteux, appréciés du public, présentent, en effet, dans leur nouvel aménagement, plus d'avantages que d'inconvénients. Aussi la Caisse autonome sera-t-elle sans doute amenée, ainsi que l'indiquait dernièrement M. Milau à consacrer ses disponibilités qui sont dès maintenant considérables à amortir d'autres parties de la dette de l'Etat, plus onéreuses, et, ce faisant, à favoriser la hausse du cours des fonds publics, les conversions possibles et l'équilibre du budget. L'œuvre de la Caisse autonome ne paraît donc pas mériter la condamnation sans appel de M. Chaminade. Quant à celle du Trésor, elle a consisté à pourvoir par avances aux diverses et lourdes échéances de la dette à court terme pour 1927-28 et 29. Cet effort, poursuivi dans trois emprunts de consolidation successifs, a sans doute coûté une certaine aggravation des charges annuelles, mais il a débarrassé le proche avenir de toute menace de remboursement, et, par là, fait tomber un des obstacles les plus graves que rencontrait la stabilisation, sans augmenter le capital de notre dette intérieure. Celui de notre dette extérieure ne s'est pas davantage accru, quoiqu'en dise M. Chaminade. Les emprunts contractés par les Chemins de fer de l'Etat ou d'Alsace-Lorraine l'ont eté, én effet, pour rembourser des avances qui leur avaient été consenties par le Trésor. Ils ont eu l'avantage de fournir à celui-ci de même que les opérations faites au dehors par des organismes privés, des devises étrangères dont il est le propriétaire définitif et non le débiteur à terme si bien que cette partie de nos réserves de devises présente un caractère parfaitement stable et définitif. Si vous voulez un beau portrait photographique d'un écrivain, d'un homme politique, d'un personnage connu qui vous intéresse, adressez-vous au Service de Librairie de l'Opinion qui vous le procurera franco de port, moyennant 30 francs. NOTES ET FIGURES Y a-t-il une loi Grammont? Existe-t-elle ? Ou bien est-on déterminé à ne jamais en tenir compte? Il y a quelques mois Orléans a organisé une course de taureaux. Si le spectacle n'était si repoussant, cela serait à faire rire. Orléans ! le pays de France le plus plat, le plus paisible avec ses prairies molles, ses arbres pâles, et son fleuve en beurre, servant de décor à un massacre ! Beau tableau de chasse d'ailleurs le torero Chiquito éventré, les chevaux étripés, les taureaux mis à mort ! M. le maire assistait à la course donnant ainsi plus d'éclat à cette belle journée. Il paraît que c'est une question électorale ? Parfait ! On me dit : « Mais depuis cette course déplorable, on va caparaçonner les chevaux !... » Vous entendez ! On va ficeler ces pauvres biques dans des armures comme Bibendum, alors bien au chaud, elles se laisseront soulever par la corne du taureau avec volupté, pauvres bêtes sacrifiées, étiques (puisqu'elles sont condamnées, n'est-ce pas. pourquoi les faire manger ?), épaves lamentables, pattes cassées, museaux en sang... Qui songe à tout cela ? Et il ne se trouve personne pour faire exécuter la loi (s'il y en a une), disperser cette troupe de curieux malsains. Ah ! que je voudrais ouvrir sur eux la porte du toril ! Il m'a toujours semblé bas celui qui, à l'abri du danger, considère les larmes ou les souffrances d'autrui. Quelle fuite éperdue l'on verrait parmi tous ces matamores en habit de fête. Un confrère anonyme du Figaro, il y a deux mois, a relevé seul, l'ignominie de ces spectacles. Il a écrit: << L'homme ne ressent de joie que s'il inflige ou contemple la souffrance. Qu'il soit croquant, nouveau riche ou quasi-gentilhomme, il lui faut du rouge sous les yeux, et l'angoisse des créatures traquées, les larmes de la biche aux abois, le cri du lièvre déchiré par les chiens, la palpitation des corps criblés de plomb, le frémissement des ailes brisées... » Ce n'est pas assez de la vivisection effroyable et inutile les trois quarts du temps (consultez-donc les étudiants en médecine, il y en a qui s'en plaignent !). Ce n'est pas assez des tortures infligées au petit cheval de mine qui doit traîner tout jeune des poids de 3.000 kilos dans l'obscurité qui l'affole, se heuriant aux couloirs des cavernes noires, sou vent blessé, vivant dans le froid et l'eau, ce n'est pas assez des supplices endurés par les animaux qui arrivent à l'abattoir les membres brisés, mourant de soif, ce n'est pas assez de ceux que les charretiers fouettent au sang, pauvres chevaux accablés, qui saignent et meurent à la peine (et cette mort, quelle délivrance !). Non! il faut encore organiser le spectacle de la souffrance et de la mort, s'en réjouir, y amener des enfants. On est honteux lorsque l'on voit ces choses, d'appartenir au même pays que le public qui s'y arrête. Ah! les Anglais doivent être bien écœurés. Sur ce chapitre, il ne serait pas sans fruit de les imiter. Nul, à Londres, ne se risquerait à maltraiter un animal et si cela arrive... J'ai vu le portrait d'un homme à tête de brute dans le Daily Mirror qui avait fait du hard-labour pour avoir torturé son chat. Ainsi apprend-on au peuple (lorsqu'il n'y a pas moyen de le convaincre autrement) à n'être ni malfaisant ni sanguinaire. Puisque l'homme naît avec des instincts si répugnants, ne pourrait-on lui enseigner la douceur, et non pas lui apprendre dès qu'il sait voir, à jeter des pierres aux oiseaux, à décrocher les nids, et à crever les yeux des rossignols? Il y a pourtant des ligues et des sociétés en France ! J'en ai vu une un jour installée à Beaune. Je suis entrée dans la maison et après enquête, j'ai été fort humiliée de voir que la protection des animaux intéressait surtout les Anglais et les Américains. « Il y a bien quelques personnes parmi la population qui s'intéressent à notre effort, me dit-on, mais elles ont peur d'être ridicules si elles paraissaient traiter leurs animaux avec douceur, ou les soigner quand ils sont malades ! » Voilà. Ils ont peur d'être ridicules s'ils paraissent avoir un cœur. Quelle disgrâce ! L'effort privé est le seul effort, voilà pourquoi chez nous, ces ligues, bienfaisantes d'ailleurs, n'ont guère d'effet; à Londres, les policemen ont l'ordre de sévir s'il voient un cheval traînant une trop lourde charge, un enfant torturant un oiseau. D'ailleurs, cela ne se voit plus qu'à de rares intervalles. Mais chez nous... Quelle honte ! J'ai vu l'autre jour sur le quai du Louvre une voiture à bras guidée par un homme et traînée par deux chiens. Les bêtes étaient maigres à faire peur, pelées et tiraient de toutes leurs forces la lourde charge de la voiture, crainte du fouet; tout autour de leur cou, il y avait des écorchures, des zébrures sur leur corps. Nos sergents de ville regardent cela en souriant, il n'ont pas d'ordre n'est-ce pas ? Cela n'intéresse personne ! Eh bien ! tant que l'on ne fera pas respecter ici la loi, on verra de ces choses écœurantes que les étrangers nous reprochent, avec tant de raison. Apprenons la pitié aux enfants, apprenons-leur à ne pas enfermer les moineaux dans une cage, et à ne pas piquer avec un aiguillon les côtes des ânes. Prouvons-leur que ces pratiques inspirent du dégoût, et que l'intelligence, si brillante soit-elle, compte peu lorsque le cœur est absent. LITTERATURE « L'Egarée sur la route » On a souvent comparé M. Gaston Chérau à Maupassant, et cela ne fait pas un mince éloge. On pourrait à propos de son dernier livre poursuivre la comparaison, que justifient non plus une parenté de l'art et du talent, mais la carrière qu'il semble courir. En effet, l'Egarée sur la route (1), après le Monstre ou Valentine Pacquault, joue un peu le même rôle que Notre cœur ou Fort comme la mort après Une vie et la Maison Tellier. Y aurait-il une loi mystérieuse pour faire tourner, à un certain âge, les conteurs réalistes en psychologues et les peintres robustes de mœurs provinciales en romanciers parisiens? Sur le premier point la surprise n'est pas grande; car M. Chérau a toujours compté parmi les chantres de l'amour, pour parler en vieux style. Ce n'est pas des amours légères et faciles qui s'expriment dans son œuvre, mais des passions terribles, leur fatalité, leur cruauté, leur tendance à envahir et gouverner une existence entière. Si l'on en croit la littérature, ces passions-là s'observent plus commodément chez les gens qui ont le loisir de s'y adonner, chez les princes de tragédie, bref dans l'humanité riche et citadine. Aussi le roman d'amour est-il volontiers un roman mondain, tandis que les drames d'amour se trouvent dans toutes les classes. Vous voyez assez bien la différence que je mets ici entre un drame et un roman celui-là vit de catas trophes, celui-ci de psychologie pure; il peut se passer d'intrigue et même de péripéties; il peut se jouer entre les alcôve; la société l'ignorerait sans les romanciers, dont le cœurs sans aucun fait-divers, dans un salon, dans une métier est de révéler les choses incorrectes, les désordres cachés. L'Egarée sur la route se passe donc à Paris dans la bonne société ; et la ressemblance à Fort comme la mort Olivier Bertin voit troubler sa vieille et paisible liaison avec s' tend au sujet même. Chez Maupassant, le grand peintre Mme de Guilleroy par l'apparition d'Annette, fille de sa maîtresse; cette adolescente lui inspire une passion funeste : il aime en elle la jeunesse retrouvée de son amie; ni les convenances, ni le dévouement de celle-ci, qui sait son éga rement, ni le mariage d'Annette ne peuvent guérir cet amour. Il se tue à la fin; et cela démontre que l'amour est peut-être fort comme la mort, mais en tout cas moins fort que la vie, quand les lois de la vie s'y opposent. Si l'on prenait le titre au sérieux, si l'on voulait voir l'amour agir tout pur, je veux dire tout brut, sans humanité, sans conscience, c'est plutôt dans le roman de M. Chérau qu'il faudrait le chercher. (1) Ferenczi, éditeur, |