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Toulon dessus la mer jolie, comment à Gênes, après avoir été visités, lui par un homme, elle par une femme, « toute nue et jusques dans ses cheveux pour voir s'il n'y avait point marque de peste », ils tâchèrent de se « marier par prestre », comment<< il leur en coûta plus de quinze pistoles et ne le furent pas », comment ils le furent ensuite et son mari prit parti dans les armées de Venise, comment pour son malheur, il tourna mal, s'adonnant à l'ivrognerie et au tabac, et que la débauche le rendit « éthique »>, c'est ce qu'elle nous raconte gentiment et naïvement et qu'il ne faut point tenter de résumer ici, crainte de le déflorer. Comment son chenapan de mari décédé, elle revint à Paris, se jeter aux genoux du Père de Goussencourt, <les mains jointes et lui demandant pardon », c'est celui-ci qui nous le dit.

Dans l'édition de la Cité des Livres, leurs confidences sont suivies du texte de la nouvelle de Gérard, où l'on apprend quel charme le poète peut ajouter aux histoires les plus charmantes.

Pour avoir longtemps attendu, Angélique de Longueval est aujourd'hui sortie de l'oubliette des archives de France et c'est sous une forme parfaite que revit son histoire. J'imagine qu'Auguste Longnon, qui tenait tant à voir publier la confession qu'il avait retrouvée, puisqu'il n'a pas eu le bonheur de le faire lui-même, serait heureux de savoir que c'est chose faite enfin, et bien faite, par les soins de ses deux fils. GEORGES GIRARD.

VOYAGES

Un entretien sur la Chine nouvelle

Sous un ciel gris et bas, la mer retrouvait son calme. Peu à peu, l'avant du bateau se repeuplait. Dès Gardafui, il avait perdu cet aspect aimable de plage familiale où, hommes et femmes, en tenue légère, musent et bavardent tout au long du jour. A peine entré dans l'océan indien, un grain nous avait fait danser et trois jours durant, devant les tables désertes, l'intendant du bord ravi, s'était frotté les mains.

Le navire roulait encore, et les soldats de la coloniale qui vont en Chine crânaient déjà, le torse nu mais casque en tête et raillaient une famille d'Hindous mal en point que chaque mouvement faisait blémir. Puis, réapparurent les Maltais, chemise de cellular et cuisse velue sous la culotte courte, enfin des femmes nues sous des fourreaux de toile claire. Mais MM. Li et Fou attendirent que nous cussions doublé Minikoi qui annonce Colombo pour quitter leurs couchettes.

Chinois de Canton, ils revenaient de France où ils avaient passé trois ans d'étude et d'observation sagace. On me les avait signalés dès le départ. Mais, l'estomac délicat, ils n'avaient, jusqu'à Port-Saïd, fait que de brèves apparitions sur le pont des troisièmes. En mer rouge, la chaleur qui momifie les langues, interdit toute tentative d'interviouve.

Les flots moirés qu'animait secrètement la houle fai saient l'heure propice. Avant que d'aborder mes Cantonnais, de notre pont, je les observais à loisir. Entre une chaloupe et des cordages, ils avaient su se ménager une retraite, juste de quoi placer côte à côte leurs chaises-longues. Allongés, ils dessinaient de fines silhouettes, vêtues de jute. Pour tout casque, leurs épaisses chevelures aile de corneille. Un Père lazariste conversait avec eux. Il inclinait sur leurs faces d'ivoire un maigre profil jaune qu'allongeait encore vingt poils de barbe grise. Sa calotte noire à la mode mandarine, ses lunettes rondes achevait de lui donner l'air le plus chinois des trois.

Le bon Père voulut bien me servir d'intermédiaire. Grâce à lui, je connus, en une présentation fort cérémonieuse M. Li et M. Fou, étudiants, qui m'accordèrent d'emblée toute leur après-midi.

Ils parlent notre langue dans la perfection avec toutefois un accent un peu dur. Ils ont vécu chez nous grâce. à une bourse que leur province, au milieu des pires troubles, s'est fait un point d'honneur de payer.

La bourse d'un étudiant est chose sacrée en Chine. Les voici au terme de leurs études et brûlant de passer à l'action. Trois années et des plus belles de leur vie sont encloses dans ce morceau de Paris que bornent la Seine et les Jardins du Luxembourg. La France, Paris, c'est pour eux nos écoles, des maîtres, des camarades qu'unemême ardeur soulève, les longues causeries entre amis et aussi le souvenir de quelque femme, avouent-ils.

Ce sont des convaincus, mais non point tels qu'on les imagine en Europe. A peine si, par instant, un regard trahit leur fièvre. M. Li et M. Fou sont membres du KuoMin-Tang nationaliste à qui l'Occident, trois années durant, a fourni des arguments et des armes. Le Kuo-MinTang groupe les Chinois de la terre entière, les discipline, les contraint à sortir de leur sérénité égoïste, les unit dans un même but la lutte pour le triomphe des principes de Sun Yat Sen, la libération et l'unification de la Chine. Malgré leurs grades universitaires, ces deux étudiants ne sont rien, sinon des soldats à qui le parti demande l'obéissance absolue et dont il exigera, dès leur retour à Canton, une reddition de compte minutieuse.

M. Li est de petite taille. Il a un mince visage lisse où les yeux de jais remontent à peine vers le front. M. Fou est plus grand, mâchoire dure, lourde bouche sur des dents. jaunes, front têtu que les cheveux épais coiffent bas.

Avec eux nul besoin de ruser. Ils ne demandent qu'à parler. Avec quelle fierté un peu naïve ! M. Fou ouvre le débat :

Vous avez bien choisi votre jour, Monsieur, en vérité vous avez bien choisi votre jour, puisque c'est celui de l'anniversaire de la mort de Sun Yat Sen, le sauveur de la

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-La tâche est d'ailleurs grande. Ces provinces que nos armées viennent de libérer, il les faut tirer du néant. Sur les mers, d'autres camarades voguent vers la patrie ;; d'autres encore, en Europe et en Amérique, achèvent leurs études, tandis que les plus jeunes s'embarquent pour vos vieux pays. Car nous voulons organiser la Chine selon les principes de Sun Yat Sen et sans attendre la victoire finale. Déjà, Ou Pei Fou est battu. A l'ouest, Feng notre allié s'apprête. Demain, Tchang Tso Lin sera battu lui aussi. Nous entrerons à Pékin et le vieux bandit, nous le poursuivrons jusque dans ses repaires de Mandchourie.

-

- << Dites-moi, Monsieur, qui résisterait à une armée, ses effectifs fussent-ils inférieurs, qui sait pourquoi elle se bat, qui a un programme bien net? (Et M. Fou me regarde avec quelque superbe.) Souvenez-vous des armées de votre grande révolution, en sabots et sans culottes à la conquête de l'Europe. Elles avaient la foi, l'élan sacré. Les nôtres ont la foi, l'élan sacré et en plus, des mitrailleuses, des

canons.

Une discipline de fer.

Un commandement bien organisé, la séparation du politique et du militaire.

Et le droit, le bon droit pour elles, Monsieur. » Je n'avais pas le temps de placer une syllabe. A deux pas de nous un soldat chantait une vieille chanson où il est question d'un marsouin qui, de Chine, rapportera à sa grand'mère, une belle boîte laquée. Un de ses camarades lança avec cette belle insouciance du soldat de métier qui flaire d'aventure: «Tu parles si son en trouvera des boîtes et autres choses itou dans leurs villes du tonnerre de Dieu et pour pas cher ! »

Le souvenir de l'expédition des Boxers est resté vivace dans la Coloniale. M. Li ni M. Fou ne semblaient avoir entendu et j'en Fus bien aise. Ils paraissaient suivre sur l'eau moirée le jeu des poissons-volants.

Pourtant...

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Nous supprimerons ajoute Li- le militarisme chinois qui suce le sang à la gorge de la patrie. Cham Kai Chek, notre chef, détruira les uns après les autres, ce pirates qu'on achète à volonté, agents de l'Angleterre et d Japon.

- Et le jour de la victoire, nous convoquerons l'Asser blée nationale, représentation de la vraie Chine et à c moment, pourquoi l'Europe ne nous reconnaîtrait-elle pas Car nous ne sommes pas des sauvages. Nous sauron discuter. Nous aurons des arguments sans réplique por

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demander la rétrocession des concessions territoriales.

Mais contre quelles garanties ? Parce que, avouez-le, ce que les Blancs, à force de travail, ont créé, leur appa tient.

Mais ce n'est pas un fief. Qu'ils possèdent le contrôle chinois comme nous, Chinois, possédons France et en Indochine sous le contrôle de la France.

- Sous votre contrôle, mais quelles garanties offre vous ? Car enfin il y a l'exemple probant de Kiao-Tchéa chef-d'œuvre de l'organisation allemande en Chine. L Chine l'a reçu des mains du Japon et après quelques années de possession, c'est à peine si l'on y voit encore trace de routes et de quais. Alors ?

- Ne nous comparez pas avec les régimes pourris que nous combattons. Pourquoi voulez-vous nous refuser votre confiance? Nos actes parlent pour nous.

Les résultats obtenus par les Cantonnais, en un temp si bref, sont un fait unique dans l'histoire de la Chine moderne.

Et...Moscou ?

Ah voilà le malentendu. Moscou nous a aidé à réa liser le programme de Sun Yat Sen. Nous cherchions d appuis. Si la France avait voulu ! A beaucoup d'entre nous, nourris de son génie, il semblait qu'elle dût jouer la un rôle traditionnel. La Russie était là. Elle nous a aide de tous ses moyens mais rien dans son action ne porte ombrage à notre indépendance.

Sauf vérification...

Mais la France peut encore jouer son rôle en Chine Vous verrez lorsque vous parcourrez nos provinces. Elle marqué tant des nôtres.

Ce qui n'empêche pas nos concessions de subir d. insultes tout comme celles des Anglais.

Mouvement de populace. Désormais, le calme va revenir et vous nous aiderez à recréer notre pays. »

Voilà tout net le discours d'un étudiant chinois, représentatif d'une classe très influente. On sentira tout de suite la faiblesse de certains arguments comme aussi la séduction de certaines invites.

En France, au Japon, aux Etats-Unis, des milliers de leurs semblables étudient, unis dans la même foi. Sur un plan inférieur des centaines de mille d'ouvriers épars sur toute la terre obéissent aux mêmes directives.

Sur la foi de quelques jeunes intellectuels qui ne connaissaient de la révolution sudiste que ce que leur en apprenaient les journaux de leur patrie, je m'attendais à trouver à Canton un gouvernement bien établi, une esquisse d'organisation, une armée bien en main, des masses enthousiastes, de la sincérité et de l'ardeur.

Je déchantai bien vite. Il n'y avait rien de commun entre mes interlocuteurs du bateau et ce personnel de fonctionnaires tout jeunes, dressés à nos disciplines mais chez qui quelques mois de vie chinoise avaient suffi pour éteindre la flamme, tuer ce beau désintéressement, pour ne laisser subsister-combien âpre et dénuée de scrupules la seule ambition personnelle.

(A suivre.)

GEORGES.-L.-R. MANUE.

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que

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Est-il, par exemple, rien de plus anti-esthétique, antihygiénique, anti-gastronomique, de plus ridicule enfin, que de voir des danses tandis qu'on mange ou de danser entre l'ingestion de deux plats ?

La diplomatie elle-même, la diplomatie où, jadis, se recrutait l'élite des gourmets, sacrifie à cette mode et, pour S. M. Alphonse XIII ou le roi Fouad Ier, en use comme l'an dernier avec S. H. Moulay Youssef qu'elle traita à Aix-les-Bains où, si nous en croyons les mémorialistes, « le Sultan 'du Maroc prit un plaisir extrême à regarder les couples de danseurs qui, entre les services, exécutaient entre les dîneurs les pas les plus modernes de shimmy et de charleston ».

Edouard VII, Léopold I, les présidents Thiers, Grévy,

Casimir-Périer, Loubet, Fallières, le comte d'Ormesson, introducteur des ambassadeurs, l'inoubliable chef du protocole M. Philippe Crozier, un directeur des affaires politiques comme M. Gavarry, tous gastronomes émérites, n'eussent jamais toléré pareille barbarie.

Car n'est-ce point barbarie qu'empêcher le convive de comprendre qu'il mange, de savoir ce qu'il boit et de pouvoir se recueillir ? barbarie qu'empêcher les conversations qui spiritualisent les repas et permettent gloses, comparaisons et critiques gastronomiques ? et certains esprits grincheux ne pourraient-ils insinuer que les restaurateurs qui nous imposent jazz, danses et numéros ou composent, avec des baladins, des repas dits « de gala », ne sont guère que des Borgias qui, méprisant la science et l'art de leurs chefs de cuisine ainsi réduits à l'impuissance, ont trouvé le moyen de forcer, saler et pimenter les additions dont la hauteur des prix ne correspond jamais à l'étiage des mets? Et n'avons-nous point assez de belles et bonnes traditions de bon goût que nous allions, hypnotisés par les snobs, adopter les modes saugrenues du pays des sollars et de la sécheresse?

Qu'on ne s'y trompe pas, si, malgré sa magnificence et sa glorieuse perfection, la grande cuisine (française pour les neuf dixièmes) est battue en brèche par la cuisine régionale, les « vieux plats de chez nous », c'est que les « boîtes à musique » et trop de palaces ont abusé des ersatz fabriqués en série et des tape-à-l'oeil frelatés; la vue seule de leurs menus mal faits et prétentieux nous aurait dégoûtés du grand art culinaire si, tels des collèges de flamines, ne restaient à Paris et dans nombre de villes ou de bourgades de nos provinces des restaurants dont les patrons et les chefs voire des cordons-bleus connaissant à fond leur métier, et le pratiquant en toute loyauté, arrivent, malgré toutes les embûches du fisc, à former des apprentis et contribuent à perpétuer, par leur clientèle, la race des vrais gourmets, en gardant toutes les belles traditions gourmandes françaises, modestes ou grandioses.

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Ces traditions, la Fédération régionaliste française que préside le fin lettré, le poète, l'apôtre J. Charles-Brun les exalte, les recherche, les ressuscite et, parfois, les modernise aussi très heureusement. Déjà, grâce à elle, la Société des Gens de Lettres a obtenu la promesse que les libraires des provinces annonceront et exposeront dans leurs vitrines les livres qui chantent la région et qu'ils les accompagneront des portraits des écrivains qui s'en inspirent. Avec la saison du tourisme revenue, espérons que les libraires vont enfin tenir leur promesse et que la gastronomie ne sera pas exclue de leurs étalages ni surtout des vitrines des centcinquante syndicats d'initiative importants, car presque chaque ville de France évoque une spécialité gourmande et quelque mets ou produit qui n'a sa perfection qu'ici et là seulement comme la bouillabaisse, les quenelles, les cèpes ou le beurre blanc.

Si, malins, les libraires plaçaient au centre de cette montre intellectuelle de leur région un dyptique, entouré des portraits des meilleurs cuisiniers et cordons-bleus du terroir. où seraient indiqués les mets, les produits, les vins et liqueurs

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MEMOIRES

AUSTIN DE CROZE.

harem se contentait des pantomimes et des chants d'almées. A Alexandrie, il y avait bien, pompeusement dénommée Théâtre Français, une petite salle de spectacle que MM. L'Hôte, Lehoux et Bertin, les compagnons de Champollion, s'étaient amusés à décorer, mais c'était une entreprise privée, et les italien plus souvent qu'en français, le drame et la comédie, amateurs qui l'avaient montée, jouaient de temps à autre, en trompant par là leur faim d'art dramatiq et celle du quartier franc. Cependant, M. Mimaut se promettait de caser M. Lubbert, et, en attendant que l'occasion s'en offrît, il lui donna l'hospitalité, gracieuseté dont M. Lubbert voulut aussitôt s'acquitter en lui servant de secrétaire particulier. Ainsi, chacun trouvait son compte dans la combinaison qui permettait à l'ancien directeur de l'Opéra d'attendre, exempt de soucis, de meilleurs jours, et au consul général, de ne pas se priver de la société d'un ami dont il ne pouvait plus se passer.

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M. Lubbert n'était déjà plus un étranger en Egypte. M. Mimaut l'avait présenté aux plus honorables des résidents français, et à quelques-uns de ses collègues. C'est, chez l'un de ceux-ci, M. de Medem, consul de Russie, qu'un soir de novembre 1833, M. Lubbert rencontra les disciples du Père Enfantin. Ils discouraient longuement sur l'avenir des peuples, la venue de l'industrie, le caractère de l'Egypte et de la Syrie. M. Lubbert les écouta avec sympathie, et s'il lui arriva de sourire, ce ne fut pas par malice, mais parce qu'il était d'humeur naturellement aimable, et il hasarda avec infiniment d'esprit des observations qui ne blessèrent personne. Il laissa aux saint

ET DOCUMENTS simoniens le meilleur souvenir, ils allèrent lui rendre visite, et
CU MEN

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Lubbert Bey

(Suite et fin.)

Là où les deux amis différaient peut-être, c'était en matière de politique. L'ancien directeur de l'Académie Royale de musique, doux sceptique pour l'ordinaire, était légitimiste à tous crins et se faisait, sur le retour des Bourbons, des illusions qui étonnaient M. Mimaut, lequel, depuis son entrée dans la carrière, ayant, dans des pays divers, souvent changé de maîtres, avait fini par se faire aux révolutions et ne se souciait plus que d'une chose, servir la France de son mieux.

En Egypte, il la servait, suivant la tradition de M. Drovetti, en recommandant ses compatriotes à Méhémet-Ali. Il en eût fait autant pour M. Lubbert, mais celui-ci, malheureusement, n'était ni demi-solde, ni capitaine de frégate, ni ingénieur. Il était musicien, et c'était le seul genre de spécialiste dont le pacha n'avait pas besoin. Sa cour n'avait point de théâtre, et son

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il se lia d'amitié avec la plupart d'entre eux. Il les revit à Guizéh, chez le commandant Varn, où, avec Brod, qui était musicien aussi, il s'amusa à retrouver une foule de souvenirs communs. Le Père lui-même eut avec lui de longues conversations chez Soliman Pacha, où Lubbert allait souvent déjeuner. Un autre soir, chez Varin Bey, assis à une petite table, il applaudit David, Rogé et Gondret, qui venaient de chanter des airs de Guillaume Tell, opéra qu'il avait monté avec un succès inouï à l'Académie Royale.

Quoi qu'ils n'eussent pas manqué de lui prêter quelques bro

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chures, M. Lubbert ne se convertit pas aux dogmes des Saint-, homme, et non sans étonnement, car, dans les salons de Paris, Simoniens. Ils ne lui en tinrent nullement rancune, et lui conservèrent leur amitié.

M. Lubbert était reçu partout dans la société franque du Caire et d'Alexandrie. Ce petit monde n'était pas sans l'intéresser. Son œil et son oreille y trouvaient un peu de cette pâture de scandale dont ils s'étaient tant régalés à Paris. Il avait son couvert mis dans les plus grandes maisons et il était de toutes les fêtes. Cependant, M. Mimaut, qui n'avait pas cessé de s'occuper de lui, procura, en 1836, à M. Lubbert, un poste aussi honorable que rémunérateur.

Pour instituer et diriger ses écoles, le Pacha avait décidé de créer un Conseil supérieur de l'Instruction publique, composé, sous la présidence du général Moukhtar Bey, des effendis arméniens Artin et Stéfane. M. Mimaut fit à Méhémet Ali un tel éloge des mérites de son protégé, qu'il fut adjoint à ces messieurs et chargé de la rédaction de l'exposé de la situation de l'Egypte et de son tableau statistique ».

M. Lubbert avait donc désormais une situation assurée, qui le rehaussait à ses propres yeux et aux yeux de ses nombreux amis. Il était haut fonctionnaire et prenait la chose le plus sérieusement du monde ; il avait appris à connaître les Turcs et se savait assez fin pour craindre de perdre sa place, à moins d'une invasion étrangère. Autant que des Francs, il avait réussi à se faire aimer des Pachas et des Beys, et de Moukhtar en particulier, notoire mauvais sujet, ivrogne fieffé et débauché crapuleux, qu'il avait fait rire aux larmes en lui contant des grivoiseries. Avec ses manières rondes, sa façon de comprendre la plaisanterie, il avait tout de suite plu au ministre, dont la faveur lui valut d'être bombardé président des examens à l'Ecole d'artillerie de Tourah, fonction que M. Lubbert avait acceptée sans sourciller.

Il avait quitté l'habit français pour adopter le costume turc, et ainsi déguisé, il se trouvait à son avantage. La veste soutachée et les pantalons bouffants accentuaient à la vérité son petit corps déjà obèse, mais on le remarquait à peine quand il montait à cheval; avec son sabre recourbé qui battait la selle, il avait alors fière allure. Lubbert Effendi ! Un saïs courait derrière lui, qui portait sa longue pipe et sa blague. Les gens du pays s'écartaient avec respect devant le personnage, et les voyageurs étrangers s'arrêtaient pour l'admirer. Quelque Circassien, sans doute ! Mais, sous le tarbouche pourpre, la figure, ornée d'une petite barbe très coquette, taillée en collier, était toute ronde, poupine, rose et luisante, l'oeil rieur, le nez gros au-dessus de la moustache soigneusement taillée en brosse, et les mains blanches et potelées couvertes de bagues. La métamorphose n'était pas telle que, dans ce digne Osmanli, on ne reconnût souvent le vieil

le bruit courait qu'il était bostangi-bachi, chef des jardiniers du sérail à Constantinople. Plus d'une fois, le cavalier turc dressa l'oreille à l'appel de son nom chrétien. Le Caire et Alexandrie étaient devenus l'endroit du monde qui ménageait les rencontres les plus imprévues. Soudain, à quelque détour de ruelle, ballottés sur l'échine d'un âne, ou chaussés de babouches, dans l'encadrement d'un porche de mosquée, surgissaient, pour les Français d'Egypte, des physionomies connues, qu'ils n'espéraient plus revoir, et c'était une aubaine que ces rencontres qui leur permettaient de ranimer des souvenirs éteints et d'apprendre des nouvelles de ceux qu'on avait laissés, là-bas, en France (1).

Cependant, M. Lubbert était monté en grade. Appréciant sa parfaite connaissance des usages du monde, Méhémet-Ali décida qu'il servirait de cicerone officiel aux personnages de marque qui, pour quelques mois ou pour quelques jours, lui faisaient l'honneur de visiter son pachalik. M. Lubbert fut chargé de piloter ces hôtes illustres à travers les ruelles du Caire, et dans les environs, et de leur montrer en même temps que les monuments arabes, les édifices modernes, écoles et usines, qui attestaient le constant souci du maître de l'Egypte de faire des hommes de ses sujets. C'était un rôle délicat à tenir, mais M. Lubbert s'en tira, à la satisfaction et du Pacha et des voyageurs. Par sa gaîté et son esprit, il mettait à leur aise ses compagnons d'excursion, ravis de trouver dans une telle contrée, un homme aussi charmant, dont la politesse raffinée rappelait qu'il avait été gentilhomme ordinaire du roi Charles X, et les historiettes qu'il avait été directeur de l'Opéra ; un parfait homme du monde, qui prenait la vie par le bon côté, et savait sourire des choses et des gens, sans trop égratigner ni médire. D'une mosquée du Caire aux pyramides ou à Abouzabel la course s'effectuait sans ennui dans le tête-à-tête de la calèche où M. Lubbert, dont la mémoire était prodigieuse, dévidait avec infiniment d'agrément les anecdotes les plus diverses sur le Paris de la Restauration et l'Egypte de Méhémet-Ali, si bien qu'au terme du voyage, c'est avec un sincère regret que les hôtes du Pacha disaient adieu à leur cicerone.

Les compliments qu'ils en faisaient à Méhémet-Ali augmentèrent son estime pour M. Lubbert. En janvier 1843, il l'éleva à la dignité de conseiller au département de ses « affaires étrangères», et quelques années plus tard, en 1847, à celle de secrétaire de son << cabinet >>.

M. Lubbert approchait maintenant de la soixantaine, mais il demeurait toujours aussi alerte et aussi jeune. Sa figure, que le soleil n'avait pas brunie, restait rosée, et sa peau tendue et luisante; les rides seules, sur son front, et les pattes d'oie autour de ses petits yeux vifs marquaient son âge, et tel quel, il avait l'air d'un vieil enfant bouffi ». Plus intransigeant que jamais sur ses principes politiques, il déclarait hautement qu'il ne souhaitait pas rentrer en France, sinon à la suite de la branche aînée des Bourbons, en quoi il ne mentait pas, puisque rien ne l'empêchait plus de revoir Paris. Il n'y tenait pas, ayant définitive

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(1) Dans ses Derniers Souvenirs et Portraits (Paris, 1863, p. 147), F. Halévy, rapporte cette anecdote : « Il y a environ dix ans, deux jeunes voyageurs français qui parcouraient l'Egypte, rencontrèrent non loin des Pyramides, un seigneur, un effendi, monté sur un beau cheval et suivi de deux esclaves. L'effendi s'arrêta devant eux. C'était un homme d'un âge mur, pourvu d'une abondante barbe blanche qui lui donnait un aspect parfaitement vénérable. Il leur adressa la parole en très bon français, « Parlez-moi de Paris, messieurs, leur dit-il ; donne-t-on toujours à l'Opéra Moïse, la Muette, le Comte Ory, Guillaume Tell? Certes, monsieur, ces beaux ouvrages sont toujours pleins de vie. C'est moi qui les ai montés, messieurs; je suis Lubbert-Bey. Puis il piqua des deux, laissant les deux voyageurs un peu surpris d'une aussi singulière apparition et de cette conversation dans le désert. C'était, en effet, l'ancien directeur de l'Opéra. »

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