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Beauvau? M. Léon Daudet y savoure peut-être la brandade.

Du même genre est l'évasion du prince Louis-Napoléon, quittant le fort de Ham sous un habit de maçon (ce qui eût bien du le faire reconnaître, ne manqueront pas d'ajouter ses ennemis).

Sans doute M. Léon Daudet est-il retrouvé à l'heure où paraissent ces lignes. On a voulu faire croire un instant qu'il avait passé la frontière suisse un canot, disait-on, portant deux dames et un gros monsieur, avait accosté à Ouchy sur le lac Léman. Puis, les journaux ont dit qu'il se cachait en banlieue. On l'a vu, le même jour prendre pied sur la côte italienne et déjeuner copieusement... à Namur. Quel homme infatigable ! Il est Louis XVI, difficile à dissimuler. Mais aussi, tout porte à le croire moins naïf. C'est ce qui empêche encore de dire que la police de la III République ne vaut pas celle de la Convention. ROBERT BOURGET-PAILLERON.

Lord Chatterton

comme

Puisque nous sommes friands de petites curiosités romantiques, voici l'une d'elles qui mérite, nous semble-t-il, d'être signalée. Un anonyme, homme d'esprit à coup sûr, a publié jadis une suite au drame de Chatterton.

Quand je dis << suite », c'est seulement un chapitre ajouté à l'œuvre d'Alfred de Vigny, un récit d'une trentaine de pages. Mais ce récit est ingénieux, ce chapitre porte avec lui son enseignement; il n'est pas seulement goguenard, humoristique, mordant; il est encore profondément philosophique. Il a pour titre : Lord Chatterton. Voici la fable imaginée :

Chatterton n'est pas mort. La dose de poison qu'il a prise était trop forte. Il vivra, il pourra se reprendre à l'étude, à la méditation; il achèvera son poème de la Bataille de Hastings. On l'arrache à sa froide et sombre chambre du logis de John Bell; on lui épargne la vue du cadavre de Kitty. Cette fois, il ne résiste plus aux cordiales instances de ses amis ; il commence à croire qu'il a mal envisagé la société, et qu'avec quelques menues concessions on peut faire son chemin honnêtement.

Il est installé dans un joli cabinet de travail, clair, riant, dont les fenêtres ouvrent sur les arbres, confortablement meublé, orné de fleurs renouvelées chaque matin. Le jour, il écrit ; il a renoncé à ce travail fièvreux de la nuit qui use le cerveau et détruit le corps. Le soir, il fréquente les salons, il va au cercle. Il a vaincu sa timidité native; ce n'est plus cet adolescent farouche, tout de noir habillé ; c'est presque un jeune homme élégant, et de bonne mine dans tous les cas. Chatterton engraisse.

Sur ces entrefaites, une belle et riche lady, blonde comme le lin, vaporeuse à souhait, vient à le rencontrer dans un bal. Elle s'éprend de lui; et, comme elle est libre, indépendante,

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PHOSPHATINE FALIÈRES

(Nom déposé). Aliment inimitable.

elle l'épouse à la face des Trois-Royaumes. Voilà Chatterton opulent, grand seigneur ; Chatterton propriétaire d'un hôtel splendide, ayant carrosses et valets, sans compter les châteaux aux environs de Londres; Chatterton courant les chasses à grand bruit dans ses propres forêts !

C'est au tour des libraires de venir ramper à ses pieds; mais lord Chatterton n'a plus rien de commun avec ces gens-là, et il les fait chasser à coups de fouet 'de son antichambre dorée. Il ne veut plus travailler qu'à sa guise, et seulement à l'heure de l'inspiration, les yeux fixés sur la postérité. En attendant, ce qu'il faut à lord Chatterton, ce sont les succès dans le monde, et par-dessus tout la consécration politique, c'est-à-dire un siège au Haut Parlement. II l'obtient.

A dater de ce moment, la vie de Chatterton n'est plus qu'une série de fêtes et d'enivrements. C'est un homme à la mode, un dandy; on le voit dans tous les raouts, sur tous les champs de courses; il n'y a pas de paris extravagants qu'il ne tienne ou ne provoque. Le temps qu'il ne passe pas en Angleterre, il l'emploie à parcourir l'Italie en chaise de poste avec la belle lady Chatterton, sa femme.

Au milieu d'une telle existence, il lui reste bien peu de loisirs pour faire des vers. Chaque fois qu'il veut s'y remettre, c'est un effort, une difficulté. Pourtant, rougissant de lui-même, il termine la Bataille de Hastings; mais il ne lui a pas fallu moins de dix ans pour cela, dix ans de bienêtre et de quiétude, pendant lesquels son esprit s'est appesanti. Lord Chatterton essaye en vain de se faire illusion: il va de salon en salon lire son poème qui n'obtient aucun succès. Les plus indulgents y cherchent des allusions aux principaux personnages de la Cour; on veut que la reine Hedwige soit lady Sinclair, qu'Harold soit lord Mindless, et que la sorcière Ethelrude soit lady Pembroke.

Epouvanté dans sa nature de courtisan, craignant de soulever le scandale autour de lui, lord Chatterton renonce à publier son poème, le rêve et l'ambition de sa jeunesse. Il sacrifie définitivement le poète au grand seigneur. Qu'a-t-il besoin de la gloire ? N'a-t-il pas assez de la fortune? Il finit « vieux beau », homme d'esprit, tendre à lui-même lui-même et dur aux poètes.

Cette suite à Chatterton n'est-elle pas bien savou

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Aujourd'hui, les livres sur ce propos sont véritablement innombrables. Je parie qu'on en trouverait vingt pour cette année seulement romans, recueils d'anecdotes, pamphlets de toute espèce. Les Tharaud eux-mêmes sont accusés tour à tour d'amour excessif ou de haine pour leur objet d'étude. C'est apparemment qu'ils brillent par l'impartialité, ou du moins par la clairvoyance, seul gage de la sympathie humaine et de la critique éveillée. Ils ont d'ailleurs touché déjà à la plupart des sujets du judaïsme moderne. Ils ont dépeint les pauvres communautés de Galicie, l'ère des pogroms et l'âge du sionisme, la terre d'exil et la terre sainte, les opprimés et les oppresseurs : on n'a pas oublié leur merveilleuse histoire du bolchevisme en Hongrie Quand Israël est roi. Ce livre, qui ne pouvait décemment être indulgent au régime de Bela Kuhn, a suscité une réplique indirecte Quand Israël meurt (2), où M. Bernard Lecache, l'auteur de Jacob, dépeint le martyre des Juifs en Russie blanche. Il est bien difficile de distribuer le bien et le mal, la sainteté et l'innocence entre des partis qui s'assomment et s'étripent à tour de rôle Candide mettait dans le même sac les intrépides Avares et les valeureux Bulgares. L'histoire, même moderne, de l'Orient européen n'achète son pittoresque qu'au prix d'une notable barbarie.

Et voilà peut-être pourquoi les histoires juives sont si fort à la mode dans un Occident plus paisible, et quoi qu'on dise, bien moins menacé du sémitisme. Certes, il faut bien admettre que l'immigration des Juifs, à la suite de la guerre et des révolutions diverses, s'est énormément accrue chez nous, soit qu'ils veuillent se fixer à l'extrême droite de l'Europe et dans les pays les plus pacifiés, les plus tolérants; soit qu'ils n'y trouvent qu'une étape avant d'aller aux deux Amériques, où ils foisonnent déjà. Mais cette circons tance n'expliquerait pas l'intérêt qu'on porte aux Juifs de ghetto, aux Juifs orientaux, à leur société presque médiévale, en tout cas si peu moderne, si peu européenne.

En littérature, une loi bien simple gouverne les curiosités : on ne se passionne que pour les choses très neuves ou trop viclles, celles qui vont disparaître. Le judaïsme de Pologne, de Russie ou des Balkans pique donc l'intérêt comme toute

(1) Librairie Plon.

(2) Editions du Progrès civique.

civilisation particulière dont on sent bien qu'elle appartien au passé l'unification des mœurs en aura vite raison Aussi, toutes proportions gardées, les romans juifs naissent ils et pullulent à la façon des romans provinciaux et régio nalistes. Hâtons-nous de regarder et de peindre ce qu'on ne verra bientôt plus.

Quand on lit la Rose de Sâron, on a presque achevé le volume sans savoir à quelle époque vit au juste le héros Une simple note permet de supposer que ses aventures ont lieu vers 1880. Mais elles sont presque hors du temps, et les confidences vieilles d'un demi-siècle auraient pu être faites jadis. A toute époque les Juifs ont eu la tentation de se mêler à la chrétienté. A toute époque la rose de Sâro a voulu fleu.ir sur une terre impure. Cette fois-ci, le sort doit en être jeté. Si jamais les Tharaud réalisent un rêve qu'ils ne cachent point à leurs amis, s'ils peuvent accompli leur voyage en Israël par une visite à cette gigantesque métropole de deux millions de Juifs que renferme New York, ou qui sait à cette oligarchie juive qui tient ? l'empire des tsars, ils auront vu le peuple de Dieu releve de sa malédiction et désormais accommodé au siècle, prêt même à le dominer... Est-ce que cette réconciliation ou cette conquête auront pour rançon l'abdication de la société dite chrétienne ou le renoncement de la société juive à ses préjugés de race, de foi, à sa tradition même ? De toute façon, l'histoire tournera à l'épopée ; car il y a, Dieu merci des épopées pacifiques. Les Tharaud en auront écrit les premiers chants, et sans doute, aux yeux de l'art, les plus parfaits.

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si l'on entend par là le déroulement du récit, les ménagements d'intérêt, les présentations variées de personnages, la fusion subtile du didactisme et du naturel. Mais ce mot même de rhétorique est affreux, semble injurieux; contentons-nous de faire honneur à de tels écrivains d'une adresse merveilleuse. A rebours de tant d'ineptes contemporains, ils savent bien que l'adresse est une vertu, et qu'en telle matière, elle est la forme pratique du goût souverain. Dire que des gens la prennent comme un grief!

Il fallait bien cette habileté pour présenter un récit où manque le ressort principal des actions ordinaires : « Dans mon histoire, avoue le jeune Lipschutz, il n'y a malheureusement pas de femme, mais il y a un arbre de la science et un serpent. » L'aventure se réduit, en effet, à sa libération spirituelle. Non pas au sens où l'entendent d'habitude les croyants. Ce que perd Jacob Lipschutz, ce n'est pas la foi, mais la morale judaïque. Et encore, la seule partie de cette morale qui ne coïncide pas avec la morale universelle : rites bizarres, préventions jalouses envers le gentil, horreur de ce qui fait, au matériel et au spirituel, la civilisation du monde.

Pour un chrétien, la question ne se pose jamais ainsi, car les Eglises chrétiennes ont été mêlées à la société qu'elles ont créée; elles l'ont aidée, ou accompagnée, ou suivie dans son évolution. Aucun ennemi du catholicisme, si féroce soit-il, ne peut dénoncer dans cette religion un tel détachement de la vie, une telle hostilité au monde. Il se contenterait d'ordinaire en opposant la pratique aux principes, et aux prêtres du XX siècle le Décalogue ou l'Evangile, ce qui reste toujours matière à discussion. Au lieu que la société juive est restée conservée à l'état fossile, jusqu'à l'époque où la peignent les Tharaud; son orgueil, sa foi 'dans une destinée sublime; la répugnance même de ses ennemis l'ont isolée, l'ont préservée. Un beau jour le mur se lézarde, se démantèle, s'écroule : les Juifs s'avisent soudain qu'ils serviront mieux leur propre cause dans le monde qu'au dehors. C'est toute l'histoire de Jacob Lipschutz.

Elle est contée à la première personne, et avec un naturel étonnant le style, l'ironie même qui le dispute à la naïveté, les métaphores enfin sont scrupuleusement conformes à la culture du narrateur. La part critique, la part instructive y sont glissées sans qu'on voie les raccords. Il fallait bien renseigner le lecteur profane, et juger aussi avec des yeux d'aujourd'hui cette aventure d'hier. Jacob y excelle; qu'il décrive la saleté de ses congénères, la routine de l'enseignement qu'ils reçurent, ou la naïveté de leur entretien avec un Dieu tout proche, tout personnel, tout spécial à leur race, penché comme un berger sur son petit troupeau. Souvent on invoque sa sollicitude, parfois on espère sa distraction : c'est un mysticisme pratique bien amusant à observer. Envers les gentils, maintenant, la sainte commu

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nauté passe de l'indifférence ou de l'horreur passive-à la curiosité, à la sympathie, à l'émulation. Au moins, Jacob, son emblème. Autour de lui, il y a d'autres types, dont l'évolution aura été plus rapide ou moins régulière des lâches, des renégats cyniques, des fidèles obtus, des « politiques » enfin. La nomenclature est presque complète dans le livre; et l'on a l'impression d'y avoir saisi tout Israël, ancien et nouveau.

Jacob est d'abord élevé dans une yechiba, petite université rustique où les étudiants de la loi sont cantonnés chez les familles du village, à peu près comme chez nous les collégiens de province au temps de Marmontel. Jacob suit tour à tour deux maîtres en Talmud; il apprend auprès d'eux la lettre de la loi et le commentaire dialectique : exercices de mémoire pure ou de subtilité vaine. Il passe ensuite chez un Cabbaliste, où l'enseignement, comme on sait, est un illuminisme scolaire et un messianisme plus ardent. Près d'épouser la fille d'un pieux et riche fidèle, il se fait chasser pour libéralisme et lectures défendues. En effet, un goy rencontré par hasard, un professeur hongrois lui a donné le goût des sciences profanes, des langues vivantes, des livres de perdition. Il se loue comme précepteur à la ville, chez un Juif avocat, dont la femme, Léa, est instruite, mondaine, agréable et terrible à voir. Il est amoureux d'elle, mais il ne le saura que trop tard. Elle joue dans sa vie un bien autre rôle. Elle l'introduit dans une société qui lui eût fait jadis horreur, lui montre en somme les Juifs adaptés rivalisant avec les Chrétiens, tolérés tolérants, admis parmi les hommes malgré quelques drames inévitables: il suffit d'un procès, d'une calomnie, pour que les préventions et les haines se réveillent. Nous sommes en Hongrie, il y a cinquante ans... Lipschutz vient enfin à Paris, où accueillit par ses frères les plus misérables, il se trouve libre, et commence à vivre en colporteur sur le

trottoir...

Les volumes suivants raconteront sans doute sa fortune. S'il ne peut sauter l'étape, comme dirait M. Bourget, ses fils du moins auront pignon sur rue, chaire en Sorbonne, siège à la Chambre. Peut-être aussi eux ou leur père prendront conscience de la vanité de ces biens, et vivront en étrangers sur la terre conquise. Ils sentiront la mélancolie d'un triomphe qui a exigé un reniement. Il serait étonnant que les Tharaud conduisent leurs Juifs jusqu'à n'être plus juifs, jusqu'à perdre cette noblesse particulière que donnent à leur race l'amertume secrète dans la joie, la rêverie dans l'action. On n'a pas été pour rien si longtemps chargé de l'opprobre des hommes et de l'écrasante jalousie de Dieu...

La Rose de Sâron ouvre justement des vues aussi profondes que fines sur la psychologie d'Israël. Un des traits curieux en aurait été, sous la stricte observance de la loi, le dédain de la femme. Les intellectuels de yéchiba ne sont point hantés par Eve. Ils savent qu'une épouse féconde les attend, et n'a pas d'autre noblesse devant le Seigneur. Par une revanche singulière, c'est la femme qui mettra la corruption dans leur monde incorruptible. Entendez ia corruption intellectuelle. Léa, la belle patronne du petit Lipschutz, est presque en état d'apostasie, de trahison ; elle hait la tradition sociale et morale de ses parents

est impossible de savoir si elle ne renierait pas le judaïsme par dépit de ne le pouvoir sauver; bref, par judaïsme encore. Un grand nombre de convertis, même devenus prêtres catholiques, ont marqué cet orgueil judaïque au sein du christianisme; et je ne vois rien de plus beau, de plus sublime que ce sentiment-là qui en somme affirme un messianisme contenté.

Parmi les étudiants talmudiques, il faut noter la curieuse alliance d'une servilité aux textes et d'une liberté envers le maître. On discute, on ergote, on divague sur des folies de formalisme; mais on apprend ainsi à raisonner; et qui sait si plus tard on fera sa part à la raison critique ? Les problèmes les plus bizarres, les commentaires les plus menus, exercent l'intelligence pure. C'est peut-être pourquoi, après des siècles de cet entraînement vain, les Juifs entrent si bien armés dans les luttes d'esprit, pratiques ou théoriques. Jacob Lipschutz, pour la première fois, entend le Roi des Aulnes :

Qui chevauche si tard par la nuit et le vent ?

Il repart aussitôt : « Si l'auteur le sait, pourquoi le demande-t-il ? S'il ne le sait pas, est-ce que je peux le lui apprendre?» Cette querelle relève bien de l'ignorance et de la niaiserie; mais appliquez-en le principe à toutes les idées reçues et vous soulèverez les montagnes...

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Enfin, il faut noter le merveilleux dédain de l'argent que professent, dans leur société primitive, les Juifs qui n'en font pas métier. Chez eux l'intellectuel est tenu pour une valeur. Il a droit à être nourri par ses frères, la mendicité même lui est un honneur, un devoir. Cette conception, dont le christianisme (les protestants en tête, et les catholiques très tard, non sans résistance) a fait litière, ce mépris de la richesse temporelle, ce sens d'une hiérarchie si étrangère au monde moderne, voilà qui explique peut-être, par un paradoxe très explicable, que les Juifs aient si vite conquis l'argent. On ne prend bien que ce qu'on n'adore pas. L'argent, conçu comme un moyen de puissance, ne peut être

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une fin en soi. C'est bénédiction s'il échoit à ceux qui le dédaignent ; et cela prouve que les saints ont toujours leur récompense, eux ou leurs successeurs. ANDRÉ THÉRIVE.

Les élections académiques

L'Académie française a élu jeudi dernier les successeurs de René Boylesve et de Jean Richepin. Le premier yote donna lieu à deux tours de scrutin. Au premier tour, M. Abel Hermant obtint seize voix contre 7 au comte de Blois, 6 au professeur Charles Richet, et 3 à M. Auguste Dorchain. Le second tour amena l'élection de M. Abel Hermant par 23 voix, tandis que le comte de Blois en avait 5, le professeur Richet 3 et M. Fernand Gregh 1.

M. Emile Mâle fut élu au premier tour avec 17 voix contre 6 à M. Camille Mauclair, 5 à M. Claude Farrère et 4 à M. Alfred Poizat.

Il faut se réjouir de voir le fauteuil de René Boylesve occupé par un homme de lettres comme M. Abel Hermant. Le nouvel académicien est, en effet, l'un des écrivains contemporains les plus dignes de cet honneur, tant par son talent et son esprit que par la qualité propre à son œuvre.

Il est l'un des derniers maîtres et des derniers défenseurs du langage français. Dans sa pensée comme dans son expression le tour classique le plus pur se montre: celui des mémoires du XVIIe siècle à qui des œuvres comme les Grands Bourgeois ou les Souvenirs de Monsieur de Courpière font un parfait pendant. De tels écrits serviront bien comme l'a voulu leur auteur à l'histoire de la société » d'aujourd'hui et de la façon la plus magistrale. A côté d'eux, des romans comme la Discorde, qui est une admirable étude de mœurs familiales, les Renards, le Cavalier Miserey montrent un autre aspect du talent de M. Abel Hermant, plus réaliste, peut-être, mais où la correction concise de l'auteur ne se dément jamais.

Faut-il encore en citer? La bibliographie des œuvres de M. Abel Hermant tiendrait facilement une colonne de ce journal. Contentons-nous plutôt de signaler à nos lecteurs l'Essai sur Abel Hermant que notre collaborateur André Thérive fit paraître voici quelques mois. Ils y trouveront le meilleur éloge qu'on puisse faire du nouvel académicien.

M. Emile Mâle est directeur de l'Ecole de Rome. C'est un historien éminent de l'art. Ses ouvrages où une technique supérieure s'ajoute à des vues esthétiques excellentes, sont justement réputés. Son Histoire de l'art religieux au XII° et au XIIIe siè cles est l'œuvre la plus complète et la plus remarquable qu'on puisse trouver sur ce sujet. Elle a consacré définitivement son R. B. P.

nom.

Une collection nouvelle.

La collection du Portrait de la France va engendrer une similaire, consacrée à la géographie littéraire et sentimentale des pays étrangers, et appelée Ceinture du monde, par M. J.-L. Vaudoyer, qui la dirigera. Dans son éclectisme, elle offrira un Maroc, d'Abel Bonnard; une Syrie, de Pierre Benoît; l'Uru guay, de Jules Supervielle; Delphes, d'Eugène Marsan; la Rhénanie, de Pierre Mac Orlan. Suivront Sienne, de M. André Suarès; les Baléares, d'Alexandre Arnoux; le Danemark, de Gérard Baüer; Londres, par la princesse Bibesco; Madagascar, de Pierre Camo; les Iles Açores, de Jean Giraudoux; Palerme, par François Fosca; New-York, de Paul Morand; la Baie de Naples, par Henri de Régnier; la Judée, par les frères

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Balzac jugé par lui-même.

Dans un catalogue d'autographes de la fin de 1862, vente. Auguste Laverdet, on trouvait l'article suivant :

BALZAC (Honoré de), romancier. Réclame rédigée par luimême sur un de ses ouvrages. Son nom est écrit plusieurs fois dans le texte. Il commence ainsi :

« Les Contes philosophiques de M. de Balzac ont paru cette semaine chez le libraire Gosselin.. La Peau de Chagrin a été jugée comme ont été jugés les admirables romans d'Anne Radcliffe. Ces choses-là échappent aux analystes et aux cominentateurs. L'avide lecteur s'est emparé de ces livres. Ils jettent l'insomnie dans l'hôtel du riche et dans la mansarde du poète ; ils animent la campagne ; l'hiver, ils donnent un reflet plus vif au sarment qui pétille. Grands privilèges du conteur ! C'est qu'en effet, c'est la nature qui fait les conteurs. Vous aurez beau être savant et grand écrivain, si vous n'êtes pas venu au monde conteur, vous n'obtiendrez jamais cette popularité qui a fait les Mystères d'Udolphe et la Peau de Chagrin, les Mille et une Nuits, de M. de Balzac. J'ai lu quelque part que Dieu mit au monde Adam le nomenclateur, en lui disant : Te voilà homme ! Ne pourrait-on pas dire qu'il a mis aussi dans le monde Balzac le conteur en lui disant : Te voilà conleur ! Et, en effet, quel conteur! Que de verve et d'esprit ! Quelle infatigable persévérance à tout peindre, à tout orner, à tout flétrir. Comme le monde est disséqué par cet homme ! Quel analyste! Quelle passion et quel sang-froid! Les Contes philosophiques sont l'expression au fer chaud d'une civilisation perdue de débauches et de bienêtre que M. de Balzac expose au poteau infamant... >>

On voit dans ces lignes curieuses ce que l'illustre romancier pensait de lui-même. Cet amusant autographe ne fut vendu que 20 francs.

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MUSIQUE

Spectacles de fin de saison

La saison musicale s'achève, sans avoir brillé, il faut bien le reconnaître, d'un bien vif éclat.... Au théâtre, la tendre Sophie Arnould de M. Gabriel Pierné, la spirituelle Angé lique de M. Jacques Ibert: aux concerts, la Suite et le Concert pour orchestre de M. Roussel, la subtile Sonate pour violon et piano de M. Ravel, pour ne parler cette fois-ci que d'oeuvres françaises, restent dans nos mémoires, et auront sans doute une destinée moins éphémère que tant de productions, plus ou moins industrieusement cuisinées au goût du jour, souvent destituées de tout sentiment poétique, et uniquement poussées» soit par la situation influente de leurs auteurs, soit par la vaine politique des chapelles. Il est, par contre, significatif de constater que les deux ouvrages dont l'apparition répétée aux programmes a produit incontestablement cet hiver l'impression la plus profonde le Psaume plein de fougue juvénile de M. Florent Schmitt, et l'admirable Ariane et Barbe-Bleue de M. Paul Dukas, appartiennent déjà au passé. Souhaitons que le succès enthousiaste qu'ils ont mérité et obtenu, persuade nos jeunes musiciens et les critiques qui leur font cortège, que le goût de la grande expression n'est pas aussi irrémédiablement périmé qu'ils veulent bien nous l'affirmer, dans un but qu'on voudrait croire désintéressé.

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Quelques premières ou reprises, en cette fin de printemps maussade, ont eu lieu sur nos scènes lyriques non subventionnées. Le THÉATRE MARIGNY, suivant sa coutume, a somptueusement monté Venise dont le livret d'abord conçu sous la forme de l'opéra-comique, a pris celle de l'opérette à couplets, grâce aux soins experts de MM. Mouézy-Eon et Willemetz. Malgré sa pauvreté, Gianetto est épris de la riche héritière Stella, qui lui a donné son cœur. Un vieux mendiant lui donne un talisman grâce auquel il devient millionnaire. Mais son rival Marc-Antonio arrive à lui dérober le fétiche, et à persuader Stella qu'elle est trompée. Désespéré, Gianetto veut se noyer. Il est sauvé par le mendiant du premier acte, devenu un fastueux prince oriental. Rien ne s'oppose plus à l'union des deux amoureux... Cette aimable intrigue, qui donne prétexte à un Et. LE GAL, Ne con

BIBLIOGRAPHIE

Marcel

DIAMANT-BERGER, Les hassanis L. GUILLET, Trois amours (B. Grasset, 15 fr.). François COPPÉE, Vers d'amour et de tendresse (A. Lemerre).

HISTOIRE ET CRITIQUE LITTERAIRES, FHILOLOGIE. Nicolas SEGUR, Dernières conversations avec Anatole France (Fasquelle, 12 fr.). Charles BEAULIEUX, Histoire de l'orthographe française (Champion, 2 vol.).

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fondez pas... Etudes de paronymes (Delagrave). - LÉON TREICH, L'esprit de Pierre Véron (Gallimard, 6 fr.). - Edouard MAYNIAL, Flaubert et son milieu (Editions de la Nouvelle Revue critique). SAINTE-BEUVE, Les grands écrivains français, études des Lundis et des Portraits classées selon un ordre nouveau et annotées par Maurice ALLEM (Garnier, 2 vol., 10 fr.). Emile BAUMANN, Intermèdes (B. Grasset, 12 fr.). - J.-H. ROSNY aîné, L'Académie Goncourt (G. Crès, 12 fr.). VOLTAIRE, Mémoires, suivis de Mélanges... et précédés de Voltaire Démiurge, par Paul SOUDAY (E. Hazan). Comte de LAUTREAMONT (Isidore Ducasse), Euvres complètes, publ. par Philippe SOUPAULT (Au Sans Pareil). Jean PLATTARD, Etat présent des études rabelaisiennes (Les Belles Lettres).

luxueux

déploiement de décors et de costumes, n'appelait pas une musique révolutionnaire, et on ne saurait faire grief à M. Tiarko Richepin de n'avoir pas cherché à l'écrire. Il a harmonieusement équilibré, dans sa partition, écrite avec un soin manifeste et qui trouvera le chemin de bien des cœurs, les couplets, les romances, les suaves duos d'amour, les choeurs de coulisse et les ensembles. Et, à part un emploi de la timbale à découvert un peu constant, son instrumentation chatoyante a une délicatesse de touche, une séduction, une couleur, qui conviennent fort bien à la nature

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