Images de page
PDF
ePub

Michel baissa la tête, en faisant semblant de se moucher. Il sentit que ces deux avis le concernaient. mais il ne pouvait l'avouer, sans se confesser coupable. Il fallait donc qu'il approuvât Labranche, et qu'il s'exposat ainsi à une leçon encore plus forte, peut-être. Il est sûr, dit-il enfin, qu'on ne s'inquiète pas trop de Dieu, et qu'on s'habitue à vivre sur cette terre, comme si l'on s'y était mis soi-même, ou comme si l'on était maître d'y rester autant qu'on veut, et d'y faire tout ce qui vous passe par la tête.

Voilà une bonne réflexion, Voisin, répondit le voiturier, en ralentissant le pas des chevaux; et je ne puis vous dire combien j'aime à vous entendre parler ainsi.

Michel rougit; car l'approbation de Labranche n'était pas pour lui peu de chose. Aussi fut-il encouragé à lui ouvrir son cœur ; et l'entretien, qui n'avait été jusque-là qu'une petite guerre, devint facile et abondant. Ce n'est pas la première fois que j'y ai pensé, continua Michel. Je vous assure, mon Voisin, que j'ai quelquefois des momens bien sérieux : car enfin, après tout, ce n'est pas de manger et boire et de commercer, et de gagner quelque argent, qui fera qu'on mourra tranquille. Et il n'y a pas là à dire : il faut qu'on s'en aille de ce monde, et qu'on quitte champs et maisons; et puis, que restera-t-il de tout cela? Rien n'en peut entrer dans... l'autre monde.

Cette réflexion de Michel venait du fond de son cœur ; et elle montra, et fit sentir à Labranche, que son voisin était mieux disposé, qu'il ne l'avait cru jusqu'alors, à une conversation sérieuse. Aussi se décida-t-il à saisir cette bonne occasion de parler franchement à Michel sur le salut éternel de son âme. Il lui dit donc Ecoutez, cher Michel, il y a aujourd'hui neuf jours que nous avons mis sous terre le pauvre Samuel Vincent. Vous savez, aussi bien que moi, quelle

était sa vie, au vu et au su de tout le village; et vous - avez pu connaître quelque chose de ses derniers mo

mens.

Mich. On a bien dit qu'il avait eu beaucoup d'agitation et d'inquiétude, causées par une forte fièvre.

Labr. C'est-à-dire, qu'il était impossible de ne pas frémir d'horreur à la vue des frayeurs et des tourmens qui entouraient ce malheureux. J'ai été là trois jours de suite, et long-temps chaque fois; et je l'ai, de mes propres oreilles, entendu erier ces épouvantables paroles: Si vous dites qu'il n'y a pas un jugement dernier, vous mentez. Le voicí. Oh! quelles flammes!

Mich., avec un saisissement visible: Il a dit cela? Vous y étiez, Labranche?

Labr. Et avec moi tout le voisinage. C'était le soir qui précéda sa mort. Il avait été comme assoupi: tout à coup il se redressa, et en arrêtant autour de lui des regards égarés et terribles, il cria ce que je

viens de dire.

Mich. Est-ce que cela dura toute la nuit?

Labr. Je le quittai, après avoir fait tout mon possible pour le calmer, en lui parlant de la miséricorde infinie de Dieu en notre Seigneur Jésus-Christ. Je lui lus aussi plusieurs passages de la Sainte Bible, et même je fis une prière. Mais tout semblait l'irriter encore plus; et une fois, je le vis grincer les dents, pendant que je l'invitais à se tourner vers Dieu, avec repentance.

Mich., d'une voix altérée : C'est effroyable! Ce Samuel, qui, il n'y pas un mois, était le plus gai de tous!... Ah! c'était un terrible blasphémateur! En a-t-il fait à ces pauvres gens qui s'assemblent pour lire la Bible! Ce fut lui qui pendit ce cochon à la croix qu'on trouva plantée........

3

Labr. Taisez-vous, Michel! Ce récit serre le cœur. Pauvres impies!. Hé bien! oui; telle a été la fin de cet infortuné. Vers le matin, je retournai chez lui, et son état n'avait pas cessé d'être le même. Il put encore m'apercevoir; et les derniers mots que j'entendis de sa bouche, furent ces trois paroles, qu'il prononça avec effort: « Des peines éternelles!...

Pourquoi n'a-t-on pas publié cela dans tout le village? s'écria Michel, que ce récit avait vivement frappé. Il n'y aurait pas un de nous qui n'en fùt terrifié dans le fond de l'âme. C'est horrible que de finir ainsi! Quelle mort de réprouvé !

Labr. Écoutez, Michel! notre Seigneur Jésus dit, par la bouche du juste Abraham, que « si les hommes n'écoutent pas les Prophètes de Dieu, ils ne seraient pas persuadés, lors même qu'un des morts ressusciterait. (Luc XVI, 31.)

[ocr errors]

Mich. Ah! cependant ceci n'est pas un badinage; et je crois bien qu'il n'y a pas un impie tellement déterminé, qu'il ne soit confondu, s'il apprend cette histoire.

Labr. Hé bien! vous le voyez, Michel: vous ne croyez pas la Bible.

Mich. Moi! Voisin! Je vous demande pardon : je l'ai toujours crue, et je la crois toujours, d'un bout à

l'autre.

Labr. Excepté dans ce qui ne s'accorde pas avec vos idées; car enfin, je viens de vous citer les propres mots de la Parole de Dieu, et la première chose que vous ayez faite, a été de leur opposer un cependant; comme si vous connaissiez mieux la vérité, que Dieu

même ne la connaît.

Michel apprit en ce moment quelque chose de tout

nouveau pour lui; savoir, que celui qui croit la Bible, croit tout ce que la Bible dit, sans chercher à la contredire, ni à lui opposer les idées qu'il peut avoir. Ce fut comme un trait de lumière dans son esprit, et il sentit, qu'en effet il n'avait pas « cru franchement » la Bible, puisqu'il avait repoussé ce qu'elle dit si positivement, en mettant à la place ce qui lui semblait devoir être.

Vous avez raison, dit-il à Labranche, avec humilité. On ne croit réellement pas la Bible, si l'on ne reçoit pas comme vrai, et tout de bon, ce qu'elle renferme. C'est étonnant! Quelle idée l'on peut se former des choses! On dit, Je crois que la Bible est la parole de Dieu; et puis, lorsqu'elle parle et qu'elle décide, on avance contre elle tout autre chose que ce qu'elle dit! Eh bien! je suis sûr qu'il y en a plus de quatre, dans le village, qui croient la Bible ainsi.

Labr. Aussi leur conduite est-elle conforme à ce Saint Livre, comme le marc qui sort du pressoir, ressemble à la grappe qui pendait au cep. C'est-à-dire qu'ils se séduisent eux-mêmes, et qu'ils ne disent pas la vérité, quand ils se vantent d'avoir toujours cru la Bible. Quand on a faim, et qu'on croit qu'il y a du pain dans le coffre, certes, on lève le couvercle pour prendre un morceau de ce pain. Si l'un de mes enfans me disait, qu'il croit que l'eau de notre fontaine est bonne, et qu'il bût habituellement à son repas celle de l'égout, je pourrais bien lui dire qu'il ment.

Mich. Je suis tout surpris de cela ; et, cependant, c'est clair comme le midi. Voilà, je le comprends maintetenant on dit bien, Je crois la Bible, mais à côté d'une telle croyance, ou plutôt de cette profession des lèvres, on ne s'inquiète pas plus de ce qui est dans cette Bible, qu'on ne songe à une mine d'or qui n'a jamais été découverte.

Labr. C'est pour cela, mon Voisin, que tant de

gens qui se disent pieux, et qui mènent une certaine bonne vie, dès qu'on leur dit une seule parole de vraie et sincère piété, sourient avec mépris, ou bien la regardent comme une exagération.

pas ce

Mich., en rougissant, et avec douceur: N'est-ce que j'ai fait, il y a un moment, au sujet de la pluie ?

Labr. Voyez, Michel, ce n'est pas à moi à vous donner des leçons, vu que je ne suis qu'un ignorant, et que vous avez plus d'éducation que moi; mais je puis bien vous dire franchement, que j'ai trouvé que vous ne parliez pas en chrétien, quand vous m'avez ainsi répondu sur les récoltes, et sur la puissance de Celui qui nous les donne.

Mich. Mais aussi, Labranche, vous prenez toujours tout au grand sérieux : il est permis, cependant, de rire, quand cela ne va pas trop loin.

Labr. C'est toujours trop loin, quand le nom de Dieu s'y trouve. Il est l'Eternel, lui; et nous, que

sommes-nous ?

[ocr errors]

Michel n'osa rien répondre. Il sentit que Dieu était présent, et que ce qu'il dirait pour sa défense serait entendu de ce Juge Souverain, qui amènera toule œuvre et toute parole en jugement, » qu'on le veuille, ou non. (Matth. XII, 36.) Le voiturier poursuivit donc : C'est pourquoi j'estime, que si nous ne voulons pas voir la main de Dieu dans tout ce qu'il nous dispense, nous lui refusons ce qui lui appartient; et nous nous privons, en même temps, du seul vrai bonheur qu'il y ait en ce monde.

Mich. Vous êtes bien heureux de penser ainsi. Mais aussi il faut avouer, Voisin, que chacun n'a pas la même dose de religion que vous. D'ailleurs, vous y avez été habitué dès l'enfance, tandis que... pour moi, peut-être, ce n'a pas été tout-à-fait la même

« PrécédentContinuer »