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au Louvre. Théodore Rousseau, exclu des expositions officielles jusqu'en 1852, connaît enfin la gloire.

Tous ces noms, et d'autres, ceux de Decamps, de Corot, nous les retrouvons dans la première série de l'œuvre de Théophile Silvestre. Il y a aussi Préault et Chenavard... S'il en manque, ce n'est pas la faute de Silvestre. Une seconde série dont seule parut la première livraison, consacrée à Horace Vernet devait comprendre Daumier, David d'Angers, Delaroche, les deux Dévéria, Dupré, Huet, Jeanron et Troyon. Malheureusement, un public indifférent ne permit pas à Silvestre de continuer la publication. C'est bien dommage.

C'est bien dommage, parce que les deux volumes que nous avons sous les yeux sont d'un intérêt peu banal. Pas un instant d'ennui au cours de leur lecture. Le style est alerte et joli. La critique pure laisse souvent place à l'anec docte, au récit biographique. Silvestre exprime ses opinions avec une verve incroyable. Il ne mâche pas ses mots, et il en est de durs. Ingres est un « violent magot >> Horace Vernet le « Raphaël des cantines ». Mais sous le plus extrême des partis-pris, il y a un terrible bon sens, une justesse inouïe du coup d'œil, et l'on pardonne d'autant plus volontier à Silvestre ses ruades et ses exagérations qu'il nous apporte avec elles une foule de notions intelligentes, d'aperçus exacts sur l'art en général et les artistes en particulier. Au reste, il sait parfois s'élever à de plus sereines hauteurs. M. Elie Faure, parmi les fragments qu'il a retrouvés en explorant les collections du Figaro, et qu'il a incorporés a incorporés aux deux volumes, a mis la main sur un essai très remarquable qu'il publie en tête de l'ouvrage sous le titre : Le Public des Expositions. Dans ces quelques pages, préface d'une initiation artistique à l'Exposition Universelle, Théophile Silvestre montre une très belle conception de la critique d'art. Tout dans ce texte est de la plus curieuse originalité ; pas une phrase qui ne puisse s'appliquer aux expositions de nos jours, au public d'aujourd'hui. « Si le Beau, y lit-on, était le produit d'une recette calligraphique ou pittoresque, la tradition, si vénérable depuis les Grecs d'Athènes jusqu'aux Athéniens de Paris, ne serait qu'une école mutuelle 'de singes; et si l'originalité, sans laquelle il n'y a point d'artiste, était une tendance excentrique, une violation plus ou moins extravagante des lois de la nature, au lieu d'être une façon toute personnelle et très vive de voir, de sentir, et de dire la vérité, les plus grands peintres et les plus grands écrivains se trouveraient à Charenton. » Silvestre s'élève avec violence contre les « banalités affectées que le public adore et qu'il a chaque jour sous les yeux » contre « les paysannes d'opéra-comique, qui rêvent en gardant leurs dindons de se faire enlever par un gandin, surtout par un banquier ».

Car Silvestre n'a pas été choyeur de son public ni de ses confrères. Il ne ménage pas le mauvais goût ni la << servilité » de ses contemporains. Il ne ménage pas non plus les peintres qu'il juge de mauvais peintres, et son histoire avec Horace Vernet est bien amusante à cet égard. Je ne

la correspondance que lui avait pourtant bénévolement livrée sa victime). Le portrait de Vernet et la relation de ses entretiens avec le critique dont des pages du plus haut comique. Il faut les lire.

Evidemment, Silvestre a été partial. On peut comprendre son horreur de la peinture d'un Vernet, et même excuser son admiration pour la philosophie - plutôt que pour la peinture de Chenavard. Mais, quant à Ingres, il nous semble aujourd'hui que le mépris qu'il avait pour l'homme, vaniteux et violent, l'ait trop aveuglé lorsqu'il parle du peintre. Le personnage d'Ingres, vice-Dieu, trônant et adulé, lui déplaisait et l'irritait. Une certaine sécheresse de caractère, qu'il retrouvait dans la peinture, ne pouvait plaire à la nature généreuse de Théophile Silvestre. Il l'a dit, et Baudelaire a été plus fin que lui.

La sympathie de notre critique va visiblement aux romantiques, et Delacroix est son grand homme. Corot excepté le seul peut-être pour qui sa plume n'ait trouvé que des éloges les classiques n'obtiennent qu'une petite part de ses faveurs. Les uns et les autres, d'ailleurs, il les juge avec la meilleure foi du monde. Il a un intinct très sûr des éléments périssables de leurs ouvrages, de leurs grandeurs et de leurs faiblesses. Il démêle parfaitement l'intime essence de leur génie. A cet égard, l'étude sur Delacroix est la plus complète et la plus belle. Il a aussi très bien compris Courbet, et l'un des premiers; l'admiration et la raillerie se mélangent dans les pages qu'il lui consacre avec un goût fort savoureux.

Très instinctif, Silvestre est aussi très impulsif. La sympathie et l'antipathie que lui inspirent ses personnages influence malgré lui sa critique. C'est l'inconvénient du reportage, si vivant par ailleurs. Silvestre, séduit par une philosophie originale, une haute intelligence ou une belle conscience d'artiste, conclut trop vite que l'oeuvre répond au cerveau qui la conçoit. S'il s'est montré trop aimable pour Chenavard, trop méchant envers Ingres, c'est que son impulsivité l'a entraîné.

Rien n'est plus ingrat ni plus fastidieux que la « critique de la critique ». Je ne l'essaierai donc pas. Je viens seulement signaler un bon livre de plus à l'actif de la Biblio

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saurais la raconter mieux que ne fait Silvestre dans le 7 bis, Place du Palais-Bourbon, PARIS (7)

mémoire qu'il adressa à la Cour pour se justifier (car, après un procès burlesque, Silvestre s'était yu interdire de publier

thèque Dyonisienne et qui vient à point. Puisque le centenaire du romantisme envahit les théâtres et les bibliothèques, il est bien juste de rendre hommage à l'un de ceux qui contribuèrent le plus à le faire aimer dans son art, en la personne de Delacroix, dont Silvestre a été, sans doute, le plus intelligent des critiques et le plus fidèle des admirateurs.

MUSIQUE
Musiques de chambre

La multiplicité des spectacles lyriques et des concerts 'd'orchestre, dont le nombre augmente sans cesse, ne me permet guère, au cours de la saison normale, de vous parler ici régulièrement des séances de musique de chambre, où se fait pourtant souvent plus de bonne besogne que dans bien des manifestations plus bruyamment vantées. Je voudrais aujourd'hui réparer un peu mon silence forcé et jeter un coup d'oeil d'ensemble sur l'action des sociétés qui ont pour mission de nous révéler les productions nouvelles de cet ordre, laissant de côté les innombrables récitals d'interprêtes dont les programmes sont avant tout conçus en vue 'de la recette.

Comme de coutume, depuis quelques années, la Société nationale et la Société musicale indépendante ont poursuivi leurs campagnes respectives, dans les conditions honorablement effacées que rend inévitables la persistance d'une action parallèle, déplorable vestige d'anciennes querelles de boutique qui ne correspondent plus à aucune réalité. Un instant à la fin de la guerre et pendant les premières années qui suivirent l'armistice, on avait pu penser que l'élargissement des cadres de la Société nationale, et le clairvoyant exemple de Gabriel Fauré, qui en avait accepté la prési'dence dans cet esprit nouveau, les apaiserait définitivement. Il n'en a hélas ! rien été, et, en voyant que les intrigues stériles des chapelles savamment perpétuées annihilaient encore une fois la leçon du passé, ceux qui, comme le signataire de ces lignes, chargé en qualité de secrétaire général 'de l'organisation des concerts, avaient cherché de toute leur activité et de toute leur bonne volonté, à sceller l'union, et à en perpétuer les précieux effets, je n'en veux pour preuve que les brillantes soirées données par la Société nationale entre 1917 et 1920, furent peut-être excusables de se retirer volontairement, estimant que dès lors leur rôle n'avait plus de raison d'être.

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Les événements, en tous cas, se sont chargés de justifier leurs prévisions. La production courante des oeuvres de musique de chambre, formant l'élément principal du répertoire des sociétés de ce genre, et exigeant de la part des compositeurs un effort long et désintéressé peu en harmonie vec les difficultés de l'existence actuelle, s'est trouvée insuf

fisante pour alimenter les programmes de deux sociétés dont le but est, en somme analogue, et dont la clientèle de compositeurs et d'auditeurs est aussi - quoiqu'on prétende à cet égard, restée en grande partie commune. En outre, il a été de plus en plus difficile aux comités organisateurs d'y remédier dans une certaine mesure, comme ils l'avaient parfois fait avec succès, en remplaçant les ouvrages inédits défaillants par d'autres ouvrages de valeur peu connus, et mis en valeur par des interprètes renommés, car les dits interprètes se montraient de moins et moins soucieux, par simple respect d'une tradition naguère unanimement observée, au moins à la Société nationale, d'assurer leur concours modestement rétribué ou même gratuit, à la diffusion de musique nouvelles... Médiocrement attirés par des soirées trop souvent dépourvues d'éclat, par un public clairsemé de vieux habitués, les compositeurs de la plus jeune génération ont élu domicile ailleurs, aux concerts de la Revue musicale par exemple ou dans des séances organisées par leurs propres soins...

Pour ces diverses raisons, la saison dernière, la première audition de la plupart des ouvrages marquants de musique de chambre française ou étrangère ont échappé à la Société nationale et à la Société indépendante: la Troisième Sonate pour violon et piano de M. Enesco, le Quintette pour piano et instruments à vent de M. Prokofieff, le Concerto avec clavecin de M. Manuel de Falla. Quant aux Sonates pour piano et violon, le Final pour violoncelle et piano, de MM. Maurice Ravel, Louis Aubert et Florent Schmitt, leurs auteurs, quoique fondateurs notoires de la Société indépendante, en ont réservé la primeur aux brillants concerts Durand. M. Albert Roussel, membre du Comité des deux Sociétés, a suivi leur exemple, avec ses Odes anacréontiques. Par contre, M. Vincent d'Indy, est resté fidèle à la Société nationale, où il connut tant de succès de sa carrière en lui assurant la primeur de ses dernières œuvres : le Concert pour flûte, violoncelle et quatuor à cordes et de brèves pièces de piano: Conte de fées, dont je vous ai récemment parlé. Il a été suivi par M. Guy Ropartz, qui a fait entendre aux séances de la même société un Troisième Quatuor à cordes, où sous une forme concise, avec une écriture volontairement allégée, se retrouvent la noble sincérité, l'élévation des aspirations, la sûreté de la structure qui distinguent les compositions du directeur du Conservatoire de Strasbourg. Un Trio fort musical de M. Joaquin Turina, -encore que je préfère sa musique exclusivement pittoresque, des Esquisses pour violon et piano, heureusement évocatrices, de M. Philippe Gaubert, de pénétrantes Mélodies de MM. de Bréville et Jacques Pillois, une Sonate pour piano, de personnalité encore un peu indécise, mais de sentiment distingué, de M. Yves de la Casinière, voilà, sauf erreur, tout ce qui reste dans notre souvenir, comme ouvrages inédits, des six concerts de la Nationale. A la Société Indé pendante, le bilan n'est pas plus riche: deux Quatuors à cordes un peu diffus, mais somme toute, vivants de M. Szymanowski et C. Beck, un fluide Trio pour instruments à vent de M. Ch. Koechlin, de spirituels Impromptus pour piano de M. Tansman, des Mélodies de M. Migot et F. Lazar... Peut-être le mélange adroitement dosé de tout

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cela, augmenté d'auditions soignées, d'oeuvres de valeur, peu jouées et choisies en dehors de tout esprit de coterie, eût-il suffi à donner de la vie aux séances d'une seule société résultant de la fusion des deux autres, qui, sans cela, sont condamnées à végéter désormais d'une existence précaire et sans attrait. Puissent les comités organisateurs, oubliant leurs petits dissentiments d'autrefois, leurs querelles d'amourpropre, qui n'ont aucun intérêt pour le public, et qu'entretiennent seuls des thuriféraires de troisième plan, dont c'est la seule raison d'être, se persuader enfin de ces vérités élémentaires. L'avenir de notre musique de chambre française en retirerait le plus grand bénéfice... Mais faut-il hélas ! beaucoup y compter ?

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Heureusement qu'il reste la compensation de la lecture, aux vrais amis de la musique, à ceux qui l'aiment pour elle-même, pour les joies qu'elle dispense, dans le silence même de la solitude, et non pour les bénéfices qu'on peut en retirer, ou le snobisme dont elle permet le naïf étalage. Elle leur donne le moyen de réviser bien des jugements sommaires, de mettre à leur vraie place bien des œuvres, ignorées ou méconnues. Pourquoi, par exemple, nos quartettistes qui jouent et rejouent inlassablement les Quatuors de Franck, de Debussy et de M. Ravel - dont il n'est pas question de nier ici les mérites supérieurs - ignarent-ils, comme en vertu d'un mot d'ordre, les deux Quatuors à cordes de M. Vincent d'Indy, auxquels la profondeur de la pensée, la maîtrise de la forme et de l'écriture devraient assurer, au contraire, une place privilégiée dans leur répertoire ? Faut-il leur rappeler aussi l'existence de ceux de Fauré, Chausson, Magnard, Guy Ropartz, Roger Ducasse, Huré, Honegger, Milhaud, Koechlin, sans parler,.à l'étranger, de ceux de Max Roger, Schoenberg, Szymanowski, Kletzki, Hindemith, Bela Bartok, Vreuls, Jongen, Goossens, Pizetti, Casella, Turina qui seraient dignes à des titres divers, de retenir leur attention ? Pourquoi ne jouentils jamais le premier Quintette pour piano et cordes de Gabriel Fauré, celui d'Alexis de Castillon, les Trios de ce même auteur ? Pourquoi encore nos violonistes et pianistes, à juste titre épris de la première Sonate de Fauré, parais sent-ils dédaigner systématiquement la seconde, qui est à

celle de M. Godefroid Devreesse, musicien belge, ne dénote pas encore une individualité entièrement formée, ce qui n'a rien de surprenant vu la jeunesse de son auteur. Son écriture est parfois exagérément appuyée, et ses développements un peu oratoires. Mais il y a là une chaleur naturelle, une vie rythmique, une recherche d'expression sensible qui sont aujourd'hui des qualités rares, et de fort bon augure pour l'avenir. Quant à la Sonate de M. Maurice Ravel, je vous en ai déjà indiqué lors de sa première audition un peu improvisée ce printemps, l'atmosphère fluide, le parfum comme sublimisé, la fantaisie surveillée et pourtant spontanée, le judicieux équilibre, si malaisé à obtenir entre les instruments concertants. J'ai plaisir à constater que la lecture a tout à fait confirmé mon impression première. Une fois de plus, M. Ravel semble avoir ici exactement réalisé son dessein, et réussi cette gageure de donner une allure d'extrême liberté à ces trois brèves pièces, dont le plan aurait, dit-on, été arrêté avant les éléments thématiques. Je n'en veux pour preuve que l'allusion souple et nonchalante du premier morceau, dont le retour de la réexposition, en particulier, a tant de grâce lumineuse et de souplesse - les amusants déhanchements rythmiques nonchalante, du blues central, à l'astucieuse, mais toujours musicale, ambiguïté polytonale, — enfin le bruissement allègre et savamment gradué du perpetuum mobile, final dont la fortune est assurée auprès des virtuoses. Vous voyez, que nos sociétés de musique de chambre et nos instrumentistes, s'ils veulent bien s'en donner la peine, ne manquent pas d'œuvres pour leur permettre d'accomplir la mission divulgatrice qui devrait être l'honneur de leur profession... GUSTAVE SAMAZEUILH

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mon avis, tant par l'ampleur des thèmes que par la libre Le plus grand événement sportif de l'année

expansion de son développement mélodique, une des pages les plus belles de son auteur ? Pourquoi jugent-ils indignes de leur faveur les Sonates d'Albéric Magnard, de MM. Vincent d'Indy, Guy Ropartz, Louis Thirion, Albert Roussel, Florent Schmitt, Arthur Honegger, Claude Delvincourt qui, à des degrés divers ont toutes une valeur et un accent personnels ? Pourquoi ne cherchent-ils pas à les imposer au public, comme le dévouement désintéressé d'un Eugène Ysaye y est peu à peu parvenu pour les Sonates de Franck, de Lekeu et le Concert de Chausson ?

Et, dans cette énumération, faite un peu au hasard de mes souvenirs et de récentes lectures, il n'est question que du passé. Le présent vaut aussi qu'on s'y arrête. Je n'en veux pour preuve que deux Sonales, également pour piano et violon, publiées au cours de ces dernières semaines:

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Certains, je l'ai su, avaient gardé l'appréhension de quelque incident, de quelque orage éclatant entre portions de foule chargées d'électricités contraires. D'autres s'attendaient, c'est possible, à quelque démonstration grandiose qu'on aurait pu craindre théâtrale préludant à ces jeux virils. Avec un tact dont on ne saurait trop les louer, les dirigeants de la Fédération française d'athlétisme, organisateurs d'une rencontre qui est, pour eux, le premier aboutissement d'une politique à longue portée, ont tenu à conserver à la journée, son caractère essentiellement et strictement sportif. Pas de fla-flas, d'hymnes natio

naux, de serrements de main, d'échanges de drapeaux, de remises de bouquets sur le terrain. Ce fut préférable. Le sens profond de l'heure, nous étions assez nombreux à le percevoir du fond de l'âme, fleur rare et fragile, qui avait besoin de pudeur et de ménagement. Après cette « ouverture de ballet >> que fut l'échappée des deux teams par la porte de Marathon, et cette vaste girandole qu'ils décrivirent au pas de course, jeunesse saine et heureuse, tout de suite, ce fut l'empoignade technique et les immenses pavillons déployés sous le ciel humide cédèrent la préséance au décamètre et au «< chrono ».

Et maintenant, nous emportons, pour notre vie durant, une nouvelle provision de belles images: Koernig, qui revient vers nous après ses deux splendides victoires, salué d'affectueux bravos par notre public que conquièrent et son juvénile sourire et sa brune mèche de Bordelais ; le galop de Sempé et de Trossbach, les deux puissants lévriers lancés, sur les haies, côte à côte, et que ne séparèrent jamais plus de cinquante centimètres, du départ à l'arrivée ; Bachner, au buste royal étendant, dans la ligne droite, vers le fil de 400 plat, ses longues foulées triomphales. Et Vintouski, retombé du haut de la barre qu'il a franchie à 3 m. 80 et étendant ses bras vers elle, qui vibre comme la corde d'un arc. Et le saut en hauteur de Kopke, prenant, à 1,90, la barre de face, en un style qui arrache aux quinze mille « supporters », que nous étions, de son rival, Lewden, un « ah ! » d'admiration...

Trop de beautés ! Je voudrais choisir. Nous n'avons remporté, Français, que quatre victoires sur treize. A vrai dire, elles furent de taille ! On ne m'en voudra pas de m'arrêter sur deux de ces victoires-là.

Donc, Sera Martin a battu, pour la seconde fois de l'année, Peltzer sur 800 mètres. Nous ne nous illusionnons pas ; nous savons que le vaincu d'hier pouvait se faire rendre quinze mètres par le Peltzer de l'an dernier, celui qui disposa de Lowe, de Nurmi et de Wide, sur leurs distances favorites, dans le courant de deux mois. N'importe, un champion de cette classe se survit assez pour qu'on puisse tirer un légitime orgueil de précéder au poteau, fût-ce en ses jours de forme moyenne, ce deux fois recordman du monde. Peltzer est l'homme qui s'en va; Trossbach me le disait, il y a quatre mois. « Il ne durera pas jusqu'aux Jeux ? » L'homme fut bon, pendant trois ans, et exceptionnel une saison. A quoi attribuer son déclin, tout de même étrangement rapide ? Certains parlent sous le manteau de doping; mais c'est là un mot qu'on nous a déjà << sorti >> souvent à propos de retentissants succès en compétitions internationales, non seulement d'Allemands, mais d'Anglais. Or, Lowe dure, Houben dure (second encore au 100 mètres d'hier), deux des champions qui parurent le plus nettement visés par semblable imputation. Disons que nous croirions plutôt, pour notre part, à un surmenage, qui, s'agissant d'un athlète maigre, d'un athlète aux ressources vitales moins riches peut-être que n'était rapide son influx nerveux, et intellectuel surpatriote intense sa volonté de gagner « pour la grande Allemagne », l'a, c'est possible, miné et vieilli prématurément. Peltzer n'a fini que troisième dans le 800 mètres, cédant la seconde place à son compatriote Englelhardt, qui fit le meilleur << temps » de sa vie et nous paraît un adversaire à surveiller pour Amsterdam. Au poteau, Sera Martin gardait à peu près intacts les quatre mètres par lui acquis lors de son démarrage désormais classique du 550 mètres, et auquel peu de spécialistes au monde semblent capables de résister. Le garçon, répétons-le, à un an des Jeux, fait figure d'un des plus nets favoris que notre pays ait jamais eu la chance de posséder. Et il est sage; il est rangé ; il est

gentil. Quelles perspectives! En reportant, à bien des reprises, mon regard dans sa direction, le soir, au banquet du Continental, je songeais : « Ce petit soldat, un peu timide, ce grand gosse en uniforme, effarouché quand il vient recevoir ses prix, dire que c'est, dès à présent il faut être de son époque ! n'allons pas jusqu'à proclamer une de nos plus pures gloires françaises, mais enfin l'un de ceux de chez nous qu'auréole dès à présent le plus de renommée universelle, dont il n'est apparemment pas, sous aucun des ciels du monde, une ville ou une bourgade où n'ait pénétré le nom ! » Je songeais à cela comme je vous prie d'y songer, avec quelque émerveillement, bien sûr, mais sans amertume. Notre élite, en quelque genre que ce soit, allez, qu'on la fête ! Ce qu'il a fallu à cet enfant le don miraculeux, d'abord, devant lequel on s'incline... Et l'acquisition de la technique, le travail, l'entraînement ! Et le moral, cette volonté qu'il emporte, farouchement inscrite dans sa tête au menton serré, gouvernant d'un torse harmonieux que ne désunit plus nul effort, cette volonté de se donner, lui aussi, « pour la plus grande France ». On n'a plus envie de sourire ni de hausser les épaules; on a envie de lui prendre la main, de le serrer dans ses bras !

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Pourtant, ce qui nous a encore émus le plus, ce 21 août, je crois que ça a été l'exploit de Wiriath. C'était aux environs de cinq heures, alors que la réunion déclinait vers son terme, et que, les prouesses de Martin et de Sempé étant déjà loin, on commençait de ressentir vraiment, sans puéril chauvinisme qu'un troisième succès français ferait bien, et ferait du bien. Le 1.500 mètres achevait de se courir. Oh ! la jolie course maternelle qu'avait fournie Roger Pelé, déblayant, durant douze cents mètres, la route devant Wiriath et le lançant, comme avec la main, pour l'honneur du calvaire final! Mais pour jouir au paroxysme de la grandeur de la minute de même que, pour savourer certaines << teintures » de Ravel, il n'est pas mauvais de posséder quelques notions d'harmonie il valait mieux avoir suivi la carrière de René Wiriath comme, heureusement, nous l'avions fait, comme nous la revivions au long du terrible coude à coude qui l'opposait, depuis l'entrée dans le large virage de Colombes, au redoutable Bocher, vainqueur, à Londres, de Martin. Cela fait combien d'années que l'Olympien capable de devenir olympique, se dépense pour nous plaire et pour se plaire, avant tout. Attendez : c'était en 23, sa grande saison sa première les 1.500 en 4,1 4/5 à Pershing, derrière Mac Donald; c'était en 25, son essor, le record abaissé enfin au-dessous des quatre minutes. C'est lui, ne nous y trompons pas, qui a entraîné privilège de ces véritables hommes-forces » que sont les champions en tous genres ! vers le destin qui met à notre main aujourd'hui le record mondial du 4 fois 1.500, toute l'équipe, tous ces Pelé, Baraton, Martin, qui se sont succédés, depuis, pour le battre et lui prendre ses titres. Très malade pendant dix-huit mois, depuis une chute sur la tête; troubles d'audition et d'équilibre, pénible traitement, ponctions lombaires. Et puis, un étudiant en droit, « un beau garçon aimant le plaisir ! » Fini pour lui! Il « laisse ça là »... Avouons que c'est ce que nous avions pensé. Or, voici ce qu'il pensait, lui: c'est qu'à 27 ans, on est d'âge à se créer encore des souvenirs, des beaux souvenirs de noble énergie dépensé pour un idéal... Par des clameurs que nous teintions d'intonation affectueuse, nous avions crié à Wiriath, lors des championnats de Paris, lors des championnats de France second partout derrière Martin notre joie de sa résurrection, notre amitié, notre gratitude. Voici que, pour ce France-Allemagne, Martin était mis sur le 800, et que, pour le 1.500 mètres 5° tuyau de l'orgue du stade Pelé

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comparse

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il n'y avait

acceptant le rôle de meneur de train plus un seul Français entre la grande victoire et lui. Il m'a été donné d'assister à pas mal de belles arrivées de course à pied. Jamais je n'ai rien vu d'analogue à cette sorte de balancement que Wiriath a effectué a effectué sur luimême à quinze mètres du but. On eût dit comment rendre cela? qu'il s'était pris, par les épaules, par la taille, comme un enjeu. Il me fit penser à un rocher qui se trouve agrafé par la base, au-dessus d'une pente, dans de la pierraille, et qui, soudain libéré, s'abat en avalanche... Oui! C'est pour que le coup qu'Homère eût parlé de l'intervention d'une Déesse! Déesse... si l'on veut, et ne sont-ce pas d'aussi étranges divinités que celles de la mythologie grecque, ces entités mystérieuses qui président au sort des hommes, font d'eux des génies ou des monstres, des triomphateurs ou des vaincus, et que nous décorons du nom de Santé... ou de Volonté ?

Là-dessus, nous étions battus, soit ! On s'y attendait ! Par 27 points, contre 38 l'année dernière. Avec des compensations, des << consolations » plus éclatantes que celles-là qu'il y a quinze jours, je me risquais à pronostiquer ! En cette fin de journée, nous avions encore la surprise de ce fantastique relai de 4 fois. 400, où tombèrent, du même élan, le record de France et celui d'Allemagne. La rencontre se terminait par ces offensives successives des adversaires bondissant contre la hauteur, avec perche, par ces superbes jets du javelot, l'arme épointée, l'arme symbolique qui ne vise plus à percer les poitrines, mais à rayer le plus loin possible l'air, en défi à la pesanteur. Et, la récompense venait le soleil pénétrait enfin, par larges touches, dans le stade en fête. Les beaux jeunes hommes rentraient, bras sous bras, vers les vestiaires, et l'on était tenté de croire à la fin des vilains jours.

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tête du prince Potemkine; ils en arrivèrent à peindre le Sauveur avec une tête de juif. Que peut-on attendre de gens pareils ? Leur manque de cœur les mènera encore à pis. En Egypte, on considérait comme divins le boeuf et l'oiseau aux plumes roses. Mais, nous autres, nous ne nous inclinerons jamais devant les dieux étrangers. Nous ne prendrons jamais un visage juif pour celui du Sauveur.

Je cessai de parler, mais l'Anglais insista :

Continue, j'aime beaucoup ce que tu dis; mais qu'entends-tu par inspiration divine ?

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Dès que le rideau fut ouvert, elle se leva, vint vers nous et nous tendit ses deux petites mains, à nous, pauvres moujiks. Ses yeux étaient remplis de larmes : elle nous serra la main et dit :

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Bonnes gens! Bonnes gens, les Russes !

Lucas et moi, nous saisîmes ses petites mains pour porter à nos lèvres, tandis qu'elle déposait un baiser sur nos têtes d'humbles paysans.

Le conteur s'arrêta et s'essuya les yeux avec sa manche.
Une bonne dame ! dit-il. Et il reprit son récit :

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Après ça elle parla à son mari, dans leur langue. Nous n'y comprenions rien, mais nous sentions bien qu'il était question de nous. Et l'Anglais, à qui la bonté de sa femme était visiblement agréable, ne cessait de la contempler avec orgueil, et caressait ses cheveux dorés.

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Good! Good! disait-il. Puis, s'approchant de sa table de travail, il ouvrit le tiroir et en sortit deux billets de cent roubles :

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Tiens, Lucas, voilà de l'argent, va chercher un artiste habile pour qu'il fasse ce qu'il faut. Il peindra aussi pour ma femme, une autre image qu'elle transmettra à son fils.

La jeune femme sourit à travers ses larmes et dit :

Moi, de mon côté...

Et elle alla dans une pièce voisine, et revint avec un troisième billet de cent roubles.

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Mari donné cela pour robe, dit-elle ; je ne veux pas, je vous le donne. Comme nous ne voulions pas accepter, elle sẽ sauva, en nous laissant le papier dans la main.

Non, non, dit l'Anglais, ne refusez pas. Prenez ! Aussitôt, il se retourna brusquement et cria :

Alles-vous en, drôles !

Mais, cette brusquerie ne nous fâcha pas, car nous avions vu qu'il voulait simplement nous cacher son émotion.

C'est ainsi, messieurs, qu'ayant été maltraités par les nôtres,

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