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que le style courant ou vulgaire est le contraire du style | nonville où M. de Lacretelle prend pour héros Jean-Jacnaturel c'est plutôt un style journalistique qui est, à son tour, un style littéraire dégénéré. La vraie simplicité, la << platitude » classique n'a aucun rapport avec cette vulgarité-là.

Ce n'est pas dans les mauvais disciples qu'il faut ranger M. Jacques de Lacretelle. Son Journal de Colère, paru dans le recueil Aparté, fait le plus grand honneur à son goût et à son intelligence, qui sont une seule et même chose, comme il convient. Colère est une agréable nouvelle, un peu froide et, d'ailleurs, composée sur commande; le commentaire en a infiniment plus de couleur, de romanesque, de feu. Cela permet de voir quelle noble prévention inspirerait la séparation des genres. L'essai est ici plus passionnant qu'un récit, et, d'ailleurs, il forme un récit lui-même, avec des anecdotes, des maximes, des confessions nonchalantes, des méditations solides. M. Gide disait dans son livre: « Je ne veux gagner mes procès qu'en appel, je n'écris que pour être relu ». Le Journal de Colère est aussi bon à relire, et voilà, en effet, le meilleur critère d'un ouvrage substantiel.

Le manque de cynisme et la peur du trivial, quel dommage chez un romancier !... L'effet d'une révélation psychologique est amorti si elle ressort d'une explication et non d'une scène... Il y a dans ces préceptes la marque d'un artiste trop conscient de son art pour n'être pas aussi un moraliste. Je ne sais, par exemple, si l'occasion de Colère était bien choisie pour faire confesser à l'auteur les hasards ou la méthode de sa création. Colère a été imposé comme sujet, accepté sans enthousiasme, illustré par la réflexion plutôt que par le génie (j'appelle ainsi le besoin intime de produire). Nous aimerions mieux lire le Journal de la Bonifas. Mais on peut trouver, en revanche, que le mécanisme, agissant seul, est plus facile à démonter, plus instructif à considérer.

Et puis, M. de Lacretelle professe que pour éviter de tout tourner à la littérature, de ne vivre que pour elle, de lui rapporter ses soucis et ses pensées, il faut écrire de temps à autre des récits sur soi-même, les publier comme des récits romanesques. M. Gide tenait, au contraire que le roman est plus hardi, plus sûr dans l'investigation, que la confession proprement dite. Mais, les deux démarches se rejoignent à mi-chemin car l'essentiel reste bien de ne transcrire que des sentiments éprouvés, des choses vues; les transposer plus ou moins, c'est l'affaire de l'art ou de l'audace.

Pour l'audace, M. de Lacretelle ne saurait égaler M. André Gide. D'ailleurs, le propos de son œuvre, tout objectif, ne lui sert que comme un thème d'exercices spirituels. Ce propos est fixé dès le début, il l'avoue, avec le plan et le dénoûment compris. Les Faux Monnayeurs n'en pouvaient dire autant c'était le guignol ou l'enfer capricieux où grouillaient en liberté les fantômes de M. André Gide, qui eût trouvé criminel de les diriger vers un but. M. Gide a-t-il écrit les confidences d'un écrivain torturé et si l'on veut, maudit, M. de Lacretelle produit celles d'un heureux auteur qui flâne, mais qui sait où il va. Selon le tempérament du lecteur, on préférera une voie ou l'autre.

Il convient de signaler dans Aparté les Dix jours à Erme

ques, son ami Jean-Jacques Rousseau, menteur, névrosé, mais grand intercesseur auprès de la Sincérité et de la Rêverie, déesses modernes. C'est encore un journal que cet entretien posthume, plein de détails exquis et d'intuition psychologique. Une figure y paraît, ressuscitée par un vrai miracle d'intelligence et de sympathie celle de Claude Anet, le jardinier de Mme de Warens, âme probablement jalouse et fière et qui n'accepte pas le partage de sa maîtresse avec le jeune secrétaire qu'elle s'était donné. M. de Lacretelle le pousse au suicide par colère discrète et par désespoir. Et Jean-Jacques, lui, n'a vu dans l'histoire que l'illusion réalisée d'un ménage à trois, tolérance, harmonie, sainteté et respect de la nature... Ce sera l'origine de la fabuleuse situation de la Nouvelle Héloïse, où le romancier, cependant, dénoua tragiquement, comme eût fait la réalité même, cette utopique rêverie. Tant y a que le roman sert de contre-épreuve aux billevesées, et que les romanciers ont le droit de nous conter leurs expériences, comme les chimistes. ANDRÉ THÉRIVE,

Les romantiques préférés.

Quelques réponses à notre enquête nous arrivent un peu tardivement. Elles ne nous offrent pas de nom qui n'ait été déjà choisi. Mais Flaubert gagne la voix de M. Maxime Revon et M. Jean-Louis Vaudoyer, comme M. Louis Gillet, et pour des raisons analogues « aurait aimé être l'ami d'Eugène Delacroix ».

« Je ne lui vois, dit-il, aucun des défauts du romantique, mais toutes les qualités. L'homme, d'après tout ce qu'on sait de lui, était un ami exceptionnel... Le premier dans son art, auquel il donne sa vie, il fut, en outre, un écrivain remarquable. Son Journal est probablement, de tous les ouvrages confidentiels, celui dont je me passerais le plus malaisément. Il connaissait et chérissait la musique. Etre l'ami de Delacroix, c'est être aussi l'ami de Chopin. Enfin, près de lui, j'aurais eu le privilège de voir naître, à la vie superlative de l'art, un peuple de héros, de princesses et de dieux. >>

Pour être appelée femme de lettres.

Un correspondant du Canada nous envoie cette coupure de la << Petite Correspondance », insérée par la Presse de Montréal. Demande Faut-il avoir écrit un livre pour être appelée femme de lettres ? et pour écrire un livre faut-il avoir une très grande instruction ou s'il suffit d'avoir du goût ?

Réponse: C'est un titre qu'on ne devrait donner qu'aux personnes exclusivement vouées à la carrière des lettres ; mais on l'applique souvent à tort. Pour écrire convenablement, il faut posséder le talent et le goût littéraire, une instruction solide et une véritable culture d'esprit.

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Albert-Emile SOREL, Madame... mon banquier (A. Lemerre). Marie JADE, Mon amour où es-tu ? (Delamain et Boutelleau, 10 fr.). Lilla EGGER, L'ardente, escale (André Delpeuch, 12 fr.). André BILLY et Moïse UVERSKY, Comme Dieu en France (Plon, 12 fr.). Suzanne MARTINON, Nous deux (Plon, 12 fr.). Marcel DUPONT, Gloire (Plon, 12 fr.). - Jacques FONTELROYE, Ayez pitié de ceux qui s'aimaient (Calmann-Lévy, 9 fr.). Gaston CHÉRAU, L'égarée sur la route (J. Ferenczy et Princesse BIBESCO, Catherine-Paris (Grasset). Jacques BAINVILLE, Jaco et Lori (Grasset, 12 fr.). Jean GIRAUDOUX, Eglantine (Grasset, 12 fr.). David GARNETT, traduit par Mme Betty COLIN, Un homme au Zoo (Bernard Grasset, 10 fr.). Edmond JALOUX, Soleils disparus (Plon, 12 fr.). Emmanuel BERL, La route n° 10 (Grasset, 12 fr.). Guy CHANTEPLEURE, Le magicien (Calmann-Lévy, 9 fr.). BOUZINACCAMBON, Notre amitié (Plon, 12 fr.). Simone MAY, La brebis noire (Eugène Fasquelle, 12 fr.). J.-H. LOUWYCK, La légende du guy (Plon, 12 fr.). Jean-Richard BLOCH, Les chasses de Renaut (Editions de la Nouvelle Revue française, 12 fr.). Pierre TROCME, Archibald (La Renaissance du livre, 10 fr.). Léon DEUTSCH, L'épicurien des palaces (Bernard Grasset, 12 fr.). (Kra). Pierre GOEMAERE, Le pèlerin du soleil (Albin Michel, 12 fr.). Marcel ARNAC, Loin des mufles... (Flammarion, 12 fr.). -François FoSCA, Derechef (Kra). Paul MORAND, Bouddha vivant (Grasset). René GIRARDET, L'étrange M. de Lorge

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mont (Gallimard, 8 fr.). Gaston ROUPNEL, Hé, vivant! (Stock, 12 fr.). Abel HERMANT, Les épaves (J. Ferenczy et fils). Nicole STIEBEL, Le cœur en peine (Bernard Grasset, 12 fr.). Pierre GIRARD, Connaissez mieux le cœur des femmes (Kra).

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IDÉES

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La Divine Comédie tient entre les deux noms de Francesca et de Béatrice, la comédie aussi de nos jours périssables. Toute âme qui vit oscille de la chair à l'esprit. Dans l'ordinaire des choses, la vieillesse l'allège, l'épure, le temps triomphe de lui-même et le dernier soupir peut s'exhaler en haut. Parfois, les sens restent les maîtres. Selon l'aventure on est accueilli hors de l'espace par le sourire de la Vierge toscane ou le gémissement de la maîtresse de Paolo.

Mille guides se tiennent aux abords de la forêt dantesque et souvent ne servent qu'à y égarer davantage. Celui qui vient de nous enseigner est une femme qui, dans l'Argentine lointaine, s'emploie à la diffusion de notre langue qu'elle écrit comme si elle la parlait communément au bord de la Seine. Elle a touché à un génie qui ne lâche point sa proie et, prise aux tercets prestigieux du Maître de Florence, elle semble avoir passé ses jours à s'en nourrir (1).

Elle est bienvenue à nous faire part de son expérience. Le poème de Dante, historique, cosmique, théologique, moral apparaît surtout humain et il est tout cela parce qu'il demeure ceci. Nul système, nulle connaissance, nulle loi, point de mœurs que l'intelligence ne conserve s'ils ne sont passés par le cœur.

Aussi, Mme Victoria Ocampo, c'est son nom, a-t-elle bien raison de nous initier par son exégèse au sens que prennent les Cantiques si on les considère non comme des allégories, mais en les transposant au mode de l'amour et du terrestre au divin.

Les grandes énigmes du livre : querelles sur le lieu ou le temps, souvenirs, prophéties, occultisme, identifications des personnages ne sont pas son gibier. Elle veut moins et mieux, entendons-le. Nous avons vu Francesca, Béatrice, plus concrètes et plus colorées qu'en leur vie, symboliser la passion et la béatitude. De l'Enfer au Purgatoire, considérons deux modes de la souffrance: celui qui châtie, celui qui purifie et deux destins le désespoir, l'invincible espérance. Que dit, en effet, le jeune Manfredi, et surtout que faitil?« Ce jeune prince », écrit le commentateur, « ce jeune prince biondo, bello e di gentile aspetto, qui, pour se faire reconnaître de l'Alighieri, lui découvre, avec un sourire plein de mansuétude, sa blessure, nous révèle du même coup un des privilèges du lieu nouveau où nous pénétrons. Car

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(1) Victoria Ocampo, De Francesca à Béatrice (un vol. aux éd. Bossard.)

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c'est un privilège que de pouvoir toucher à l'endroit précis de la douleur sans un sursaut de révolte, sans une crispation de désespoir... >>

Tout se transforme ainsi et le secret de toute mutation valable est le passage du charnel au spirituel. Pour le premier, l'usage l'affaiblit et l'use précisément, alors que l'autre s'en fortifie. Les biens de l'âme, explique Virgile, << seuls sont participables sans diminution. » Ce sont bien là, ces trésors que nulle rouille ne saura ronger...

Dominante, conclut l'auteur, la passion physique détourne inéluctablement de la tendresse, de la quiétude, de la bonté, 'de la générosité. La passion physique accable l'âme de son poids; elle la retient captive, l'enveloppe de bandelettes, la dessèche. La passion physique est orage, ténèbres. Elle rend aveugle, sourd, égoïste, cruel, haineux. Francesca et Paolo trouvent dans certains éléments dont se compose leur amour leur propre châtiment. Etant privés de la vision de Dieu, c'est-à-dire du souverain Bien, ils sont privés de la vue l'un de l'autre... On ne peut se posséder par la vue, ni par l'ouïe, dans la zone qu'ils habitent, puisque cette zone est 'dépourvue de lumière et de silence... >

C'était une gageure que de tant dire, sur un tel sujet en un peu plus de cent pages. L'humain en étant dégagé, l'humain dans son rapport avec le divin, l'essentiel a été saisi.

Cette œuvre touffue de Dante occuperait seule une vie et, à la prendre morceau par morceau, à y revenir, à en recevoir chaque fois une nouvelle nourriture, on en laisserait encore. L'Enfer demeure plus proprement historique, le Purgatoire, moral, le Paradis spirituel. Pour comprendre, pour s'avancer un peu dans ces profondeurs, il faut unir l'érudition à la science théologique, tout au moins s'aider du travail des érudits et des théologiens. Mais déjà quelques traits généraux suffisent à situer le poème et à le laisser entrevoir dans son ampleur. Mme Victoria Ocampo s'est donné la tâche de recueillir ces traits. Elle place le lecteur à la portée où s'aperçoivent les perspectives des cercles infâmes, de la montagne de pénitence et des planètes glorieuses. Dans le livre et dans l'homme elle déchiffre, à travers les caractères sensibles, le sens dernier qui, seul, contente les âmes. Son petit volume nous semble une des meilleures introductions à la pratique de la Divine Comédie.

GONZAGUE TRUC.

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MEMOIRES

Y a-t-il danger à faciliter les naturalisations? La question est à l'ordre du jour, et il n'est pas aujourd'hui un Français qui n'ait une opinion à ce sujet.

Plus de trois millions d'étrangers sont actuellement fixés en France. Peut-on sans péril faciliter leur passage à la qualité de Français ? La chose est nouvelle pour nous. L'Europe nous fournit en revanche des exemples, dans le passé, de ces naturalisations en masse. Qu'arriva-t-il autrefois, dans les pays où il y eut afflux d'éléments étrangers? Prenons, sans abuser, prenons deux exemples: la Grèce et la Prusse,

A Athènes ces étrangers à la cité s'appelaient métèques - et le nom fut chez nous à la mode il n'y a pas longtemps encore. On en comptait de deux espèces 1° les étrangers libres; 2° les esclaves affranchis. Nous n'avons pas d'affranchis, nous possédons les étrangers libres.

Après la chute des Pisistratides, Clisthène l'Alcméonide a pour premier soin d'admettre comme citoyens d'Athènes, de les recevoir aux processions des Panathénées et de les appelés à son aide pour combattre Sparte à qui les Pisisautoriser au serment militaire, les métèques qu'il avait

tratides avaient soumis la ville d'Athena.

C'était proprement disscudre la bourgeoisie athénienne dans un élément étranger; ces recrues n'avaient rien de chées à l'Etat par les liens de la propriété foncière. Mas commun avec l'ancienne Athènes, elles n'étaient pas rattacette ancienne Athènes qui avait abouti à Pisistrate devaitelle être si précieusement conservée ? En tout cas l'opération de Clisthène infusa un sang jeune à la cité, et sa force s'en accrut. La génération qui suivit cet afflux fut celle de Thémistocle.

Plus tard, éclate la guerre du Péloponèse. Le trésor d'Athènes est cédé pour construire une flotte de cent quarante vaisseaux - et ce sont les métèques que l'on y fait. monter pour sauver la patrie. Ils remportent la victoire des Arginuses et sont reçus parmi les citoyens.

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Athènes cependant est vaincue par Sparte. Puis ce sont les Trente Tyrans qui installent leur puissance sur les ruines de l'Athènes de Periclès et d'Alcibiade. C'est le régime de l'arbitraire et du vol. Les métèques sont les premiers à être dépouillés sous prétexte de « purifier » l'Etat. Exclus du droit de cité, que font-ils ? Ils se réfugient dans

le commerce. Mais ils deviennent suspects bien vite. Les voilà qui s'enrichissent encore ! Et on dressa contre eux des listes de proscription et de mort.

Il en revint de nouveaux, peu à peu. Et nous retrouvons leurs enfants lors de la dernière lutte contre Philippe. Ce fut aux métèques que fit appel Démosthène pour défendre la Grèce. Ils marchèrent bravement, héroïquement; ils eussent sauvé la Grèce si elle avait pu être sauvée. Voilà pour l'antiquité.

Et voici pour les temps modernes.

Après la guerre de Trente ans, la Prusse avait besoin de se refaire. Plus d'argent, plus d'hommes. Le Grand Electeur appela les colons étrangers et ses successeurs développèrent ce procédé de se créer un peuple par le métèque. Loin de se méfier de celui-ci on l'appelait et le favorisait.

Les premiers qui répondirent à l'appel furent les Français chassés par Louis XIV pour cause de religion. Plus de dix mille Français vinrent habiter Berlin qui fait dater son importance de leur arrivée avant leur venue Berlin comptait six mille âmes et neuf cent cinquante maisons.

Ces fugitifs apportèrent avec eux leurs industries qui concurrencèrent bientôt celles de la France, tissage, peinture, culture du mûrier, fabriques de chandelles, tannerie, maroquinerie, etc., bref, mille industries qui commencèrent à enrichir l'Allemagne, à donner au peuple allemand le goût du travail, et pour ainsi dire imprimèrent l'élan à la prospérité.

Frédéric I, Frédéric-Guillaume I, Frédéric II développèrent encore bien davantage le système colonisateur. Ils firent venir des métèques de partout, de France toujours, réserve inépuisable de travail et d'argent et d'où l'on chassait le travail et l'argent, mais aussi de tous les pays d'Europe. Les habitants du Palatinat victimes de Louis XIV s'étant enfuis, Frédéric Ier les appela à Magdebourg qui prit un grand essor. Les Suisses furent appelés en Pologne et en Lithuanie où bientôt, dans un pays dévasté, s'élevèrent 1.380 écoles.

L'Autriche ayant imité l'exemple de la France, les Autrichiens réformés durent faire comme leurs frères de France. Ils émigrèrent là où Frédéric-Guillaume les attendait. Il en reçut trente mille d'un coup. La Bohème livrée aux Jésuites par les Habsbourg tomba de 4 millions d'habitants à 800.000, au profit de la Prusse, en grande partie.

Bref, en 1740, à la mort de Frédéric-Guillaume, c'est-àdire à l'avènement de Frédéric II qui va développer le système, la Prusse compte 600.000 étrangers, fils d'étrangers ou métèques. Frédéric le Grand, de 1740 à 1756, reçut en Brandebourg 50.000 colons; Berlin monta à cent mille habitants. En quarante-six ans de règne Frédéric II a reçu 300.000 métèques en Prusse. Il fit venir des Polonais, des Grecs, des Hollandais. Ajoutez-les aux Français, Suisses, Autrichiens de ses prédécesseurs, et jugez de quel mélange

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est composé le Prussien d'aujourd'hui ! Mais chaque fois qu'un ban nouveau d'immigrants est arrivé en Prusse, il a provoqué dans le pays une recrudescence de travail. L'indigène accablé de maux et de misère reprend courage à voir le voisin étranger se donner de la peine.

En tout cas, jamais souverains ne poussèrent le colonat au point où le portèrent les Hohenzollern. La Prusse qui va absorber l'Allemagne, établir son hégémonie sur l'Europe centrale et devenir le grand pays industriel qu'elle a été jusqu'à 1914, la Prusse fut sauvée et refaite par les métèques, par des colons étrangers,

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C'est sous l'Andorre et la Cerdagne que la nouvelle voie ferrée va très heureusement relier davantage la France à l'Espagne. On roulera vite, mais dans la nuit de la terre. J'espère pourtant qu'il y aura toujours, dans nos pays de lumière, des Français assez épris des grâces de la Pyrénée pour aller là-haut, souvent au-dessus des nuages, admirer le visage si original de l'Andorre. D'ailleurs, allons-y ensemble vous ne regretterez pas le voyage.

Placé sur le versant sud des Pyrénées, le val d'Andorre forme une sorte de rectangle que limitent les pics de Las Bareytes et de Fontarguite (Les Barrettes et la Fontaine d'Argent), ainsi que le cours du Rüner, du côté de l'Espagne. Dans cette Andorre, aussi libre dans l'espace qu'une hirondelle, l'instruction est très répandue; l'école est gratuite, depuis longtemps l'impôt sur le revenu est établi. Ainsi, suivant les besoins de l'année, chaque commune taxe ses citoyens d'après le produit présumé de leurs terres et le nombre de leurs bestiaux.

Bûcherons plus que bergers, les Andorrans sont à peine six mille, répartis en six paroisses. Le petit Etat est gouverné par un Conseil général de 24 membres, six par paroisse. Les pouvoirs sont exercés en commun par deux viguiers, l'un nommé par l'évêque d'Urgel, l'autre par la France, qui a succédé aux comtes de Foix. Ces personnages commandent la milice, composée des chefs de famille, qui sont munis d'un fusil. La Casa de la Vall (maison de

la Vallée), qui date du XVI° siècle, est à Andorra, la capi- | gaiement; des femmes, quelques-unes en capa noire se tale, siège du gouvernement et en même temps maison d'école, Hôtel de Ville, Palais de Justice et prison.

En cette fin d'août, mon ami, bon fils de la Catalogne, et moi, nous partons de Vicdason, un village de mineurs qui exploitent des gisements de cuivre et de fer. Le long d'un ruisseau, le sentier monte à travers des roches éboulées, s'insinue en des gorges parfois si étroites qu'il y a juste la place de nos personnes. Souvent un fond de sapins drape la montagne, et c'est à leur lisière que nous marchons, par des lacets qui brusquement interceptent l'horizon ou découvrent l'étendue.

A l'ouest, se dresse le pic de Las Bareytes, puis la pyramide de Coma Pedrosa ; au nord, le Montcalses et la Pique d'Estats; à l'est, par dessus l'épaule du Tristanga, on aperçoit une partie du Val d'Ordino. Dans le sud se développent en amphithéâtre les Monts de l'Andorre, et étincelle d'or et de pourpre la longue arête de la Sierra de Cadi.

Les sapins ont cessé. Il n'y a que des chênes, de plus en plus bas. Depuis longtemps, on ne voit plus d'oiseaux. Une brise fraîche souffle sur les champs de mousse, parsemés de fleurs aux petits yeux de velours mauve, rose, violet. C'est le soir. Une clarté d'azur tombe de la nue dans les moindres plis de la montagne.

Nous sommes au-dessus de 2.000 mètres, au Port d'Arinsall, loin encore de l'Andorre. L'Etoile du Berger s'allume, lorsque par bonheur, au creux d'un cirque dont les parois sont tapissées de lianes, apparaît un pâtre vêtu de sa houppelande, et qui sur un foyer de pierres prépare son repas, une soupe et des truites. Le brave homme nous offre l'hospitalité.

Dans sa grotte nous dormons, sur un banc de roc jonché de paille. L'aube froide nous réveille. C'est après avoir rompu un morceau de pain et bu à la régalade le vin du pourrou, que nous reprenons notre route.

Tandis qu'au-dessous de nous les nuages roulent en nappes larges, la lumière du soleil ranime la montagne, ses crêtes d'or, ses bois noirs, ses abîmes où l'eau gronde parfois avec un bruit de train rapide. Depuis Arinsall, nous descendons, pas longtemps, par l'étroit défilé du Gran SantAntoné. Voici une route blanche, qui d'abord longe des marais, puis traverse des prés, quelques jardins. Et là-bas, l'oasis aux vieux sapins et aux vieux chênes, c'est le village d'Andorra, la capitale, ses toits en coiffes de pierres fortement inclinées sur de sombres murs de schiste et de granit. Cela, d'un peu loin, a un aspect presque farouche dans le riant panorama du plateau qui semble, à ces mille mètres d'altitude, habillé de parures de fête.

D'ailleurs, c'est dimanche. Il est tard, plus de midi. Dans ce drôle de village, aux maisons peintes, aux rues bordées d'arcades, nous ne trouvons point d'auberge. Sur la place de l'église, des hommes à la baratina rouge devisent

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déployant plus bas que la jupe bleue, bavardent à l'écart, assises sur des pierres... Un bûcheron nous accueille, dans sa casa, très propre.

Vers le soir, comme tous les dimanches, une musique joue sur la place, et l'on danse. Point d'autres lumières que celles du firmament. Les jeunes filles, fortes et souples, affectent envers les étrangers que nous sommes une galanterie rieuse. C'est une heure de simplicité tendre, de joie naïve et bienfaisante.

Puis, à l'aube, réveil au son des cornemuses, qui appellent les troupeaux. Et du col de l'Andorre, où l'on est si heureux, près du ciel, sous la loi très douce des plus anciennes traditions, nous descendons dans la plaine si chaude, où fument des cheminées d'usines, où des trains tumultueux emportent vers leurs plaisirs ou leurs affaires des voyageurs inquiets. GEORGES BEAUME

Aspects de Changhaï

Ce Changhaï du printemps 1927 était bien différent, au dire de ses habitants, de la ville des temps heureux où les affaires marchaient et où les home-boats pouvaient circuler.

Les faillites, en avril, se multipliaient. On n'allait plus, le samedi et le dimanche, lentement sur les canaux, dans ces spacieuses maisons flottantes qu'on amarre où l'on veut, dans le paysage choisi, à l'ombre d'un vieux temple entouré de pêchers.

Seuls signes, avec la présence de l'armée, les bastions aux angles des avenues et les barrages de barbelés, de la période troublée que traversait la capitale commerciale de

la Chine.

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Quai de France, devant les quatre croiseurs-amiraux (France, Angleterre, Etats-Unis, Japon), les steamers de rivière, dont les cheminées sortent à peine des ponts superposés, dégorgent leurs passagers. Milliers de Chinois de l'intérieur qui fuient Hankéou et la Terreur rouge. Ils ont emporté sur leur dos, dans des sacs ou dans des caisses peintes, l'essentiel de leurs biens. Pas un mot tandis qu'ils tr versent la passerelle. Visages hébétés. Des enfants pleurent. De gigantesques marins américains fouillent gens et bagages, puis, comme un troupeau, escortés par les lazzis et les insultes des coolies du port, les évacués s'en vont, hésitant entre la cité chinoise où ils retrouveront l'insécurité, et les concessions dont l'animation et l'appareil guerrier les effrayent.

Devant les hangars des Compagnies de Navigation, le personnel en grève vingt jours sur trente et pour les raisons les plus inattendues commémoraison de la Révolution française ou de la Révolution russe, solidarité envers les grévistes du Nicaragua, élévation des salaires ou couleur du cielle personnel, dockers et matelots, flâne, discute, joue ou dort.

Un orateur lit un de ces almanachs que Moscou fait

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