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Quand la cloche sonnera ne dépendra plus exclusivement, rue Favart, des convenances personnelles d'une seule cantatrice, si brillants que soient les dons qui ont assuré la fortune de ses éclatants débuts. Né l'oublions pas, en effet, cette vérité élémentaire, trop souvent méconnue aujourd'hui: à servir les c'est aux interprètes même les meilleurs à servir les grandes œuvres, sans lesquelles ils n'existeraient pas, et non à celles-ci de pâtir de leur continuelles allées et venues, ou de la gestion plus ou moins heureuse de leurs intérêts matériels. Quand donc pour placer la question sur son terrain véritable les Directeurs s'entendront-ils pour mettre fin à cette déplorable conception des rôles-propriétés, qui est la plaie de nos théâtres et établiront-ils dès le début des études, comme en Allemagne, une double distribution vocale, alternant ensuite aux représentations, des ouvrages qu'ils inscrivent au répertoire? Comment ne voient-ils pas que, de cette discipline indispensable strictement observée, de l'émulation qui en résulterait, non seulement les œuvres, mais eux-mêmes, leurs pensionnaires et le public seraient les premiers à en profiter?... Souhaitons, sans trop y compter, que leurs méditations de vacances les induise à se persuader de la nécessité de cette petite révolution dans nos mœurs théâtrales...

La musique en province

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Profitons, comme de coutume, du loisir estival pour jeter un coup d'œil, hélas! trop sommaire, sur la dernière saison musicale dans nos grandes villes de province. Je vous ai dit l'an dernier plus en détail toutes les initiatives artistiques louables qui s'y manifestent, malgré des conditions. d'exploitation difficiles, des taxes écrasantes, et une mentalité moyenne du public qui n'est en général, guère favorable... Cette année, tous les actifs directeurs du GrandThéâtre de Bordeaux, MM. René Chauvet et MauretLafarge méritent d'être cités en tête du palmarès, en ce qui concerne les théâtres lyriques. Dans l'édifice si harmonieux de proportions, si pur de lignes, d'une si parfaite acoustique que nous devons à l'architecte Louis, et dont s'inspira si visiblement Charles Garnier quand il conçut l'Opéra de Paris, ils ont pour la première fois en France, après la capitale, monté Parsifal d'une façon remarquable et avec les seules ressources de leur troupe ordinaire, ce qui leur a permis de répondre par quatorze représentations consécutives au grand succès d'un effort qui leur fait honneur. Ils ont représenté aussi notamment cet hiver, la délicate Béatrice de M. André Messager, à l'entière satisfaction de l'auteur, venu pour diriger la permière, puis les deux délicieux Ouvrages de M. Manuel de Falla: la Vie brève et l'Amour sorcier, que l'Opéra-Comique nous promet pour la prochaine saison. MM. Chauvet et Mauret-Lafarge annoncent pour l'an prochain le Chevalier à la Rose, le Prince Igor et Pénélope, que M. Valcourt a donné cette saison à Lyon, avec le concours de Mme Suzanne Balguerie, étoile justement appréciée sur les bords du Rhône et de M. Lapelleterie. A Marseille, Pelléas et Mélisandre, sous la direction de M. Albert Wolff en personne a été joué au nouveau théâtre Graslin. De leur côté, le théâtre

des Arts de Rouen, et quelques semaines après, le théâtre du Capitole de Toulouse, sont parvenus à mettre sur pied des exécutions intégrales de la tétralogie wagnérienne de l'Anneau du Nibelung, dont le retentissement régional a été considérable et justifié. A Toulouse, même, trois cycles, auxquels collaborèrent Mlles Bourdon, MM. Delmas, Franz, de l'Opéra, dans les rôles principaux, tandis que M. Aymé Kunc, directeur du Conservatoire local, dirigeait avec une autorité remarquée l'orchestre, n'ont pas épuisé un succès qui se renouvellera l'an prochain. Puisse la direction de l'Opéra de Paris se persuader d'après ces précédents que l'ascendant sur les foules du génie wagnérien n'est pas encore périmé, et qu'un cycle de cet ordre, préparé par elle avec une distribution judicieusement établie, et des modifications indispensables à une mise en scène désuète, serait assuré d'une fortune brillante et durable.

Les sociétés symphoniques ont, dans l'ensemble, fait vaillamment face à leur tâche décentralisatrice. A Lyon, la direction du Conservatoire n'empêche pas M. G. M. Witkowski de donner un vif attrait aux dix séances de la Société des Grands Concerts, où il a fait entendre notamment de grandes œuvres chorales classiques, comme la Messe en ré, de Beethoven et maintes oeuvres modernes françaises et étrangères, comme le Sacre du Printemps, de M. Stavinski. A Strasbourg, M. J. Guy Ropartz continue à mener sans relâche le bon combat pour notre art depuis l'armistice, 120 œuvres françaises lui doivent d'avoir été révélées en Alsace. Et cet apostolat ne va pas, comme bien vous pensez, sans certaines résistances, sans certaines manoeuvres plus ou moins avouées, de la propagande germanique, qui ne font qu'en augmenter le mérite. A Nancy, M. Alfred Bachelet compose des programmes extrêmement variés, et joue ses confrères avec un soin, une élégance confraternelle et un éclectisme intelligent que n'observent pas toujours au même degré certains chefs d'orchestre de la capitale. A Angers, la Société des Concerts populaires fondée par Louis de Romain, et dont les concerts sont dirigés actuellement par M. Jean Gay, chef de sérieux mérite,

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chée de chefs d'orchestre notoires, a néanmoins paru à ce MEMOIRES point savoureuse aux mélomanes girondins, qu'elle leur sera, nous dit-on, offerte de nouveau, avec quelques adjonctions, la saison prochaine. A Lille, les six concerts d'orchestre de M. Edouard Surmont, à Metz ceux de M. Delaunay, à Valenciennes, ceux de M. Fernand Lamy, à Toulouse, ceux de M. Aymé Kunc, à Montpellier, ceux 'de M. Le Boucher, à Marseille, ceux de M. de Lacerda en voie de réorganisation, à Orléans, ceux de M. Mariotte, à Brest, ceux de M. Sangra, à Troyes, ceux 'de MM. Massis et Salomon méritent aussi de trouver leur place dans une trop rapide nomenclature...

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Je ne voudrais pas passer sous silence, en terminant, le rôle important des groupements réguliers de musique de chambre, qui répandent si utilement le goût des œuvres classiques ou modernes, et forment un public d'abonnés souvent plus sensible et éclairé que celui des grands concerts d'orchestre: à Lyon, la Société des Heures et le quatuor Crinière, discipliné et soigneux, à Angers, les Soirées de musique de chambre de la Société des Concerts populaires, à Strasbourg, le quatuor Soudant, au Hâvre, la Société 'd'enseignement par l'aspect; à Bordeaux, la Quinte; à Marseille, l'excellente Société de musique de chambre; à Nancy, à Epinal, à Grenoble, à Lille, à Besançon, des sociétés locales fort zélées et régulièrement suivies... Enfin, parmi ces serviteurs de l'art, n'avons-nous pas toujours la joie de pouvoir compter le glorieux ancêtre du piano français lui-même, M. Francis Planté, qui malgré ses quatrevingt-huit ans, est encore deux fois sorti cette année de sá 'délicieuse retraite landaise de Saint-Avit, pour prouver aux auditeurs de Bordeaux et de Limoges émerveillés, que sa prodigieuse vitalité et sa technique incomparable lui permettaient non seulement de triompher encore des pièces de piano célèbres, qui le mirent naguère hors pair, mais encore de prêter à la musique de chambre classique et moderne le prestige de son concours dévoué. Illustre exemple, dont pourraient s'inspirer tant de jeunes confrères uniquement préoccupés dans la confection de leurs programmes, du soir de leurs intérêts personnels et peu soucieux de la mission révélatrice qui devrait être la leur.

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Nous sommes ingrats, et qui plus est, illogiques. Pourquoi ne pas reprendre le Toussaint-Louverture, de Lamartine, puisque la mode est au romantisme et puisque nous sommes férus des nègres et de la négrerie sous toutes ses formes? La pièce obtiendrait, je gage, un vif succès de curiosité. Les Mémoires de l'époque et les Souvenirs, de Lacretelle contiennent de bien amusants détails à propos de Toussaint-Louverture. Vous plaît-il de les connaître ?

En décembre 1849, Lacretelle reçut à Cormatie, où il habitait, un billet de Lamartine ainsi conçu : « Venez passer quinze jours à Monceaux avec Boussin. J'ai besoin de vous pour faire des vers. » Hippolyte Boussin était un garçon dont le talent égalait la paresse, qui habitait le même village que Lacretelle. Depuis vingt-cinq ans, ils confondaient leurs jours d'été et d'arrière-automne. Comment l'auteur des Méditations et de Jocelyn avait-il besoin d'eux pour aider son inspiration? L'énigme les occupa pendant les trente kilomètres qui séparent Cormatin de Monceaux. Certes, ils étaient flattés; mais, d'un autre que de Lamartine, ils auraient craint une mystification. Le château flamboyait. Des arômes prometteurs montaient de la cuisine. Toutes les poëles chantaient. Une grande caisse, avec la marque de Chevet, encombrait le vestibule. Les deux amis étaient convies à des noces de Gamache. Mais la poésie ? Allaient-ils faire des madrigaux aux nièces de Lamartine, et Mme de Lamartine devait-elle tenir une cour d'amour?

Dans la salle à manger, une large table. Lamartine affairé, surveillait le couvert et questionnait son valet de chambre sur les vins qui seraient servis. << Voilà ce qui arrive, fit le poète. J'ai vendu trente mille francs Toussaint-Louverture à Michel Lévy et Mirès. » Lacretelle connaissait de magnifiques fragments de ce drame, et les trente mille francs lui paraissaient une somme dérisoire. Le nom de Lamartine ne garantissait-il pas d'incalculables recettes? Il interrom pit effrayé « Vous avez vendu Toussaint! » Lamartine reprit : « Je l'ai vendu comme son ancien maître. On veut commencer à répéter à la Porte-Saint-Martin dans un mois, et la pièce ne tient pas debout. Il manque un acte et des scènes. Nous aurons à bâcler cela. Faites-vous les vers facilement, Boussin? » Lacretelle répondit pour son ami dont la modestie s'embarrassait, et il garantit qu'il avait une facilité qui l'empêchait de travailler. « Alors, nous verrons cela, continua Lamartine. Modérez-vous, Boussin-Louverture! J'attends ce soir Frédérick Lemaître, Mirès et Lévy. » La cretelle était perplexe. Ses souvenirs lui rappelaient

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Des grelots sonnèrent dans l'allée. Les voyageurs firent leur entrée. Ils étaient quatre, Frédérick ayant amené son jeune fils Charles, qui fut un acteur de talent et qui collabora dans plusieurs drames avec Alphonse Brot. Le créateur éblouissant de Kean, du Joueur, de Richard Darlington, de Buridan, de Ruy Blas, où il s'élevait à une telle hauteur de lyrisme qu'il semblait improviser en vers de Hugo, l'acteur dont la fantaisie irrespectueuse individualisait l'audace et le cynisme profiteur contemporains, le triomphateur qui faisait battre plus de cœurs de femmes que Don Juan, ne tenait pas d'aplomb sur ses jambes, tandis qu'il s'avançait dans la galerie de Monceaux. Lamartine l'intimidait. Mirès venait ensuite. Il était en relations avec Lamartine par le Conseiller du Peuple. Il se savait nécessaire, et, néanmoins, il se sentait gêné, lui aussi, dans une maison où on ne vendait pas de contremarques. Malgré sa perspicacité, il ne prévoyait alors ni son immense fortune, ni son immense désastre; ni qu'il serait, lui, juif, le soutien du pape; ni que sa fille épouserait un duc; ni qu'après avoir dupé tant de fois ses actionnaires, son courage, sa bonne humeur devant les poursuites accumulées sur lui, qand elles évitaient d'autres plus coupables, lui vaudraient tant d'amis fidèles dans les rangs mêmes de ses victimes. Il fut loyal dans ses rapports avec Lamartine. Il lui offrit de se mettre à la tête de ses affaires et il les aurait sauvées. Il finit par l'aimer passionnément et il y eut presque de l'attendrissement dans les calculs qu'il faisait avec lui et dans les versements qu'il lui apportait. Le troisième visiteur, qui devait arriver également à la fortune, était le grand éditeur Michel Lévy.

Tandis que Lamartine conduisait ses hôtes dans leurs chambres, avant de dîner, Frédérick déclara qu'il viendrait tous les matins. Les observations sur le dérangement et la perte de temps furent inutiles. Lamartine n'insista plus. Une compagne de voyage, sans doute... C'était autre chose. Mirès et Lévy daignèrent accepter l'hospitalité complète. Durant le dîner, Lamartine fut très enjoué et fit tout pour mettre ses invités à l'aise. La gaieté régna bientôt. Mais, chose étonnante, Frédérick ne buvait que de l'eau. L'intempérance du célèbre acteur était-elle une fausse légende? Lamartine faisait passer du vin du Liban et du vin de Chypre dont il était très fier. « Je ne bois que dans Lucrèce Borgia », s'excusa Frédérick, qui paraissait préoccupé. Mme de Lamartine tenait la légende pour vraie. « Vous avez peutêtre l'habitude d'un vin particulier ? » demanda-t-elle. Frédérick fut ému de l'attention. « Oui, du vin de Bordeaux. » Et Lamartine : « Que ne le disiez-vous? J'en ai qui vient de chez le marquis de Lagrange, la plus glorieuse cave du Médoc. Jean, allez vite en chercher. » L'embarras de Frédéric redoublait. « Vous êtes trop bon, reprit-il, je ne vou

drais pas vous déranger. J'en resterai plutôt à cette eau, qui est parfaite. » Le poète sourit : « Suspecteriez-vous mon médoc? » Frédérick fut brave. « Je me sens sur un mauvais terrain, continua-til, et la franchise est la plus belle des vertus. Depuis dix ans, j'ai un vin de Bordeaux spécial. Indiquez-le moi. J'en ferai venir. --- C'est que, reprit Frédérick intrépide, j'en ai dans ma voiture. » Il avait apporté son vin! L'on s'efforça de ne pas rire. C'était pour cette raison que l'acteur ne voulait pas coucher à Monceaux. Afin de ne pas modifier ses habitudes de gourmet, il préférait se charger tous les jours de ses deux bouteilles, et comptait séduire un domestique, afin que la substitution eût lieu sans éclat. Ses bouteilles furent introduites. « J'ai aussi de l'eau de Seltz », dit Frédérick en montrant un siphon. Les convives observèrent que le siphon ne vit guère baisser son niveau et que les deux bouteilles se vidèrent. Tout rentrait dans l'ordre.

Cette cause de mélancolie écartée, Frédérick devint aimable, un peu guindé, toutefois. L'homme politique le mettait mal à l'aise. Si Lamartine n'avait écrit que les Méditations, Frédérick, selon sa manière, l'aurait tutoyé à la première entrevue... Lamartine affecta cependant de ne parler que théâtre. Frédérick, lui, parla gravement de son art. Quoi donc, malgré sa réputation, était-il ennuyeux? On sortit de table. « Si j'avais su, j'aurais invité le clergé », dit Lamartine à Lacretelle dans un coin. Après les cigares, la conspiration des nièces du poète éclata; elles voulaient une scène de Robert Macaire. « J'ai mis pour vous ma robe de la transfiguration, dit Mme de P... Ne nous refusez rien. » Frédérick refusa et resta inflexible. Il n'était pas venu pour donner la comédie, mais des conseils et étudier son rôle, aider enfin aux débuts de Lamartine au théâtre Oubliait-on sa dignité de grand artiste?

Cependant, l'auteur de Toussaint-Louverture avait remis son manuscrit à Boussin et à Lacretelle. « Taillez là-dedans, ajoutez, refaites! » dit-il avec magnanimité. Les deux amis restaient écrasés de cette confiance. Mais elle était impérative et ils rendaient service à Lamartine, incapable de se corriger. Lacr it les trois premiers actes, et Boussin, les deux derniers. Le lendemain matin, Lamartine lut à Lacretelle le fameux acte suspecté. « Qu'en dites-vous? » demanda-t-il. « C'est d'une audace dangereuse », répondit le confident. Le poète avait risqué quelques-unes de ses inspirations les plus audacieuses de la Chute d'un Ange. La scène se passait nettement dans une maison impossible à nommer. Ses collaborateurs improvisés résolurent de ne pas s'occuper de cet acte difficile et bornèrent leur besogne à complèter des hémistiches, à relier certaines scènes pour une plus grande clarté; à intercaler, l'un trente nouveaux vers, l'autre soixante, dans le texte de Lamartine. Celui-ci avait déclaré qu'il était à bout d'invention et demandé un scénario pour l'injouable cinquième acte. Michel Lévy et Mirès eurent le bon goût de se récuser; Frédérick accepta la tâche. Après trois jours de recueillement, il déclara qu'il avait trouvé et qu'il était content. Le tribunal se réunit dans le cabinet de Lamartine. Mirès et Lévy en faisaient partie. Ils étaient là comme des directeurs de banque. Ils voulaient savoir si les remaniements n'exposeraient pas leur trente mille francs. Reconnaissons qu'ils ne se permirent jamais une

observation. Frédérick se drapa dans son paletot et lut... une fadeur. Le merveilleux acteur n'était poète que devant la rampe. Son scénario aurait été rejeté comme trop anodin par M. Bouilly. Un morne silence suivit cette lecture. Lamartine, de fort méchante humeur, se remit au travail. Huit jours plus tard, le manuscrit était complet et les invités de Monceaux se séparaient.

Les préparatifs traînèrent à la Porte-Saint-Martin jusqu'au printemps suivant. Lamartine, que les travaux de l'Assemblée absorbaient pour la dernière fois, chargea Paul de Saint-Victor et Lacretelle de diriger les répétitions. Ils virent ce monde du théâtre sur lequel Paul de Saint-Victor devait jeter peu après de si chaudes lumières par une critique qui est un cours d'histoire, d'éloquence et de poésie ; mais il était inexpérimenté alors, et dans la nuit, et dans le froid de cette grande salle, sous les rayons incertains qui tombaient mélancoliquement des trois quinquets se perdant sur la scène, ils restaient dans leurs stalles, ne se sentant pas l'autorité suffisante pour conseiller les acteurs. Frédé

clamé. A deux heures du matin, ces cris, déjà séditeux, remplissaient encore le boulevard.

Dans la préface de Toussaint-Louverture, le poète écri vait « Le drame a été oublié; le grand comédien a été applaudi; il a grandi et j'ai été sauvé d'une chute que je méritais et que j'acceptais d'avance. Tout est bien. » Ce que Lamartine ne dit pas, c'est que le drame eut trente bonnes représentations qui durent indemniser Michel Lévy et Mirès. A. DE BERSAUCOURT.

rick les suppléait; admirable metteur en scène, il dirigeant CHRONIQUE

l'armée des comparses. Mlle Clarisse Mirroy guidait aussi une débutante de seize ans, Léa Félix, la soeur de Rachel. Quand les réparties étaient mal données, Frédérick se dressait, beau de colère et d'apostrophes tragiques. Mais, cédant à son bon cœur, il s'attendrissait vite sur ses réprimandes. Il récitait son rôle à voix basse. Parfois, il étu'diait un effet et il faisait subitement tressaillir les auditeurs : un lion qui essaie ses rugissements, si les lions s'essaient à rugir...

Lamartine ne vint qu'aux dernières répétitions. Desplaces 'était un de ces soirs-là chez Mme de Lamartine. Le poète rentra très tard. « J'arrive de la Porte-Saint-Martin, dit-il. Je me suis prodigieusement ennuyé. Il n'y a pas le moindre intérêt dans ces cinq actes. Ce sera une chute grandiose. » Il changea d'appréciation la veille de la première représentation. Frédérick avait été superbe dans son monologue de

Toussaint. Les cris de toute une race esclave hurlaient dans sa voix. On pleurait. Lamartine monta au foyer pour féliciter les artistes, Clarisse Miroy s'avança vers lui. << Ne me refusez pas mon salaire, s'écria-t-elle, et qu'il soit dit que j'ai mis mes lèvres sur le front d'un dieu. » Et elle embrassa Lamartine.

Ce fut une des premières fêtes littéraires depuis 1848, que cette soirée de mars 1850. Le parti républicain, qui se sentait déjà vaincu par la réaction, se donna rendez-vous à la Porte-Saint-Martin. Les enthousiastes d'art et de poésie que Lamartine avait encore dans la foule, arrivèrent en phalanges. Le succès fut immense pour quelques scènes homériques. Ses grands vers, debout comme des statues dans cette enceinte immense, furent acclamés. On salua dans le poète l'émancipateur. Mais il apparut certain, dès les premiers actes, que le succès ne serait que politique. Lamartine était trop lyrique pour le théâtre. Les spectateurs devinèrent le poète dans une loge grillée, et, le rideau tombé, des cris de << Vive Lamartine! Vive la République » ne s'arrêtèrent pas pendant une demi-heure. Les sergents de ville du président, s'amenaient dans les couloirs et durent croire un instant qu'un nouveau gouvernement provisoire allait être pro

SCIENTIFIQUE

La Thymiamatologie

La Thymiamatologie est tout bonnement la science des parfums. On la désigne quelquefois sous le nom d'Aromatologie ou de Murologie, mais à tort, attendu que aroma est une appellaiton générale et que muron désigne le par parfum, tandis que tumiama s'applique exclusivement aux fum liquide ou plus exactement, le support liquide du éléments volatils qui viennent impressionner agréablement nos cellules olfactives. Quoi qu'il en soit, du reste, et quelque nom savant qu'on lui donne, la Science des parfums, très point de vue qui nous importe le plus, celui de la psychoavancée au point de vue chimique, ne l'est pas autant au logie et de la thérapeutique mentale et il ne paraîtra peutêtre pas sans intérêt d'indiquer ici brièvement ce que l'on sait du mode d'action et des effets de ces corps subtils.

Sauf exception, comme le musc et la civette qui proviennent d'animaux du même nom, presque tous les parfums sont d'origine végétale; ils constituent la partie volatile des huiles essentielles ou essences, représentant ellesmêmes les déchets de fonctionnement qui, ne pouvant être éliminés puisque la plante n'a pas de circulation, s'accumulent dans des cellules spéciales et y demeurent. C'est pourquoi il faut souvent couper ou écraser les feuilles pour en dégager l'odeur suave. Si cependant les fleurs embaument spontanément, cela tient à ce que les glandules à essence filtrer, à travers ses pores, une partie des principes volatils. des organes floraux sont proches de la cuticule et laissent Aussi, une douce chaleur accroît-elle l'intensité du parfum des fleurs, tandis que le froid l'atténue, comme on s'en aperçoit en hiver.

Les essences à parfums sont obtenues par distillation et macération dans l'alcool ou l'éther, mais, pour les extraire dans de bonnes conditions, il faut traiter avec beaucoup de précautions une grande quantité de feuilles, de fleurs ou de fruits, ce qui rend ces préparations extrêmement coû

teuses. Dès le début de la chimie organique, on s'est préoccupé de déterminer leur composition et on s'est aperçu qu'elle se ramène à des mélanges d'aldehydes, d'alcools, d'éthers, de phénols, etc.; en conséquence de quoi l'industrie de la parfumerie a tenté de préparer synthétiquement les divers parfums, et non seulement elle y a réussi parfaitement, mais encore elle a pu fabriquer un grand nombre de parfums nouveaux à des prix abordables; telle est la raison pour laquelle la plupart des parfums sont aujourd'hui des produits artificiels. A cet égard, on a réalisé de véritables merveilles. Ainsi, le bornyle donne l'essence de bergamote, le terpinéol l'essence de lilas, l'aldehyde salicylique T'essence de reine des prés, Tirone, l'essence de violette, Tiniome, l'essence de jasmin, le géraniol, l'essence de Koses, etc... Quant à l'odeur du musc, on limite à la perfection au moyen du trinitrobutyltoluène et du trinitrobutylxylène. Le parfum et la saveur des fruits les plus délicats n'ont pas d'avantage échappé aux efforts de l'analyse et de la synthèse chimiques et c'est de la sorte que l'on compose aujourd'hui l'essence de fraises avec de l'éther nitrique, de l'acétatcé et du butyrate d'amyle, du formiate et du butyrate d'éthyle et de la glycérine, le tout dissous dans l'alcool, et l'essence d'ananas avec du chloroforme, de l'aldéhyle acétique, du butyrate d'éthyle et d'amyle et de la glycérine. N'y a-t-il pas quelque ironique mélancolie à penrer que les odeurs capiteuses à l'aide desquelles les jolies femmes parfument leurs lingeries et leurs mouchoirs et se parfument elles-mêmes soit des dérivés plus ou moins immédiats des goudrons végétaux et de la houille, tandis que les glaces, les sirops et les bonbons dont elles se montrent friandes emprun tent le plus souvent leurs saveurs fruitées à des combinaisons des acides gras qui confèrent, aux exhalaisons cutanées de l'homme et des animaux, leur odeur désagréable.

Si la partie chimique de la thymiamatologie est très développée, il n'en est plus de même, on l'a déjà noté, de la partie physiologique, psychologique, et, par conséquent, thérapeutique.

Nous ignorans şi l'homme primitif, celui des cavernes, usait déjà de parfums. En tout cas, dès l'aube de l'histoire, on les voit figurer dans les récits légendaires qui nous sont parvenus. L'Illiade parle de l'essence de roses dont on oignit la dépouille d'Hector, et le Livre d'Esther raconte que les femmes du sérail d'Assuérus, nom biblique d'Artaxercès-longue-main, se frottaient le corps de myrthe et de benjoin. Du reste, T'Orient, où vivent le musc et la civette, ou poussent le styrax benzoin (arbre à benjoin), l'oliban, Boswellia Carteri (arbre à encens), et beaucoup de térébenthacées, le camphrier et autres lauracées et une multitude de fleurs odorantes, comme la rose, le lilas, l'oeillet, le jasmin, etc., est le pays des parfums. C'est là que leur emploi paraît avoir été le plus précoce et le plus général. En Chaldée, en Perse, en Assyrie, en Egypte, en Grèce, puis à Rome et dans tout l'Empire, ils furent d'un usage courant, non seulement dans les cérémonies magiques et religieuses, mais aussi pour les soins du

corps et l'embaumement des cadavres. Dans l'antiquité, Alexandrie était déjà renommée pour ses fabriques d'aromates et de parfums.

La diversité de leurs usages indique la triple propriété que les Orientaux reconnaissaient et reconnaissent encore aux parfums : une propriété psychique, tantôt excitante, tantôt sédative, qui appartient à l'essence volatile; une propriété toxique et une propriété antiputréfiante ou antiseptique qui appartiennent aux essences fiquides ou aromates. Je ne m'arrêterai pas à ces deux dernières propriétés qui sont suffisamment connues et dont les applications du camphre, du menthol, du thymol, de l'eucalyptol soulignent les avantages prophylactiques et thérapeutiques. Ces aromates étaient d'ailleurs autrefois, en onctions et fumigations, les seuls agents que l'on connût, et ils ne manquaient pas d'une certaine efficacité pour désinfecter les plaies et se protéger contre les maladies épidémiques et contagieuses. Mais comment expliquer l'action psychique incontestable des parfums, les « états d'âme » qu'ils déterminent? Ici, s'impose une courte esquisse physiologique.

Les sensations odorantes, agréables ou non, résultent de l'excitation, par les molécules gazeuses de la substance considérée, de nombreux petits bâtonnets, logés dans la muqueuse pituitaire, à la commissure du cornet supérieur et de la cloison nasale. Ces bâtonnets représentent la partie antérieure du neurone olfactif périphérique, dont la partie inférieure, ou axone, en se réunissant à ses voisines, forme le nerf olfactif, lequel aboutit après un trajet compliqué aux centres corticaux de l'olfaction, situés principalement dans la partie antérieure de la cinquième circonvolution temporale. On comprend ainsi qu'une excitation odorante déclenche dans le nerf olfactif un ébranlement qui se communique au cerveau, provoque une sensation spécifique dont nous prenons conscience sous forme d'odeur. Mais ce n'est pas tout, car certaines fibres du nerf olfactif sont centrifuges, se dirigent vers le bulbe et la moëlle et de la sorte permettent aux odeurs d'agir non seulement sur le cerveau et « l'état d'âme », mais encore sur la respiration, la circulation et la motricité, donc sur l'état organique tout entier. On s'explique ainsi, au moins d'une façon générale et schématique, que les odeurs désagréables puissent entraîner des malaises, de la céphalée, la nausée, et que les odeurs agréables puissent au contraire, provoquer un sentiment de bien-être, d'eurythmie, une excitation sensuelle ou une impression d'apaisement et de langueur heureuse, tous sentiments qui dépendent, non point de la volonté et de l'intelligence, mais de l'équilibre de notre fonctionnement corporel.

Peut-on aller plus loin dans la voie des explications? Cela paraît, pour le moment, assez difficile. Malgré que la gamme des odeurs soit certainement plus étendue que celle des saveurs, nous sommes cependant moins bien fixés sur ses différentes notes, et n'avons rien de précis à opposer à l'amer, au sucré, au salé et à l'acide. Tout au plus, peuton distinguer des odeurs à grande puissance dont les types sont le patchouli et le musc, des odeurs à grande intensité, comme la menthe, et des odeurs mixtes, comme celle de l'acide acétique, ainsi nommées parce qu'elles agissent à la fois sur les filaments olfactifs et les corpuscules tactiles.

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