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gique et tout d'abord plus résolument hostile à l'hérésie qui menaçait l'unité religieuse, et plus attaché ensuite à la Ligue, représentant la fidélité irréductible à la tradition. La révolution a déchaîné ensuite la guerre civile dans le pays. C'est au Mans que la grande armée vendéenne éprouva son irréparable désastre: la population, cette fois, fut dure aux vaincus qui avaient menacé sa paix et attiré sur elle la menace de sanglantes représailles. Mais, tandis que les cantons d'ouest demeuraient un champ de bataille de la chouannerie, occupés par des insurgés, maintenus par la tutelle de châteaux dans la foi royaliste et catholique, les cantons de la vallée du Loir, demeurés en dehors de l'insurrection, retranchés en dehors de la vague vendéenne, se fortifiaient dans une hostilité grandissante à cette offensive de l'ancien régime et dans la fierté de leur nouvel idéal démocratique.

-

Tout de même, cette bataille a été trop vive et trop rude comme dans tous les pays d'Ouest pour n'avoir pas laissé de traces profondes. Elle a séparé pour longtemps en deux camps demeurés sur des positions de combats toute la population: blancs et bleus: comme en Poitou, en basse Normandie et en Bretagne telle est la classification qui se survit après tant d'années et qui maintient sur le terrain politique et religieux toutes les questions qui peuvent déterminer l'opinion. Cette profonde empreinte n'est pas sans rendre difficile et nous allons le signaler tout à l'heure — l'évolution des partis et leur regroupement éventuel. Telles sont dans les grandes lignes les caractères de la Sarthe. Il faut examiner maintenant les caractères des différentes régions.

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La région du Mans et de Mamers est très semblable à la Normandie méridionale. Mais d'abord, le Mans ne domine pas cette tradition. Cette capitale du gouvernement n'est pas une vraie capitale. Elle ne fut jamais dans l'histoire un grand cheflieu intellectuel, ni parlementaire. Donc, aucun de ces rayonnements qui partaient des Universités d'autrefois et transformaient profondément la population. Pas de ces Universités, comme à Aix, à Toulouse, à Bourges et à Orléans. Et pas de centres, par conséquent, où rattacher une tradition. Comme Auch, le Mans était sans histoire. Encore, n'était-il pas, comme la capitale gasconne, le siège d'une vieille et illustre métropole. Point non plus de Parlement. Et pas davantage de mouvement commercial profond, d'activité industrielle. Aux bords de l'Huisne et de la Sarthe, avec ses vieilles rues pittoresques dominées par sa magnifique cathédrale, le Mans était une petite ville, d'esprit assez étroit et d'horizon assez limité, malgré l'ironie facile et l'aimable indépendance d'esprit de certains de ses enfants. Cette population fine et discrètement frondeuse, d'ailleurs quelque peu égoïste, et docile à la fin du compte, vivait dans une petite cité qui ne doit son extension toute récente qu'à un hasard économique. Si le chemin de fer de l'Ouest était passé, comme il le devait, par Alençon, le Mans eût eu en partage le destin de Châteauroux ou de Guéret, destin assurément honorable, mais sans éclat. La pruderie d'Alençon, qui détourna d'elle la voie ferrée, et le cortège de mouvements dangereux, valut au Mans devenu subitement grand carrefour ferroviaire de s'accroître mais elle a grandi trop vite. La vieille cité paisible et quelque peu routinière, épiscopale, douillette et gourmande, un peu endormie dans son bien-être, et encore émue de la terrible aventure vendéenne et des batailles de 1871, s'étendit tout à coup en faubourgs, emplis d'une population étrangère, dont la brusque irruption lui a donné ce caractère singulier, inquiet, mobile, sans équilibre définitif, exprimé en actions subites presque révolutionnaires et en réactions prudentes, comme au lendemain d'un pril. Ce caractère du Mans, pseudo-capitale d'une province incomplète, a-t-il contribué à perpétuer ce manque

d'homogénéité dans ce département qui, autrement, eût pu, autour d'un centre puissant, conquérir une unité morale et politique plus nette ?

Les campagnes du Mans sont modérées. Le pays agricole et tranquille demeura fidèle à sa tradition, volontiers influencé par le prestige officiel, et peu favorable à l'opposition violente. Mais il est retenu dans cette tradition par un caractère religieux persistant, surtout au nord et à l'ouest, et par la tutelle des grandes familles locales, qui, dans ce département, sont restées attachées à leur devoir patriarcal. Ce caractère s'accentue encore dans le pays de Mamers. Du moins, dans les cantons ouest, où la noblesse du pays a gardé ses fortes positions, et où le catho licisme est demeuré puissant, comme dans la région voisine de l'Orne : l'ouest de Mamers a été chouan : il est toujours conservateur et libéral. Mais les cantons de l'est sont d'une tradi tion un peu différente. Aussi bien, après la Ferté-Bernard, Montmirail était situé hors du Maine, dans le Perche Gouëte (on voit que la Sarthe déborde un peu, à l'est et au sud). Dans cette région, la victoire révolutionnaire avait créé une tradition démocratique, que consacra l'Empire, par le double prestige de la gloire militaire et nationale et de l'ordre social. Cette tradition fut tellement vivace que la région de Montmirail-la Ferté, fut appelée sous la restauration l'arrondissement de « l'Ile d'Elbe ». Mais il y avait, dans toute une partie de la Sarthe, une vieille tradition bonapartiste, qui a doublement évolué, vers le radicalisme national et démocratique, ou vers l'union conservatrice, selon les hasards des milieux, mais qui s'est opposée longtemps à la tradition royaliste et catholique. N'oublions pas que le bourgeois et l'artisan, et même le paysan sarthois, là où il n'est pas sous l'oeil d'un clergé vigilant ou sous celui d'un maître patriarcal, est volontiers, en dépit d'une tendance à la fronde, soumis à la puissance officielle. Pour dire le mot, il est volontiers, livré à lui-même, du côté du manche.

Quant à l'arrondissement de Saint-Calais, c'est-à-dire la vallée du Loir, c'est le fief républicain par excellence. Tendance à la fois rabelaisienne et rationaliste de toutes les populations vigneronnes, fermes sur la propriété privée, mais volontiers rouges en paroles et libres d'esprit. Ces voisins du Vendômois et de la Touraine ont élu Ledru-Rollin - dès la

monarchie de Juillet - et Cavaignac, et les cantons de la Vallée, anticléricale et radicale, s'enorgueillissent encore du proscrit du 2 décembre. Donc pays républicain de principe. Républicain et laïque, que Cavaignac, dont le prestige était grand, rallia un moment au nationalisme radical, mais qui ne pactisèrent jamais, comme on dit, avec la réaction.

L'arrondissement de la Flèche est plus complexe. Ici, nous sommes dans la partie angevine de la Sarthe. Mais d'abord, l'arrondissement de la Flèche est une création artificielle électorale faite pour vaincre M. de Juigné et ceci se passait dans des temps très anciens. L'arrondissement de la Flèche, tel qu'il se comportait en dernière analyse, avait été amputé des cantons catholiques de Loué et de Conlie, rattachés au Mans, et enrichi des cantons de Mayet et de Fontvallain, nourris dans les bonnes traditions de Saint-Calais. L'arrondissement était donc, ainsi agencé, de nuance avancée. Seul le canton de Sablé demeurait fidèle à la dynastie de Juigné et aux mains de Solesmes. L'arrondissement est de population docile, et la propagande des hommes de gauche a porté là ses fruits depuis longtemps. Un mot d'ordre anticlérical partait naguère de la loge maçonnique de Clefs et les influences locales ont fait le reste. Les quelques centres ouvriers ont aidé à la diffusion de cette propagande

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à la Flèche et à Malicorne d'abord, dans le personnel des cheminots, ensuite.

Surtout donc, dans la Sarthe, nous retrouvons l'action personnelle, action personnelle directe et constante dans les localités. L'organisation politique de la Sarthe est parfaite, et la campagne dominicale des banquets y entretient des troupes. Avec un tel succès respectif que les faveurs demeurèrent égalisées en 1895, la Sarthe fut un des rares départements où les deux listes rivales arrivèrent ensemble, et eurent chacune des élus. Au

dessus de ces organisations locales — auxquelles échappent les AFFAIRES

villes, et le Mans surtout, rayonne l'influence d'une haute personnalité. Ce fut, je l'ai dit, à Saint-Calais, Ledru-Rollin ou Cavaignac. A la Flèche, l'influence rurale de Juigné et d'Estournelles de Constant. Au Mans et à Mamers, celle de Chevalier et de M. Caillaux. Influence donc, tantôt patriarcale, tantôt politique, tantôt paternelle et douce, tantôt vigoureuse et pressante. La Sarthe aime les fortes personnalités : dans le canton démocratique, très démocratique de la Ferté-Bernard, le baron Sénart, membre de l'Institut, ne se maintint-il pas longtemps au Conseil général, en dépit des majorités politiques adverses qui donnaient au canton les consultations législatives! M. Caillaux a fait la démonstration contraire.

Longtemps, la politique républicaine de la Sarthe fut nationale, inséparable d'une tradition militaire, frémissant encore des volontaires de l'an II et des grognards de l'Empire, plus frémissant encore dans un pays qui avait connu l'invasion et la tragique épopée de Chanzy et de l'armée de la Loire. Les nuances du parti républicain étaient insignifiantes. Bonapartisme de gauche, mué en radicalisme jacobin, ou libéralisme laïque, tolérant mais ferme, c'était le même drapeau des bleus. La Sarthe ne connaît que les blancs et les bleus, et il faut toujours en revenir, à cette division historique. Ceci rend très difficile la transaction de chefs qui, ayant compris l'évolution du problème, et l'importance des questions économiques, voudraient se regrouper. M. d'Aubigny tendant la main à des hommes de gauche assagis et libéraux, est aussi mal compris par ses troupes que le serait un bleu tendant la main, dans un intérêt national, à un blanc revenu de ses intransigeances. Les chefs sont déterminés par leurs troupes. Le département de la Sarthe n'est point centriste. Deux manifestations nouvelles cependant influençaient et bouleversaient les vieilles formations. D'abord, l'éclosion du socialisme, grandi dans les faubourgs du Mans, et dans les gares où les cheminots, travaillés par le syndicalisme, forment des noyaux compacts. Ensuite, les démocrates chrétiens, dont la formule, répandue par l'Ouest-Eclair si populaire dans ces régions, séduit à la fois le sens démocratique et patriarcal de la Sarthe et son sentiment religieux. Mais il s'en faut que le bouleversement ait été grave et profond. Le socialisme, d'ailleurs, mué souvent en communisme, gêne ou sert tour à tour les radicaux. Mais la

vieille clientèle d'autrefois demeurait, dans l'ensemble, malgré ces péripéties, le hasard du scrutin ou le jeu des circonstances, d'une singulière stabilité.

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ECONOMIQUES

Le problème de l'exportation des capitaux

Une circulaire du ministre des Finances vient de codifier et d'assouplir les règlements assez touffus qui avaient été successivement édictés pour l'application de la loi du 3 avril 1918 qui a prohibé l'exportation des capitaux hors de France. Cette mesure avait été précédée d'une polémique assez vive sur les dangers ou les avantages d'un retour à la liberté des échanges internationaux dans le domaine financier; elle a été suivie de commentaires abondants et variés sur la portée et le caractère des dispositions nouvelles. Il ne sera sans doute pas inutile de rappeler comment se posait le problème, après six mois de stabilité de fait, et comment le gouvernement l'a, au moins provisoirement, résolu

La prohibition de sortie des capitaux n'a pas obtenu en France, depuis 1918, de résultats plus décisifs que les mesures analogues prises en d'autres temps ou en d'autres pays. Elle n'a pas empêché les exportateurs de laisser à l'étranger le produit de leurs ventes et pas davantage les capitalistes de faire passer au dehors une large part de leurs fortunes : c'est même au moment où l'interdiction fut la plus stricte, en 1925 et 1926, que les sorties de capitaux atteignirent leur apogée, se chiffrant par dizaines de milliards par an. La loi a cependant gêné les possesseurs de fortunes petites ou moyennes, et ne leur a pas permis de suivre aisément l'exemple venu de plus haut : elle a donc atténué dans une certaine mesure le mouvement qui faisait succéder, dans la faveur du public, les valeurs étrangères aux titres français.

Si le maintien de l'interdiction se justifiait dès lors en période de baisse du franc, garde-t-il un sens depuis que le retour de la confiance a revalorisé, puis stabilisé notre devise, et fait rentrer dans notre pays, par milliards, les capitaux émigrés, qu'accompagnent, cette fois, d'importants capitaux étrangers?

La situation nouvelle ne laisse plus apparaître, semblet-il, que les inconvénients d'une réglementation périmée. Loin de redouter l'exportation des capitaux, le gouvernement et la Banque d'émission cherchent en effet à ralentir le mouvement inverse qui oblige cette dernière à procéder à des achats massifs de devises pour éviter une hausse dangereuse de notre monnaie. Il est, dès lors, paradoxal d'infliger encore aux établissements de crédit, aux exportateurs, aux Chambres de Commerce et aux administrations financières une série de formalités et de contrôles, désormais

inutiles, mais toujours coûteux. Il est surtout paradoxal d'obliger le marché français à vivre replié sur lui-même, isolé des marchés étrangers, livré par suite à des conditions artificielles.

C'est ainsi que l'afflux des capitaux de spéculation venus s'investir en francs provoque en France un gonflement des dépôts à vue dans les banques, une pléthore de capitaux à court terme tels que le taux d'intérêt, sur le marché monétaire, tombe bien au-dessous du taux de l'escompte de la Banque de France, dont le portefeuille d'effets se réduit de plus en plus. Les établissements de crédit, de leur côté, ne trouveraient pas à employer les sommes que leur confient leurs clients, si le Trésor, qui n'en a nul besoin, ne les accueillait, néanmoins et ne les rémunérait à 20/0. Au même moment, les conditions du marché à court terme se tendent sur plusieurs places étrangères, et non des moindres; le taux de l'escompte est porté à 6 0/0 à Berlin ; les bons du Trésor anglais rapportent près de 4 1/2 0/0. N'y aurait-il pas intérêt, dans ces conditions, comme le demandait, il y a plusieurs mois déjà, M. Sergent, le président du Comité des Experts de 1926, à laisser les capitaux français se placer pour quelques mois au dehors et nos banques aller escompter des effets ou reporter des valeurs en Angleterre ou en Allemagne?

D'autre part, on peut se demander si notre portefeuille de valeurs étrangères, aux trois quarts anéanti par la guerre, reconstitué ensuite par l'exportation des capitaux, mais un peu au hasard, sans coordination ni méthode, puis réduit de nouveau par le brutal rapatriement de l'automne dernier. ne gagnerait pas à être peu à peu renforcé en quantité, amélioré en qualité. L'élément actif que représente, pour la balance des comptes, le revenu des titres détenus par les nationaux à l'étranger nous sera, dans les prochaines années, plus que jamais nécessaire, maintenant que nous avons une lourde dette extérieure publique et privée. Et il importe que le marché de Paris ne reste pas plus longtemps en dehors des grandes opérations de crédit qui se préparent en Europe: il faut que notre place participe aux emprunts qui vont permettre la mise en valeur des nouvelles nations, de la Baltique aux Balkans, à un rang qui convienne à son glorieux passé, et non pas de la manière effacée qui caractérisa son rôle dans l'emprunt autrichien de 1923 ou dans l'emprunt allemand de 1924.

A ces raisons, les adversaires de la liberté, ne peuvent guère opposer que deux arguments d'une valeur inégale.

Le premier est d'ordre fiscal. N'est-il pas à craindre que les facilités données aux capitaux ne poussent ceux-ci à s'expatrier, non plus pour échapper à la dépréciation monétaire, mais pour esquiver le paiement d'impôts plus lourds en France que dans les pays voisins? Que deviendra le rendement de l'impôt sur les valeurs mobilières étrangères et de l'impôt général sur le revenu, si l'on peut librement faire franchir la frontière aux titres et aux coupons ?

Le second, d'ordre monétaire, est à notre sens, plus décisif. La situation actuelle peut ne pas durer; à l'afflux de capitaux, peut succéder un reflux qu'il faudra chercher à talentir, peut-être en rétablissant les mesures supprimées quelques mois plus tôt. Le retour au droit commun ne peut,

en cette matière, s'effectuer sans danger que si le régime monétaire lui-même a reconquis une stabilité définitive : stabilisation de la devise et liberté de sortie des capitaux devront être proclamées simultanément. Aussi bien, la liberté des échanges sans la stabilisation n'aurait aucun des avantages que lui prêtent ses partisans. Que demain la loi de 1918 soit abrogée, les banques ne placeront pas, fûtce pour un mois, leurs disponibilités en livres ou en dollars dont la valeur en francs pourra fléchir dans ce laps de temps. Pour la même raison, les épargnants ne seront pas plus tentés de souscrire des titres étrangers qu'ils ne le sont présentement d'acquérir en Bourse des valeurs d'arbitrage dont les cours piétinent ou s'effritent depuis quelques mois.

C'est, sans aucun doute, cette considération qui a conduit M. Poincaré à maintenir la loi de 1918, tout en introduisant dans son fonctionnement des modalités nouvelles, propres à procurer au marché une partie des avantages de la liberté.

- si on

Le trait essentiel de la nouvelle réglementation laisse de côté les facilités données aux voyageurs et les simplifications apportées aux contrôles est, en effet, de permettre à la Banque de France de vendre au comptant des devises étrangères en les rachetant à terme. Ainsi, nos grands établissements de crédit vont-ils pouvoir utiliser une partie de leurs dépôts à acquérir des devises, sans aucun risque de change puisqu'elles sont revendues d'avance, à un cours fixe, à la Banque d'émission et à effectuer ainsi à l'étranger des placements à court terme plus avantageux pour eux que les comptes courants du Trésor. De leur côté, les Banques et l'Etat trouvent profit à l'opération: celle-ci diminue, en effet, la congestion qui risquait de se produire sur le marché monétaire français, et le volume des francs-crédits créés par l'Institut d'émission; elle permet à ce dernier, par le jeu des opérations à terme, de rendre plus étroit son contrôle du marché des changes, et plus efficace son action sur les cours, qui s'exercera non plus au jour le jour, mais sur une période de plusieurs mois. Coïncidant avec la clôture de l'emprunt qui a opéré une première déflation des comptes courants et avec la réduction de 2 à 1,50 0/0 du taux d'intérêt de ces derniers, elle marque la continuité d'une politique monétaire tout entière orientée vers l'assainissement progressif du bilan de la Banque de France et l'aménagement normal du marché monétaire.

Si l'on ajoute que la circulaire maintient et précise l'interdiction faite aux Banques de consentir des avances, avec ou sans garantie, aux personnes résidant à l'étranger, avances qui pourraient servir de base à des achats spéculatifs de francs, on s'apercevra que la loi de 1918, convenablement aménagée et assouplie, peut apporter une aide précieuse à la Banque de France dans la lutte qu'elle soutient si habilement, par sa politique d'achat d'or, contre la spéculation sur le franc. Et l'on se convaincra qu'un régime, non de prohibition inintelligente, mais de discipline raisonnée des mouvements de capitaux est, sans doute, ce que nous pouvons espérer de mieux tant que la monnaie ne sera pas stabilisée. INTÉRIM.

NOTES ET FIGURES

Une statue à Paul de Kock

Villiers de l'Isle-Adam aurait, paraît-il, donné plus d'un de ses contes pour avoir écrit le Guillotiné par persuasion, 'de Chavette. Ne décidons pas si l'auteur de Tribulat Bonhomet avait mauvais goût dans la circonstance, mais il est certain que cette fantaisie, passée d'ailleurs dans la langue à l'état de locution usuelle, reste divertissante. Cependant, comme Paul de Kock,après avoir obtenu les honneurs 'du bronze à Romainville, va, de nouveau, être glorifié en buste, il est amusant de rappeler l'interrogatoire qu'un reporter de l'Echo de Paris fit subir à Eugène Chavette, qui avait connu Paul de Kock, le 4 août 1901.

Notre journaliste pressé d'obtenir quelques anecdotes inédites au sujet de son grand homme, gagna Montfermeil. La Laitière de Montfermeil, vous savez bien... A Montfermeil, demeurait, depuis vingt-sept ans, cet autre grand homme et cet autre humoriste, Eugène Chavette, inoubliable celui-ci, pour avoir noirci les feuillets d'Aimé de sa concierge et pour avoir composé maints récits qui furent spirituels, en des temps meilleurs. Chavette avait alors soixante-quinze ans. Il voulut bien recevoir le reporter de l'Echo de Paris, malgré la fatigue d'une opération récente. Et de raconter :

<< Paul de Kock ! Mais oui ! Je l'ai connu, quoi qu'il fût mon aîné de vingt-sept ans ! Et même, le jour où j'ai fait sa connaissance personnelle, je me suis fâché avec lui! Il demeurait, à cette époque, dans un petit entresol, entre la porte Saint-Martin et l'Ambigu! Je l'ai vu là, pour la première fois. Comme il était déjà un auteur en vogue, je désirais collaborer avec lui et lui avais écrit pour lui soumettre une idée de pièce. Il me fixa un rendez-vous chez lui, à deux heures de l'après-midi. Le jour désigné, je me rendis à sa demeure. J'étais un peu en retard. Pourquoi? le saisje? Un rayon de soleil, un sourire de femme m'avait attardé. La jeunesse est toujours en retard! Ah! l'accueil que me fit Paul de Kock ! Il me semble le voir. Il était vêtu de la redingote à brandebourgs des beaux de l'Empire, qu'il -fut le dernier à quitter. Ça lui donnait très grand air. Sans mot dire, il me désigna la pendule.

« Je la regardai, ne comprenant pas. « Quelle heure est-il ?»finit-il par me demander. « Deux heures dix. » Et l'illustre romancier : « Deux heures dix! Vous êtes de dix minutes en retard. Croyez-vous donc, jeune homme, que Paul de Kock ait dix minutes à perdre ? » Et cela fut prononcé sur un tel ton que je m'empressai de déguerpir.

Ce fut notre seule collaboration. C'était, d'ailleurs, un esprit très grincheux, très autoritaire, genre Béranger, le chantre de Lisette, Béranger qui pinçait méchamment les enfants pour les faire pleurer! >>

Ici, croyons-nous, Eugène Chavette exagère, ou le reporter de l'Echo de Paris, afin de corser son « papier », invente un tantinet. Chavette convient, cependant, de l'honnêteté de Paul de Kock. Ce dernier avait signé, avec son éditeur, un traité aux termes duquel il s'engageait, pour une période de vingt ans, à lui fournir six romans par an, à raison de huit mille francs. Paul de Kock fut fidèle à sa parole. Il ne toucha que la somme convenue, pendant que ses éditeurs s'enrichissaient. Il touchait aussi un petit droit sur les volumes vendus dans les cabinets de lecture; vous vous rappelez, ces volumes avec dix lignes dans la page, des caractères énormes et une marge très grande. La matière d'un ouvrage, vendu actuellement douze ou quinze francs, aurait facichaque, faisaient un joli bénéfice à... l'éditeur. lement formé cinq ouvrages, lesquels, cédés à cinq francs

Là-dessus, le reporter demanda à Eugène Chavette s'il appréciait le talent de Paul de Kock. « Si j'aime les œuvres de Paul de Kock? répond Chavette. Elles m'ont fait rire, comme elles ont fait rire toute une génération. » << Pourtant, objecte l'interlocuteur, tous ces types de bourgeois fats, suffisants, naïfs et pompeusement imbéciles, font hausser les épaules. Tenez, prenons la Laitière de Montfermeil... » Et Chavette s'exclame : « Montfermeil ! Mais Paul de Kock n'y a jamais mis les pieds! Pas plus que dans certaines banlieues qu'il a dépeintes. Quant à ses per sonnages, je sais, je sais, ils sont démodés. Ils n'excitent plus l'alacrité. C'est qu'ils sont d'une autre époque. De Kock a vécu parmi les bourgeois de son temps, et il en a exagéré les ridicules, Le bourgeois du Marais, il l'a placé dans tous ses livres, car, forcé de produire, il a souvent recommence le même roman. C'est toujours des romanciers, des étudiants, des grisettes, des financiers obérés qui grouillent dans ses ouvrages. C'est d'une bonne gaieté gauloise. »

Allons! Chavette n'était point méchant homme, et il n'aurait pas pincé les enfants pour les faire pleurer, a l'exemple de Béranger. « Mais le style? interroge anxieu sement le reporter de l'Echo de Paris. « Le style! répond Chavette, on n'y regardait pas de si près en 1840. L'auteur de Monsieur Dupont a été traduit dans toutes les langues, et c'est dans ses romans, que pendant longtemps, les Russes ont appris le français. >>

Invraisemblable, oui, et néanmoins, vrai, hélas !
A. DE BERSAUCOURT

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LITTERATURE

e Bouddha vivant (1)

On peut se mander si M. Paul Morand en écrivant ce livre pittoresq, inégal, décordonné, a voulu forcer son génie ou s'il a négligé de bon cœur les difficultés d'un sujet qui auraient rebuté n'importe quel auteur. Mais les deux conjectures ont de l'apparence. M. Paul Morand est un excellent conteur, c'est aussi un homme intelligent; cela devrait suffire en principe pour faire un romancier.

En pratique, à vrai dire, il faut aussi être un peintre de la vie intérieure. Psychologue, moraliste, c'est trop peu encore, ou parfois c'est déjà trop. Il faut pouvoir créer des âmes vivantes et profondes, les suivre avec intérêt dans toutes leurs réactions à la vie, les faire évoluer sans trop de caprice, ni de mystère, ni de logique non plus (ah ! voilà un métier peu commode); bref, ne les quitter jamais de l'œil ni du cœur. Une bonne formule en est donnée, toute dérision mise à part, dans cette action de grâces catholique qui dit à Dieu : Vous avez songé à moi de toute éternité ; vous m'avez tiré du néant, et vous me comblez tous les jours d'une infinité de faveurs ! La création ne serait rien sans cette méditation attentive et cette fidélité. Un romancier déçoit toujours quand il a l'air d'aimer son héros par hasard, d'observer ses gestes par curiosité pure, et d'être prêt à le laisser fuir sans regrets. Voilà peut-être pourquoi il n'y a pas de livres plus agréables que le Bouddha vivant... et qui comportent moins la passion, la créance. Encore une fois, cela doit tenir aux servitudes du sujet.

Ce thème vous plaît, me plaît, vous enchante, m'enchante, me fait rêver comme vous. Seul, d'ailleurs, M. Paul Morand, qui s'en avisa à Bangkok, pouvait, sinon le traiter, du moins le tenter. En outre, l'actualité, si on ose ainsi parler de choses éternelles, en est considérable.

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Il n'est bruit partout que de défendre l'Occident contre l'Orient (1); c'est-à-dire tantôt les civilisations individualistes contre celles où compte peu la personne humaine ; tantôt le rationalisme contre le mysticisme; tantôt la métaphysique chrétienne contre le gnosticisme illuminé ; tantôt mais c'est plus vulgaire - le progrès scientifique contre la barbarie incurieuse. Sur ce dernier point, c'est l'Orient qui se défend plutôt, et l'Occident qui l'attaque. M. Paul Morand avec une ironie probable, et aussi une sympathie certaine qui fait le seul sérieux de son livre, tiendrait plutôt pour l'attaqué. Sur le paquebot qui mène Jâli en Europe, une femme vaguement éclairée dit de cet homme jaune : Je ne crois pas qu'il soit si abruti. Il est surtout immo

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bile.
Et une voix répond, celle de quelque homme d'affaires :
Si ces gens-là n'étaient pas des imbéciles, ils parle-

raient.

La première formule et aussi la seconde sont excellentes pour résumer notre conception des races orientales. L'immobilité, la stagnation représentent évidemment un idéal de vie aussi noble que le nôtre. Car depuis qu'il existe des philosophes païens ou chrétiens, ils nous répètent que l'abstinence, l'abstention, le détachement des passions forment le secret du bonheur, qu'il ne faut pas trop demander à la vie, qui ensuite nous réclame trop à son tour, et que surtout à l'égard de l'esprit, la plus grande sottise est de propter vitam vivendi perdere causas. Or, les vraies raisons de vivre, c'est la culture de l'esprit ou la jouissance bien réglée des plaisirs inoffensifs. A un degré plus modeste, c'est l'évitement des douleurs, des fatigues, de l'activité tumultuaire comme disait Pascal.

D'autre part, ce que l'Occidental appelle « abrutisse

(1) Voir Défense de l'Occident, par Henri Massis (Plon, éditeur).

Vous savez qu'il est facile à résumer. Le jeune prince Jâli, héritier d'un royaume de Karraska qui ressemble au Siam et au Cambdoge, fuit un jour ses Etats pour découvrir l'Occident. Un ami français, son confident et chauffeur, .................. Renaud d'Ecouen, l'accompagne. Ils viennent à Londres, à Oxford où Renaud meurt, puis en France. Jâli déçu par notre civilisation, nos préjugés, nos mœurs, sent brusquement la vocation de nous montrer la sagesse bouddhique; il se croit un Messie révélé à cet usage, le Bouddha vivant... A Paris, on ne le prend pas au sérieux, sinon des fous et des snobs; il s'éprend d'une belle Américaine, il perd aussi soudain ses illusions messianiques. Il suit cette jeune fille aux Etats-Unis où on le traite en homme de couleur, c'est tout dire. Il retrouve les portes de l'Orient à San Francisco, et retourne en son pays où, désormais, il vivra sagement, successeur de son père, et souverain impassible d'un peuple immobile. Le dernier mot du livre est Repos; comme il est celui de la sagesse.....

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(1) Grasset, éditeur.

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