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AFFAIRES EXTERIEURES

La Conférence navale

La Conférence américano-anglo-japonaise pour la limitation des forces navales s'est ouverte à Genève le 20 juin. A l'heure où ces lignes sont écrites, elle n'a encore abouti à rien. Même si, au dernier moment, on imagine quelque combinaison destinée à sauver les apparences, elle aura dévoilé des appétits et elle laissera des rancœurs étrangement contraires à la cause de la paix.

L'initiative de cette Conférence revient, on le sait, au gouvernement américain qui, fier des résultats de la Conférence tenue à Washington en 1921, proposa de les compléter en organisant, après la limitation des grosses unités navales, celle des moyennes et petites unités - croiseurs, destroyers, torpilleurs et sous-marins.

La suggestion fut soumise aux puissances signataires de l'Acte de Washington: France, Italie, Japon, GrandeBretagne.

Les deux premières, déjà échaudées à Washington où elles avaient été traitées en parentes pauvres, déclinèrent l'invitation. Un excellent prétexte leur fut fourni par l'existence, à Genève, de la Commission préparatoire de la Conférence générale de désarmement on ne pouvait, en logique ni en droit, amputer cet organisme, émanation de la Société des Nations, d'une de ses principales attributions. Paris et Rome se bornèrent donc à envoyer à la Conférence de simples « observateurs ».

Le Japon, d'ailleurs assez bien traité lors de la Conférence de Washington, pouvait moins aisément que la France et l'Italie refuser la nouvelle invitation. C'eût été s'attirer l'inimitié active des Etats-Unis et c'est là un jeu que, depuis la rupture de l'alliance anglo-nipponne, Tokio ne peut plus se permettre. Le gouvernement japonais, après avoir fait quelques réserves, accepta de se faire représenter à la Conférence.

Quant à la Grande-Bretagne, sa position était, elle aussi, délicate. La Conférence de Washington l'avait amenée à renoncer définitivement à la règle du two powers standard et à accepter, en ce qui concerne les cuirassés, l'égalité avec les Etats-Unis. La nouvelle Conférence risquait de l'entraîner à de nouvelles concessions et notamment de la faire renoncer à sa supériorité en bâtiments légers. D'autre part - c'est une vérité dont on ne saurait trop se pénétrer si l'on veut comprendre l'histoire contemporaine le marché financier de Londres est, depuis la guerre, dans la dépendance étroite de celui de New-York. C'est Wall Street qui, en quelque manière, soutient à bout de bras la livre sterling et une brouille avec les Etats-Unis pourrait

acculer l'Angleterre à une catastrophe monétaire. Aussi, la Trésorerie britannique obligea-t-elle l'Amirauté à accepter l'invitation américaine. g

Ainsi réduite à trois puissances, la Conférence se réunit à Genève hommage platonique rendu à la Société des Nations mais qui n'en laissait pas moins la réunion absolument indépendante de l'institution chère au président Wilson.

Dès l'abord, il apparut que les trois délégations étaient arrivées à Genève avec des arrière-pensées entièrement divergentes et que l'on aurait du mal à se mettre d'accord.

Laissons de côté le Japon : c'est sa délégation qui parut seule prendre au sérieux l'objet de la Conférence : << limitation des armements maritimes » ; elle proposa une forte réduction du tonnage global des croiseurs et des torpilleurs. Cette proposition ne retint guère l'attention et la véritable partie s'engagea entre l'Angleterre et les Etats-Unis.

L'Angleterre possède actuellement, en matière de moyens bâtiments, une forte avance sur les Etats-Unis. Sa flotte compte en effet quarante-neuf croiseurs, tous modernes, tandis que la flotte américaine n'en présente que trentedeux, dont plusieurs anciens.

La délégation britannique fit valoir que cette disparité était justifiée par la longueur des lignes de communications dont la flotte anglaise doit assurer la protection. Elle était cependant disposée à admettre que les Etats-Unis eussent la liberté de construire un nombre équivalent de bâtiments légers. Mais elle ne pouvait consentir à une réduction du nombre des croiseurs britanniques existant. Elle proposait en conséquence de fixer à 600.000 tonnes le tonnage global de croiseurs et de torpilleurs que la Grande-Bretagne d'une part, les Etats-Unis, de l'autre, pourraient posséder. Par contre, elle se déclarait prête à consentir une réduction du calibre des canons en usage sur les croiseurs ainsi qu'à une limitation de la grandeur des croiseurs eux-mêmes. De telles restrictions ne sauraient en effet entraver l'armement éventuel de navires marchands en croiseurs auxiliaires, armement qui constitue une des grandes ressources latentes de la flotte britannique.

La délégation américaine présenta un programme tout opposé : désireuse de faire réaliser des économies au budget des Etats-Unis sans pour cela renoncer à l'égalité avec l'Angleterre, elle proposa la limitation à 450.000 tonnes du tonnage global de croiseurs et de torpilleurs que chacune des deux grandes nations pourrait posséder. Cette limitation eût obligé l'Angleterre à décimer sa flotte actuelle de bâtiments légers. En revanche, la délégation américaine s'opposait à la réduction du calibre des canons et à la limitation du tonnage individuel des croiseurs : les Etats-Unis, à la différence de la Grande-Bretagne, n'ont pas un grand nombre de navires marchands qu'ils puissent aisément armer en croiseurs. De plus, ils ne possèdent pas, dans le monde, les bases navales multiples et rapprochées indispensables au ravitaillement des petites unités ; ce qu'il leur faut donc, ce sont de grands croiseurs capables de tenir longtemps la haute mer.

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Pour un critique impartial, ces prétentions opposées n'apparaissent pas également légitimes.

L'immensité de l'Empire britannique dont les parties, aisément vulnérables, se trouvent séparées les unes des autres par l'immensité des océans, la nécessité impérieuse aussi où se trouvent les Anglais, sous peine de mourir rapi. 'dement de faim, d'assurer la sécurité des routes de leur commerce, tout cela justifie l'entretien d'une flotte très nombreuse et très mobile de bâtiments légers. C'est véritablement là pour la Grande-Bretagne une question de vie ou de mort et l'affirmation que fait l'Amirauté du caractère défensif de cette flotte apparaît en somme fondée.

Les Etats-Unis au contraire constituent un territoire homogène, se suffisant à lui-même et ne dépendant nullement, pour la subsistance de ses habitants, du commerce extérieur. Ils ne possèdent presque pas de colonies et la maîtrise qu'ils ont du canal de Panama suffit à assurer la libre communication entre leurs deux rivages. Une flotte considérable ne leur est donc nullement indispensable et elle ne saurait, sous leur pavillon, présenter qu'un caractère offensif.

Oui, mais les Etats-Unis, première puissance économique et financière du monde, entendent aujourd'hui posséder tous les signes extérieurs de cette primauté de fait qu'ils détiennent entre les nations. Qu'une autre puissance prétende à une supériorité navale, cette supériorité fût-elle pleinement justifiée, voilà ce qu'ils ne sauraient admettre. Un publiciste américain, M. Frank Simonds, a écrit là-dessus, dans le Sunday Times, une phrase parfaitement juste: « Les Etats-Unis font du problème actuel une question non de sécurité nationale, mais de prestige national. »

C'est là le fond de l'affaire.

Les Anglais répliquent : << Nous ne vous empêchons nullement de construire autant de croiseurs que nous en possédons, mais ne nous forcez pas à démolir une partie de cette flotte légère qui nous est indispensable. »

Mais le gouvernement de Washington n'entend pas de cette oreille. Il veut pouvoir se vanter auprès de l'opinion américaine d'un double succès : réduction des dépenses du budget de la marine, égalité conquise, pour toutes les classes de bâtiments, avec la flotte britannique.

Si l'on se souvient que le président Coolidge, initiateur personnel de la Conférence, est soumis l'an prochain à la réélection, on s'expliquera plus aisément et le véritable mobile qui l'a poussé à convoquer cette conférence et l'intransigeance dont la délégation américaine a fait preuve à Genève. Ce n'est pas en France seulement que la politique intérieure réagit sur l'extérieure !

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En face de l'arrogance américaine se reformait cette alliance entre Londres et Tokio dont les Etats-Unis avaient exigé la rupture en 1921.

Le chef de la délégation américaine avait d'abord laissé entendre que si l'Angleterre et le Japon tombaient d'accord sur un programme commun, son gouvernement s'y rallierait. Cet accord réalisé, il changea de langage et déclara inadmissible la réduction du calibre des canons ainsi que la limitation du tonnage individuel des croiseurs.

Bref, la Conférence continua à piétiner..

En d'autres temps, le gouvernement de Sa Majesté britannique eût rompu hautainement une discussion humiliante pour lui. L'Amirauté fut peut-être tentée de le faire, mais la Trésorerie se hâta de lui rappeler la dépendance sous laquelle le marché américain tient les finances anglaises. On se contenta de mander à Londres les chefs de la délégation britannique pour conférer avec eux. L'un d'eux, M. Bridgeman, premier lord de l'Amirauté, se plaçant au point de vue des nécessités techniques, semble avoir conseille la résistance. Mais l'autre, le vicomte Cecil, plus sensible aux arguments d'opportunité politique, paraît s'être fait l'avocat de concessions nouvelles à la thèse américaine.

Ils sont, mercredi dernier, rentrés à Genève. Le même jour, sir Austen Chamberlain a prononcé à la Chambre des Commur.es, un discours assez pessimiste quant à l'issue de la Conférence.

On va incessamment savoir ce que l'Angleterre redoute le plus, de la déchéance de sa flotte ou de l'ire de Washington.

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<< L'heure approche », écrivait récemment le Washington Post, « l'heure approche où le gouvernement britannique devra accepter formellement ou refuser d'accepter que les Etats-Unis partagent avec lui la maîtrise des mers. Si la Grande-Bretagne insiste pour garder la supériorité en croiseurs, les Etats-Unis n'hésiteront pas à entrer dans la voie d'une augmentation illimitée de leur puissance navale. »

On sent la menace. Et la même menace se lit entre les lignes de la plupart des journaux américains, surtout de ceux qui soutiennent le président Coolidge.

Hâtons-nous d'ajouter qu'il ne faudrait pas que la France renouvelât l'erreur de 1921 et que, sous prétexte de servir d'honnête courtier, elle mît le doigt entre l'arbre américain et l'écorce britannique. Les querelles de John Bull et de l'Oncle Sam sont querelles de cousins, terriblement âpres mais dont un étranger serait mal venu de se mêler.

Quelle que soit d'ailleurs l'issue de la Conférence, elle n'aura pas seulement accusé la fringale de « prestige » qui agite aujourd'hui le jeune géant américain, gorgé de satisfactions matérielles; elle n'aura pas seulement, en rapprochant l'Angleterre du Japon, rendu possibles, au cours du futur conflit du Pacifique, des constellations nouvelles ; elle aura encore démontré la futilité des honorables tentatives faites pour réduire l'équipement belliqueux des nations. Derrière ces belles expressions limitation des armements, désarmement, se cachent encore et se cacheront longtemps les convenances, les appétits et les convoitises des gouvernements et des foules. Bref : la loi du plus fort.

JACQUES CHASTENET.

AFFAIRES

ECONOMIQUES

L'expérience financière de M. Poincaré

II

L'équilibre du budget, la consolidation de la dette flottante, la constitution d'une réserve de devises et l'assainissement du bilan de la Banque d'émission: telles sont les quatre conditions classiques de toute réforme monétaire pour un pays qui a subi les maux de l'inflation. Si ces conditions ne sont pas encore complètement réunies en France, l'vre de M. Poincaré semble du moins en avoir singulièrement rapproché la réalisation. Tel est, en effet, le sentiment du public, mais ce n'est là, d'après M. Chaminade, qu'une illusion: « Contrairement à l'opinion qui prévaut, dit-il dans son récent ouvrage, nous sommes même plus éloignés des conditions d'une réforme monétaire et d'une stabilisation légale que nous ne l'étions il y a quelques mois. »

Un précédent article (1) a essayé de montrer ce qu'a d'aventuré un pareil jugement, en ce qui concerne le budget et la dette voyons aujourd'hui s'il est plus fortement motivé dans le domaine de la monnaie et du change.

La politique proprement monétaire de M. Poincaré a été faite, selon M. Chaminade, de contradictions, d'incertitudes et d'illusions. Le gouvernement d'union nationale a commencé par jouer la difficulté, en prétendant << revaloriser le franc de fait, la valeur de la devise française a passé, grâce d'ailleurs à une formidable spéculation internationale et non à la volonté consciente du ministère de 10 à 20 centimes-or. Elle eût monté davantage si, effrayé de la crise économique qu'entraînait la hausse de la monnaie, le gouvernement n'avait recouru à « l'expédient des achats de devises effectués pour son compte par la Banque de France. Mais la stabilité de fait ainsi obtenue ne l'a été qu'au prix d'une inflation larvée. Sans doute, les milliards de francs cédés par la Banque aux vendeurs de devises n'ont pas accru la circulation fiduciaire, et sont revenus dans les caisses du Trésor grâce au fameux « circuit, mais ils ont entraîné la formation d'une nouvelle dette flottante exigible à vue et sans cesse croissante, et ils risquent de reprendre leur liberté au premier revirement 'opinion. A ce moment, les avances de la Banque à l'Etat, artificiellement comprimées par les remboursements fictifs que

(1) Voir l'Opinion du 23 juillet 1927.

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permet l'abondance des disponibilités à court terme, recommenceront de s'accroître et les réserves massives et illusoires de livres et de dollars se disperseront sans laisser de trace. Les progrès réalisés dans le bilan de la Banque de Françe ne sont dès lors qu'apparence rien de stable dans les amas de métal précieux qu'on étale devant nous aussi la stabilisation d'ailleurs impossible puisque les dettes interalliées sont plus loin que jamais d'un règlement - seraitelle aujourd'hui une aventure incompatible avec l'affaissement économique qu'a provoqué la revalorisation au taux de 125. Son succès resterait douteux même si le Président du Conseil se résignait, contre toute attente, à revenir à un cours plus raisonnable et plus voisin de celui que préconisaient les experts: 160 francs pour une livre sterling...

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Les critiques de M. Chaminade portent ainsi sur le taux aussi bien que sur les conditions de la stabilité de fait, maintenue depuis la fin de l'an dernier. Ce taux et ces conditions nous paraissent au contraire favorables à une stabilisation définitive, et, par conséquent avantageux pour l'économie nationale.

Quelles qu'aient pu être les intentions monétaires de M. Poincaré, sa politique ne saurait être jugée que sur les résultats obtenus. Or, le redressement du franc jusqu'au taux de 20 centimes a eu l'avantage inappréciable d'éviter à ce pays la nouvelle hausse des prix qu'eût rendue inévitable le maintien du cours de 175, atteint en septembre dernier, et par là, de permettre le rajustement des traitements

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et salaires au coût de la vie sans nouvelles difficultés budgétaires. Ce redressement a apporté aux rentiers des satisfactions tangibles, par la hausse du cours de leurs titres et surtout leur a évité une nouvelle amputation de leur revenu réel il a donc rendu moins malaisée, du point de vue psychologique, une stabilisation qui mettra fin aux espoirs des classes à revenus fixes. Aussi bien a-t-il été poussé aussi loin que le permettaient les contingences économiques, c'està-dire jusqu'au point où se coupaient la courbe des changes et la courbe des prix arrêté à temps, il n'a nécessité ni baisse des prix de détail ni déflation monétaire ; il n'a entraîné ni chômage profond ni arrêt brusque de l'expotation. Les troubles commerciaux ou industriels qui se sont manifestés jusqu'ici sont la suite inévitable de l'assainissement, à quelque taux qu'il se produise : les facilités artificielles procurées à l'exportation, la surexcitation provoquée dans les échanges intérieurs par l'inflation auraient pris fin de la même façon si la livre s'était figée à 175, 200 ou 300 au lieu de 125. Ce dernier taux, parce qu'il représente un compromis équitable entre les intérêts des classes moyennes et ceux de la communauté commerçante, apparaît d'autant plus acceptable qu'il nous a jusqu'ici évité les inconvénients opposés que connaissent la Belgique, avec la livre à 175 et l'Italie avec la livre à 90. Pourquoi n'offrirait-il pas une Base solide à la stabilisation définitive ?

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La réserve de devises qu'exige cette opération se trouve dès maintenant réunie, beaucoup plus considérable même qu'il ne serait strictement nécessaire, beaucoup moins pré

caire que ne le dit M. Chaminade. Une partie en a été acquise par le Trésor lui-même à l'automne 1926, et constitue sa propriété nette de toute servitude. Une autre partie en a été procurée par les achats d'or de la Banque de France. Une autre encore a, pour contre-partie, des bons de la Défense nationale à deux ans récemment émis, et présente donc un caractère relativement stable.

Au total, sur un milliard de dollars, une moitié seulement doit correspondre à ces comptes courants à vue qui ont été ouverts par le Trésor aux banques et qui semblent si menaçants à M. Chaminade. Encore cette proportion va-t-elle diminuer à la suite du récent emprunt qui a eu précisément pour objet de résorber dans une certaine mesure cette nouvelle forme de la dette flottante: ce qui en subsistera sera intégralement gagé par la marge dont le Trésor dispose à son compte d'avances de la Banque. Si massives qu'on les suppose, les demandes de remboursement pourront donc être aussitôt satisfaites, sans aucun à-coup; il n'y faudra aucune émission de billets nouveaux, la Banque revendant simplement une partie des devises accumulées.

Même si, en dehors de la fraction consolidée de nos réserves, des ouvertures de crédit sont jugées nécessaires pour garantir contre tout aléa la stabilisation, la Banque de France est, aujourd'hui, en meilleure posture pour les obtenir qu'elle ne l'a jamais été. Notre Institut d'émission a, en effet, acquis au cours de ces derniers mois, grâce aux conséquences du redressement, une position extrêmement forte sur les marchés financiers internationaux la masse 'de devises dont il dispose, la politique d'achat d'or qu'il pratique lui procurent, en effet, des éléments de discussion dont on a vu la valeur lors des négociations menées avec la Banque d'Angleterre pour le remboursement anticipé des crédits de guerre. Avantage inappréciable, à mettre à l'actif de la stabilité de fait.

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Ce régime, tout provisoire qu'il puisse avoir été dans son principe, tout insuffisant qu'il puisse paraître dans ses conséquences a, dès lors, le mérite essentiel d'avoir fortifié les moyens matériels de la stabilisation, comme d'en avoir préparé les conditions morales. Chaque jour qui passe, chaque mesure nouvelle - hier, l'emprunt destiné à rembourser la Banque, aujourd'hui l'assouplissement du contrôle de l'exportation des capitaux-nous rapprochent de la définitive réforme monétaire. Le moyen le plus sûr de la hâter ne nous paraît pas être d'accabler de critiques stériles le gouvernement qui en a assemblé les éléments, mais bien, ainsi que le demande son chef, de lui laisser « le droit et la possibilité d'achever >>.

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NOTES ET FIGURES
La légende des trois Bouillon

Une légende charmante qui, pourtant, ne s'écarte jamais de la vérité.

Il y a pas mal de temps, vivait près de chez moi, dans notre bonne et toujours jolie cité de Pézenas, Jean Bouillon, qui était fou de musique. Le professeur de notre collège, Joseph Garbal, ex-coiffeur pour dames et messieurs, lui enseignait le violon. Bientôt Jean, plus fort que son maître, partit pour Paris. Mais ayant dépassé l'âge réglementaire, il ne put entrer au Conservatoire.

Revenu en notre Bas-Languedoc, à Montpellier, il violona tant et si bien que dans notre Conservatoire, il ne tarda pas à obtenir un poste de professeur. Dans cette tâche, qu'il considère comme un sacerdoce, il donne depuis de longues années la mesure du talent le plus intelligent et le plus sensible.

Surtout, Jean Bouillon a trois fils. L'aîné, Georges, joue pour la première fois, dans un concert, à Béziers, en 1902, à 5 ans. A 12 ans, il vient à Paris, qui lui décerne son Grand Premier Prix, en 1913. C'est la guerre, le départ pour l'armée. Le violon s'endort dans sa boîte. Georges est blessé. Il fait la ronde des hôpitaux. Puis, en 1919, dès sa libération, il s'en va sur la Côte d'Azur et en Italie cueillir de nouveaux lauriers.

Gabriel, qui est né en 1898, entre au Conservatoire en 1913, et deux ans après, il en sort avec le Prix d'Excellence. Gabriel, acclamé par tous les grands publics, garçon rêveur, pâle et frêle, avec de grands yeux noirs, rappelle, par son jeu, à beaucoup d'artistes, l'émouvante virtuosité de Paganini.

Joseph, à six ans, commence, en 1914, l'étude du violon. Il entre au Conservatoire en 1922, et trois ans après, il sort avec le Premier Prix.

A l'histoire de cette trinité merveilleuse, s'ajoute la parure étrange d'anecdotes authentiques. Ainsi, Georges a neuf ans lorsqu'il tombe du troisième étage de sa maison dans la rue. Les dieux le protégeaient. Car si la chute sur le pavé le meurtrit, il a tout de même la force de remonter chez lui, et dès qu'il se retrouve dans l'atmosphère de ses études, il reprend sur son violon la leçon commencée.

Gabriel, la veille du concours au Conservatoire, se blesse profondément avec des morceaux de verre tranchants. Le bras enveloppé de pansements, il obtient le lendemain son prix, qui lui rapporte 1.400 francs. Hélas, le soir même, il perd son trésor. Mais le violon, son ami fidèle, le console !oujours.

Joseph, quand il a quatre ans, met un soir le feu à sa

chambre. Il voit tout à coup la flamme dévorer son lit. Il se sauve bien vite, au trot de ses petites jambes, tout heureux de préserver son violon qu'il emporte sous le bras.

En mars dernier, nous avons vu les trois Bouillon ensemble aux Concerts Pasdeloup, de cinq à sept. De gauche à droite, pour le spectateur : Gabriel, très sûr de lui, un peu glorieusement campé ; au centre, l'aîné, modeste, sympathique, avec son petit air de dire : « Ce n'est pas moi qui suis l'As », bien qu'il soit le premier violon solo. de Pasdeloup; à droite, le petit, qui est d'ailleurs par la taille le plus grand, tout frémissant d'anxiété ou plutôt d'impatience.

Devant le volumineux orchestre de 80 exécutants, face à la vaste salle de Mogador, les trois Bouillon soulevèrent un enthousiasme, une ovation, que chacun d'eux accueillit à sa manière l'aîné, très simplement, pressé de reprendre son rang dans l'orchestre; le cadet, comme son dû, qu'il voulait bien accepter; le dernier avec une joie radieuse qui faisait plaisir.

L'année dernière, Gabriel, le cadet, le héros de la Trinité, a eu l'inspiration heureuse de promener à travers l'Espagne le génie de son art. Dès les premiers concerts, la presse de Madrid et des autres capitales, Barcelone, Cordoue, Cadix, etc., le remercia de louanges si magnifiques que leur bruit flatteur parvint jusqu'à Alphonse XIII.

Alphonse XIII désira d'entendre le virtuose français. Il réunit, un soir, au Palais Royal toute l'élite madrilène. La reine, ayant à ses côtés les princes royaux, présidait la réunion de la Cour. Sans émotion, du moins apparente, Gabriel exécuta ses morceaux de prédilection. Malgré les règles traditionnelles de l'étiquette, toute l'assistance, dans l'élan de son admiration, le félicita de ses bravos à plusieurs reprises.

Le roi lui avoua que jamais il n'assistait aux séances de musique, mais qu'il avait voulu connaître l'artiste, dont toute l'Espagne vantait le rare talent. Il ajouta : « Vous nous faites aimer le violon. » Le lendemain, la reine fit remettre au jeune messager de France un écrin aux armes royales, contenant une épingle de cravate sertie de brillants sur platine et portant les initiales des souverains que surmonte la couronne d'Espagne.

Prochainement, Gabriel Bouillon partira pour l'Amérique. Et ce poète du Bas-Languedoc, qui n'oublie ni ses 'deux frères chéris de la même Muse ni son pays d'harmonie et de clarté, retrouvera là-bas, de l'autre côté de l'eau, les sympathies et les hommages dont il a pris, si jeune, l'habitude.

GEORGES BEAUME.

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qui vous servira intelligemment

Alfred Poussin,

candidat à l'Académie française

Camille Doucet remplissait alors les fonctions de secrétaire perpétuel de l'Académie française. Il reçut, un matin, une lettre ainsi conçue :

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

J'ai l'honneur de vous annoncer que je pose ma candidature au siège d'académicien laissé vacant par la mort de M. Leconte de Lisle. Je suis l'auteur d'un nombre considérable de volumes en prose et en vers, qui ont été traduits dans presque toutes les langues.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur le Secrétaire perpétuel, votre tout dévoué,

ALFRED POUSSIN,

13, rue de l'Ancienne-Comédie.

Camille Doucet lut et relut cette lettre, ouvrit le Larousse, le Vapereau, y chercha en vain le nom d'Alfred Poussin, se demanda comment un homme dont les œuvres avaient été traduites dans presque toutes les langues pouvait être inconnu de lui, puis s'apprêta pour aller déjeuner en ville.

A déjeuner, Camille Doucet, au milieu de la conversation, déclara :

C'est étonnant comme nous sommes ignorants, à l'Académie ; j'ai reçu ce matin une lettre de candidature d'un écrivain dont les livres ont été traduits dans toutes les langues, et je ne le connais pas...

Ah bah ! fit quelqu'un ; et comment se nomme cet écrivain ?

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Vous êtes sûr ? fait Doucet.

J'en suis certain, je connais Poussin, c'est un bohème, il fréquente le Café Procope, où je vais moi-même chaque soir. Et voulez-vous mon avis? Il ne vous a jamais écrit ; la lettre que vous avez en mains, mon cher Doucet, émane d'un joyeux fumiste : convoquez donc Poussin à votre cabinet, vous verrez que j'ai raison.

Deux jours après, Alfred Poussin recevait, 13, rue de l'Ancienne-Comédie, au Café Procope, une lettre de convocation de Doucet.

Il se rend à l'Institut, et, dans le cabinet du Secrétaire perpétuel de l'illustre assemblée, la conversation suivante s'engage :

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