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Enquête sur les romantiques

Réponses de Mme Gérard d'Houville et de
MM. le baron Seillière, Pierre Mille, Jacques Bainville,
Lucien Descaves, Noël Sabord, Paul Reboux et Fagus

Mme Gérard d'Houville

Je crois que je vous aime, le dernier livre de Mme Gérard 'd'Houville est un charmant recueil de proverbes où l'auteur sème à foison la malice et la grâce. L'un de ces proverbes (Une hirondelle ne fait pas le printemps) débute ainsi : deux bonshommes, Alphonse Hugaal « poète honorable» et Emile Patinet, directeur d'un journal, se promènent dans un jardin public. La scène est en 1840. Ils s'entretiennent de toutes sortes de sujets et, bien entendu, des affaires politiques. M. Alphonse de Lamartine est fort critiqué. On raille son discours à la Chambre sur l'agriculture « A chacun son métier, dit Patinet, que font les poètes à la Chambre ? »

C'est fort juste. L'on ne saurait être d'un autre avis que Patinet, mais si Mme Gérard d'Houville ne goûte pas chez Lamartine l'homme parlementaire, en revanche, elle célèbre le poète de la jolie manière que voici :

Je choisis Alphonse de Lamartine.

Parce qu'il a écrit quelques-uns des plus beaux vers romantiques; parce que son génie est magnifiquement ailé ; parce que sa gloire est belle comme il fut beau; parce que sa jeunesse a été troublée, son âge mûr frappé, sa vieillesse pauvre et délaissée. Pour tout cela... pour le Lac et pour Jocelyn, cet étonnant chef-d'œuvre.

Parce qu'en toutes choses, amour, renommée, douleur, il semble plus haut que le reste des humains.

Heureux Lamartine ! C'est un privilège du poète que de s'entendre dire un demi-siècle après sa mort : « Je crois que je vous aime. »

M. le baron Seillière

Le baron Seillière a souvent traité les romantiques d'une façon assez dure. Mais il ne leur en veut pas. Les maux et les vices dont il les montre chargés ne sont, dit-il, qu'un lourd héritage et c'est contre leurs ancêtres, dont Fénelon, selon lui, est au XVII° siècle, le représentant, qu'il dirige tout

son courroux.

Avec cela, dans le domaine de la passion, il est sain malgré ses désordres, par la sincérité de son élan : dans le domaine de l'art, il échappe pleinement aux ridicules et aux responsabilités du messianisme romantique dans le domaine social, il voit

clair et ne perd pas de vue la nature humaine.

Il évite l'écueil du précieux. Ses défauts, ses vices même s'oublient parce qu'ils n'ont pas laissé trace en son œuvre. Il apparaît, dans le recul du temps, comme l'incarnation du charme juvénile et de la plus exquise distinction française. N'est-ce pas tout ce qu'il faut pour inspirer, pour commander la sympathie ?

M. Pierre Mille

Décidément Musset est fort aimé. Les deux réponses suivantes en font foi. M. Pierre Mille choisit l'auteur des Nuits. Qui s'en étonnerait ? Nul n'a davantage de curiosité pour la vie ni d'amour pour la littérature que M. Pierre Mille. Et Musset n'est-il pas l'un des plus humains et surtout le plus « parisien » des romantiques ?

Le plus grand des romantiques est sûrement Hugo. Mais le plus sympathique ?... J'ai bien envie de nommer Musset. S'il eut des défauts — qu'on connaît ces défauts ne faisaient de mal qu'à lui-même. Ils ne l'empêchaient point d'être charmant.

...

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-

Et puis, il fut tellement lui, rien que lui ! Et son théâtre, qui chaque jour nous paraît plus fort! Et je ne sais quelle veine lyrique, qui, sans qu'on sache comment, nous mène à Verlaine. Car ceux qui aiment Verlaine, c'est à remarquer, aiment aussi Musset.

M.-Jacques Bainville

L'art de dire beaucoup de choses en peu de mots est celui de M. Jacques Bainville. Il le prouve tous les jours dans l'Action Française et dans tous les journaux où il lui plaît d'écrire.

Sa réponse nous en donne une nouvelle preuve. Elle tient en une demi-ligne et la voici :

<< Musset... comme à vingt ans ! »

M. Lucien Descaves

M. Descaves choisit Gérard de Nerval et il n'est pas le seul, comme on le verra. Les dernières lettres que nous avons reçues témoignaient d'une grande sympathie pour l'amant de Jenny Colon. Il fut malheureux et discret. Beaucoup plus discret que Marceline Desbordes-Valmore, certes !

Censeur vigilant, il discerne la qualité purement française M. Lucien Descaves est bien placé pour le savoir. 'd'un Musset auquel il rend un bel hommage:

Celui de nos romantiques qui fut de tout temps en possession de ma sympathie la plus entière est Alfred de Musset.

D'une part, il est impossible d'incarner plus brillamment les 'dons de l'école. Sa poésie est assurément celle qui va le plus droit à l'âme. Et qui de nous n'a su par cœur les Nuits et Rolla, avant sa quinzième année, pour ne plus les oublier. jamais ?

Non moins évidemment génial est son théâtre. S'il n'a pas la puissante diversité de Shakespeare, il en a toute la grâce ailée, sans heurter par les fautes de tact et de goût qu'engendre une culture encore à demi barbare.

Si j'avais vécu au temps du romantisme, c'est Victor Hugo que j'eusse admiré, mais c'est Gérard de Nerval que j'eusse aimé.

M. Noël Sabord

M. Noël Sabord rédige dans Paris-Midi un courrier des lettres fort vivant. En tête de ses informations où la vie littéraire est très exactement tenue à jour, il pique chaque matin un petit « papier » alerte et concis sur une question ou un livre actuel.

Cette enquête a retenu son attention. Le romantique

Son roman, qu'on néglige à tort, est l'un de ceux qui vont le choisi par lui est Gérard de Nerval. Mais il se demande, plus avant dans l'exploration du cœur.

(1) Voir l'Opinion du 16 juillet.

tout d'abord, si nous ne connaissons pas un peu trop les gens du siècle passé pour les trouver encore sympathiques...

Sachant d'eux ce que nous en savons, vers lequel nous sentirons-nous poussés par un élan du cœur ? Vers Victor Hugo, grand poète, certes, mais olympien et distant comme l'Himalaya? Vers Vigny, que, personnellement, je préfère aux plus grands, mais que des petitesses d'homme ne me donnent nulle envie de connaître ? Vers Lamartine, ce « dadais », qui soigne sa gloire dans les salons comme un cygne lisse son plumage ? Vers Musset, ce dandy souffreteux, efféminé, faux bohême, d'une gaminerie un peu vicieuse? Vers Sainte-Beuve, sa lippe, sa calotte et son armoire à poisons ?

Cependant, sur le divan du bon Théo qu'on aimerait, lui, s'il n'était hors du jeu (1) — voici « un petit homme à demi chauve, pelotonné sous un plaid et dormant. >> Il dort entre deux nuits, car il est funambulesque et noctambule. C'est sa façon à lui de vivre toujours dans la nuit et avec ses rêves. Celui-là, oui, ma sympathie lui est tout acquise. « On l'aimait, dit un de ceux qui l'ont connu, car il était d'une aménité touchante. Je n'ai jamais rencontré personne qui n'en ait dit du bien. »

Le jugement a du prix, venant d'un témoin qui eut le cœur sec et la dent dure. Le « Confrère sympathique », le voici : il se nommait Gérard Labrunie et se fit appeler Gérard de Nerval.

Mais il m'apparaît que Flaubert avec sa truculence, son horreur des bourgeois, son goût pour l'exotisme, ses compositions poétiques telles que Salambô, sa passion pour les batailles littéraires, son indifférence à l'égard des classiques, sa fureur échevelée contre tout ce qui est étriqué, rondouillard, tyrannique, raplapla est un romantique de la race la plus pure. Je l'aime ardemment. Je vénère le père Hugo, mais je ne l'aime pas.

Fagus

Le bon poète Fagus nous donne, pour aujourd'hui, le mot de la fin :

Par la sambleu, Monsieur, nous écrit-il, c'est encore Arvers, l'homme au sonnet, que je préférerais il a été le moins bavard. Salut et confraternité.

C'est dur... mais drôle !

Nous publierons bientôt les réponses de MM. Louis Bertrand, de l'Académie française, René Johannet, Léon Delfoux, André Maurois, Alexandre Arnoux, Tristan Derême, Jérôme et Jean Tharaud, Clément Vautel, André Billy. ROBERT BOURGET-PAILLERON.

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Huysmans vu par le sénateur Ed. Milhaud.

Du journal d'un parlementaire, du feu sénateur Ed. Milhaud, publié par MM. Louis Payen et José de Bérys, détachons cette note curieuse, inattendue, car l'ancien sénateur du Rhône était un homme assez fin et lettré.

« 30 janvier 1898. M. Huysmans, sous-chef du 4 bureau de la direction de la Sûreté générale, doit demander sa retraite au commencement de février. M. Renard, rédacteur principal au même bureau, demande à le remplacer. Services neuf ans comme conseiller de préfecture et sous-préfet, quatre ans comme rédacteur principal. »><

Telle est la petite note que j'ai reçue ce matin.

:

M. Renard étant un charmant homme, qui va régulièrement à son bureau et qui y travaille, je ne vois pas de mal à le voir remplacer Huysmans. Au moins aura-t-il sur son prédécesseur cet avantage qu'il s'occupera un peu du service qui lui sera confié.

Huysmans, l'auteur des Sœurs Vatard, passe pour un jeune! Mon doux Jésus! Quelle erreur ! Il est de ma génération : c'est tout dire. Depuis trente-deux ans, il est, au ministère de l'Intérieur, le prototype du fonctionnaire homme de lettres, voué au rond-de-cuirat, une institution bien française, celle-là !

Il paraît qu'il ne s'est jamais soucié de la Sûreté générale, des affaires départementales, de l'Assistance ou du régime pénitentiaire plus que du grand Turc.

Il arrive, il s'installe, ouvre les fenêtres, si c'est l'été, s'approche du feu, si le temps est froid, et se met à travailler à un de se livres.

Pendant qu'il écrivait A Rebours, il n'a pas une seule fois ouvert une lettre du ministère, ou écrit une ligne pour l'Administration qui le paie. Je ne le juge point.

Peut-être a-t-il fort bien fait ! Le rond-de-cuirat étant chose sacrée, le plus fort est celui qui en use le mieux à son usage. Huysmans, cependant, ne pensait pas en avoir tiré tout le profit qu'il en pouvait attendre. Le voilà en proie à une crise mystique.

En allant demain demander sa mise à la retraite à Barthou, | ponsabilité de la « Banque de l'Union Industrielle française ». il lui remettra la Cathédrale, son nouveau livre. Je voudrais assister à l'entretien. »

Droits d'auteurs.

Si l'on compare aux copieux revenus que les éditeurs assurent à certains auteurs notoires d'aujourd'hui, les modestes honoraires que recevaient les écrivains célèbres du siècle dernier, on constate que le métier d'homme de lettres ne périclite pas.

D'après Emile de Girardin, les auteurs, en 1835, se divisaient en cinq catégories :

1° Ceux qui se vendaient jusqu'à 2.500 exemplaires, chaque ouvrage étant payé de 3 à 4.000 francs. Deux écrivains seulement connaissaient cette fortune: Hugo et Paul de Koch ;

2o Ceux qui se vendaient jusqu'à 1.500 exemplaires. Ils étaient quatre: Balzac, Soulié, Eugène Sue et Jules Janin ; 3o Ceux dont la vente allait à 1.200 exemplaires, et qui recevaient de 1.000 à 1.200 francs. Alphonse Karr était de ce nombre ;

4o Ceux qui, pour 6 à 900 exemplaires touchaient 500 fr. Il y en avait douze, dont Musset:

5 Ceux qui pour moins de 500 exemplaires recevaient de 100 à 300 francs, tel Théophile Gautier.

on peut lire ces lignes :

Ordre Minecol. Quis queri potest in ea condicione se esse in qua nemo non est ? (Sen. Ep.).

Ce qui veut dire en latin: Ne vous plaignez pas, vous n'êtes pas le seul !

t l'on dit que l'humanisme se perd! Sénèque sert à consoler les capitalistes...

CE QU'ON LIT

Germain Pilon, par Jean BABELON (Edition « les Beaux-
Arts >>).

Pas à pas, l'érudition française complète son outillage pour l'étude des grands artistes. Je ne crois pas qu'on puisse réunir un ensemble de documents, plus complet, plus clair, mieux ordonné que celui que M. Jean Babelon a rassemblé sur la vie et les œuvres de Germain Pilon. Biographie, tableau chronologique, avec reproduction intégrale des textes, catalogue raisonné et méthodique des œuvres, bibliographie, tables, rien ne manque à cette excellente monographie, illustrée de 80 reproductions. Le sculpteur des Valois méritait ce traitement de faveur. Il n'est peut-être pas de tempérament artistique, à la Renaissance, qui

Combien y a-t-il d'écrivains connus, à notre époque, qui semble plus près de nous (de nous, à la fin du XIXe siècle). accepteraient des conditions aussi désavantageuses ?...

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Madame de Sévigné contre les jupes courtes.

La Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne a consacré tout un gros fascicule aux rapports de Mme de Sévigné avec la Bretagne. M. Pocquet du Haut-Jussé, en particulier, nous montre la marquise guerroyant contre les jupes trop courtes, à son gré, de certaines demoiselles de l'aristocratie bretonne.

<< Pour les jupes courtes - écrit-elle, vous aurez quelque peine à les rallonger. Cette mode vient jusques à nous; nos demoiselles de Vitré, dont l'une s'appelle, de bonne foi, Mme de Croque-Oison et l'autre Mlle de Kerborgne, les portent audessus de la cheville de pied. >>

Pilon est tout mouvement. L'académicien naissant n'a pu lui faire oublier les traditions de fantaisie et de franchise héritées du moyen âge. Son génie oscille entre le platonisme et le réalisme, << sans prendre décidément parti », dit très justement Jean Babelon. Charme et faiblesse à la fois, et qui se retrouve à toutes les crises de croissance de l'art. H. C.

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Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes. Rapport général, par M. Paul LEON, Tome V. Accessoires du mobilier (Larousse, éditeur).

Le premier volume de cette œuvre magistrale, qui en comprendra 1.8, est consacré à la tabletterie et la maroquinerie, l'art et l'industrie du métal, la céramique, la verrerie. Ce rapport, dont les matériaux ont été réunis par un Comité de rédaction,

C'est encore au-dessus de la cheville de pied que les jupes dirigé par H.-M. Magne, diffère essentiellement des publications

arrivent, mais tellement au-dessus !

Un aveu.

Un écrivain anglais, M. Lewis Hind, publie ce qu'il appelle le résultat de son expérience personnelle et d'une enquête menée auprès de ses confrères. Il a voulu savoir, dit-il, pourquoi un écrivain écrit. Et il a trouvé ceci : 50 pour 100 obéissent à l'ambition et au désir de s'évader de la monotonie de la vie quotidienne; 25 pour 100 à la vanité; 20 pour 100 pour gagner de l'argent et 5 pour 100 parce qu'ils ont quelque chose à dire.

M. Lewis Hind est sévère pour ses confrères. Mais dans quelle catégorie se range-t-il lui-même ?

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officielles consacrées aux Expositions précédentes. Au lieu d'un palmarès qui n'offre d'intérêt que pour les exposants, il donne, sur toutes les classes envisagées, des notions techniques et artistiques précises et ordonnées. C'est une documentation d'autant plus précieuse qu'elle est illustrée par 96 planches en noir et en couleurs, reproduisant les meilleures œuvres exposées. L'ouvrage est imprimé sur vélin d'Arches, par l'Imprimerie Nationale. Il consacre dignement le souvenir de l'éclatante manifestation de 1925, où la France a tenu dans toutes les matières et dans toutes les techniques une place de premier rang. - H. C.

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Jacques

HISTOIRE, MEMOIRES, REPORTAGES. ROBERTI, Maisons de société, choses vue (A. Fayard, 12 fr.). Etienne TARDIF, Le roman du pays de France: Nos P. C. R. (Alexandre, 15 fr.). René C.-T. ZELLER, La vie dominicaine (B. Grasset, 12 fr.). KOU-HOUNG-MING, L'esprit du peuple chinois (Stock, 12 fr.). Francis JAMMES, Lavigerie (Flammarion, 12 fr.). André HALLAYS, Les solitaires de Port-Royal (Plon). Dr Paul VOIVENEL, Les belles-mères tragiques (Renaissance du Livre, 10 fr.). Raymond RECOULY, La Troisième République (Hachette, 20 fr.). Emile LUDWIG, Guillaume II (S. Kra, 18 fr.). Pierre LHANDE, Le Christ dans la banlieue (Plon, 15 fr.). André MAUROIs, La vie de Disraëli -,Gallimard, 12 fr.).

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Ne parlons pas du fretin, ni des amours de garnison que Laure, sa femme, n'ignorait d'ailleurs point, et arrivoas-en tout de suite à sa liaison avec Caroline Murat, qui fut apparemment cause de ses malheurs conjugaux. Il poussait alors le cynisme ou l'inconscience jusqu'à aller voir sa maitresse avec sa femme et à abandonner celle-ci dans la voiture pendant que Caroline le recevait.

Laure Junot, duchesse d'Abrantès, avait beau être de bonne composition, elle n'était point femme à se résigner, et le jour où le comte de Metternich, ambassadeur d'Autriche, entreprit de la consoler, elle ne résista guère à son charme séducteur. L'été était chaud, les nuits belles au Raincy; l'occasion, l'herbe tendre...

Pendant ce temps-là, Junot donnait assaut à Saragosse et, dès son retour à Paris, Caroline Murat, cette peste, ne laissait à nulle autre le soin et la joie de lui apprendre son infortune.

En plein bal masqué, Junot entraîne sa femme sans un mot, la jette en voiture et rentre à leur hôtel. En cours de route, il avait cassé toutes les vitres de la voiture en disant à Laure de recommander son âme à Dieu.

A peine dans leur chambre, il ferme la porte au verrou, et, proférant des blasphèmes, montre à la duchesse les lettres de Metternich que Caroline a achetées à prix d'or à une femme de chambre infidèle. Après une scène terrible, il finit par lui promettre de tout oublier si elle lui remet toutes les lettres de son amant et la quitte, mais pour revenir la nuit suivante. Cette fois, il lui fait lire une lettre de lui provoquant Matternich, alors absent de Paris, depuis la rupture avec l'Autriche ; elle la lui arrache et la jette au feu. Puis, comme elle pleure, il se jette sur elle, la frappe,

(1) Henri Malo. La duchesse d'Abrantès au temps des amours. Les années de bohême de la duchesse d'Abrantés (Emile-Paul, 2 vol., in-ta).

ramasse une paire de ciseaux d'or qui traînaient sur la cheminée et la blesse de six coups au sein gauche, ensuite de quoi il tente de l'étrangler. La vue du sang qui jaillit des blessures l'effraye soudain. Il se relève, écrit un mot, le donne à un valet auquel il recommande :

Quand elle sera venue, vous frapperez à cette porte

sans entrer.

Et, la tête dans les mains, il attend en face de sa femme ensanglantée. Longtemps après, on frappe à la porte. Il va ouvrir et introduit... la princesse de Metternich.

A lui, le grand monologue du quatrième acte ! Comme la princesse pousse un cri à la vue des blessures de la duchesse, il la saisit par le bras et la jette dans un fauteuil : Silence! Silence et écoutez-moi ! Votre mari fut l'amant de cette femme. Cette femme est la mienne, etc... Conclusion: « La tuer moi-même ? J'ai essayé, je n'ai pas pu. Vous voilà instruite: vengez-vous de cette charmante femme, je vous l'abandonne ! »

Il dit, puis se tait, attentif aux gestes de la princesse. Et alors, sans doute il s'attendait à tout, mais pas à ce qui arriva.

Monsieur le duc, lui répond la princesse, permettezmoi de vous représenter que le rôle d'Othello ne vous convient pas. Ce n'est pas à l'homme qui a scandalisé toute la France par son inconduite à agir comme vous le faites. Et elle embrasse la duchesse, en l'appelant : « pauvre femme ».

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Je n'ai plus qu'à mourir, gémit celle-ci.

La porte a claqué sur Mme de Metternich Laure enfiévrée par les coups et la perte de sang este seule avec on mari. Alors ceui-ci (belle fin de conte à la Barbey) se jette sur elle et la viole, à demi-morte. Telles étaient les mœurs de ce sabreur !

Napoléon, qui était au courant depuis longtemps, n'avait fait qu'une observation à la duchesse: « Vous auriez aussi bien fait de ne pas prendre un étranger ». Quand il apprit le drame, il embrassa" Mme de Metternich et lui dit :

- Vous êtes une bonne petite femme et qui a su m'éviter un grand embarras avec ce butor de Junot!

Puis le ménage continua la vie commune. Ambassade au Portugal, armée d'Espagne, batailles et fêtes. Junot reprit ses infidélités, et la duchesse les siennes avec, cette fois, Maurice de Balincourt, qu'elle connut chez Pauline, dont il avait été l'amant, comme de la reine de Westphalie et de Mme Bernadotte.

La campagne de Russie. Junot en revient à l'état de loque humaine, sa femme écoute sans conviction ses ré

de la retraite, tout au deuil d'être séparée de Balincourt. Très momentanément d'ailleurs, car au début de 1813, le duc d'Abrantès est nommé gouverneur des provinces illyriennes et va rejoindre son poste. Il a déjà donné des signes de dérangement d'esprit à Trieste, il va devenir fou, et fou par moments dangereux; à d'autres moments, il se contente de se livrer à des excentricités diverses, comme par exemple de terminer invariablement ses lettres par cette formule: « Et sur ce, monsieur le commandant, je prie sainte Cunégonde de vous avoir en sa digne garde ». L'empereur est obligé de le rappeler d'urgence et de l'expédier dans sa famille, à Montbard, où il meurt aussitôt.

La duchesse est libre. Elle a 29 ans, quatre enfants, et un million quatre cent mille francs de dettes.

Ne nous apitoyons pas trop sur ce dernier détail : si Napoléon fut généreux avec un de ses lieutenants, c'est bien avec Junot. M. Malo a dressé la liste des appointements de celui-ci et des pensions qu'il recevait, en tout pas loin d'un million par an, et sa maison était justement célèbre par son faste.

C'est à partir de cette année 1813 que la duchesse n'est vraiment pas sympathique, moins pour ses faiblesses excusables qu'à cause de son attitude lors de la fin de l'Empire.

Comme les autres sans doute, comme tous, sans en excepter Hortense. Mais comme les autres, ne devait-elle pas fout à Napoléon ? Louis XVIII n'est pas à Paris que la voilà reçue à la cour et présentée à la duchesse d'Angoulême. Bien entendu, elle revoit Metternich, et c'est naturel, mais pourquoi reçoit-elle Wellington, et pourquoi ces fêtes et ces parties de plaisirs avec les vainqueurs ? Le retour de Napoléon la gênerait sans doute, si pour éviter de le revoir pendant les Cent Jours elle n'avait une excellente excuse la maladie. Excuse moins admissible, quand on sait que cette maladie était une nouvelle grossesse.

Puis Waterloo, et le royalisme de la duchesse augmente, et Wellington la fait danser, et la fête battrait son plein, si l'argent ne venait à manquer.

Alors c'est la liquidation, la meute de créanciers à ses trousses. Et ici commencent les années de bohème. Mais il est tout de même des bohèmes plus plaisantes.

Nous sommes en 1818 et, entre autres liquidations, il y a d'abord celle de Maurice de Balincourt. La belle Mme Junot s'installe à Orgeval, ensuite à Versailles, fatiguant le ministère de ses suppliques, de ses demandes d'argent. Son seul capital réel reste son titre de duchesse, et elle le fait sonner bien haut.

A l'Abbaye-aux-Bois, elle fréquente sa voisine, Mme Récamier, fait connaissance de Sophie Gay et chez celle-ci rencontre un jeune homme de lettres bizarre et peu élégant: M. de Balzac.

Une duchesse ! Le titre éblouit M. de Balzac, bien avant que la femme le séduise. Et d'abord entre eux, tout est littérature. Elle lui prête des livres, il lui confie ses sujets de romans. Et la voilà piquée de la tarentule d'écrire. C'est cinquante-sept volumes, sans compter ses collaborations aux journaux, qu'elle rédigera entre 1830 et 1838. Et puis Balzac a une idée de génie, parbleu ! - Si elle écrivait ses mémoires, l'histoire vécue de l'épopée im

-

périale, quel sujet ! Et il s'offre à l'aider, et en fait il collabore largement à l'élaboration du premier volume. Si largement que lorsque le succès est évident, il voudrait bien que l'on sût qu'il n'y est pas étranger. Prétention que Laure, qui n'a plus rien à lui refuser, trouve cependant excessive, et elle ne le lui envoie pas dire!

C'est un succès, ces mémoires, et un succès mérité, que la postérité a ratifié. Elle n'a rien fait d'ailleurs pour l'éviter, et le Journal des Débats a publié une note adroite, propre à surexciter la curiosité du public, en rappelant que huit cents ans auparavant, une aïeule de la duchesse, Anne Comnène, se faisait la biographe des empereurs de By

zance.

Réclame trop adroite, qui fit dire au comte Marquiset, quand il eut lu le volume de la duchesse:

Commère, oui ! Comnène, non !

Et les épigrammes de pleuvoir, signe certain de réussite. Pauvre Laure! Ses succès littéraires ne pouvaient compenser ses dernières déceptions amoureuses. Elle avait 54 ans et Balzac était au fort de sa passion pour une autre, qui ne valut pour lui ni la douce Mme de Berny, ni la belle duchesse.

Alors elle se lance davantage dans les lettres, entreprend de diriger, non sans un soupçon de ridicule, le théâtre de société du comte de Castellane, toujours à court d'argent, toujours cotoyant la misère.

Elle en rit, mais elle en souffre et s'exténue à faire de la copie pour parer au plus pressé.

Son fils Napoléon d'Abrantès a hérité de son insouciance. Et à tous deux, ils mettent les rieurs de leur côté. Napoléon, lui dit-elle, un soir, va donc voir l'heure

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Et comme elle lui fait observer qu'il a été bien long, il explique qu'il a été voir l'heure rue des Blancs-Manteaux: toutes les pendules et les montres de la maison sont, en effet, au Mont-de-Piété.

C'est le même Napoléon d'Abrantès qui, prêt à transformer en lettre de change une feuille de papier timbré, disait à un ami :

Vous voyez, ce papier blanc ? Ça vaut vingt-cinq centimes; quand j'y aurai mis ma signature, ça ne vaudra plus rien !

Dans cette détresse, voici paraître Custine, aux tristes mœurs, qui songe un moment à épouser la duchesse et ne le fait point. La gêne toujours, la misère presque...

Et le 9 juin 1838, M. de Chateaubriand suit à pied le convoi de la duchesse d'Abrantès, dont le mari gouverna Paris et dont la reine Marie-Amélie dut payer l'enter

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