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conclus à des taux élevés, ont aggravé les charges d'intérêt et augmenté le capital nominal, sans empêcher l'argent frais d'affluer et sans entraîner, par conséquent, une réduction corrélative de la dette flottante: au total, la Caisse d'amortissement, dont le premier acte a été l'emprunt illégal d'octoble 1926, et qui a crevé depuis longtemps son << plafond n'a pas mieux réussi que ses devancières. Par ailleurs, de nombreux emprunts ont été contractés à l'étranger, sous le couvert des Chemins de fer de l'Etat ou d'AlsaceLorraine, des grands Réseaux, de la Ville de Paris, entrainant eux aussi de lourdes charges, et risquant de peser dangereusement sur notre balance des comptes, lorsque l'afflux actuel des capitaux français émigrés et des capitaux étrangers aura cessé. Pour notre auteur, la politique d'amortissement a donc dès maintenant échoué : quant à l'équilibre budgétaire, il s'effondrera, à tout mettre au mieux, en 1928 ou 1929.

De ce sombre tableau, la plupart des traits appellent fort heureusement maintes retouches

Que le budget soit lourdil atteindra 42 milliards en 1928, et près de 50 milliards avec les impôts affectés à la Caisse autonomenul n'en disconvient, mais il n'est pas certain qu'il dépasse les possibilités du pays. On peut remarquer en effet que les prix étant environ six fois plus élevés qu'en 1914, notre budget d'avant-guerre représenterait une trentaine de milliards la charge réelle n'est donc accrue que des deux tiers, même avec la livre à 125 francs.

Certes, il eût été désirable d'alléger par des économies les charges fiscales, et on peut regretter que l'effort entrepris en 1926 n'ait pas été poussé plus loin; mais il ne faut pas oublier qu'à aucun moment nos dépenses administratives 'ont augmenté aussi rapidement que les prix et que, du fait de la dépréciation, beaucoup de crédits étaient devenus insuffisants. Cela seul expliquerait que les économies réafisées n'aient pu être comparables à celles qui, en Angleterre, ont fait disparaître les gaspillages inouis nés de la

guerre.

Jusqu'ici, d'ailleurs, le rendement des impôts a été, dans l'ensemble, et malgré des taux parfois excessifs, satisfaisant, puisque des plus-values notables ont été réalisées en 1926, et dans les premiers mois de 1927. La situation vat-elle, à cet égard, se transformer comme l'annonce M. Chaminade? Il en donne pour preuve la diminution progressive de nos importations, passées de 5.106 millions de francs en octobre 1926 à 4.414 millions en mars 1927 et de nos exportations, passées entre les mêmes dates de 6.103 millions à 4.693 millions. Ces chiffres ne nous paraissent nullement significatifs. La valeur des marchandises importées et exportées a été, en effet, affectée par la baisse des devises étrangères et des prix de gros français nous procurons aujourd'hui pour un r dre nombre de francs que l'an dernier, une même té de marchandises anglaises, de même que nos exportateurs reçoivent moins de francs pour les produits qu'ils envoient au dehors. En réalité, ce sont les quantités achetées ou vendues qui im

nous

portent surtout en matière de commerce extérieur ; vues sous cet angle, les statistiques sont beaucoup moins alarmantes puisque, entre les deux époques prises comme point de comparaison par M. Chaminade, les importations ont passé de 3.488.000 à 4.363.000 tonnes (et 4.610.000 en mai) et les exportations de 2.689.000 à 2.952.000 (et 3.385.000 en mai). Certes, dans le détail, divers indices moins favorables apparaissent, qui, comme le fléchissement des importations de matières premières et des exportations d'objets fabriqués (témoignent d'un certain ralentissement économique; mais ce ralentissement, inévitable après l'excitation passagère de l'inflation, n'a jusqu'ici, grâce à la stabilité maintenue depuis six mois sur le marché des changes, que de faibles répercussions sur les rendements fiscaux. S'aggraverait-il demain et entraînerait-il des moins-values que le déficit ne serait pas inévitable.

Le projet du budget de 1928, qui n'a été connu dans sa forme définitive qu'après la publication du livre de M. Chaminade a, en effet, montré qu'à côté de dépenses nouvelles, dues aux nécessités de la défense nationale ou au rajustement des traitements et pensions, les progrès de l'assainissement permettaient de faire état de certaines économies, en particulier sur le chapitre de la Dette. Le remboursement de la créance que possédait la Banque d'Angleterre sur notre Institut d'émission, la détente des changes et l'amélioration des recettes du Plan Dawes ont permis de réduire les crédits, affectés au service de la Dette extérieure; la réduction du taux d'intérêt des bons de la Défense Nationale a entraîné la suppression de l'annuité servie par le Budget à la Caisse autonome.

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Il importe, pour répondre à cette question, de prendre. tout d'abord une vue nette des deux principes qui ont inspiré les lois d'août 1926 et la politique suivie depuis cette date création d'une Caisse autonome chargée, en premier lieu, de gérer les bons de la Défense Nationale, ainsi séparés du reste de la dette publique, d'en assurer le service, la consolidation, le remboursement progressif - aménagement des échéances de la dette à court terme (bons du Trésor à 3, 6, 10 ans, bons du Crédit National, etc) par des emprunts de consolidation ou des opérations d'échange, effectués directement par le Trésor. Ces deux séries de mesures avaient été préconisées par les Experts, comme indispensables pour supprimer les demandes de remboursements massifs, écarter un risque redoutable d'inflation et rendre possible la stabilisation. Quant à l'amortissement de la dette consolidée ou à terme, il reste gouverné par les contrats d'émission, la Caisse autonome n'y intervient qu'accessoirement, en annulant les titres de rente qui lui sont remis en paiement des droits de succession ou de la taxe de première mutation.

Dès lors, la plupart des critiques de M. Chaminade perdent beaucoup de leur valeur.

Si la Caisse autonome n'a pas encore amorti, c'est qu'elle a d'abord rempli son premier rôle : gérer les bons de manière à en allonger l'échéance et à en réduire la charge annuelle. On sait que cette entreprise a réussi d'une manière presque inespérée ; les bons à 1, 3, et 6 mois ont été supprimés; les bons à 1 an sont suspendus à leur tour, si bien que dans quelques mois il n'y aura plus que des bons à 2 ans et, sans doute, à 5 ans ; pratiquement le danger des remboursements a dès maintenant disparu, sans aucune charge nouvelle. D'autre part, quelques milliards de bons ont été consolidés en octobre 1926 et en mai 1927. Sans 'doute, ces consolidations n'ont pas diminué effectivement la masse des bons en circulation, qui a dépassé le plafond légal, mais c'est là un phénomène passager, qui est dû aux conditions du marché monétaire, et au souci de ménager les transitions.

D'ailleurs, le programme initialement tracé à la Caisse : rembourser les bons jusqu'à extinction, devra peut-être s'assouplir quelque peu.

Les Bons de la Défense peu coûteux, appréciés du public, présentent, en effet, dans leur nouvel aménagement, plus d'avantages que d'inconvénients. Aussi la Caisse autonome sera-t-elle sans doute amenée, ainsi que l'indiquait dernièrement M. Milau à consacrer ses disponibilités qui sont dès maintenant considérables à amortir d'autres parties de la dette de l'Etat, plus onéreuses, et, ce faisant, à favoriser la hausse du cours des fonds publics, les conversions possibles et l'équilibre du budget.

L'œuvre de la Caisse autonome ne paraît donc pas mériter la condamnation sans appel de M. Chaminade. Quant à celle du Trésor, elle a consisté à pourvoir par avances aux diverses et lourdes échéances de la dette à

court terme pour 1927-28 et 29. Cet effort, poursuivi dans trois emprunts de consolidation successifs, a sans doute coûté une certaine aggravation des charges annuelles, mais il a débarrassé le proche avenir de toute menace de remboursement, et, par là, fait tomber un des obstacles les plus graves que rencontrait la stabilisation, sans augmenter le capital de notre dette intérieure.

Celui de notre dette extérieure ne s'est pas davantage accru, quoiqu'en dise M. Chaminade. Les emprunts contractés par les Chemins de fer de l'Etat ou d'Alsace-Lorraine l'ont eté, én effet, pour rembourser des avances qui leur avaient été consenties par le Trésor. Ils ont eu l'avantage de fournir à celui-ci de même que les opérations faites au dehors par des organismes privés, - des devises étrangères dont il est le propriétaire définitif et non le débiteur à terme si bien que cette partie de nos réserves de devises présente un caractère parfaitement stable et définitif.

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NOTES ET
ET FIGURES
Y a-t-il une loi Grammont?

Existe-t-elle ? Ou bien est-on déterminé à ne jamais en tenir compte? Il y a quelques mois Orléans a organisé une course de taureaux. Si le spectacle n'était si repoussant, cela serait à faire rire. Orléans ! le pays de France le plus plat, le plus paisible avec ses prairies molles, ses arbres pâles, et son fleuve en beurre, servant de décor à un massacre !

Beau tableau de chasse d'ailleurs le torero Chiquito éventré, les chevaux étripés, les taureaux mis à mort ! M. le maire assistait à la course donnant ainsi plus d'éclat à cette belle journée.

Il paraît que c'est une question électorale ? Parfait !

On me dit : « Mais depuis cette course déplorable, on va caparaçonner les chevaux !... » Vous entendez ! On va ficeler ces pauvres biques dans des armures comme Bibendum, alors bien au chaud, elles se laisseront soulever par la corne du taureau avec volupté, pauvres bêtes sacrifiées, étiques (puisqu'elles sont condamnées, n'est-ce pas, pourquoi les faire manger ?), épaves lamentables, pattes cassées, museaux en sang... Qui songe à tout cela ? Et il ne se trouve personne pour faire exécuter la loi (s'il y en a une), disperser cette troupe de curieux malsains. Ah ! que je voudrais ouvrir sur eux la porte du toril! Il m'a toujours semblé bas celui qui, à l'abri du danger, considère les larmes ou les souffrances d'autrui. Quelle fuite éperdue l'on verrait parmi tous ces matamores en habit de fête.

Un confrère anonyme du Figaro, il y a deux nois, a relevé seul, l'ignominie de ces spectacles. Il a écrit:

<< L'homme ne ressent de joie que s'il inflige ou contemple la souffrance. Qu'il soit croquant, nouveau riche ou quasi-gentilhomme, il lui faut du rouge sous les yeux, et l'angoisse des créatures traquées, les larmes de la biche aux abois, le cri du lièvre déchiré par les chiens, la palpitation des corps criblés de plomb, le frémissement des ailes brisées... >>

Ce n'est pas assez de la vivisection effroyable et inutile les trois quarts du temps (consultez-donc les étudiants en médecine, il y en a qui s'en plaignent !). Ce n'est pas assez des tortures infligées au petit cheval de mine qui doit traîner tout jeune des poids de 3.000 kilos dans l'obscurité qui l'affole, se heurtant aux couloirs des cavernes noires, sou

vent blessé, vivant dans le froid et l'eau, ce n'est pas assez des supplices endurés par les animaux qui arrivent à l'abattoir les membres brisés, mourant de soif, ce n'est pas assez de ceux que les charretiers fouettent au sang, pauvres chevaux accablés, qui saignent et meurent à la peine (et cette mort, quelle délivrance !). Non ! il faut encore organiser le spectacle de la souffrance et de la mort, s'en réjouir, y amener des enfants. On est honteux lorsque l'on voit ces choses, d'appartenir au même pays que le public qui s'y arrête. Ah! les Anglais doivent être bien écœurés. Sur ce chapitre, il ne serait pas sans fruit de les imiter. Nul, à Londres, ne se risquerait à maltraiter un animal et si cela arrive... J'ai vu le portrait d'un homme à tête de brute dans le Daily Mirror qui avait fait du hard-labour pour avoir torturé son chat. Ainsi apprend-on au peuple (lorsqu'il n'y a pas moyen de le convaincre autrement) à n'être ni malfaisant ni sanguinaire. Puisque l'homme naît avec des instincts si répugnants, ne pourrait-on lui enseigner la douceur, et non pas lui apprendre dès qu'il sait voir, à jeter des pierres aux oiseaux, à décrocher les nids, et à crever les yeux des rossignols? Il y a pourtant des ligues et des sociétés en France ! J'en ai vu une un jour installée à Beaune. Je suis entrée dans la maison et après enquête, j'ai été fort humiliée de voir que la protection des animaux intéressait surtout les Anglais et les Américains. « Il y a bien quelques personnes parmi la population qui s'intéressent à notre effort, me dit-on, mais elles ont peur d'être ridicules si elles paraissaient traiter leurs animaux avec douceur, ou les soigner quand ils sont malades ! » Voilà. Ils ont peur d'être ridicules s'ils paraissent avoir un cœur. Quelle disgrâce !

L'effort privé est le seul effort, voilà pourquoi chez nous, ces ligues, bienfaisantes d'ailleurs, n'ont guère d'effet; à Londres, les policemen ont l'ordre de sévir s'il voient un cheval traînant une trop lourde charge, un enfant torturant un oiseau. D'ailleurs, cela ne se voit plus qu'à de rares intervalles. Mais chez nous... Quelle honte ! J'ai vu l'autre jour sur le quai du Louvre une voiture à bras guidée par un homme et traînée par deux chiens. Les bêtes étaient maigres à faire peur, pelées et tiraient de toutes leurs forces la lourde charge de la voiture, crainte du fouet; tout autour de leur cou, il y avait des écorchures, des zébrures sur leur corps. Nos sergents de ville regardent cela en souriant, il n'ont pas d'ordre n'est-ce pas ? Cela n'intéresse personne ! Eh bien ! tant que l'on ne fera pas respecter ici la loi, on verra de ces choses écoeurantes que les étrangers nous reprochent, avec tant de raison.

Apprenons la pitié aux enfants, apprenons-leur à ne pas enfermer les moineaux dans une cage, et à ne pas piquer avec un aiguillon les côtes des ânes. Prouvons-leur que ces pratiques inspirent du dégoût, et que l'intelligence, si brillante soit-elle, compte peu lorsque le cœur est absent.

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On a souvent comparé M. Gaston Chérau à Maupassant, et cela ne fait pas un mince éloge. On pourrait à propos de son dernier livre poursuivre la comparaison, que justifient non plus une parenté de l'art et du talent, mais la carrière qu'il semble courir. En effet, l'Egarée sur la route (1), après le Monstre ou Valentine Pacquault, joue un peu le même rôle que Notre cœur ou Fort comme la mort après Une vie et la Maison Tellier. Y aurait-il une loi mystérieuse pour faire tourner, à un certain âge, les conteurs réalistes en psychologues et les peintres robustes de mœurs provinciales en romanciers parisiens ?

Sur le premier point la surprise n'est pas grande ; car M. Chérau a toujours compté parmi les chantres de l'amour, pour parler en vieux style. Ce n'est pas des amours légères et faciles qui s'expriment dans son œuvre, mais des passions terribles, leur fatalité, leur cruauté, leur tendance à envahir et gouverner une existence entière. Si l'on en croit la littérature, ces passions-là s'observent plus commodément chez les gens qui ont le loisir de s'y adonner, chez les princes de tragédie, bref dans l'humanité riche et citadine. Aussi le roman d'amour est-il volontiers un roman mondain, tandis que les drames d'amour se trouvent dans toutes les classes. Vous voyez assez bien la différence que je mets ici entre un drame et un roman: celui-là vit de catastrophes, celui-ci de psychologie pure; il peut se passer d'intrigue et même de péripéties; il peut se jouer entre les alcôve; la société l'ignorerait sans les romanciers, dont le cœurs sans aucun fait-divers, dans un salon, dans une métier est de révéler les choses incorrectes, les désordres cachés.

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L'Egarée sur la route se passe donc à Paris dans la bonne société ; et la ressemblance à Fort comme la mort Olivier Bertin voit troubler sa vieille et paisible liaison avec s' tend au sujet même. Chez Maupassant, le grand peintre Mme de Guilleroy par l'apparition d'Annette, fille de sa maîtresse; cette adolescente lui inspire une passion funeste: il aime en elle la jeunesse retrouvée de son amie; ni les convenances, ni le dévouement de celle-ci, qui sait son éga rement, ni le mariage d'Annette ne peuvent guérir cet amour. Il se tue à la fin; et cela démontre que l'amour est peut-être fort comme la mort, mais en tout cas moins fort que la vie, quand les lois de la vie s'y opposent. Si l'on prenait le titre au sérieux, si l'on voulait voir l'amour agir tout pur, je veux dire tout brut, sans humanité, sans conscience, c'est plutôt dans le roman de M. Chérau qu'il faudrait le chercher.

(1) Ferenczi, éditeur, ]

Et pourtant l'Egarée sur la route se termine bien, ayant mis dans son jeu, si je puis dire, la bonne nature, un souci médiocre de la morale ordinaire, et plusieurs autres circonstances favorables. Ici le grand peintre est le paysagiste Bertrand Gallois, quinquagénaire, homme superbe (comme son nom l'indique). Sa maîtresse s'appelle Rose Againe ; elle a trente-sept ans ; sa fille Gertrude en a dix-neuf, mais c'est une jeune personne moderne, les temps ayant changé et les mocurs. Elle est éprise de Bertrand sans se le cacher trop longtemps à elle-même, sans le cacher trop bien à lui. Heureusement, les amours de Bertrand et de Rose sont inatta quables, indestructibles, cimentées par la volupté parfaite, la prédestination physique. Quand Bertrand aura e: tendu Gertrude, mariée depuis quelques heures à un bon jeune homme, lui avouer sa passion en face, l'appeler son beau seigneur, s'offrir comme compagne, comme maîtresse, comme servante, il aura la sagesse de lui parler en beaupère et même en homme d'âge. Il l'envoie « sur la route, sur la route magnifique qui monte, qui monte » c'est-à-dire sur la vie toute neuve. Elle n'y sera plus égarée.

Cela n'empêche que le lecteur conserve des doutes sur l'avenir de cette petite femme. Elle a tout ce qu'il faut pour essayer plusieurs sentiers défendus. Et Bertrand Gallois qui reste l'amant de sa mère, n'en deviendra pas le mari ; Mme Againe, après avoir si longtemps dissimulé sa liaison, refuse d'en faire « un bonheur bourgeois ». L'amour triomphe, donc il triomphe même avec tant d'assurance et d'ostentation que l'on devrait concevoir quelques craintes. Et c'est ici que je voudrais m'expliquer.

Ne soyons pas dupes en effet de la fable née de la situation dont le dramatique est moins touchant qu'il ne semble, bien moins, en tout cas, que dans Fort comme la mort. L'Egarée sur la route par son titre ancien abuse un peu le lecteur ce n'est pas Gertrude qui en fait le sujet principal; c'est l'amour de sa mère et du magnifique Bertrand. Cet amour n'est guère menacé de l'extérieur; il ne progresse ni ne diminue. Le livre tout entier se réduit à son chant. d'allégresse, à sa proclamation de victoire. L'intrusion de la jeune fille sert à peine de réactif à une passion si absolue. Et pourtant la première moitié de l'ouvrage tendrait à nous faire croire qu'un vrai drame de jalousie va éclater entre la mère et l'enfant. En réalité, elle est consacrée à nous marquer la surveillance mutuelle de ces deux êtres. Rose se croirait déshonorée de dévoiler sa liaison, Gertrude se croit piquée envers Bertrand de curiosité, de colère et d'admiration. Quant à nous, pas un moment ces fauxsemblants ne nous voilent le conflit véritable, qui serait une

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rivalité déclarée, et qui n'éclatera pas. On peut faire honneur à M. Chérau d'avoir renouvelé ainsi le sujet, de lui avoir enlevé jusqu'au soupçon de romanesque les mêmes épisodes qu'il nous conte, petits mensonges surpris, visites inutiles, explications manquées, tous restent dans cette vraisemblance que la vie privée perd rarement pour s'élever au tragique. Cela n'empêche que tout le récit ne soit robuste, net, dépouillé, sans jamais rien d'oiseux ni de médiocre. Pour un roman « mondain » la gageure était difficile à tenir.

Mais le vrai sujet a besoin d'une autre condition pour se dévoiler. Or, le vrai sujet, c'est la déclaration d'un amour libre devant Dieu et devant les hommes. Sujet lyrique plutôt que romanesque, et que des péripéties serviraient assez mal. Mme Againe, ayant surpris chez sa fille une obsession de Bertrand, qu'elle tient à bon droit pour dan gereuse, croit donc un instant qu'il est de son devoir de changer un peu d'air. Elle part pour le Midi avec sa fille ; Bertrand vient l'y rejoindre, l'y reprendre ; au fait ils n'ont jamais eu idée de rompre ni de se séparer vraiment. Voilà tout l'épisode. Il est maigre. Il a la nudité d'une histoire vraie; les détails d'une aventure si restreinte emportent la créance quand on lit le livre ils sont même gênants comme ceux d'une confidence privée, sans grande ampleur; mais résumer l'ensemble, y chercher une ligne dramatique, ce serait le trahir. Cette étude de psychologie pure, subtilement dessinée, n'a guère plus de théâtral que la vie même. Peut-être aussi n'a-t-elle guère plus de sens qu'un cas particulier, un chapitre de mémoires. Mais si l'on aime la vérité en soi, une histoire d'âme authentique, c'est déjà beaucoup.

M. Gaston Chérau trouverait sans doute que ce n'est pas assez, car sa préface et quelques passages du livre ressemblent un peu à des manifestes, pour justifier le sujet qui reste en dernière analyse savoir un hymne à l'amour. Ce serait trop simple, s'il ne s'agissait, en termes exprès, de l'amour complet, savoir de l'amour physique. « La plus noble des joies corporelles... Pourquoi rougir de parler de ce bonheur... ? » C'est l'auteur qui parle. Voici maintenant Mme Againe, en termes que je coupe et censure: « C'est Dieu qui nous a donné notre chair. Alors c'est dans le moment où le cœur et les sens sont si bien accordés que nous nous approchons le plus de Lui... etc. » Il y a là plusieurs pages sur l'oreiller que je ne résume pas, parce qu'on les devine; depuis George Sand le thème en est connu. Lélia disait déjà à son amant : « Tu es le fil qui me rattache à Dieu. » Et les imprécations de Mme Againe contre la morale chrétienne (Les prêtres nous racontent que nous nous damnons? C'est abominable, etc., etc...) sont conformes à une tradition respectable (Dieu n'a pas voulu que les hommes se torturent, Dieu a voulu qu'ils soient heureux, etc... Un péché, çà ? etc...). La question d'ailleurs est insoluble, elle est d'ordre métaphysique. Il est malaisé de convertir les adeptes du pessimisme et du renoncement à l'ethique apollinienne; et la réciproque aussi. L'amour ou la haine de la vie, c'est affaire de tempérament. Je vois bien dans quel sens Mme Againe prendrait ce dernier mot. Cette personne « vésuvienne », ni ses théories sur la bonne nature n'ont d'ailleurs à être jugées qu'à l'égard du

roman. Et c'est là qu'il faut rappeler à M. Chérau quelques du libre amour, par l'erreur, la malignité, la haine du genre vérités paradoxales.

D'abord pour être franc, l'exaltation de l'amour forme un bon thème en littérature; mais l'exaltation du bonheur en fait un déplorable. De même que les peuples tranquilles n'ont pas d'histoire, les amants comblés ne sont guère objet de roman. Pour deux raisons aussi générales l'une que l'autre le bonheur n'est, certes pas, moins perceptible aux hommes que le malheur, mais il est moins susceptible d'analyse, d'explication, d'explicitation; c'est une banalité, une évidence, sans prétention philosophique que le douloureux est plus positif dans la vie que l'agréable, lequel représente un équilibre, une plénitude (d'ailleurs passagère) et qui tend, faute de variété, à l'inconscience.

D'autre part, la peinture du bonheur amoureux, entendez le bonheur charnel, n'est pas si fertile qu'on le croit: car, tous les psychologues l'accordent, rien n'est si individuel, rien n'est si impropre à éveiller la sympathie. Un homme normal est indifférent aux plaisirs d'autrui, plutôt hostile même; car l'amour est par essence une ardeur égoïste, une affirmation du moi. Il ne suffit pas qu'elle soit semblable chez tous les êtres pour être aussi en commun: la vie est commune à tous les vivants (belle trouvaille) et cependant les oppose essentiellement les uns aux autres ! Aussi le héros de M. Gaston Chérau, que son amante traite de beau Dieu et de mille autres gentillesses touchantes, ce costaud tant aimé, n'en est pas pour cela plus aimé du lecteur. Son amante incomparable, et leurs ébats, ne sont pas non plus aussi admirables qu'on pourrait croire, et cet échec n'est pas dû le moins du monde aux préjugés chrétiens, mais bien à la nature même ; ou à la tradition sociale, dont on me fera croire avec peine qu'elle se trompe sur les lois naturelles. Ainsi Rose Againe dans ses lyrismes, Rose Againe dans ses expansions, Rose Againe dans ses impudeurs (prenons le mot conventionnel) rompt avec une vieille règle qui est la réserve féminine, l'hypocrisie si l'on veut, mais qu'on ne renverse pas impunément. Cette personne semble croire que les masques de la morale ont été posés sur le visage

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humain. Ce n'est pas sûr. L'amour a des conséquences sociales; la société a eu tôt fait de s'en aviser et de le régenter. S'il y a des lois divines, elles recouvrent et renforcent probablement des lois humaines, sans quoi (je n'excuse du prudhommisme) il y aurait vite moins de passions sublimes que de chiennerie, et en tout cas pas de littérature. Car la littérature, et tout le pathétique des hommes, naît de ce qu'ils n'ont pas droit, en aucun domaine, à toute la liberté...

L'Egarée sur la route en forme d'ailleurs un bon exemple. L'histoire prouve que l'amour suit justement des règles qui oppriment les uns (Gertrude en l'espèce) pour favoriser les autres. Qui pourrait, en effet, dire de quel côté sont les vrais droits, la vraie passion, le vrai bonheur ? C'est après coup que les personnages en jugent, et non selon l'économie probable de la vie, qui exige qu'un couple plus vieux cède à un plus jeune. Dans cette hésitation-là résidait l'égarement. Le retour au sens commun, voilà la route. Il se trouve que sur cette route cheminent deux amants parfaits, deux amants comblés. C'est bien par hasard.

M. Gaston Chérau n'a pas abdiqué, cette fois-ci, ses préférences ordinaires. Bien que d'une psychologie nuancée et exacte, ses personnages restent en somme peu compliqués : dans un autre milieu social, ils montreraient au fond plus de pathétique encore. Car je me demande si le cadre mondain ne banalise pas un peu le drame d'une passion si proche de la nature. Une conversation au téléphone (dont il y a ici des exemples) reste moins touchante qu'une discussion face à face, tout en prenant un dramatique particulier. Les malentendus que la courtoisie, la vie citadine, entretiennent et aggravent, forment aussi un excellent ressort de l'action psychologique. La retenue enfin des gestes (en société du moins) et des sentiments apparents accroît la force des choses cachées. Et malgré tout, il reste dans certains épisodes un peu d'arbitraire et de factice : le vrai n'est pas toujours le plus plausible dans la vie. Si l'Egarée sur la route était porté au théâtre, en dépit d'un manque de progression évident (tous les personnages sont fixés vers la 40 page) cela ferait une pièce robuste et charpentée. Une autre observation où ne manqueront pas les lecteurs, c'est que M. Chérau n'a pas laissé périr, même en cette occasion le romancier rustique. Certaines comparaisons le révèlent en pleine psychologie (elle avait senti passer une menace pareille au grand souffle qui se lève par un jour clair du bel été... (ici huit lignes d'ailleurs très belles) ou bien à l'horizon de ces complications un éclatant et même point lumineux apparaissait, bref, net comme la lumière d'une maison forestière que... (etc...). Et cela est très bien, cela aide à replacer ce roman dans une œuvre déjà si admirée et, comme on dit, si classée.

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ANDRÉ THÉRIVE

Successeur de Librairie Jules MEYNIAL E. JEAN FONTAINE

30, Boulevard Haussmann, PARIS. Tél. : Central 85-77 Grand Choix de Beaux Livres Anciens et Modernes. Achats de Livres et de Bibliothèques.-Direction de ventes publiques, Expertises. Catalogue mensuel franco sur demande.

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