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les diverses banques centrales ait été sérieusement atteinte. Elle devait plutôt être renforcée du fait qu'une des banques se trouvait momentanément détentrice d'une créance considérable sur l'une de ses voisines et se trouvait ainsi directement intéressée à la défense de la monnaie de sa débitrice.

Cette solidarité a été évidente dans l'exemple de la Banque de France et de la Banque d'Angleterre et nul ne conteste aujourd'hui les efforts accomplis par la Banque de France pour éviter de gêner la Banque d'Angleterre. Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'une des raisons pour lesquelles se prolonge la période de stabilisation de fait réside dans le désir d'éviter qu'une stabilisation légale soudaine ne donne le signal d'une trop brusque résiliation des crédits à court terme grâce auxquels la spéculation étrangère sur le franc a obligé notre institut d'émission à constituer le formidable portefeuille de devises que l'on sait. RENÉ PLEVEN.

NOTES ET FIGURES

Balzac collégien

Voici la rentrée. En cette année vouée au romantisme, évoquons le souvenir de Balzac au lycée de Vendôme, lycée fameux peut-être à cause du souvenir des Oratoriens qui fondèrent cet établissement au XVII° siècle, mais bien davantage par la longue description qu'en fit Balzac dans Louis Lambert, œuvre, non pas la plus importante, mais l'une des plus intéressantes de l'auteur de la Comédie humaine. Publiée en 1833, vingt ans après la sortie du collège de Balzac, cette autobiographie fut conçue sous le coup des influences de René, d'Obermann, de Joseph Delorme, et de tous ces types factices et maladifs qu'abandonna pour sa gloire le grand observateur. Louis Lambert fournissait au romancier l'occasion de décrire ses émotions d'enfance et de jeunesse sans se mettre directement en scène, méthode qu'il détestait. « Louis Lambert et lui ne font qu'un, c'est Balzac en deux personnes », écrit sa sœur. Et il faut croire en tout cette femme distinguée, qui a laissé un livre si sincère sur sa famille, sur son frère aîné.

La congestion d'idées dont fut attaqué Balzac pour avoir dévoré en gourmand la bibliothèque des Oratoriens, prouve à quel point concorde avec l'étude analytique que consacre plus tard le romancier au pseudo Louis Lambert le récit de Mme de Surville: « Balzac avait quatorze ans quand M. Mareschal, le directeur du collège, écrivit à notre mère, entre Pâques et les prix, de venir en toute hâte chercher son fils. Il était atteint d'une espèce de coma qui inquiétait d'autant plus ses maîtres, qu'ils n'en voyaient pas les causes. Mon frère était pour eux un écolier paresseux; ils ne pouvaient donc attribuer à aucune fatigue intellectuelle cette

espèce de maladie cérébrale. Devenu maigre et chétif, Honoré ressemblait à ces somnambules qui dorment les yeux ouverts; il n'entendait pas la plupart des questions qu'on lui adressait, et ne savait que répondre quand on lui demandait brusquement: « A quoi pensez-vous ? Où êtes-vous ? >>

Cette maladie bizarre, Balzac en dit de son côté quelques mots dans Louis Lambert : « Six mois après la confiscation du Traité sur la Volonté, je quittai le collège. Notre séparation fut brusque. Ma mère, alarmée d'une fièvre qui, depuis quelque temps, ne me quittait pas, et à laquelle mon inaction corporelle donnait les symptômes du coma, m'enleva du collège en quatre ou cinq heures. » A quelle cause était dû cet état de santé si particulier ? Balzac l'explique en le reportant au compte de son héros fictif : << Soumis, dès l'enfance, à une précoce activité, due sans doute à quelque maladie ou à quelque perfection de ses organes; dès l'enfance, ses forces se consumèrent par le jeu de ses sens intérieurs et par une surabondante production de fluide nerveux. Homme d'idées, il lui fallut étancher la soif de son cerveau qui voulait s'assimiler toutes les idées. De là, ses lectures; et de ses lectures, ses réflexions qui lui donnèrent le pouvoir de réduire les choses à leur plus simple expression, de les absorber en lui-même pour les y étudier dans leur essence. Les bénéfices de cette magnifique période, accomplie chez les autres hommes après de longues études seulement, échurent donc à Lambert pendant son enfance corporelle; enfance heureuse, enfance colorée par les studieuses félicités du poème. Le terme où arrivent la plupart des cerveaux fut le point d'où le sien devait partir un jour à la recherche de quelques nouveaux mondes d'intelligence. »

Balzac étonna ses camarades davantage qu'il ne leur inspira de sympathie. Il ne savait ni jouer à la balle ni monter sur des échasses. Etranger aux plaisirs de ses condisciples, il restait seul, mélancolique, assis sous quelque arbre de la cour. << L'intinct si pénétrant, l'amour-propre si délicat des écoliers leur fit pressentir en nous (lisez: en moi, Balzac) des esprits situés plus haut ou plus bas que n'étaient les leurs. De là, chez les uns, haine de notre muette aristocratie; chez les autres, mépris de notre inutilité. Ces sentiments étaient entre nous à notre insu; peut-être ne les ai-je devinés qu'aujourd'hui. Nous vivions donc exactement comme deux rats tapis dans le coin de la salle où étaient nos pupitres, également retenus là durant les heures d'étude et pendant celles des récréations. Cette situation excentrique dut nous mettre et nous mit en état de guerre avec les enfants de notre division. >>

Dans le roman, Balzac fait partager ce poids d'antipathie à deux êtres : Louis Lambert et lui. La réalité fut plus dure encore. Ses camarades abusaient de leur force vis-à-vis de lui; il répondait par le mépris. Au collège, la force, l'adresse priment tout. Balzac, aux yeux de ses camarades, n'était pas même rehaussé par sa supériorité en classe: accablé de pensums, obligé de tendre la main aux férules, le plus souvent en prison, tel était alors le mauvais écolier que ses

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maîtres ne pouvaient offrir en exemple aux collégiens. | L'élève Balzac connaissait bien le père Verdun, le portier du lycée chargé d'enfermer les paresseux dans les « culottes de bois », dont parle le romancier à l'un de ses rares amis de collège. << Quand David inaugurera sa statue de Jean Bart, écrit-il, en 1844, à M. Fontemoing, avocat à Dunkerque, peut-être irai-je jouir de ce spectacle, et alors nous aurons bien un ou deux jours pour nous souvenir des culottes de bois et autres vendômoiseries. >>

Le système des « culottes de bois » a, malheureusement pour les biographes, heureusement pour l'hygiène, disparu des dortoirs où les récalcitrants étaient enfermés jusqu'à ce qu'ils revinssent à de meilleurs sentiments. Il s'agissait d'une sorte de confessionnal particulier à chaque collégien, et que Balzac a décrit avec détails : « Là, plus libres que partout ailleurs, nous pouvions parler pendant des journées entières, dans le silence des dortoirs où chaque élève possédait une niche de six pieds carrés, dont les cloisons étaient garnies de barreaux par le haut, dont la porte à claire-voie se fermait tous les soirs et s'ouvrait tous les matins sous les yeux du Père chargé d'assister à notre lever et à notre coucher. Le cric-crac de ces portes, manœuvrées avec une singulière promptitude par les garçons du dortoir, était encore une des particularités de ce collège. Ces alcôves ainsi bâties nous servaient de prison, et nous y restions quelquefois enfermés pendant des mois entiers. » Singulier mode d'instruction! Un emprisonnement cellulaire de plusieurs mois ! Il est vrai qu'une telle détention paraissait moins longue à des élèves qui ne sortaient jamais de l'enceinte du collège, pas même aux vacances, tant que duraient leurs études.

Cependant, que faisait-on, interné dans ces « culottes de bois? Balzac l'a dit en prouvant que tout prisonnier contient un Silvio Pellico : « Les écoliers mis en cage tombaient sous l'oeil sévère du préfet, espèce de censeur qui venait, à ses heures ou à l'improviste, d'un pas léger, pour savoir si nous causions au lieu de faire nos pensums. Mais, les coquilles de noix semées dans les escaliers, ou la délicatesse de notre ouïe nous permettaient presque toujours de prévoir son arrivée, et nous pouvions nous livrer sans trouble à nos études chéries. Cependant, la lecture nous étant interdite, les heures de prison appartenaient ordinairement à des discussions métaphysiques, ou au récit de quelques accidents curieux relatifs aux phénomènes de la pensée. » Ce fut là que le père Verdun emprisonna et délivra souvent l'enfant; parfois, il le conduisait dans une prison plus rigoureuse, annexe du collège.

Qu'importait à Balzac ! Il n'avait pas d'amis autour de lui, pas de coeurs sympathiques pour le comprendre, et les murs du collège lui semblaient plus sombres que ceux de sa prison. « Cet aigle qui voulait le monde pour pâture, se trouvait entre quatre murailles étroites et sales; aussi, sa vie devint-elle, dans la plus large acception de ce terme, une vie idéale. » Ce que comprenait le principal du collège est inscrit sur le registre de sortie des élèves, un ancien volume relié en parchemin, que l'on peut consulter à la mairie de Vendôme. Page 7, nous lisons : « N° 460. Honoré Balzac, âgé de huit ans cinq mois; a eu la petite vérole, sans infirmités. Caractère sanguin, s'échauffant facilement et

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LITTERATURE
Poètes

Il est entendu que les poètes ont l'éternité devant eux. Mais ce n'est pas une raison pour leur refuser l'actualité. S'il subsiste une hiérarchie des genres littéraires, on peut penser qu'elle met encore le lyrisme à la place d'honneur. pour peu qu'elle soit une hiérarchie morale, la hiérarchie du désintéressement... D'ailleurs, rien n'est plus facile que de parler des bons poètes : ils n'en appellent qu'aux lois du goût, tandis que les romanciers accordent leurs attention à mille choses temporelles qui les menacent de caducité. La lecture des poètes est, au surplus, très instructive. Leur nombre est en somme restreint, leurs tendances aisées à classer. Et ainsi, à peine publiés, ils semblent entrés dans l'histoire.

Aujourd'hui, le bilan annuel permet d'assurer comme d'habitude, deux vérités assez claires. La poésie semble rallier plus délibérément que jamais la route traditionnelle. La liberté absolue de la forme n'a produit, comme on pouvait s'y attendre, aucun chef-d'œuvre évident que serait, en effet, je vous prie, un chef-d'oeuvre non formel, c'est-àdire de technique arbitraire ? l'expression même est contradictoire. Les règles du langage et de la métrique règnent presque aussi rigoureusement que jamais, en dehors de quelques avancés qui font plutôt figure de retardataires, et que personne ne lit (soyons sincères).

Ensuite, il paraît que la poésie redevient classique par un chemin plus détourné elle ressemble de plus en plus à la poésie « mineure » des grands siècles, c'est-à-dire qu'elle est volontiers spirituelle, galante, satirique, bref, plus intellectuelle que sentimentale. Le romantisme empha tique est bien malade. Les maîtres badins du XVIIIe siècle, et La Fontaine, et Chénier et Marot, et Gérard de Nerval, voilà les astres qui dominent l'horizon. Quand, il y a quinze ans, s'établit une école appelée « fantaisiste » - titre un peu ridicule, quoique modeste, car on conçoit mal la fantaisie érigée en principe - on n'aurait pu prévoir sa fortune et son influence. Qu'il suffise pourtant de songer à l'exemple de Toulet, et on ne sera plus très surpris. On peut dire que l'âge symboliste est définitivement achevé.

J'écrivais plus haut que personne, hors quelques snobs et étrangers, ne lit la poésie « d'extrême gauche ». En revance, on ne saurait douter qu'il n'y ait un public pour la coésie <<< d'extrême droite ». Il est à remarquer qu'elle est atiquée par des Méridionaux, presque exclusivement. La atistique serait curieuse à faire; mais je la laisse aux abricants de manuels. Il n'y a pas d'excellents poètes méconnus. On peut même dire qu'un succès limité, mais apide, couronne le moindre débutant qui sache plaire, piquer et charmer. Naturellement, les plus sourcilleux, les Jus austères, attendent plus longtemps cette fortune. SonFez à la patience de M. Valéry, à celle de M. FrançoisPaul Albert. Mais la génération de M. Tristan Derème a plus de fées souriantes penchées sur son berceau.

M. André Berry en forme un exemple. Son livre de début Lais de Gascogne et d'Artois (1), formé de ballades pittoresques et élequentes, avait su se faire une excellente presse. Le nouveau recueil Sonnets pour Marise (2) se présente comme une espèce de roman lyrique et picaresque ; il conte les péripéties d'un amour plein d'idéalisme et de gaillardise, et qui, bien entendu, ne finit pas très bien. Le mélange est savoureux. M. André Berry a beaucoup fréquenté les auteurs gaulois du XVIIe siècle, et aussi les poètes anglais de l'époque shakespearienne: Spenser et Marlowe; un pétrarquisme mêlé d'humour marque son inspiration à la fois libre et savante. D'ailleurs ses amours se déroulent en Angleterre, mais l'auteur est gascon. Ses vers sentent le malvoisie, le gin et le pique-poul :

N'allez pas mépriser pour la décrépitude
De ses souliers béants et de ses pantalons

Qui, durs de limon sec, tombent sur ses talons,
Le malheureux poète appauvri par l'étude.
Affectez une calme et clémente attitude
Devant l'habit qu'il porte à travers les salons,
Verdi dans vingt comtés par l'herbe des vallons
Orné de fils épars, d'accrocs en multitude,
Evitez d'accabler d'un cruel désaveu
Le gilet dont lui-même a refait la couture
Avec du coton noir que le temps a fait bleu,
Où sa montre, à l'Etat prêtée à faible usure,
Laissa pour souvenir un cercle de râpure:
Ne le méprisez pas. Plutôt, reprisez-le.

Voici, à la façon des basochiens lettrés de la grande poque, une déclaration de platonisme superbe :

Allez! votre mépris n'est pas un trait qui perce:
Avant vous Cynthia se moquait de Properce,
Mais il n'en référait qu'aux avis des Romains,
Pourvu que de sa Dame il eût fait riche éloge
Il soufflait sa lanterne en dégrafant sa toge
Et s'allait mettre au lit en se frottant les mains.

Enfin, ce sonnet enluminé et philosophique :

Puisque fai par ses soins, en dix funestes mois,
De mes illusions perdu le patrimoine.

(1) et (2) Jouve, éditeur,

Je veux gagner, dévot, la grotte où Saint Antoine
Priait pour assoupir ses fols sens aux abois,

Dans une pâte d'orge au fond d'un bol de bois
Tremper le pain de seigle et le gâteau d'avoine,
Prendre pour compagnon le porc, ami du moine,
Traire l'eau de la source et le lait du chamois.
Puis, tendant de longs bras, honteux d'être coupables,
Vers ces membres royaux de luxure incapables,
Sorcier les évoquer par incantation,

De mes vœux dans mon rêve évoquer la princesse
Et goûter, savourer et déguster sans cesse
Les plaisirs éternels de la tentation.

'M. René Chalupt a donné le titre d'Onchets (1) à un album luxueux, décoré par Paul Véra. Cette petite impertinence envers le lecteur donne déjà le ton du charmant ouvrage, car onchets est, d'après les dictionnaires, la forme ancienne de jonchets, et cela symbolise, vous comprenez, un jeu galamment inutile, un désordre de menus objets précieux... Puisque M. Chalupt est musicien et musicographe, on ne saurait mieux comparer sa poésie qu'à ces mélodies très modernes qui sont excessivement brèves, dissonantes à plaisir, et gracieuses avec acidité. Un peu d'arbitraire subsiste bien dans la forme, car les musiciens en poésie entendent des accords que le vulgaire ne démêle pas toujours, faute d'oreille aussi subtile. Les soirées de Pétrograd sont d'ailleurs connues depuis des années. On les chanta à la S. M. I. vers 1921. Mais y a-t-il une poésie plus délicate et plus significative à son propos que cet Hommage à Erik Satie:

...Arcueil, Arcueil !

Sur un ordre de la mairie
On a repeint le ciel à neuf

Et le vieil aqueduc accueille

De folâtres holothuries.

Voilà si longtemps qu'il est veuf

De la défunte aqueduchesse

Que les larmes sont sèches

Et archisèches !...

De même cette petite pièce « A traduire en esthonien »

et qui est exquise :

N'avez-vous pas un porte-plume?
Non, mais mon frère a un crayon,
Le forgeron frappe l'enclume,
Le soleil cache ses rayons.

J'ai perdu la clef du pupitre.
Pourquoi gronde-t-il la servante ?
Parce qu'elle a cassé la vitre.
La sœur cadette est plus savante

Mais la plus belle est la puînée... (etc)

Ou je n'y connais rien, ou cette fantaisie bizarre et tendue approche de la fameuse poésie pure. M. André Castagnon, il me semble, y atteint absolument : c'est encore

(1) Imprimerie Frazier-Soye, et R. C., 30, rue La Boétie.

un de ces poètes faciles et difficiles, suaves et compliqués, que le siècle a dégoûtés de l'orchestration et même de toute rhétorique. Son art, à mi-chemin entre Mozart et Debussy, garde pourtant une aisance et une grâce incomparables. On pourrait le comparer à celui de M. Tristan Klingsov, dont cependant je saisis moins bien les rythmes et les intentions. Chaque vers de M. Castagnon déborde d'allusions, de mouvements éludés, d'émotions esquissées; les points d'orgue, les silences conspirent, eux aussi, à l'harmonie cachée de ses accents. Cela n'est guère fait pour la déclamation, et si les gens de 1830 revenaient, ils seraient bien étonnés d'entendre ces murmures suaves, ces vibrations discrètes, ces cadences rompues. Au surplus, la langue est un peu alourdie parfois par sa recherche de la légèreté : cet effet paradoxal vient des concisions brusques, des archaïsmes un peu raides. Il semble que l'aisance absolue devrait se voir sacrifier davantage. Mais, ceci dit, la poésie de M. André Castagnon est presque unique, et on la reconnaîtrait entre mille. Voilà le meilleur éloge qu'on en puisse faire.

Croyez-vous qu'un poète de ce genre aille décrire le printemps en Bohême, où il se dit exilé, ou même annonce qu'il va parler de cette saison, de ce pays? Non, c'est au lecteur de saisir les frémissements presque impalpables du sens et des mots :

...Voyez où vous m'avez réduit,

Pays

Dont le climat est un oiseau sauvage.
...Vous auriez bien aussi quelques charmes,
Pays dont un saule est l'olivier
Et sauterelle la cigale.

« Mignonne, levez-vous, vous êtes paresseuse >>
Soleil est revenu, là tout est oublié

Les filles vont au bois encore un peu frileuses, Et tout l'après-midi un coucou a chanté. L'avant-dernier vers n'est-il pas un des plus jolis qu'on puisse lire ? le contraste du précédent, et sa langue insolite, n'en est peut-être que plus rude, mais dans ce genre il ne faut pas chercher l'unité de ton.

Parfois, cette poésie qu'il faut appeler quintessenciée, au sens vrai et sérieux de cette épithète, se réduit à une chanson, à une épigramme, à une inscription votive: A preuve ce quatrain :

Un peu plus tôt, un peu plus tard.

La lumière brille, l'eau court.

On naît, on meurt comme à colin-maillard.
Nous ouvrirons les yeux un jour.

De la minuscule pièce appelée Marine, ravissante chinoiserie :

Une bête à bon Dieu est dans ce coquillage:

Sur les flots allez tous deux,

bête à bon Dieu

et coquillage.

Je m'en voudrais d'expliquer le symbole ironique et de "marquer la grâce de ce rythme décroissant qui représente

la fuite de deux choses au fil du destin, plus petites, plu touchantes à mesure qu'elles disparaissent... A l'inverse voici sur Venise une stance pleine d'ampleur et de fe meté, dont la concision pourtant craque de partout: 'Amour, pour qui ma lyre inventa des royaumes, Tu ne vivras qu'autant que je t'aurai chanté. Les chevaux de Saint-Marc ont su traîner le dôme Jusqu'à la mer: Amour, pourquoi m'abandonner? Le fruit tient de sa fleur un renaissant arôme Et l'automne n'est beau qu'après un bel été.

Les thèmes des Quatre Saisons. (1) vont de l'Ile-de France à l'Italie, et de l'Italie à Charles Perrault; I désordre voulu des sujets forme le système propre du re cueil. On pourrait en tirer une conclusion sur la poésie mo derne, dont le singulier est d'avoir rompu en somme le transitions et les associations de la pensée discursive e même de la rêverie normale. Impressionnisme, ce mot es passé de mode, après avoir servi dans tous les arts d'épou vantail aux bourgeois. Il reste bon cependant, pour nom mer cette démarche de la pensée, nonchalante d'apparence mais très appliquée au fond, qui a remplacé, dans la plu part des vers, la logique, l'éloquence, les procédés commun jadis aux vers et à la prose. « Pour viser juste, il faut alle vite », écrit M. Castagnon. Ce pourrait être aussi un pré cepte de M. Cocteau. Bref, c'est l'éloge de l'intuition e des désinvoltures du génie. Elles ne valent que ce que vau ce génie lui-même. La Fontaine et Toulet, qui semblen parmi les maîtres de la poésie la plus nouvelle, n'étaien pas des auteurs spontanés: ils s'efforçaient de le paraître La naïveté est parfois un masque du maniérisme; alo l'échec est complet. Parfois aussi quelques poètes se ren contrent qui, simulant la simplicité la réalisent auss M. Castagnon est un de ceux-là. Il consent quelque part nous avouer son art poétique, qui n'est pas une doctrine d l'indolent et du bâclé :

Car pour qu'il sonne juste et sans défaut,
J'aurai roulé mon vers comme un galet la vague

Toute la querelle, ou plutôt toute la difficulté devant public, se résout à faire admettre comme plausible ce qu

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chez le poète, est capricieux (ses mots, son rythme, la suite l'emploi de ce néologisme n'est pas sans présenter parfois cerde ses images), et mieux encore, comme nécessaire.

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Voici une bien amusante épreuve de la feuille 13 de la première édition in-8°, du Lys dans la Vallée, de Balzac, avec << le bon à tirer » de l'auteur. Lisez ce texte commençant au haut de la page 296 du premier volume :

« Lumière de la foudre. Combien de plaisirs suaves ne goûtai-je pas, voilà deux fois que je corrige tout le passage en voyant que chez nous ces pensées, ces ressentiments étaient réciproques. De quel oil charmé et je m'étonne que les fautes soient restées. Revoir la première, je suivis le progrès du bonheur chez Henriette. Une femme qui sévit sous les regards de l'aimé, épreuve, car j'ai oublié ce qui était écrit ; je supplie M. Albertin de donner des ordres pour qu'à l'avenir Mme de Mortsauf, renaissant à la vie naturellement, comme les effets du mois de mai sur les prairies, comme ceux du soleil sur l'onde et sur les fleurs abattues, de pareilles choses ne se renouvellent pas, sans quoi je dirai à l'éditeur de changer d'imprimerie. Ce désordre si intolérable comme notre vallée d'amour. Henriette avait eu son hiver; elle renaissait comme elle au printemps. Avant le dîner... >>

Comprenez-vous ?

Ce qu'on doit comprendre, c'est que Balzac ayant précédemment fait sur les épreuves des corrections qui n'avaient pas été exécutées, sa mauvaise humeur s'était épanchée sur la marge de la nouvelle épreuve, à l'endroit non corrigé, et qu'il renvoyait l'imprimeur à ses corrections pour donner son «< bon à tirer ». Mais qu'avait fait l'ouvrier? Distrait, étourdi ou peut-être rancuneux des reproches, il avait confondu les lignes manuscrites de la marge avec les corrections et le texte imprimé, en recomposant le tout au hasard, et il en était résulté le galimatias que

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tains inconvénients. Mon excellent ami, M. Emmanuel Philipot, m'a signalé, il y a quelque temps, un souvenir de guerre curieux, se rapportant à notre verbe. Voici ce qu'il m'écrivait dans une lettre datée du 21 novembre 1924 : « Un ancien collègue à la Maison de la Presse (où j'ai tenu le porte-plume pendant les quatre ans de guerre) m'a rappelé le monumental contresens commis par l'un des nôtres, traducteur sommeillant et passif : « L'état-major français a pleinement réalisé les intentions de l'ennemi. » Cette traduction absurde, imprimée par mégarde dans notre Journal de la Presse Etrangère, causa un petit scandale. Tout le monde comprit que notre état-major avait lamentablement subi la volonté de l'ennemi et agi conformément aux plans allemands, alors que le texte anglais voulait dire que notre état-major avait au cont: aire pénétré complètement toutes les intentions de l'ennemi.

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<< Hymne égyptiaque. Grande Théophanie géométrique sur le Nil apyramidal au nôme paléomemphitique. Sur le Noum éternel, salut à la barque sainte qui, sous les rayons d'« Atoum », porte le nouvel hiératisme équidomoïdal. Salut à celles qu'annoncent les sistres frémissants! >>

Tout le morceau est dans ce ton! Vous croyez qu'il s'agit d'une pièce dadaïste d'après guerre. No, ce texte que nous donne M. José Germain, dans l'Animateur des Temps Nouveaux, date de 1855 et a été écrit par un mathématicien distingué, le comte Léopold Hugo, fils d'Abel, frère aîné de Victor Hugo.

Est-ce à dire que le dadaïsme était déjà contenu dans le romantisme ?

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