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AFFAIRES

porter dans l'avenir la responsabilité de l'application du nouveau système monétaire. C'est précisément à propos de la constitution de cette banque qu'un conflit s'est élevé entre le gouvernement et le Parlement indiens.

Il y a, à l'échec du projet portant création de la banque d'émission indienne, des raisons publiques et des raisons inavouées. Les premières sur lesquelles l'opposition autonomiste a élevé le conflit avec le gouvernement, se rapportent à l'indépendance de la banque d'émission vis-à-vis de l'Etat et au droit pour la banque d'introduire dans la circulation des

ECONOMIQUES pièces d'or.
Au pays de l'étalon d'argent

Le principe de l'indépendance des banques centrales visà-vis de l'Etat, auquel les milieux financiers britanniques sont si profondément attachés, vient d'être la cause de l'échec du Bill présenté au Parlement de l'Inde par sir Basil Blackett, et qui devait marquer une étape essentielle dans l'acheminement du Continent Indien vers l'étalon d'or.

On sait qu'avec la Chine, l'Inde demeure la seule grande nation du monde dont la circulation monétaire soit fondée sur le métal argent. Il y a longtemps que le Gouvernement anglais se préoccupe de mettre fin à une situation de fait qui nuit au développement économique de l'Inde, gêne ses relations commerciales avec le reste de l'Empire britannique et expose l'économie indienne aux répercussions qu'entraîne la baisse toujours menaçante de la valeur du métal argent. Si l'on songe que depuis des siècles, toute l'épargne de l'immense majorité des habitants de l'Inde est constituée par la hésaurisation de pièces ou de lingots d'argent, il est facile e comprendre que l'instabilité des cours de ce métal et la minution progressive de sa valeur font peser un danger onstant sur l'économie indienne et, par contre-coup, sur économie mondiale.

C'est dans le but de déterminer comment l'Inde pourrait e peu à peu amenée à un régime monétaire plus normal e le Gouvernement britannique constitua, voici quelques nées, une Commission d'enquête, connue sous le nom de Commission Hilton Young ». Les travaux de cette Comssion aboutirent, le 4 août 1926, au dépôt d'un rapport I préconisait l'introduction de l'étalon d'or dans l'empire en. La principale originalité du système recommandé la Commission tenait en ce que l'étalon d'or devait ctionner sans circulation matérielle de métal jaune. Le rs de la roupie devait être fixé au taux de 1/6 d., taux une banque centrale à créer, et qui aurait reçu selon les les de l'orthodoxie financière le monopole de l'émission ciaire, aurait été chargée de défendre, au moyen d'imtations ou d'exportations de lingots d'or.

Le plan de la Commission fut adopté par le gouvernet de l'Inde, qui obtenait, après de longues discussions ote, au mois de mars dernier, d'un premier projet de loi nt le taux de la roupie au cours préconisé par la Comion Hilton Young. La deuxième étape à franchir était e la constitution de la Banque centrale, sur qui devait

Le projet Blackett faisait de la banque d'émission un organisme privé, réellement indépendant de l'Etat. La banque était une Société anonyme par actions, qui jouissait d'une liberté quasi absolue. Il y aurait beaucoup à dire au sujet de cette formule si chère à la finance anglaise et qui, à côté d'avantages évidents, présente certains inconvénients manifestes. Quoi qu'il en soit, les motifs financiers n'ont joué qu'un faible rôle dans l'opposition des autonomistes indiens au projet de loi. En réclamant la représentation directe du Parlement et des corps élus au sein du futur Conseil d'administration de la banque, il s'agissait bien davantage d'ouvrir une institution importante à la représentation parlementaire hindoue que de faire prévaloir telle ou telle formule finan

cière.

Par ailleurs, les politiciens hindous, dans le but de flatter l'amour-propre national, exigeaient que la banque fît pénétrer matériellement dans la circulation des pièces d'or à l'effigie du gouvernement indien. Cette revendication était complètement à l'encontre des recommandations de la Commission qui, en recommandant d'éviter la circulation or, avait voulu épargner à l'Inde et au monde les effets redoutables sur le marché du métal jaune. qu'aurait entraînés la demande de grosses quantités d'or pour les besoins de la circulation indienne. Mais la Commission mixte, chargée d'étudier le projet de loi sur la banque d'émission, s'est montrée insensible à cet argument de bon sens, puis, contre l'avis du conseiller financier du gouvernement de l'Inde, a décidé qu'un tiers des membres du Conseil de la banque serait Sir Basil Blackett a préféré retirer son projet et ajourner la désigné par le Parlement et les assemblées des provinces. réalisation de la réforme monétaire plutôt que d'accepter les innovations de la Commission.

La politique n'est pas seule responsable de l'opposition rencontrée par le gouvernement indien. D'importants intérêts se sont trouvés menacés par le projet créant la nouvelle banque d'émission, et des personnes averties prétendent que c'est l'influence prédominante de ces intérêts qui a finalement causé l'échec de la loi.

La banque centrale d'émission qui devait être organisée dans l'empire indien recevait non seulement le monopole de l'émission fiduciaire, mais aussi, dans le but de fortifier sa maîtrise du marché monétaire, des pouvoirs de contrôle, fort gênants pour les banquiers privés. Le projet de loi stipulat en effet que les banques privées exerçant leur activité sur le territoire indien devraient maintenir en dépôt, à la banque

d'émission, une proportion constante des dépôts à vue ou à court terme de leur clientèle. Comme la banque d'émission ne sert aucun intérêt, cette mesure impliquait pour les banquiers privés une perte sèche que ceux-ci évaluaient à 20 0/0 de leurs bénéfices nets annuels.

Il n'est pas encore possible de prévoir si des négociations de dernière heure permettront au gouvernement d'apaiser les inquiétudes des banquiers et, par là, de réduire l'opposition que son projet a rencontrée. Si aucun compromis n'intervient, c'est sans doute l'ajournement pour plusieurs années de la réforme monétaire dans l'Inde, c'est-à-dire le maintien des inconvénients si sérieux du régime actuel, ce qui n'est indifférent ni pour l'empire britannique ni pour le reste du monde moderne. RENÉ PLEVEN.

NOTES ET FIGURES
Le bi-centenaire du café

Le Brésil célèbre, ce mois-ci, le second centenaire de l'introduction du caféier sur son territoire. A la vérité, il le doit bien.

Si cette plante fut introduite en 1727 au Brésil par le capitaine Francesco de Mello, officier au service du roi Jean V de Portugal, le café était en usage de temps immémorial en en Orient. On croit qu'il est originaire du Yemen, ou Arabie Heureuse et, s'il faut ajouter foi aux dires de Schebhabeddum, auteur arabe du XVe siècle, le mufti d'Aden serait le premier qui fit usage du café au IX° siècle de l'Hégire. Toutefois, il est plus vraisemblable que cette plante vient de l'Ethiopie d'où elle passa en Arabie, à Aden, Kousma et Ghabi pour atteindre ensuite les ports de Moka et d'Alep.

Quelques poètes, persans affirment que l'ange Gabriel l'apporta lui-même du ciel à Mahomet pour rétablir sa santé ébranlée. Cependant que des historiens attribuent l'origine de l'usage du café à Omar, de l'ordre des Schatziles, supérieur d'un monastère de l'Arabie qui, pour empêcher ses moines de dormir pendant les offices nocturnes, leu fit boire de l'infusion du fruit de caféier. Mais la légende qui demeure la plus tenace en pays oriental en attribue la découverte au derviche Chadely.

Or donc, en ce temps-là, ce pauvre religieux mahométan était à peine en prières que l'assoupissement l'envahissait, 'détournant sa pensée et l'empêchant d'accomplir ses devoirs religieux. Tentait-il de s'abîmer en une oraison des plus ferventes qu'aussitôt le sommeil, aussi profond que celui d'Epimenide, s'emparait de lui. Il lamentait sa triste situation, s'accusait de tiédeur dans sa foi, se lacérant la poitrine de désespoir.

Ses plaintes furent entendues du prophète. Il lui fit ren

contrer un jeune pâtre qui lui conta avoir remarqué que lorsque les chèvres et les boucs de son troupeau avaien brouté les baies d'un certain arbre, ils étaient plus vifs plus éveillés. Chadely voulut connaître cet arbre : c'étai le caféier. Inspiré par le prophète il en expérimenta sur-le champ les effets. Et, en ayant absorbé une infusion, il s trouva aussitôt plongé dans une sorte d'exaltation agréabl qui, tout en lui laissant le contrôle de lui-même, tenait u long temps le sommeil éloigné. Il se rendit donc à la mos quée voisine et, le front sur le sol, après avoir remerci Allah, il fit part de sa découverte à ses supérieurs. Et, d ce jour, l'usage du café se répandit dans tout l'Orient. devint la boisson qui accompagne tous les actes de la vi domestique ou religieuse.

Thevernot fut le premier voyageur qui fit connaître café aux Parisiens vers 1657. Mais ce fut surtout Soliman Aga, ambassadeur turc, en 1669, à la cour de Louis XI homme de bonne compagnie et plein de galanterie, qui servir à ses hôtes du café préparé à la turque. Au vrai, première impression des Parisiens et surtout des Parisienne fut peu favorable, cependant, comme la mode voulait qu tout ce qui sortait de chez l'ambassadeur fût réputé exce lent, on déclara agréable l'arôme qui s'épandait de la va peur de la fève d'Arabie et son infusion délectable. Ce f du délire. D'aucuns prédirent au café une existence éph mère et Madame de Sévigné prétendit même qu'il vivrait pas plus longtemps que Racine ». Elle se tromp pour les deux. Le café eut contre lui la Faculté qui le d clarait un poison. A quoi Fontenelle répondit à un memb de cette assemblée: « Je suis de votre avis, docteur, le ca est un poison, et voilà 80 ans que je m'en aperçois ».

Voltaire fut un grand amateur de café et lorsque le trai de Paris eut consommé la perte de nos colonies, il trouva ridicule que deux grandes nations se fassent la guerre po d'aussi maigres questions, regrettant seulement la Louisia parce qu'on y pouvait planter du café.

Delille, parmi tant d'autres, chanta ses vertus.

Il est une liqueur au poète plus chère
Qui manquait à Virgile et qu'adorait Voltaire
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur
Sans altérer la tête épanouit le cœur.

Voyant l'engouement des Parisiens pour le café, des dustriels s'empressèrent d'exploiter ce goût et, en 1672, Arménien nommé Pascal établit à la Foire Saint-Germa une petite baraque dans laquelle il servit du café. Il s'é blit ensuite rue de Buci. Ce fut l'origine des cafés. Bien Grégoire et Procope établirent dans les environs de la C médie-Française un établissement plus confortable que ron, Lamothe, Voltaire, J.J.-Rousseau, etc. fréquentèr assidûment. On y trouvait la Gazette et le Mercure gala

Ils eurent de nombreux imitateurs et l'on vit s'ouvrir café du « bas du pont Saint-Michel » puis celui du qu des Ecoles, puis dix autres, puis cent autres.

Les femmes qui n'osaient pas encore pénétrer dans cafés faisaient arrêter leur carrosse devant ces établisseme et demandaient de la liqueur à la mode qu'on leur app tait dans des soucoupes d'argent.

Les puissances européennes qui avaient des colonies en

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les tropiques songèrent à y cultiver le café. Les Hollandais les premiers, plantèrent un arbrisseau de moka à Batavia, puis à Java.

Les Hollandais firent cadeau d'un pied de caféier à Louis XIV; il fut élevé dans les serres du jardin du roi, puis fut confié au capitaine Desclieux pour être transporté aux Antilles. On sait que durant la longue traversée, où l'on souffrait de la soif, le capitaine Desclieux partagea avec le plant de caféier sa maigre ration d'eau. Tant de soins furent récompensés. Cette plante réussit parfaitement et, de là, le précieux arbrisseau se répandit ainsi dans toute l'Amérique.

C'est en 1717 que la Compagnie française des Indes introduisit la culture du caféier aux îles Bourbon où elle acquit une grande renommée.

Nous terminerons par l'opinion de Brillat-Savarin, sans toutefois faire nôtre entièrement ses conclusions:

«...Voltaire et Buffon prenaient beaucoup de café et peut-être devaient-ils à cet usage: le premier, la clarté admirable qu'on observe dans ses ceuvres; le second, l'harmonie enthousiaste qu'on trouve dans son style »..

RODOLPHE LE DOCTE

A quoi tient un titre

Le maréchal Hindenburg, après l'ancien ouvrier sellier Ebert, a fait revivre le titre de président du Reich. Avant 1870,, la Confédération de l'Allemagne du Nord (Deutschen Bund) avait un président. Quand les Etats du Sud : Bade, Hesse, Würtemberg, Bavière, entrèrent dans la Confédération, les délégués du Bundesrath remplacèrent le mot trop large de Bund-Confédération par le terme précis de Reich-empire et le titre désormais éteint de Président par le nom plus glorieux d'Empereur.. On sait, en effet, que, sur le conseil de Bismarck, le roi Louis II de Bavière avait fini par écrire au roi Guillaume de Prusse, le 3 décembre 1870 pour lui offrir, d'accord avec les princes allemands, la couronne impériale.

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Seulement, il y avait une difficulté. « L'héroïque roi de Prusse », comme s'exprimait dans sa lettre Louis II, ne voulait pas entendre parler de ce titre d'empereur. Prussien jusqu'au fond de l'âme, dissimuler son titre de roi de Prusse sous le nom pompeux d'empereur lui semblait << une : déchéance ». En recevant la lettre du roi Louis, il l'avait déclarée « aussi inopportune que possible ». Bismarck luimême se faisait vertement rabrouer : « Qu'ai-je à faire de ce titre de commandant honoraire ! » s'exclamait l'entêté Prussien. Il écrivait à la reine, à Berlin, en empruntant un mot français : « Je ne puis dire combien je suis morose tous ces temps, par la douleur de quitter le titre prussien ».

Cependant, le jour solennel approchait. Le 17 janvier 1871, le roi Guillaume s'enferme pendant trois heures avec son fils, le prince Frédéric-Guillaume, et Bismarck. Entre eux trois se jouait le destin de l'Allemagne. Le prince Frédéric-Guillaume tenait pour le titre « roi des Allemands ». La discussion fut si vive que le vieux roi se leva de colère et alla se coller à la fenêtre en tournant le dos à ses interlocuteurs. Bismarck, pour qui l'on venait de créer à l'instant

le titre de chancelier impérial, avait promis aux Bavarois d'éviter le titre : empereur d'Allemagne, qui supposait un pouvoir territorial. L'homme de fer l'emporta. L'empereur ne fut que deutscher Kaiser, et grâce aux députés du Bundesrath, personne en Allemagne ne put plus songer à Président du Reich.

Le 18 janvier, dans la galerie des Glaces, à Versailles, après la lecture de la proclamation impériale, le grand-duc de Bade s'écria solennellement : « Vive Sa Majesté impériale, l'empereur Guillaume! » Il n'avait nommé, pour ménager à la fois Guillaume et Bismarck, ni l'empereur d'Allemagne ni l'empereur allemand..

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M. Paul Souday a suscité beaucoup de rancunes et de colères par une franchise qui fait son honneur, à laquelle il joint, avouons-le, une humeur guerrière. Son feuilleton du Temps est tenu, d'ailleurs, avec une conscience et un scrupule vraiment admirables. Il n'est pas d'événement littéraire, pas d'ouvrage important qu'il n'examine et n'apprécie, et sur lequel les lecteurs du journal n'aient les commentaires du critique. M. Paul Souday ne s'abandonne jamais à la volupté de passer sous silence même ce qu'il n'aime pas ; bien mieux,, il ne s'accorde pas le droit d'aimer ou de n'aimer pas, et de tenir compte sciemment de ses sympathies ou antipathies, je ne dis pas dans son appréciation des ouvrages et des auteurs (car, c'est là le devoir élémentaire d'un critique) mais, jusque dans le choix de ses sujets d'articles. On sait qu'Anatole France ne se souciait pas le moins du monde de la valeur des livres dont il parlait. A ce même rez-de-chaussée du Temps où paraissait jadis la Vie littéraire, M. Paul Souday parle, lui,. non pas toujours des ouvrages sur lesquels il a envie de faire un article, mais des ouvrages qui lui semblent les plus importants littérairement. C'est là une grande vertu. Aussi ai-je toujours regretté que M. Souday ne recueillît pas périodiquement ses articles et ses feuilletons en volumes. On y trouverait un tableau complet de la vie littéraire et du mouvement intellectuel, qui serait d'un grand prix. Mais M. Souday a laissé ses études éparses dans les journaux et les revues, et c'est grand dommage. A vrai dire, il en a jadis composé un volume sous ce titre : Les Livres du Temps; mais un seul ; et c'est, depuis cette époque déjà lointaine, la première fois aujourd'hui qu'il se décide à en rassembler un certain nombre, sauf erreur.

Il ne les a pas, cette fois, rangés chronologiquement, comme faisait Sainte-Beuve. Il a recueilli en trois petits vo

lumes les études qu'il a données à diverses époques sur Valéry, sur Gide et sur Proust. Ce qui frappe d'abord, c'est combien chacun de ces ouvrages faits d'articles successifs est néanmoins complet : chaque œuvre un peu importante 'des trois auteurs s'y trouve examinée, et c'est une nouvelle preuve (s'il en était besoin) du soin et de la conscience avec laquelle M. Souday tient son rôle de critique.

On trouvera, en tête du volume consacré à Proust, l'article du 13 décembre 1913, qui fut la première étude digne de ce nom sur l'auteur de Du Côté de chez Swann. Un romancier si profondément intellectuel (je ne dis pas intellectualiste) ne pouvait que plaire à M. Souday, et, si l'on faisait quelque restriction sur son étude, ce ne serait que pour regretter que le snobisme et le goût pour certaines mœurs spéciales, que trahit Marcel Proust, aient peutêtre inspiré parfois un peu de mauvaise humeur à son critique. L'intelligence de Proust est tout attachée à l'observation étroite de la vie sociale, à la psychologie; elle n'en est pas moins digne d'admiration ; et pour n'être pas métaphysique, elle n'est pas moins grande.

On voit assez, d'ailleurs, que le héros favori de M. Sou'day, c'est Paul Valéry, qui lui semble (et il a raison) réaliser le type même de l'humaniste moderne. « L'homme complet, dit-il, ce fut au XVI° siècle Léonard de Vinci, héros de la connaissance et grand artiste. De nos jours, c'est le mathématicien, philosophe et poète Paul Valéry ». M. Souday voit en Valéry le moins mystique des penseurs et le plus intellectualiste des hommes. J'avoue que je conçois mal qu'on puisse seulement en douter: Valéry est foncièrement irréligieux, et il est aussi peu bergsonien que possible. Sans doute, il est venu à la pensée pure par la mathématique, comme Bergson. En revanche, jamais il ne s'accordera avec le grand philosophe sur le rôle et la nature de l'intuition car un esprit comme celui de Valéry a besoin d'un vocabulaire précis et sain. Par intuition, il est à peu près impossible de savoir ce que Bergson entend au juste. Tantôt il semble donner au mot son sens traditionnel et considérer que l'intuition est une sorte de pressentiment,

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non du tout un moyen intellectuel de connaissance. Mais le plus souvent Bergson désigne par intuition une activité de l'intelligence depuis longtemps reconnue ce qu'on appelait parfois, au XVIIe siècle, le sentiment (le « sentiment de ceux qui croient les comètes des corps éternelles, aussi bien que les planètes », dit Fontenelle), ce que Spinoza nommait déjà la claire connaissance, et Pascal l'esprit de finesse ou parfois le cœur (« le cœur sait qu'il y a trois dimensions dans l'espace »), bref cette intelligence intuitive que Claude Bernard appelle métaphoriquement un sentiment de l'esprit. C'est peut-être ainsi que Valéry entend l'intuition. Mais Bergson varie.

Quant à André Gide, M. Paul Souday montre pour ses premiers ouvrages une admiration que je trouve excessive. En revanche, il me semble trop sévère pour les derniers. Faisons-nous de l'histoire littéraire ? L'influence de Gide sur une génération lui vaudra une grande place. Voulonsnous mesurer sa valeur d'écrivain ? Il paraîtra certainement peu important en comparaison d'un Proust, par exemple. Ce Gide, c'est une sorte de Mme de Staël.

Mais que je trouve M. Souday trop sévère ou pas assez, cela importe assez peu. Ce qui importe en critique, ce sont toujours les considérants, bien plus que la sentence, et méfions-nous surtout des « épithètes morales » comme disait le père Faguet. Avec des adjectifs « moraux », on ne fait pas de bonnes descriptions, ni de bonnes critiques. Nous n'avons pas à dresser de palmarès, ni à décerner aux auteurs des prix et des accessits. Ce qui m'intéresse dans l'étude de Souday sur Gide, ce sont les idées qu'il remue. Or, il est peu d'esprits plus naturellement idéologiques que celui de M. Souday. Bien loin d'un Anatole France ou d'un Jules Lemaître, il s'intéresse spontanément et tout d'abord au sens intellectuel, à la philosophie de tout ouvrage, — même d'un recueil de poèmes de Mme de Noailles. C'est là ce qui fait la valeur et l'intérêt de sa critique. Une vie intellectuelle y circule, qui est d'une chaleureuse ardeur. JACQUES BOULENGER.

Une enquête sur la critique.

M. Charles Ecila publie chez Figuière, sous le titre des Confidences de la Dame aux bésicles, le résultat d'une enquête sur la critique littéraire, ses devoirs, ses droits, ses servitudes dans la presse quotidienne ou périodique, etc. Les réponses, bien entendu, ne font pas avancer d'un pas la question, et il est assez comique de voir des feuilletonistes réputés, que personne ne songe à admettre dans la littérature, déclarer la critique morte ou néfaste ou vénale...

M. Georges Le Cardonnel, qui a mené une enquête générale sur les lettres contemporaines en 1905, rappelle cette consultation qu'il reçut du grave Brunetière. Les chiffres qu'elle donne montrent combien les circonstances ont changé, incroyablement.

<< Si vous consultez les catalogues, disait Brunetière, vous constaterez que, chaque année, il ne se publie environ que 240 romans, 80 volumes de vers, 60 à 75 pièces de théâtre. Ce n'est point trop. Il ne faut pas une heure pour lire un roman... je veux dire pour discerner ses qualités et ses défauts. Cela ne fait pas pour le critique un roman par jour. Et se publierait-il un roman par jour, ce serait un maximum. De

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Beauvais, par Jean AJALBERT (Editions Morance).

Ce sera l'honneur de Jean Ajalbert, lorsqu'il fut appelé à la direction de la manufacture de Beauvais, d'avoir commandé à Anquetin, dès 1917, la maquette du panneau de la Victoire.

Aujourd'hui, il faut compter un millier de romans et quelque Mais ce qu'on peut dire, après dix ans, c'est que le symbole s'aptrois cents répétitions générales...

Un billet d'Emile Augier.

Nous découvrons, dans une collection d'autographes, cet amusant billet d'Emile Augier refusant une invitation à dîner :

« Je suis encore trop souffrant pour venir dîner avec vous. << Mille excuses.

« Mille regrets.

« Emile Augier.

<< Total: trois mille.

CE QU'ON LIT

La Vie de Stendhal, par Paul Hazard (Gallimard).

M. Paul Hazard n'a pas pris le ton « romancier » pour raconter cette vie; mais plutôt le ton Jules Lemaître, revu et augmenté par André Beaunier : la phrase infiniment souple, et courte, et l'ironie bienveillante ; il domine entièrement son personnage et le clarifie extrêmement. Trop? On ajoute toujours cet adverbe-là en pareil cas. Mais ici il n'a pas son emploi. M. Paul Hazard a parfaitement compris l'âme de Stendhal, dont les tendances peuvent, il me semble, se résumer ainsi : 1o Dans la jeunesse, un effort ardent pour se réaliser par la vie; 2° dans l'âge mûr et la vieillesse, une tentative pour prolonger par l'art auprès de la postérité ce Moi qui ne veut pas disparaître. M. Hazard fait ressortir cela dans la « prière d'insérer » qui est jointe à son livre et qui aurait fait une bonne préface. Il me semble que Stendhal, c'est bien cela. L'inventeur de l'égotisme à la Barrès et le précurseur de Nietzsche. Seul existe ce monde terrestre ; au delà il n'y a que néant; il faut donc être heureux, grand à tout prix. Individualisme forcené; rejet de la morale des esclaves, etc.

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Si je faisais une restriction à l'excellent, au très amusant et vivant livre de M. Paul Hazard, ce serait celle-ci : il n'a vraiment pas assez parlé des écrits de Stendhal. J'entends bien que leur valeur propre, leur sens philosophique, leur qualité esthétique, tout cela ne le regardait pas, puisqu'il n'écrivait qu'une biographie, non du tout une étude critique. Mais il y a un côté par où tous ces écrits le regardaient en tant qu'ils éclairent la psychologie de Stendhal. Vous nous montrez longuement et admirablement Stendhal causant, marchant, aimant, rêvant, jouissant, que sais-je ? Mais l'occupation préférée de cet homme qui écrivait des romans comme le Rouge ou la Chartreuse au courant de la plume, c'était d'écrire justement. Eh bien vous ne nous le montrez jamais écrivant. Non pas sa < carrière littéraire », mais ses écrits ont tenu une énorme place dans sa vie. Je sais bien que c'est l'éternel reproche qu'on fait à ces biographies d'écrivains que d'avoir trop négligé l'œuvre. C'est aussi qu'il est presque toujours mérité. Ne pourrait-on l'éviter? Il me semble que si. Mais cette objection n'empêche pas que l'ouvrage de M. Paul Hazard ne soit tout à fait

plique aussi aux travaux de la manufacture, réveillée de la léthargie et résolument orientée vers le modernisme. Il appartenait à Ajalbert, en retraçant les glorieuses annales du XVIIIe siècle, de dire aussi les espoirs du xxo. Ce n'est pas la faute de l'infatigable animateur si son personnel d'artistes-fonctionnaires a perdu l'amour du beau métier et si nous avons laissé s'éteindre en France la lignée des grands décorateurs dont Baudry, Galland, Lenepveu et les maîtres de l'école de l'Opéra ont été les derniers représentants. La plaquette, intelligemment illustrée par les éditions Morancé, s'ouvre par un charmant motif colorié de Paul Véra, un des rares tempéraments qu'on puisse donner en exemple de la parfaite adaptation du peintre au métier. Un joli livre à lire après une visite à Beauvais. H. C

La Côte d'Argent, la Côte et le Pays basque, le Béarn, par ARMAND PRAVIEL (Editions Rey, à Grenoble).

Pour bien écrire d'un pays, il faut l'aimer. On pourrait ajouter y être né. Toulouse, où le vivant écrivain Armand Praviel soutient la cause des bonnes lettres, est cependant en dehors du terrain évoqué dans ces pages. Mais l'autan qui souffle d'Espagne sert d'agent de liaison. Et aussi les chars, attelés de vaches minuscules, les joueurs de boules, les pelotari. La tâche était ardue de composer un tableau qui se tînt de régions assemblées artificiellement par le découpage d'une collection. Armand Praviel s'en est tiré à son avantage. Il a eu l'art de créer une atmosphère au lieu de présenter un guide aride des excursions et les sites. Son livre est vivant, aussi vivant même que les abondantes photographies qui l'illustrent. Dans les dunes de la Côte d'Argent, comme sur la terre de Ramuntcho, ou les hautes vallées d'Aspin et d'Ossau, il a su voir les races qui les peuplent, avec leurs qualités de force, d'endurance, de courage, leurs plaisirs et leurs fêtes, depuis la chasse aux palombes des landes jusqu'à la poursuite de l'izard dans les pierrailles des cols, depuis les écarts de vaches navarraises jusqu'aux pastorales de la Soule. Itinéraire séduisant, s'il en est, dans une des contrées les plus originales du vieux sol français. H. C

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