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AFFAIRES

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mois de l'exercice, l'excédent des recettes sur les dépenses effectives était de 255 millions, alors que l'excédent total prévu pour les douze mois était de 190 millions..

De 91.309 millions de lires au 30 juin 1926, la dette avait été ramenée à 90. 751 millions le 31 mai 1927 et sur ce chiffre, la dette flottante, grâce au succès de << l'emprunt du licteur » ne représentait plus que 6.167 millions.

Au point de vue monétaire, les résultats ont été étonnants. En juillet 1926, les changes oscillaient autour de

ECONOMIQUES 150 lires pour 1 livre sterling. Aujourd'hui, la cote marque

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La politique monétaire de l'Italie.

Il va y avoir exactement une année qu'après deux discours retentissants, M. Mussolini et le comte Volpi, ministre des Finances, engageaient la « bataille de la lire » et décidaient d'appliquer à la revalorisation de la monnaie, tous les puissants moyens de l'Etat fasciste.

Afin de diminuer le déficit de la balance commerciale, les industries s'organisaient à l'appel du gouvernement, pour réduire les importations et accroître les ventes au dehors, tandis qu'une série de mesures administratives ou budgétaires conféraient à la Banque d'Italie, avec le monopole d'émission des billets le contrôle du marché des capitaux et orientaient vers une déflation inflexible la politique monétaire de l'Italie.

De l'aveu même des autorités fascistes, la bataille n'est pas encore gagnée, n'est en tout cas pas encore achevée. Mais il est permis de croire qu'une période nouvelle va s'ouvrir. Des déclarations récentes du président du Conseil, un discours du comte Volpi, enfin plus éloquents encore peut-être que les harangues officielles, les chiffres qui révè lent la situation exacte et les besoins du pays font augurer un changement prochain de direction.

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Les résultats acquis en une année par l'effort du peuple italien et de son gouvernement méritent l'admiration.

La balance commerciale en dépit de difficultés immenses qui sont particulières à l'Italie a été améliorée. Les importations, qui s'élevaient à 26.200 millions de lires en 1925, ont été, en 1926, de 25.871 millions. Les exportations sont passées de 18.274 millions en 1925 à 18.670 millions en 1926. Le déficit du commerce a donc diminué de 725 millions de lires soit plus d'un milliard de francs.

Pendant les quatre premiers mois de 1927, la tendance a été plus favorable encore et le déficit pour cette période a été réduit de plus de 800 millions de lires par rapport à 1926. D'autre part, les profits invisibles de la balance des comptes ont grossi, grâce à l'activité du tourisme étranger et du fait du développement intensif de la marine marchande, dont le tonnage a plus que doublé depuis la

guerre.

La situation budgétaire, en dépit de la revalorisation, est restée favorable. Au 30 avril, le total des rentrées s'élevait à 17.251 millions de lires, alors que les évaluations pour l'année fiscale s'achevant au 30 juin prévoyaient un total de recouvrements de 18.543. Pour les dix premiers

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85 lires. La réserve de la Banque d'Italie était au dernier bilan de 2.812 millions de lires or, ce qui correspond au cours actuel des changes à une circulation gagée dans une proportion de plus de 50 %. Il n'y a guère en Europe que la Banque de France qui offre aux porteurs de billets une garantie plus élevée.

La rapidité et l'amplitude de l'appréciation de la lire en ont fait mettre en doute le caractère durable.

La politique budgétaire si vigoureuse du gouvernement ne pouvait, en effet, suffire à elle seule à expliquer l'extraordinaire hausse de la monnaie. Celle-ci semble avoir été provoquée par les mouvements massifs de capitaux qui depuis douze mois ont été continuellement en faveur de la balance des comptes de l'Italie.

Les achats de lires sur le marché des changes ont eu deux causes principales: la spéculation à la hausse de la monnaie italienne et les emprunts étrangers. Le gouvernement ne disposait, pour s'opposer à la première, que de moyens d'une efficacité limitée. Ayant renoncé à toute faculté d'augmenter la circulation fiduciaire, le Trésor italien ne pouvait offrir aux spéculateurs à la hausse les contre-parties théoriquement illimitées que la loi du 7 août a mis chez nous à la disposition de la Banque de France. Le contrôle du gouvernement sur les emprunts étrangers était en revanche absolu. Au cours de la période de douze mois qui s'est écoulée depuis le 1er juillet 1926, le ministère du Trésor italien a autorisé l'émission à l'extérieur par des Sociétés industrielles, des institutions publiques ou des municipalités, d'emprunts dont le montant total atteint aujourd'hui 200 millions de dollars environ. Ce chiffre n'a, en lui-même, rien d'excessif si on le rapproche de celui de la population italienne et si l'on pense aux économies que les opérations de crédit effectuées par nos voisins leur permet tront de réaliser.

La plupart des emprunts auxquels le ministère des Finances italien a donné son autorisation ont eu, en effet, pour objet de fournir aux grandes entreprises les ressources nécessaires au perfectionnement de leurs moyens de production. L'industrie électrique entre autres a largement bénéficié de cet afflux de capital qui, permettant l'équipement immédiat et rapide des chutes des Alpes et des Apennins, aura pour conséquence d'entraîner une sensible réduction des importations de combustibles.

Les emprunts extérieurs n'ont eu un effet considérable sur le change que parce que leurs produits en dollars ou

en livres ont dû être convertis en une monnaie dont la quantité totale était non seulement limitée de manière 'étroite, mais encore avait tendance à constamment diminuer. 8

Donc, la lire a sans discontinuer augmenté de valeur et atteint maintenant le cours de 85 par rapport à la livre. Cette revalorisation n'a eu d'abord que des conséquences favorables. Tributaire de l'étranger pour presque toutes les fournitures de matières premières, l'Italie trouvait grand avantage à restaurer le pouvoir d'achat de sa monnaie. Mais l'accentuation de la hausse, son accélération pendant les dernières semaines ont rendu inéluctable le brusque rajustement des prix intérieurs. Alors que le niveau des prix exprimés en or s'établissait en 1926 à 131, par rapport à 100 en 1914 et à 151 aux Etats-Unis, l'indice italien passait en mai dernier à 152 contre 135 aux Etats-Unis.

Ce décalage qui risquait de compromettre le succès des efforts accomplis pour le rétablissement de la balance commerciale a pour effet de donner à la « bataille de la lire » un nouvel aspect. De l'extérieur, des grandes places financières où s'établissent les prix des monnaies, le théâtre de la lutte est transporté à l'intérieur même du pays. Ramener les prix, tous les prix, celui du travail comme celui des marchandises, à la nouvelle valeur de la lire, devient l'objet de l'effort fasciste. Une première ordonnance supprime l'indemnité de vie chère des hauts fonctionnaires et diminue celle des petits serviteurs de l'Etat et des cheminots. Les corporations ouvrières font accepter par leurs membres 'd'immédiats retranchements de salaires ; les tarifs des transports des marchandises subissent une réduction de 15 % et, bon gré mal gré, les loyers sont abaissés de 15 à 25 %, en dépit de la résistance inattendue des propriétaires.

Cette lutte audacieuse contre les prix montre la puissance 'dont disposent, à l'heure actuelle, les pouvoirs publics italiens. Mais, quels que soient cette puissance et l'esprit de discipline du pays, les possibilités d'adaptation de l'in'dustrie, du commerce et même du budget sont restreintes. C'est en consultant les statistiques de chômage, en suivant les rentrées d'impôts et les mouvements prochains du commerce extérieur, qu'il sera possible de dire si une nouvelle revalorisation de la lire est plausible ou si, au contraire, le taux actuel doit être regardé comme aventuré. Aussi longtemps que ces données demeureront incertaines, les jugements portés sur la politique financière italienne resteront prématurés.

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RENÉ PLEVEN.

Fraîche et savoureuse

Fraiche, exquise et tonique, la Veramint, grande liqueur de menthe verte, fabriquée par de Ricqlès, est la consommation de la saison. Bue glacée ou dans de la glace pilée, la Veramint est le régal des délicats.

NOTES ET FIGURES

A la santé de M. Léon Daudet

Donc, le samedi 25 juin, jour de la Saint Prosper - heureux présage! M. Léon Daudet, frais et gaillard, a quitté la prison de la Santé. Ses adieux au personnel furent touchants. Il remercia le directeur, M. Catry, de sa co toisie, le félicita de l'excellente organisation de son domaine et ajouta même : « On est vraiment très bien traité ici... Je vous enverrai du monde ! »

De nos jours on ne s'évade plus on se fait libérer. La lime cachée dans une miche de pain, le trou foré lentement dans le mur, la corde faite avec des draps de lit sont devenus autant d'accessoires périmés et bons pour le bas mélodrame. La technique du prisonnier s'est renouvelée. Latude, à notre époque, ne perdrait pas six mois de sa belle jeunesse à desceller les barreaux de fer d'une cheminée. Du fond de sa prison il se ferait tout bonnement élire député ou, pour le moins, conseiller municipal. Et ce n'est pas dans un canot chétif mais bien plutôt sur vaisseau de haut bord que le condamné Henri Rochefort quitterait la Nouvelle-Calédonie.

L'ère des évasions dramatiques est passée (sauf dans les bagnes lointains, bien entendu, où les aventures récentes d'Albert Dieudonné lui donnent une suite), mais verrait-on encore aujourd'hui un sacrifice comme celui d'Hégésistrate, ce Grec d'Elée, qui, fait prisonnier par les Spartiates et la cheville enchaînée, eut le courage de se couper le pied pour recouvrer la liberté ? Nous ne le pensons pas, ct d'ailleurs cette méthode primitive fut grandement perfectionnée au cours des siècles suivants, par un prisonnier italien des guerres de religion, le rusé Secundus Curion. Il faut même s'étonner que ce nom ne soit pas plus connu car il mérite de demeurer immortel pour l'ingéniosité que son possesseur déploya.

Voici quelle fut sa ruse: Enchaîné par les deux pieds il se plaignit de vives douleurs et obtint ainsi qu'on supprimât l'une de ses chaînes. A l'aide de sa chemise roulée, d'un bâton de roseau et d'un soulier, il fabriqua aussitôt une fausse jambe qu'il aligna à côté de l'autre en repliant la vraie sous son manteau. Quand le gardien revint lui rendre visite, il demanda qu'on lui changeât les fers d'une jambe à l'autre, afin qu'il pût se reposer. Il ne lui restait plus qu'à s'en aller, ce qu'il fit, aussitôt la nuit venue. Ces gens de la Renaissance savaient fort bien se débrouiller !

L'évasion de Lavalette, qu'a si bien contée M. Lucas Dubreton, est d'une école plus moderne, surtout dans ses détails : ce prisonnier en fuite qu'on cache pendant dix-huit jours au ministère des Affaires étrangères, c'est d'une belle ironie. A-t-on fouillé les combles de l'hôtel de la place

Beauvau ? M. Léon Daudet y savoure peut-être la brandade.

Du même genre est l'évasion du prince Louis-Napoléon, quittant le fort de Ham sous un habit de maçon (ce qui eût bien du le faire reconnaître, ne manqueront pas d'ajouter ses ennemis).

Sans doute M. Léon Daudet est-il retrouvé à l'heure où paraissent ces lignes. On a voulu faire croire un instant qu'il avait passé la frontière suisse : un canot, disait-on, portant deux dames et un gros monsieur, avait accosté à Ouchy sur le lac Léman. Puis, les journaux ont dit qu'il se cachait en banlieue. On l'a vu, le même jour prendre pied sur la côte italienne et déjeuner copieusement... à Namur. Quel homme infatigable ! Il est Louis XVI, difficile à dissimuler. Mais aussi, tout porte à le croire moins naïf. C'est ce qui empêche encore de dire que la police de la III République ne vaut pas celle de la Convention ROBERT BOURGET-PAILLERON.

Lord Chatterton

comme

Puisque nous sommes friands de petites curiosités romantiques, voici l'une d'elles qui mérite, nous semble-t-il, d'être signalée. Un anonyme, homme d'esprit à coup sûr, a publié jadis une suite au drame de Chatterton.

Quand je dis << suite », c'est seulement un chapitre ajouté à l'œuvre d'Alfred de Vigny, un récit d'une trentaine de pages. Mais ce récit est ingénieux, ce chapitre porte avec lui son enseignement; il n'est pas seulement goguenard, humoristique, mordant; il est encore profondément philosophique. Il a pour titre : Lord Chatterton. Voici la fable imaginée :

Chatterton n'est pas mort. La dose de poison qu'il a prise était trop forte. Il vivra, il pourra se reprendre à l'étude, à la méditation; il achèvera son poème de la Bataille de Hastings. On l'arrache à sa froide et sombre chambre du logis de John Bell; on lui épargne la vue du cadavre de Kitty. Cette fois, il ne résiste plus aux cordiales instances de ses amis; il commence à croire qu'il a mal envisagé la société, et qu'avec quelques menues concessions on peut faire son chemin honnêtement.

Il est installé dans un joli cabinet de travail, clair, riant, dont les fenêtres ouvrent sur les arbres, confortablement meublé, orné de fleurs renouvelées chaque matin. Le jour, il écrit ; il a renoncé à ce travail fièvreux de la nuit qui use le cerveau et détruit le corps. Le soir, il fréquente les salons, il va au cercle. Il a vaincu sa timidité native; ce n'est plus cet adolescent farouche, tout de noir habillé ; c'est presque un jeune homme élégant, et de bonne mine dans tous les cas. Chatterton engraisse.

Sur ces entrefaites, une belle et riche lady, blonde comme le lin, vaporeuse à souhait, vient à le rencontrer dans un bal. Elle s'éprend de lui; et, comme elle est libre, indépendante,

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elle l'épouse à la face des Trois-Royaumes. Voilà Chatterton opulent, grand seigneur ; Chatterton propriétaire d'un hôtel splendide, ayant carrosses et valets, sans compter les châteaux aux environs de Londres; Chatterton courant les chasses à grand bruit dans ses propres forêts !

C'est au tour des libraires de venir ramper à ses pieds; mais lord Chatterton n'a plus rien de commun avec ces gens-là, et il les fait chasser à coups de fouet de son antichambre dorée. Il ne veut plus travailler qu'à sa guise, et seulement à l'heure de l'inspiration, les yeux fixés sur la postérité. En attendant, ce qu'il faut à lord Chatterton, ce sont les succès dans le monde, et par-dessus tout la consécration politique, c'est-à-dire un siège au Haut Parlement. Il l'obtient.

A dater de ce moment, la vie de Chatterton n'est plus qu'une série de fêtes et d'enivrements. C'est un homme à la mode, un dandy; on le voit dans tous les raouts, sur tous les champs de courses; il n'y a pas de paris extravagants qu'il ne tienne ou ne provoque. Le temps qu'il ne passe pas en Angleterre, il l'emploie à parcourir l'Italie en chaise de poste avec la belle lady Chatterton, sa femme."

Au milieu d'une telle existence, il lui reste bien peu de loisirs pour faire des vers. Chaque fois qu'il veut s'y remettre, c'est un effort, une difficulté. Pourtant, rougissant de lui-même, il termine la Bataille de Hastings; mais il ne lui a pas fallu moins de dix ans pour cela, dix ans de bienêtre et de quiétude, pendant lesquels son esprit s'est appesanti. Lord Chatterton essaye en vain de se faire illusion: il va de salon en salon lire son poème qui n'obtient aucun succès. Les plus indulgents y cherchent des allusions aux principaux personnages de la Cour; on veut que la reine Hedwige soit lady Sinclair, qu'Harold soit lord Mindless, et que la sorcière Ethelrude soit lady Pembroke.

Epouvanté dans sa nature de courtisan, craignant de soulever le scandale autour de lui, lord Chatterton renonce à publier son poème, le rêve et l'ambition de sa jeunesse. Il sacrifie définitivement le poète au grand seigneur. Qu'a-t-il besoin de la gloire ? N'a-t-il pas assez de la fortune? I finit « vieux beau », homme d'esprit, tendre à lui-même et dur aux poètes.

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Cette << suite » à Chatterton n'est-elle pas bien savou

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LITTERATURE

La Rose de Sâron »

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Voici le cinquième livre que les Tharaud consacrent à l'histoire et aux mœurs d'Israël. On ne peut dire qu'ils en aient seuls causé la vogue incroyable; mais ils ont été les premiers peut-être à s'en aviser, à une époque où M. Clemenceau avait pourtant publié Au pied du Sinaï et où l'on faisait de la question juive, une pierre d'achoppement et de discorde.

Aujourd'hui, les livres sur ce propos sont véritablement innombrables. Je parie qu'on en trouverait vingt pour cette année seulement : romans, recueils d'anecdotes, pamphlets de toute espèce. Les Tharaud eux-mêmes sont accusés tour à tour d'amour excessif ou de haine pour leur objet d'étude. C'est apparemment qu'ils brillent par l'impartialité, ou du moins par la clairvoyance, seul gage de la sympathie humaine et de la critique éveillée. Ils ont d'ailleurs touché déjà à la plupart des sujets du judaïsme moderne. Ils ont dépeint les pauvres communautés de Galicie, l'ère des pogroms et l'âge du sionisme, la terre d'exil et la terre sainte, les opprimés et les oppresseurs on n'a pas oublié leur merveilleuse histoire du bolchevisme en Hongrie Quand Israë est roi. Ce livre, qui ne pouvait décemment être indulgent au régime de Bela Kuhn, a suscité une réplique indirecte Quand Israël meurt (2), où M. Bernard Lecache, l'auteur de Jacob, dépeint le martyre des Juifs en Russie blanche. Il est bien difficile de distribuer le bien et le mal, la sainteté et l'innocence entre des partis qui s'assomment et s'étripent à tour de rôle : Candide mettait dans le même sac les intrépides Avares et les valeureux Bulgares. L'histoire, même moderne, de l'Orient européen n'achète son pittoresque qu'au prix d'une notable barbarie.

Et voilà peut-être pourquoi les histoires juives sont si fort à la mode dans un Occident plus paisible, et quoi qu'on dise, bien moins menacé du sémitisme. Certes, il faut bien admettre que l'immigration des Juifs, à la suite de la guerre et des révolutions diverses, s'est énormément accrue chez nous, soit qu'ils veuillent se fixer à l'extrême droite de l'Europe et dans les pays les plus pacifiés, les plus tolérants; soit qu'ils n'y trouvent qu'une étape avant d'aller aux deux Amériques, où ils foisonnent déjà. Mais cette circonstance n'expliquerait pas l'intérêt qu'on porte aux Juifs de ghetto, aux Juifs orientaux, à leur société presque médiévale, en tout cas si peu moderne, si peu européenne.

En littérature, une loi bien simple gouverne les curiosités : on ne se passionne que pour les choses très neuves ou trop vieilles, celles qui vont disparaître. Le judaïsme de Pologne, 'de Russie ou des Balkans pique donc l'intérêt comme toute

(1) Librairie Plon.

(2) Editions du Progrès civique..

civilisation particulière dont on sent bien qu'elle appartient au passé l'unification des mœurs en aura vite raison. Aussi, toutes proportions gardées, les romans juifs naissentils et pullulent à la façon des romans provinciaux et régionalistes. Hâtons-nous de regarder et de peindre ce qu'on ne verra bientôt plus.

Quand on lit la Rose de Sâron, on a presque achevé le volume sans savoir à quelle époque vit au juste le héros. Une simple note permet de supposer que ses aventures ont lieu vers 1880. Mais elles sont presque hors du temps, et les confidences vieilles d'un demi-siècle auraient pu être faites jadis. A toute époque les Juifs ont eu la tentation de se mêler à la chrétienté. A toute époque la rose de Sâron a voulu fleurir sur une terre impure. Cette fois-ci, le sort doit en être jeté. Si jamais les Tharaud réalisent un rêve qu'ils ne cachent point à leurs amis, s'ils peuvent accomplir leur voyage en Israël par une visite à cette gigantesque métropole de deux millions de Juifs que renferme New? qui sait à cette oligarchie juive qui tient York, ou l'empire des tsars, ils auront vu le peuple de Dieu relevé de sa malédiction et désormais accommodé au siècle, prêt même à le dominer... Est-ce que cette réconciliation ou cette conquête auront pour rançon l'abdication de la société dite chrétienne ou le renoncement de la société juive à ses préjugés de race, de foi, à sa tradition même ? De toute façon, l'histoire tournera à l'épopée ; car il y a, Dieu merci, des épopées pacifiques. Les Tharaud en auront écrit les premiers chants, et sans doute, aux yeux de l'art, les plus parfaits.

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Car la Rose de Sâron, à l'exemple des précédents livres, défie presque toute critique. Ah! ce n'est pas pain bénit pour le commentateur, que ces ouvrages où l'aisance est absolue, la manière fondue et invisible; l'élégance y joint la pure simplicité, et le pittoresque même, le pathétique, le dramatique n'y laissent voir aucun procédé. Tous les termes qu'on pourrait appliquer à leur louange relèveraient forcément de l'école et dépasseraient le but. Il est bien vrai, par exemple, que les Tharaud, usent d'une rhétorique parfaite,

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si l'on entend par là le déroulement du récit, les ménagements d'intérêt, les présentations variées de personnages, la fusion subtile du didactisme et du naturel. Mais ce mot même de rhétorique est affreux, semble injurieux; contentons-nous de faire honneur à de tels écrivains d'une adresse merveilleuse. A rebours de tant d'ineptes contemporains, ils savent bien que l'adresse est une vertu, et qu'en telle matière, elle est la forme pratique du goût souverain. Dire que des gens la prennent comme un grief!

Il fallait bien cette habileté pour présenter un récit où manque le ressort principal des actions ordinaires : « Dans mon histoire, avoue le jeune Lipschutz, il n'y a malheureusement pas de femme, mais il y a un arbre de la science el un serpent. » L'aventure se réduit, en effet, à sa libération spirituelle. Non pas au sens où l'entendent d'habitude les croyants. Ce que perd Jacob Lipschutz, ce n'est pas la foi, mais la morale judaïque. Et encore, la seule partie de cette morale qui ne coïncide pas avec la morale universelle rites bizarres, préventions jalouses envers le gentil, horreur de ce qui fait, au matériel et au spirituel, la civilisation du monde.

Pour un chrétien, la question ne se pose jamais ainsi, car les Eglises chrétiennes ont été mêlées à la société qu'elles ont créée; elles l'ont aidée, ou accompagnée, ou suivie dans son évolution. Aucun ennemi du catholicisme, si féroce soit-il, ne peut dénoncer dans cette religion un tel détachement de la vie, une telle hostilité au monde. Il se contenterait d'ordinaire en opposant la pratique aux principes, et aux prêtres du XXe siècle le Décalogue ou l'Evangile, ce qui reste toujours matière à discussion. Au lieu que la société juive est restée conservée à l'état fossile, jusqu'à l'époque où la peignent les Tharaud; son orgueil, sa foi dans une destinée sublime; la répugnance même de ses ennemis l'ont isolée, l'ont préservée. Un beau jour le mur se lézarde, se démantèle, s'écroule : les Juifs s'avisent soudain qu'ils serviront mieux leur propre cause dans le monde qu'au dehors. C'est toute l'histoire de Jacob Lipschutz.

Elle est contée à la première personne, et avec un naturel étonnant le style, l'ironie même qui le dispute à la naïveté, les métaphores enfin sont scrupuleusement conformes à la culture du narrateur. La part critique, la part instructive y sont glissées sans qu'on voie les raccords. Il fallait bien renseigner le lecteur profane, et juger aussi avec des yeux d'aujourd'hui cette aventure d'hier. Jacob y excelle ; qu'il décrive la saleté de ses congénères, la routine de l'enseignement qu'ils reçurent, ou la naïveté de leur entretien avec un Dieu tout proche, tout personnel, tout spécial à leur race, penché comme un berger sur son petit troupeau. Souvent on invoque sa sollicitude, parfois on espère sa distraction c'est un mysticisme pratique bien amusant à observer. Envers les gentils, maintenant, la sainte commu

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nauté passe de l'indifférence ou de l'horreur passive à la curiosité, à la sympathie, à l'émulation. Au moins, Jacob, son emblème. Autour de lui, il y a d'autres types, dont l'évolution aura été plus rapide ou moins régulière : des lâches, des renégats cyniques, des fidèles obtus, des « politiques » enfin. La nomenclature est presque complète dans le livre et l'on a l'impression d'y avoir saisi tout Israël, ancien et nouveau.

Jacob est d'abord élevé dans une yéchiba, petite université rustique où les étudiants de la loi sont cantonnés chez les familles du village, à peu près comme chez nous les collégiens de province au temps de Marmontel. Jacob suit tour à tour deux maîtres en Talmud; il apprend auprès d'eux la lettre de la loi et le commentaire dialectique : exercices de mémoire pure ou de subtilité vaine. Il passe ensuite chez un Cabbaliste, où l'enseignement, comme on sait, est un illuminisme scolaire et un messianisme plus ardent. Près d'épouser la fille d'un pieux et riche fidèle, il se fait chasser pour libéralisme et lectures défendues. En effet, un goy rencontré par hasard, un professeur hongrois lui a donné le goût des sciences profanes, des langues vivantes, des livres de perdition. Il se loue comme précepteur à la ville, chez un Juif avocat, dont la femme, Léa, est instruite, mondaine, agréable et terrible à voir. Il est amoureux d'elle, mais il ne le saura que trop tard. Elle joue dans sa vie un bien autre rôle. Elle l'introduit dans une société qui lui eût fait jadis horreur, lui montre en somme les Juifs adaptés rivalisant avec les Chrétiens, tolérés tolé rants, admis parmi les hommes malgré quelques drames inévitables il suffit d'un procès, d'une calomnie, pour que les préventions et les haines se réveillent. Nous sommes en Hongrie, il y a cinquante ans... Lipschutz vient enfin à Paris, où accueillit par ses frères les plus misérables, il se trouve libre, et commence à vivre en colporteur sur le trottoir...

Les volumes suivants raconteront sans doute sa fortune. S'il ne peut sauter l'étape, comme dirait M. Bourget, ses fils du moins auront pignon sur rue, chaire en Sorbonne, siège à la Chambre. Peut-être aussi eux ou leur père prendront conscience de la vanité de ces biens, et vivront en étrangers sur la terre conquise. Ils sentiront la mélancolie d'un triomphe qui a exigé un reniement. Il serait étonnant que les Tharaud conduisent leurs Juifs jusqu'à n'être plus juifs, jusqu'à perdre cette noblesse particulière que donnent à leur race l'amertume secrète dans la joie, la rêverie dans l'action. On n'a pas été pour rien si longtemps chargé de l'opprobre des hommes et de l'écrasante jalousie de Dieu...

La Rose de Sâron ouvre justement des vues aussi profondes que fines sur la psychologie d'Israël. Un des traits curieux en aurait été, sous la stricte observance de la loi, le dédain de la ferme. Les intellectuels de yéchiba ne sont point hantés par Eve. Ils savent qu'une épouse féconde les attend, et n'a pas d'autre noblesse devant le Seigneur. Par une revanche singulière, c'est la femme qui mettra la corruption dens leur monde incorruptible. Entendez ia corruption intellectuelle. Léa, 1 belle patronne du petit Lipschutz, est presque en état d'eportasie, de trahison; elle hait la tradition sociale et morale de ses parents :

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