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Deux Enquêtes

L'année qui vient de commencer verra-t-elle la fin de la guerre ou faudra-t-il tenir encore ? L'Opinion n'a jamais eu la prétention de le dire. Mais si par la guerre on entend la lutte de la France pour sa grandeur, son expansion dans le monde, le triomphe des idées généreuses dont elle est le vivant symbole, alors on peut dire sans crainte de se tromper que la guerre sera longue,qu'elle sera éternelle.Le jour même où dans le monde sonneront les trompettes de la paix, la bataille recommencera plus âpre sur le terrain des idées, sur le terrain social, sur le terrain économique. Qu'on ne s'y trompe pas, là où il n'y a pas effort incessant, il y a sommeil et mort.

Les générations qui se battent savent qu'un autre champ de bataille les attend au lendemain de la démobilisation. Elles y sont préparées. Ce que remue d'idées le cerveau des combattants, les gens de l'arrière l'ignorent trop. On a donné ici même un aperçu du ton sérieux qu'adoptent depuis plusieurs mois les principaux journaux de tranchées. Toutes les gandes questions y sont à l'étude. L'après-guerre passionne les soldats autant que la guerre. Ils ne veulent pas que la paix nous trouve désarmés. En gens qui ont tout risqué ils ont fait le sacrifice de nombreux préjugés ; ils reviendront ayant dépouillé le vieil homme, décidés à entreprnedre, sur les bases du travail et de la probité mais avec une audace que leurs pères n'ont pas connue, la réorganisation de la France de demain. L'Opinion a eu l'insigne honneur d'être choisie pour exprimer, dans un domaine qui lui est familier, quelques-unes de ces espérances d'avenir. Le hasard des rencontres dans les armées a mis un de ses rédacteurs en contact avec un groupe de jeunes universitaires à

la foi communicative, anciens normaliens, agrégés, professeurs libres qui, tout en faisant leur devoir au péril de leur vie, méditaient profondément sur le rôle que l'Université doit être appelée à jouer dans la France nouvelle. Il a eu soin de ne pas s'en désintéresser. Des circonstances favorables, un repos, bien mérité, obtenu par quelques-uns d'entre eux leur leur ont permis enfin de coucher sur le papier le fruit de longues méditations. C'est ce corps de doctrine que nous mettons aujourd'hui sous les yeux de nos lecteurs.

Qu'ils y prennent bien garde, ce n'est pas la pensée d'un théoricien solitaire que nous leur apportons, c'est le credo d'un groupe vivant, c'est la communion de nobles esprits et de grands cœurs dans un même idéal. Cette forte pensée sort de l'action, de l'action tragique que nous vivons depuis bientôt quatre ans.

A la veille de la guerre, Agathon a tracé dans l'Opinion un portrait magistral de ce que l'on appelait alors les jeunes gens d'aujourd'hui. Les jeunes gens d'Agathen ont tenu leurs promesses. Les Compagnors qui ont signé l'UNIVERSITÉ NOUVELLE, ne feront pas mentir les leurs.

Mais notre effort ne devait pas s'en tenir là. A l'armée qui pense, il fallait apporter la preuve que l'arrière songeait également à la lutte pacifique de demain. Toute une France laborieuse s'est résolument Imise à la tâche. Des provinces jusque là endormics se sont levées au bruit des armes. Elles ont voulu ég”lement donner la mesure de leurs forces, car elles ont compris que du repos trompeur, du laisser-vivre l'Allemagne avait tiré le monde pour longtemps. LES RÉGIONS FRANÇAISES RESSUSCITENT. C'est cette résurrection que nous voulons montrer aux combattants, pour qu'ils sentent leur courage accru en voyant si bien compris leur rêve d'énergie et de grandeur nationale.

L'OPINION.

L'Organisation de la France

I. -- L'UNIVERSITÉ NOUVELLE

« Il n'y a jamais eu de crises de l'ensei-
gnement. Les crises de l'enseignement
ne sont pas des crises de l'enseigne-
ment; elles sont des crises de vie ».
(Péguy)

Laissons les morts enterrer les morts.
Nous les vivants, nous les jeunes, nous qui, à cette
heure tragique,au danger ou dans l'angoisse des sépara-
tions et des deuils, nous comptons dans le rang, frisson-
nants et comme interdits en face de cette vie qui nous
est encore laissée, devant l'avenir attirant et redou-
table, nous les vivants, nous les jeunes, nous voulons
ressusciter nos morts.

tombes, France

Oui, les ressusciter, les faire sortir de leurs leur donner un corps nouveau, en créant une nouvelle. Le monde est devenu plastique, a dit Wells. Nulle réalité n'a pu se soustraire au bouleversement universel.

Ne perdons pas un temps précieux à chercher les causes lointaines de l'incendie qui, soudainement, a détruit l'ordre ancien. N'écrivons pas l'histoire. Faisons-la. Voici le métal ardent. Il n'a point encore coulé dans le moule rigide. Que la forme soit prête avant qu'il ne se refroidisse. De qui dépend-elle, cette forme, sinon de l'esprit humain, maître de l'heure?

Créer une France nouvelle, c'est créer un esprit français nouveau, c'est créer un enseignement nouveau, une université nouvelle, un pouvoir spirituel nouveau.

Si les vieux cadres éclatent, que périssent les vieux cadres! Nous ne serons point tendres. Nous avons trop souffert. Nous sommes las de ceux qui invoquent « l'esprit français » pour le fermer aux réalités, pour donner à leurs traditions, à leurs préjugés, une illusoire consécration.

Il s'agit bien de détruire! C'est à une œuvre de reconstruction, c'est à une œuvre positive que chacun de nous, toute ambition personnelle et toute ironic sceptique écartées, veut de tout son élan, sans tarder, apporter sa pierre. Il serait criminel d'en rester à l'attitude critique qui fut la nôtre à la veille de la catastrophe. Nous n'avons plus qu'une passion, qu'une hantise : refaire la maison. Et cette maison, nous voulons la reconstruire assez vite pour y abriter, sinon nos vies en principe sacrifiées, du moins celles de nos enfants.

On nous dira: « Vous n'êtes pas prêts. Vous avez perdu le contact avec le pays. Là-bas, sur le front, vous n'êtes plus au courant. Derrière vous, la France a marché sans vous. Attendez, renseignez-vous. Vovez notre travail. Voici déjà qu'on regratte les pierres de taille et qu'on refait les plâtres ».

Ah, nous les reconnaissons, les petits projets, les netites réformes, les petits revues! Nous en voyons déjà, parmi nos anciens, qui s'asseoient dans l'arrière-boutique, au milieu des moellons tombés, pour compter leurs gros sous auprès d'un maigre feu. Avec ceux-là nous ne sommes pas. Nous ne ferons pas les choses à moitié. Allons-nous temporiser ? Allons-nous attendre. sur le seuil détruit. que les puissants viennent à nous ? Allons-nous ménager les uns et nous concilier les autres ?

Non. Nous savons ce que nous voulons. Nous savons assez pour agir. Et pour nous grouper.

Car un héritage nous a été transmis. Par delà cette

guerre atroce, par delà cette coupure saignante dans notre passé, cet héritage veut être par nous sauvé et par nous agrandi. Avant tout, vigoureusement, dégageons la base ancienne, déblayons les décombres, mettons au jour les fondations. De ceux qui ont vécu la guerre et qui ont consenti le sacrifice total, notre vieille culture nationale recevra sa force nouvelle, sa vertu de régénération.

Qui de nous, errant à travers les pays étrangers, n'a connu, comme par contraste, le prix infini de cette tradition? Qui de nous, en face d'un pédant Allemand ou d'un Anglo-Saxon mal instruit, n'a senti rayonner en soi, avec une intime douceur, ce trésor de science et de finesse. Il n'appartient qu'à nous, cet indéfinissable esprit qui fait fleurir, au terme du plus intense effort, audessus du sérieux le plus passionné, toutes les nuances de l'ironie et du sourire. Qui de nous n'est fier du labeur de la probité, du goût qui s'affirmaient, chaque jour,entre les murs de nos écoles? Les élèves et les maîtres rivalisaient d'ardeur et ce n'était point de paresse, Dieu merci, que se mourait notre Université.

Aucun enseignement primaire, en aucun pays, n'avait des instituteurs plus intelligents, plus instruits et plus dévoués que les nôtres,des livres de classe mieux conçus et mieux illustrés, un programme plus clair, une méthode plus sûre.

Aucun enseignement secondaire, en aucun pays, 1.e pouvait comparer ses professeurs aux nôtres. Aucune nation n'avait créé une institution senmblable à notre Ecole Normale Supérieure et n'avait surtout exigé des futurs maîtres une culture plus approfondie. Ils n'aimaient pas, nos agrégés, qu'un Allemand vînt confondre avec leur titre si durement conquis son vulgaire et facile « examen d'Etat ». Quels élèves étrangers pouvaient se mesurer avec les meilleurs de nos candidats à Polytechnique et à Centrale?

Aucun enseignemnt supérieur, en aucun pays, n'avait l'élévation du nôtre. Où travaillait-on plus noblement que dans nos Facultés? Quels livres étaient mieux construits, quels sujets plus étudiés que les nôtres ? Dans quels amphithéâtres d'Allemagne, d'Angleterre ou des Etats-Unis les leçons et les cours étaient-ils plus soignés, plus condensés, mieux dits que dans nos Universités? Les talents individuels ne manquaient pas. Il y en avait trop. Pléthore d'esprits fins, pléthore de travailleurs honnêtes, pléthore de livres et de thèses! Notre vieille Université, de si antique tradition, recélait un véritable trésor.

Mais ce trésor était caché. Son ravonnement ne s'étendait pas au pays. L'Université était une maison sans fenêtres. Là trouvaient asile, dans une ombre paisible, les vertus studieuses négligées des politiciens. Là s'abritaient le labeur persévérant, la modestie, l'amour de la vérité. Là régnait, somme toute, la justice les places allaient aux plus méritants. Mais on y vivait comme dans une secte, dans la jouissance des biens spirituels méconnus du vulgaire. On y formait des veaux, non des hommes. La maison se laissait ignorer. Quand elle n'était pas méconnue ou calomniée par les professionnels de l'action, les industriels, les agriculteurs, les commerçants, méconnue ou calomniée par toute cette bourgeoisie qui lui prêtait ses fils pour quelques années, car il faut bien « aller au lycée » ou « faire

ses études », avant d'aborder ce qu'on appelait, avant la guerre, « la lutte pour la vie ».

De la situation faite à l'Université dans la nation, nul d'entre nous ne peut parler sans une révolte de tout son être.

des

N'étions-nous pas las, las d'une lassitude qui touchait au dégoût, de l'omnipotence de cet Etat, si foncièrement indifférent aux destinées de la culture et qui, cependant, présidait presque seul à ces destinées? Las de cette centralisation qui uniformisait toutes les études, qui nous enserrait tous, nous broyait dans l'étau grands concours parisiens? Las de ce corps enseignant qui n'était pas un corps, un corps vivant, actif, mû par un idéal commun, mais un ensemble anarchique de fonctionnaires mal payés, sans âme et sans pensée propres?

N'étions-nous pas las de voir, dans l'enseignement primaire, des maîtres sans contact avec ceux des autres enseignements, révoltés par la dureté de leur tâche, l'exiguïté de leurs ressources, associés sans doute, mais souvent pour les fins d'une politique misérable? Ils usaient le meilleur de leur énergie à donner des rudiments hâtifs à des élèves pressés de quitter l'école. A ces enfants, fils de paysans ou d'ouvriers, ils dispensaient, pour la plupart, une instruction élémentaire sans lien véritable avec leur activité future, avec leur profession de demain.

N'étions-nous pas las de ces lycées où, loin du peuple, sous le regard terne d'administrateurs et de professeurs-fonctionnaires, les fils d'une bourgeoisie égoïste se succédaient automatiquement, poussés tant bien que mal vers le tourniquet du baccalauréat ? Un programme trop chargé! Trop d'heures de classes! Pas de vie physique, pas de vie spirituelle ! Que n'avait-on dit contre ces tares, sans les faire disparaître?

N'étions-nous pas las de ces Universités où ne se formaient que des camaraderies éphémères, où des êtres jeunes, en ce fatal isolement que créait une concurrence implacable, puisaient, à l'écart de la vie, un pauvre aliment dans les livres, dans la critique, dans un enseignement qui, trop souvent, voilait sous les apparences de la science objective son indifférence et son scepticisme.

N'étions-nous pas las, enfin, de ces vieilles académies et sociétés savantes, insoucieuses de la nation, de ces sépulcres bianchis servant de tombeaux à tant de bons esprits qui, pour y atteindre, usent encore stérilement le meilleur de leurs forces?

Une si riche élite, une si médiocre institution. Tant de labeur individuel, tant d'incapacité sociale! Là était le secret de notre impuissance.

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Une réforme s'impose. Une réforme totale et franche. A réorganiser cette France que nous avons comme les autres, sauvée, nous ne serons pas les derniers. Dès maintenant, au cours de ce quatrième hiver de guerre, et quels que soient les soucis de cette heure grave, tous les cerveaux sont en travail. Les Allemands peuvent prendre l'offensive; ils ne nous empêcheront pas de songer à la France. Paysans et ouvriers, commerçants et industriels, tous pensent à l'avenir, tous le préparent, tous essaient d'en ébaucher le dessin. Partout les projets de réforme s'esquissent à grands traits. Lysis dit à tous, avec clarté et simplicité, ce que doit être la réforme économique. Probus dresse le plan de la reconstitution administrative et politique. Clouard bat le rappel dans l'Opinion. On veut changer les habitudes du travailleur, du patron, de l'administrateur, de l'homme politique !

De cette guerre qui ne peut être comprise que comme

une grande leçon, de cette guerre qui impose au pays une concentration toujours plus vigoureuse de tous ses moyens matériels, de toutes ses ressources spirituelles, de cette guerre enfin qui apprend aux hommes à vivre en commun, à mettre leurs ressources en commun, à se priver chacun pour la communauté, de cette guerre tout noble esprit veut que sa classe, sa profession, ses compagnons de travail tirent un pront definitif.

nous

Et l'enseignement demeurerait à l'écart de ce mouvement qui, sourdement, peu à peu, soulève le pays vers de plus hautes destinées, déchire les voiles et montre déja, au travers des bouleversements tragiques, lauguste figure de l'avenir ! On veut tout changer. Et on ne se demanderait pas s'il faut changer les idées et les mœurs ! Connaissez-vous un grand exposé de la réforme de l'enseignement, d'une réforme qui, sans rompre avec le passé, utiliserait toutes les forces vives mises en branle par la guerre et donnerait à l'unanimité spirituelle du présent forme et réalité?

Qu'avons-nous fait de nos droits? Des droits de l'intelligence? IL NE FAUT PLUS QU'ON PUISSE, COMME

AUTREFOIS, OPPOSER L'INTELLIGENCE A L'ACTION. Nous avons montré que nous savions agir, agir, agir jusqu'à mourir, jusqu'à mourir en masse.

Réveillons notre

pensée et ouvrons-lui cet avenir, au lieu de nous y engager, déjà soumis d'avance tels des somnambules. L'avenir, a dit Clouard, se prépare avec une tête bien faite. Assez d'autres, sans nous, font les gestes de la vie.

Nous avons des idées, mettons-les en commun. Repérons-nous. Comptons-nous, Groupons nous. Groupons nous. Nous avons tous fait les mêmes expériences. Je suis sûr qu'en réfléchissant un peu sur notre passé de guerre et sur notre avenir de paix, nous serons tous du même avis. Cet avis, disons-le, crions-le, imposons-le.

Cet appel aux jeunes, est-ce aussi un appel aux maîtres ? C'est à ceux-ci d'en décider.

Les maîtres...? Nous avons donc eu des maîtres! Où

sont-ils, que font-ils ? Veulent-ils préparer eux-mêmes la maison pour ceux d'entre nous qui reviendront un jour ? Nous avons vécu dans des cadres. Demain, que ces cadres craquent, et nous risquons d'être désorientés. Demain, que tous les problèmes surgissent et nous risquons d'être hésitants? Maîtres, abandonnez donc vos << travaux personnels », vos livres, vos articles. Laissez de côté vos mosaïques. Prenez avec nous la pioche et la truelle. Unissons-nous et rebâtissons ensemble la mai

son.

D'aucuns, nous le savons, veulent agir directement sur la politique. Ils envoient des adresses ou des déléga tions aux hommes chargés de la chose publique. Ont-ils donc encore l'illusion qu'ils puissent exercer une influence sur la gestion des affaires? Croient-ils que leurs idées claires ou justes, que leur esprit critique, que leur labeur calme aient assez de puissance intrinsèque pour redresser les erreurs et les combinaisons des couloirs Les politiciens nous méprisent. L'un d'eux, radical de marque, n'a-t-il pas décliné, il n'y a pas bien longtemps,le portefeuille de l'Instruction Publique parce qu'il le jugeait trop maigre ? Le cabinet de la rue de Grenelle ne correspondait pas à l' «importance de son groupe »! Sans lui, d'ailleurs, nous avons eu six ministres au cours de cette guerre. Ils ont défilé, chacun avec un discours, « comme en un vertige »>.

Non, il ne s'agit pas d'envoyer des placets ! Les « enseignants » ne seront rien, dans la nation, tant que le « corps enseignant » n'aura pas une unité, une unité qui soit une force.

Il n'y a qu'un moyen d'en sortir mettre au service des causes justes une force constituée : la corporation vivante. Comment s'y prenaient, au moyen âge, les maçons qui construisaient les cathédrales ?

Maîtres,ne vous faites pas d'illusions. Dans la vieille maison éventrée par la guerre, il faut tout remettre à neuf, tout unir et tout cimenter. Il faut refondre les dées, les programmes, les méthodes et le recrutement. Mieux vaut nous soutenir que nous résister. Mieux vaut nous aider que nous opposer la force d'inertie, nous aider à dégager notre réforme que nous imposer votre expérience. Votre expérience, c'est votre tradition, et votre tradition, elle meurt à la grande guerre.

Soyons nets. Ce ne sont pas les professeurs et les idées de 1900 qui feront la France de 1950. Les deux tiers de la jeune Université sont tués. Ne croyez pas que le reste va se précipiter à l'assaut de vos chaires. Ou bien vous nous ouvrirez vous-mêmes, toute grande, ia porte branlante et ce sera très bien de nous accueiliir, de nous adopter, de nous diriger; ou bien nous nous en irons. Dans les champs, dans les entrepôts, les entrepôts, dans les usines, sur les bateaux, aux colonies, à l'étranger. Nous les intellectuels, comme les autres. Voulezvous rester seuls dans des théâtres vides? Ce serait un crime contre l'intelligence et contre la patrie. Toute une génération vient de vous échapper pour aller à la mort. Qu'allez-vous dire à celle qui monte vers la vie? Vous représentez les droits de l'intelligence. Avec nous, faites les respecter.

Mais non, nous ne nous en irons pas. C'est nous, les premiers, qui commencerons l'œuvre nouvelle. N'est-ce pas à nous, «‹ à ceux qui reviendront » que Liard avant de mourir, a transmis le flambeau ? Nous ne voulons pas déserter. Il faut rallumer le foyer. Nous qui avons combattu, nous qui avons encore à combattre pour défendre la maison ravagée, c'est nous qui la reconstrui

rons.

Car nous ne sommes plus ce que nous étions autrefois. Sur nos têtes le vent et la tempête ont passé. Nous avons changé. Nous souffrions, avant la guerre, de la torpeur générale. Nous nous en sentions responsables. Nous en portions justement le poids. De ce poids nous nous libérons.

D'un mot, l'opinion publique nous avait jugés. Elle nous appelait les intellectuels. En ce mot fatal, summa injuria, elle résumait tout un passé d'erreurs et d'incapacités. L'intellectuel, c'était l'homme qui cherchait la vérité, moins dans la vie âpre et dure dont l'expérience la dégage avec peine, que dans les livres où elle est donnée toute faite. L'intellectuel, c'était le critique. L'intellectuel, c'était le rationaliste qui voulait empri. sonner la vie, la vie professionnelle, morale, religieuse, dans les pauxres formules de sa science indigente et de son laïcisme. L'intellectuel,enfin, c'était l'individualiste. Il ne voyait pas qu'une idée ne devient une force que si elle est servie par des forts, par des forts bien groupés. Qui de nous ne se l'avoue? L'intellectuel ressemblait au << sentimentaliste » de Meredith, fleur qui pousse sur une civilisation devenue trop grasse, qui se porte vers toutes choses avec un égal intérêt et qui s'en détache avec une égale indifférence. Et il était, en même temps, cet homme homme de Tolstoï dont la pensée, tournant à vide sur elle-même, comme une roue qui ne mord sur aucun engrenage, ne soulève rien, n'entraîne rien, ne produit rien.

De ce mépris de l'opinion, le plus humiliant, le plus décourageant. nous nous dégagions déjà, à la veille de la guerre, alors que Péguy, possédé de l'esprit nouveau, nous montrait la voie. Mais nous ne nous en sommes délivrés que le jour où le Destin nous a jetés dans l'action. Quelle action! Ce jour-là, avons montré au pays, à nos camarades des tranchées, paysans et ouvriers, qu'il y avait autre chose en nous que des idées vagues, qu'un cœur battait dans nos poitrines, que nous étions capables de lutter, de tenir, de

mourir pour une cause sacrée. Nous les intellectuels, si ignorés, si décriés, nous nous sommes sacrifiés, comme les autres, avec les autres. Nous nous sommes soumis peut-être plus que les autres. De jeunes philosophes tous les premiers, ont été d'admirables soldats. Ils ont été des chefs aussi, parce qu'ils avaient une âme, une pensée qui, soudain, a pris vie et corps dans l'action commune, dans ce danger qui, du fond de la boue sanglante, tendait toutes les énergies convulsées vers le même but. Il nous semble encore entendre l'un d'eux, l'un des plus purs, nous dire, dix jours avant l'attaque qui devait lui coûter la vie et d'une voix qui ne s'oublie pas, ces simples mots, ces trois mots : « C'est un sacerdoce. » Et cet autre, plus jeune, aussi pur, notre ami, tué à Verdun, de son cœur apaisé, ne laissait-il pas monter cet aveu «Nous sommes les moines d'un ordre nouveau. »

Ah oui, les intellectuels ! Volontairement, ils ont laissé la torpeur envahir leur pensée. Ils ont vécu, avec quelle mélancolie, dans un grand sentiment tout puissant et monotone. Ils ont enchaîné leur intelligence, repoussé cet esprit critique qui avait jusqu'alors paralysé leur action, et ils ont agi. Mais, dans ce renoncement qui fut un sourire, ils ont agrandi leur âme. Partis élèves ou maîtres, ils reviennent hommes. Hommes faits, hommes réfléchis, hommes volontaires. Ils veulent être une force dans la Nation. Car, il s'est trouvé dans la guerre même,par un étrange paradoxe, qu'ils étaient mieux armés pour l'action que tant d'autres. Ils avaient un idéal, la passion de cet idéal, et cette passion n'attendait qu'un aliment. C'est en souffrant, en combattant avec des hommes simples qu'ils sont devenus des hommes. Merveilleuse union! Ce qu'ils étaient en puissance, ils le sont maintenant en réalité. Ils se sont trouvés, d'un seul coup, des chefs.

Dans la longue nuit qu'est la guerre, brûlent sans trève, sur les sommets, les bûchers de ces héros morts. La maison est en ruines. Voici que nous venons pour relever les murs, ces murs qui vont abriter des foyers vivants. Au travail ! Nos morts nous voient.

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Car ils avaient compris ce qu'est la saine, la véritable intelligence. Ils avaient compris ce qu'est l'union féconde de la pensée et de la vie. Que serait la vie, la vie quotidienne, confuse et multiple, sans la pensée qui l'ordonne et la soulève ? Que serait la pensée sans la vie qui la nourrit de ses intuitions et de ses expériences ?

De cette union entre la pensée et la vie, ayons le courage de le dire, l'Allemagne nous avait donné l'exemple. Le secret de sa puissance, ceux qui l'avaient étudiée à fond, le connaissaient bien. C'est la synthèse de la spéculation et de l'expérience. Nous savions qu'il n'y avait pas eu, au XIX siècle une Allemagne sentimentale et philosophique à laquelle, on ne sait pourquoi, en aurait succédé une autre, réaliste et utilitaire. Nous savions que le romantisme allemand avait prêché l'union de la science et de l'action, qu'un Goethe en avait fait le centre de sa vie.Nous savions qu'avant 1848 avait commencé déjà·là-bas, un grand travail d'organisation nationale,que cette doctrine était peu à peu devenue vivante et qu'elle inspirait, à la veille de la guerre,l'immense labeur de tout le pays. En Allemagne, on ne traitait pas les professeurs d'intellectuels; on utilisait leurs recherches. En Allemagne, les idéologues méprisaient pas les hommes d'action; ils allaient à eux et travaillaient pour eux.

Et maintenant, que savons-nous, sinon que l'ennemi, là aussi, là comme ailleurs, se prépare à l'œuvre de demain ? L'Allemagne n'a pas attendu la fin de la guerre pour commencer la réforme de l'enseignement. Elle

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