Imágenes de páginas
PDF
EPUB

minée par le massif du Tomba. L'opération conçue selon les méthodes qui donnent le succès, rigoureusement exécutée à tous les échelons, avait réussi complètement. C'était, dans la guerre moderne et sur ce terrain, une opération modèle

Imaginons quelle était avant le 30 décembre, dans ce coin du front entre Brenta et Piave, la situation des troupes françaises qui avaient quelques semaines auparavant relevé des divisions italiennes. Une partie du mont Tomba était à l'ennemi; une autre nous appartenait. En effet, le Tomba culmine en deux points; la première crête cotée 877 était demeurée aux mains de nos alliés après les durs combats qui avaient marqué les derniers jours de novembre; l'autre crête cotée 868 leur avait été enlevée. D'observatoire à observatoire, on se regardait pour ainsi dire, de balcon à balcon, avec la séparation d'une très large rue figurée par un ravin peu profond. Si le balcon que nous occupions nous valait des vues avantageuses sur les arrières de l'adversaire, delui des Austro-Allemands. ne leur en procurait pas de moins favorables sur nos lignes. De 868, comme de la crête de Monfenera qu'ils tenaient tout entière, ils surveillaient tous nos mouvements dans la vallée de la Curogna. Et la possession du Tomba leur assurait encore un point d'appui pour une opération sur les flancs Est du Grappa : à l'abri des crêtes, ils pouvaient masser dans la vallée de l'Ornio une importante artillerie pour attaquer le Pallone tandis que la crête du Tomba leur servirait ultérieurement de base de départ pour achever par l'Est le débordement du Grappa.

Il fallait pour les Français améliorer cette situation. Il convenait de ruiner ces projets. L'attaque du 30 décembre fut décidée.

Quelles étaient les difficultés à vaincre pour conserver à la fois le secret nécessaire et mettre dans notre camp, par une minutieuse préparation, toutes les chan ces de réussir, l'examen seul d'une carte et la connaissance de la situation tactique l'indiquent assez. Et déjà, les journaux ont rapporté l'effort considérable qu'exigeaient l'aménagement d'une ligne récente et par cela même inorganisée, la création de pistes nouvelles, la construction d'abris pour les réserves. Ils ont dit les périls des ravitaillements en munitions et en vivres : la nécessité d'approvisionner en eau les troupes stationnées sur ces sommets arides. Certaines nuits. sous la neige, des théories de mulets lourdement chargés gravissaient les pentes du Tomba par les sentiers tortueux, larges de quelques nouces, au bord de précipices de 400 mètres. Quelques-uns périrent de ces auxiliaires honnêtes de la guerre de montagne. Mais les muletiers faisaient serrer le cortège et la préparation de l'attaque francaise avançait. Le 30 décembre, au lever du jour, tout était en place.

L'ATTAQUE

Le 28 décembre, les tirs de destruction ont commencé ; ils ont été poursuivis le 29 sur un mode méthodique et lent afin de ne pas attirer outre mesure l'attention de l'ennemi tandis que des concentrations rapides étaient effectuées sur les bovaux et les zones de rassemblement. Le programme de l'action d'artillerie, ce programme réglé dans le détail qu'exige toute ac tion offensive dans le combat moderne, se déroule selon un scénario nuancé.

Le 30 décembre, à 11 h. 5, toute l'artillerie francaise du secteur entre en action et les voix formidables des batteries anglaises et italiennes voisines et celles d'une batterie de « bombardes » italiennes fraternellement installées sur les pentes mêmes du Tomba, à côté de notre artillerie de tranchée, se mêlent

au fracas de ia canonnade française. La riposte autrichienne paraît faible et incertaine, plus marquée cependant sur la région de la cote 877 sérieusement battue par des projectiles lourds, assez vive également sur les arrières.

A 14 h. 30, l'intensité de tir est maxima; elle décroît ensuite pour troubler l'adversaire. A 16 h. 4, de nouveau, toutes les pièces ouvrent un feu brusque et rapide sur les objectifs prévus. Une minute après, les chasseurs de la division Dillemann sortent de leurs tranchées, précédés par un barrage roulant qui se dessine parfaitement sur le terrain.

Des éléments appartenant à trois bataillons convergent à l'assaut des crêtes du Tomba et du Monfenera, protégés sur leur droite par un détachement de couverture. On les voit monter, descendre, remonter, manouvrer, dans un ordre impeccable.

A l'ouest, marchent les chasseurs du bataillon X..., ceux qui auront l'honneur de prendre la cote 868 et trois canons. Un barrage serré les accueille presque à leur débouché, mais ils le franchissent brillamment. En dix minutes, ils sont sur leurs objectifs et les tiennent solidement.

Au centre, avancent les chasseurs du bataillon Y..., Cinq minutes et ils sont dans la première ligne autrichienne... A 16 h. 21, ils ont pris leur objectif final.

A droite, ceux du bataillon Z.. ne sont pas moins brillants. Vingt minutes sont le temps qu'ils mettent pour emporter tout ce qu'ils devaient emporter. Devant pareil assaut, l'infanterie autrichienne, abrutie par le tir de préparation, tient peu, tire quelques coups de fusils et lance au hasard des pétards. Elle est encore la face contre terre, cherchant une protection contre les explosions qui ont bouleversé les tranchées que déjà les Français sont sur elle. Toutes les résistances sont vite maîtrisées. Cependant, à l'ouest et au nord de Casa Naranzine, sur la crête de Monfenera, des officiers autrichiens et des isolés tentent une honorable résistance. Ils se défendent à la grenade et à la mitrailleuse Effort désespéré. Déjà toute la crête appartient aux Français. Le détachement de couverture, sous les ordres du capitaine Lalande, s'élance même au-delà de ses objectifs. A 16 h. 40, il faut le ramener en arrière pour ne pas gêner l'action de l'artillerie francaise qui bat les cheminements par où pourraient déboucher les réserves pour une contre-attaque et peut-être l'Alpen Korns bavarois dont on 51gnale la présence dans la région de Quero.

Mais il n'y aura pas de contre-attaque. L'Alpen Korps ne viendra pas au secours de ses alliés. Le succès français est trop complet; l'ennemi est désemparé. Chez lui, les liens tactiques sont rompus. Il ne peut songer à une riposte qu'il est impuissant à préparer. Il lui faut, au contraire, accenter toutes les conséquences de l'échec qu'il vient de subir. Le 30. les crêtes lui ont été arrachées de vive force; les jours suivants, sous la pression de nos patrouilles, il évacue les pentes nord du Tomba et du Monfenera et se retire au-delà du torrent Ornio, rompant le contact avec les Francais. Il laisse sur le champ de bataille plus de 550 cadavres 44 officiers. 1.517 hommes de troupes prisonniers et un important butin. Enfin, la 50a division antrichienne, une des meilleures unités de montagne de la double monarchie, sort du combat à peu près annihilée.

C'est justement que le commandant du groupe peut, ce soir du 30 décembre, transmettre aux troupes qui ont mené l'attaque, avec le témoignage précieux donné par S. M. le roi d'Italie, ses félicitations de chef et sa gratitude.

X.

Affaires Extérieures

surtout à jour? il est malheureusement permis d'en dou ter. Nous n'avons pas cessé de faire en Russie une politique centralisatrice dans laquelle Petrograd jouait un

La paix de l'Ukraine et l'Autriche-Hongrie rôle exclusif. Il est encore aujourd'hui des experts en

Nous vivons en une curieuse époque d'ignorance. Prenons par exemple la question de l'Ukraine. Nous n'avons à ce sujet de renseignements que de source allemande ou autrichienne. S'agit-il de préliminaires? d'une base générale d'accord? d'un double projet que M. von Kuhlmann doit apporter à Berlin tandis que les délégués ukrainiens iront le présenter à la Rada de Kief? Nul n'en sait rien, sauf les délégués allemands et ukrainiens. Le radio allemand de propagande en date du 20 janvier déclare que « les négociations sont parvenues à un point qui impose aux délégations le devoir de prendre contact avec les autorités responsables de leurs pays réciproques ». Il faut donc attendre le visa de la Rada ukrainienne aux propositions de la délégation allemande. Nous sommes assez portés à croire que l'accord se conclura et en voici la raison. L'Allemagne poursuit à Brest-Litovsk un double objectif: y conclure le plus vite possible une paix donnant à son peuple l'espoir d'un prompt ravitaillement dont il a le plus urgent besoin et, d'autre part, y récolter des avantages territoriaux et économiques pour l'avenir. Or, l'Ukraine offre pour l'Allemagne cette caractéristique que son territoire n'est pas dans la zone annexionnable allemande et par contre contient le grenier de la Russie. Il est bien évident que dans ces conditions l'Allemagne a un inté rêt majeur à se montrer d'un libéralisme intégral à l'égard de l'Ukraine qui doit lui fournir du blé et dont le programme national ne gêne pas l'impérialisme annexionniste allemand. Reste à savoir conditions posées par l'Ukraine. Sont-elles modestes ? Empiètent-elles au contraire sur un territoire que l'on s'attendait à voir attribuer au futur royaume de Pologne ? De quel œil l'Autriche a-t-elle vu les concessions faites aux Ukrainiens? Quel accueil cette paix trouvera-t-elle auprès des Polonais si elle se fait à leurs dépens? Pour avoir du blé, les Allemands sont évidemment décidés à faire un peu n'importe quoi. Il est assez probable que les Ukrainiens le savent et ne perdent pas un aussi magnifique atout Sauront-ils entièrement l'exploiter? Nous ne savons malheureusement pas la valeur exacte des représentants de l'Ukraine; de qui ils tiennent leurs mandats et au nom de quels groupements ils parlent. Il nous souvient qu'au début de la guerre on vit apparaître à Lemberg une organisation d'Ukrainiens russes qui prit le titre d' « Alliance pour la libération de l'Ukraine ». Cette organisation émigra à Vienne quand les Russes approchèrent de Lemberg.

les

Quelques-uns de ces loups se sont-ils, avec la défaite, introduits dans la bergerie ukrainienne? Les délégués ukrainiens à Brest-Litovsk représentent-ils l'Ukraine comme Trotsky représente l'Empire russe? Avons-nous affaire à des aventuriers à la solde de l'Allemagne ? à des niais guidés par des agents allemands? aux seuls représentants de Kief et de sa banlieue, ou au contraire à des délégués parlant au nom de la grande Ukraine qui compte 850.000 kilomètres carrés avec quarante millions d'habitants.

Quand donc et sous quelle forme cette délégation aurait-elle été conférée? Il faut avouer bien humblement que nous ne savons rien de tout cela. Les communications avec la Russie du sud ont été rendues presque impossibles depuis le règne de l'anarchie bolchevik.Les gouvernements de l'Entente sont-ils mieux renseignés? Leurs dossiers sur l'Ukraine sont-ils mieux fournis et

et

questions russes, et non des moins intelligents, qui croient à un retour d'un régime monarchique. Admettons que la version allemande soit exacte qu'une paix prochaine rétablisse les relations commerciales entre l'Ukraine et les Empires centraux, fasse régner des rapports amicaux entre les ennemis de la veille, ce sera certes un succès appréciable pour l'Allemagne au point de vue du ravitaillement immédiat de sa population, mais ce n'est là, il faut l'affimer, qu'un remède empirique.

En signant avec l'Ukraine une paix qui doit, probablement, être généreuse, étant donnés les résultats immédiats qu'on en attend, l'Allemagne sacrifie, à notre avis, l'avenir au présent. Cette reconnaissance solennelle d'une des nationalités russes ne peut pas être sans lendemain. Non seulement elle encouragera les revendications des autres nationalités, mais elle incitera les Ukrainiens eux-mêmes à poursuivre la réalisation de leur « grande unité », à réclamer l'incorporation des Ruthènes de Galicie, de Bukovine et du nord-est de la Hongrie. Ainsi l'Autriche, pour avoir voulu initialement se débarrasser de l'agitation panserbe et avoir déchaîné la guerre mondiale en vue d'écraser trois millions de Serbes, se trouvera en face d'un nouvel irrédentisme autrement formidable puisqu'il sera appuyé par quarante millions d'Ukrainiens. Comme la Serbie renaîtra fatalement de ses cendres, que la Roumanie se relèvera,

les éléments tchèques et yougo-slaves auront trouvé dans la guerre le levain de souffrance dont rien n'étouffera plus l'action, la question d'Autriche se rouvrira fatalement quelque jour. Le monde marche vers l'inévitable et la justice est inévitable. Il est évident que l'Allemagne sacrifie aujourd'hui l'Autriche et ses intérêts en vue de réaliser son propre programme économique et annexionniste.

Lorsqu'en juillet 1914 elle demandait la complicité. de Berlin pour son agression contre la Serbie, elle aurait dû se souvenir que les criminels sont toujours trahis et abandonnés par leurs complices. L'Allemagne a appuyé à fond le coup autricfien parce que l'occasion lui paraissait propice.

La guerre s'est prolongée, l'Autriche a dû peu à peu faire passer son encaisse métallique dans les coffres de Berlin (800 millions d'or). Il n'y a plus actuellement que 264 millions d'or à Vienne pour couvrir 17 milliards. de billets en circulation. Le gouvernement autrichien se débat contre l'emprise allernande. Il est en même temps tiraillé par des difficultés intérieures de la plus évidente gravité. La grève générale des usines de guerre d'Autriche, qui continue encore à l'heure où nous écrivons, est un symptôme qu'il ne faut ni exagérer ni diminuer. Le fait que le président du conseil a dû se résoudre à parlementer de la facon la plus bienveillante avec les leaders de mouvement qui lui ont présenté un ultimatum en trois points : 1o paix sans annexions et droit des peuples à disposer d'eux-mêmes :2° dénôt im

médiat du proiet de loi sur la réforme électorale et dissolution de la Chambre en cas d'obstruction; 3° répartition des denrées à la classe ouvrière,et qui se sont bornés à répondre aux exhortations natriotiques de M. Weckerlé qu'il «espéraient » que les déclarations du gouverne ment amèneraient les ouvriers à reprendre le travail, est un phénomène jusqu'ici inconnu dans l'histoire gouvernementale austro-hongroise.

C'est ainsi souvent que commencent les révolutions.

INTERIM.

Armée et Marine

Marguerite T.P.S.

Encore ces quelques marches, et voici le rameau nord du P. C. Marguerite, d'où le colonel R. commande à l'infanterie du secteur. Nous sommes à huit mètres sous terre et dans une galerie de grande mine, c'est-àdire presque en absolue sécurité. D'ailleurs écoutez : on n'entend déjà plus qu'à peine les canons.

Mais poussez cette porte voici le poste. Un bruit d'abeilles un peu lent et métallique; une clarté diffuse qui laisse de grands lambeaux d'ombre accrochés aux angles des cadres de mine.

A droite, disposées en deux étages entre les madriers, les couchettes superposées; à gauche, une table longue avec un alignement ordonné de coffrets, où brillent des cuivres de manettes et de plots polis, où convergent une dizaine de gros fils noirs venus du fond de la sape. A la table deux hommes assis, penchés vers les appareils et coiffés du casque téléphonique écrivent rapidement sur de grandes feuilles blanches des mots mystérieux, tous d'un nombre égal de lettres, dans un idiome in

connu.

Cette musique cadencée vient de notre amplificateur. Voyez cette boîte noire avec une manette de cuivre sur sa façade et trois ampoules électriques d'une allure. un peu particulière sur son toit.

Lucie travaille en ce moment; ils ont deux prisonniers, paraît-il, dit un sapeur.

Lucie, c'est le P. C. du dernier commandant de bataillon sur notre gauche, à quelque trois mille mètres d'ici au nord-ouest. Son message nous parvient par le sol, sans que nul fil relie les deux postes. D'où ces signes que vous avez lus sur ce seuil, et qui vous ont intrigué peut-être : « T. P. S. ».

La télégraphie par le sol : c'est une nouveauté de guerre et un défi aux liaisons surannées téléphoniques et télégraphiques. C'est ici la science à la guerre, et quel progrès!

Vous savez qu'au début des opérations, le télégraphe et le téléphone ont été les deux essentielles liaisons électriques, et celui-ci plus encore que celui-là, qui exigeait certains soins d'établissement qu'on pouvait négliger pour le second. Et puis surtout le téléphone permettait de « causer ». Il est en effet bien commode de causer, et il peut même paraître qu'un ordre donné par un chef à un subalterne de vive voix sera mieux et plus vite compris que s'il a été transmis dans un message chiffré suivant un code secret. Mais il est devenu dangereux de causer; des oreilles ennemies nous écoutent toujours. Des indications imprudentes échappent au causeur dont sait profiter notre adversaire quand ses appareils amplificateurs peuvent recueillir la conversation.

Il n'est pas nécessaire de se parler pour donner un ordre, bien plus il est toujours avantageux qu'il soit écrit. D'ailleurs les Allemands souvent plus circonspects, usent certainement moins que nous des téléphones de tranchées.

Enfin une liaison téléphonique nécessite une ligne en câble de campagne isolé, plus généralement même, aujourd'hui, deux lignes, car on évite le retour du courant par la terre depuis qu'on sait que l'ennemi peut par là plus facilement surprendre nos messages.

L'établissement de ces lignes est long et précaire sous Te bombardement. Il réclame un nombreux personnel personnel pour la construction et la réparation parfois difficile, souvent impossible dans la zone d'un barrage d'artillerie, toujours momentanée.

L'évolution des méthodes de combat devait donner un rôle de plus haute importance aux liaisons radio-terrestres.

Ici on ne cause pas, il n'y a plus de fils qui risquent d'être coupés, enfin il y a tout juste quatre opérateurs par poste. La transmission des messages ne peut être arrêtée que par un accident arrivant aux appareils euxmêmes ou aux sapeurs.

Ce genre de liaison télégraphique sans fils comprend maintenant deux grandes espèces : la télégraphie sans fil proprement dite qui était en usage régulier déjà bien avant la guerre, et cette télégraphie par le sol dont la pratique est récente et dont la technique est toujours discutée. Il y a quelque analogie entre la T. P. S. et la T. S. F., mais tous les théoriciens ne s'accordent pas encore sur la part de similitude qui rapproche les deux phénomènes. Dans les deux cas un certain appareil émetteur, parcouru par un courant alternatif de fréquence plus ou moins haute, peut être le siège de modifications électriques de choix provoquées par une clé Morse et capables de modifier profondément l'allure du courant périodique fondamental. A une certaine distance de cette source intermittente d'énergie électrique, distance de l'ordre de plusieurs kilomètres, un autre instrument particulièrement délicat et sensible peut reproduire instantanément toutes les variations et modifications de l'état électrique du premier appareil, en même temps qu'il les rend intelligibles à l'oreille. On dit qu'il y a là des phénomènes d'induction électrique et de détection. Dans le cas de la T. S. F., c'est l'air, milieu diélectrique c'est-à-dire isolant, qui sert de support à la transmission de l'énergie du système émetteur jusqu'à l'appareil récepteur, tous deux parcourus par des courants semblables de haute fréquence. Pour la T. P. S., c'est le sol qui est l'intermédiaire, mais on peut estimer qu'il intervient plutôt comme un conducteur peu homogène qui relierait les deux appareils, et l'hypothèse de la conduction opposée à l'induction, semble d'autant plus plausible, qu'ici le système émetteur est le siège de courants de basse fréquence.

De l'énergie électrique est ainsi rayonnée dans la terre par le parleur émetteur sous forme d'ondes électro-magnétiques qui se propagent à la vitesse énorme de 300.000 kilomètres par seconde, et dont l'effet se fait sentir, suivant la qualité du terrain composé de plus ou moins de roches ignées ou de terre arable humide, dans un rayon variable.

L'appareillage d'émission tient tout entier dans ce petit coffret cubique dont l'arête ne mesure pas plus de vingt centimètres. Deux groupes de piquets de cuivre enfoncés dans la terre aux deux extrémités de cette galerie constituent la base. Enfin un câble de cuivre bien isolé relie l'appareil émetteur à ses deux prises de terre. L'énergie primaire est fournie par une batterie d'accumulateurs légers; le tout peut être transporté aisément par deux hommes.

La simplicité et la réduction de l'installation permettent de la réaliser aussi bien en sape qu'en rase campagne dans un temps qui ne dépasse pas dix minutes.

Un manipulateur permet d'émettre des signaux Morse à la vitesse ordinaire du télégraphe, soit environ de 1.100 mots à l'heure.

La T. P .S. est dans la zone avancée une liaison du bataillon au régiment. La réception est placée auprès du colonel commandant le régiment. Ici, au poste de commandement de l'infanterie divisionnaire, nous disposons également d'appareils qui nous permettent de travailler avec les régiments en ligne, et d'écouter les postes avancés.

Le récepteur, c'est précisément ce coffret mi-partie, noir et noyer clair, éclairé et bourdonnant où sont branchés les écouteurs téléphoniques. Les plus infimes courants électriques sont décelés et amplifiés par cette machine étonnante. Les émissions radiotélégraphiques les plus lointaines deviennent audibles; et même le secret

des communications téléphoniques du secteur n'existe plus pour nous! Plus besoin d'antennes pour écouter les communiqués de la Tour cette ligne souterraine suffit à nous les faire entendre. La valve de Fleming et l'audion de Forest ont été bien perfectionnés ! et il est certain aujourd'hui que nos appareils de T. P. S. sont supérieurs à ceux des Allemands qui lui préfèrent encore la T. S. F.

Pourtant l'expérience du combat montre les avantages de la T. P. S. dont l'installation est la moins apparente et la plus réduite de toutes, et qui n'exige pas comme les conducteurs de la T. S. F. de grands isolements et des conditions particulières de dégagement et d'orientation d'antennes.

Il n'y a qu'un dommage : c'est que l'usage n'en soit pas encore plus répandu.

La T. P. S. est la liaison la plus stable, la plus certaine dans le combat et la plus économique à la fois. L'obligation de ne transmettre que des messages brefs et dûment chiffrés garde des indiscrétions trop profitables à l'ennemi. Mais, c'est précisément cette discrétion forcée, cette obligation d'un chiffre qui détourne de cette nouvelle liaison certains chefs.

La guerre est devenue scientifique et s'est industrialisée, mais on ne le sait pas encore assez. Le succès ne peut être que le prix du savoir et de l'effort intelligent; il faut savoir afin de pouvoir...

P. M.

NOTES ET FIGURES

La dernière galerie où l'on cause

Il y avait autrefois la galerie du Palais-Royal, qui était l'endroit à la mode où se rencontraient les gens de Bourse, les hommes de politique et les nouvellistes. Elle a été remplacée aujourd'hui par les couloirs de la 7o et de la 11° division, à la Santé.

La prison de la Santé est sans doute ainsi dénommée parce qu'on y conserve précieusement celle des hôtes qu'elle abrite, jusqu'au jour où on la leur ravira d'un coup, avec la vie. Quoi qu'il en soit, jamais ses cellules. n'ont été habitées par autant de personnages de marque. Les journaux ont même éprouvé le besoin de nous en donner le plan, comme naguère des appartements loués par les anciens présidents de la République lorsqu'ils rentraient dans le « civil ». Nous avons ainsi appris que dans un espace de quelques mètres carrés se trouvaient réunis trois députés, un pacha, un homme d'affaires, un ancien avoué, un avocat, un fils de famille et quatre journalistes. A eux douze ils représentent un nombre respectable de millions. Je ne parle pas pour les journalistes qui hélas - même lorsqu'ils sont incarcérés demeurent assez dépourvus d'argent. Mais au moins leur détention dans ce lieu de choix atteste qu'ils avaient de hautes relations.

[ocr errors]

Si le couloir de la 11° division est plein avec Lenoir, Desouches, Goldsky, Porchère, Marion, Landau, Duval, Turmel et Bolo- celui de la 7° division n'héberge jusqu'à présent que trois personnalités : MM. Loustalot, Caillaux et Comby. Il reste huit cellules vides. Avis aux amateurs. Mais qu'ils se hâtent, car depuis quelque temps la boiteuse justice a pris ses jambes à son cou. On refuse du monde et il n'y aura bientôt plus de places de faveur. « Mille regrets... >>

Si je n'étais point Argus, je souhaiterais de devenir le gardien-chef des deux illustres divisions. Le poste équivaut au moins à celui de général — de général de division. Un bel avancement pour un simple brigadier

de maison centrale! Chaque jour je serais l'objet des sollicitations des reporters qui me demanderaient avec une voix suppliante et des offres tentatrices à quelle heure M. Caillaux s'est réveillé, si les digestions de Bolo sont normales et à quoi rêve M. Loustalot. Mais je mettrais sur ma langue tous les bœufs que M. Turmel n'a pas vendus en Suisse, car M. Clemenceau ne plaisante pas avec les fonctionnaires trop bavards. Le seul qui puisse, sans risques, contribuer à enrichir la documentation des historiens du temps présent est le gargotier du coin, qui fait tenir à ses habitués leurs deux repas quotidiens. J'imagine qu'il a inscrit au-dessous de son enseigne « Au rendez-vous des cochers >> cette mention flatteuse : « Fournisseur de MM. les détenus >>.

Il ne manque à la galerie des hommes célèbres que le malheureux Almereyda. Il a rencontré trop tôt ce que l'on appelait naguère, dans les tragédies classiques, le « fatal lacet ». Toutes les précautions ont été prises pour que pareille mésaventure ne se reproduise plus. C'est ainsi que l'on a retiré à M. Loustalot sa provision de cigarettes,de peur qu'il ne les ait saupoudrées d'un pernicieux poison et que,toutes les nuits,on enlève à M. Caillaux son nécessaire de toilette. Vous représentezvous quelle catastrophe ce serait si l'ancien président du conseil profitait du sommeil de son gardien pour avaler son eau de Cologne?

Ces messieurs manquent peut-être de distractions : la seule qu'on leur offre est d'être de temps à autre extraits de leur box pour avoir un entretien avec M. Bouchardon.

M. Bouchardon est un aimable magistrat qui, jadis, vivait en paix, parce qu'on n'avait pas la guerre. Il connaissait alors la double joie de l'obscurité et du repos hebdomadaire. L'agression allemande a fait de lui un capitaine et l'homme le plus occupé de France. Pas un dossier qu'on lui communique qui ne renferme trois ou quatre mille cotes, et on lui confie le soin de toutes les affaires. Il a fallu trois ans et demi d'hostilités pour qu'on s'aperçoive de cette extraordinaire situation: il n'y a, en France, qu'un seul juge d'instruction.

M. Bouchardon est aussi discret qu'il est notoire. Ses lèvres s'entr'ouvrent seulement pour sourire, mais non pour parler, du moins aux interviewers. Il ne sait rien, il ne dit rien. Ce qui n'empêche pas les journaux bien informés de reproduire chaque matin le contenu de ses dossiers mystérieux. Mais tout le monde sait qu'il est le premier à ignorer comment de pareilles fuites ont pu se produire. Il n'y a pas que dans le mariage que l'ignorance est une grâce d'état.

Les amis du capitaine content volontiers que dans le temps où il était encore un homme de robe et non un guerrier, il avait un plaisir : c'était de se lever, certains jours, avant le soleil, et de s'en aller faire une petite promenade du côté du boulevard Arago. Il y assistait à une exécution capitale, puis il s'en revenait, tout ragaillardi, à sa besogne quotidienne. M. Bouchardon s'est déjà enquis du bistro où il pourra prendre son café au lait, à Vincennes...

Cependant, sans lassitude ni défaillance, il instruit. De temps à autre il envoie par delà les monts ou de l'autre côté de l'Atlantique une commission rogatoire. Ou bien il attend le gibier que lui rabattent, sur le coup de huit heures du matin, les commissaires de police du camp retranché. Avez-vous remarqué, en effet, que c'est toujours à l'heure où les prévenus sont encore au lit, ou se rasent, que l'on vient les arrêter ? Il y a quelque chose d'un peu humiliant à recevoir les inspecteurs de la Sûreté, en bretelles, ou le savon au menton. Si j'aspirais à l'honneur de voir tout à la fois mon portrait dans les journaux et ma personne à la septième division, je serais habillé de pied en cape, tous les matins, à l'heure où il n'y a dans la rue que des laitiers et des Kabyles, ne serait-ce que

pour faire mentir le poète qui a dit : « Quand on a le cœur pur, On aime à voir lever l'aurore >> !

Je me plais toutefois à penser que le sommeil du capitaine Bouchardon, si bien gagné qu'il soit, est hanté par la vision des couloirs de la Santé. Dans la nuit propice aux cauchemars, il voit s'animer devant lui les cases rectangulaires où voisinent ses clients. Il les prend pour un jeu de tric-trac. Il aperçoit spectacle horrible Landau sautant par dessus Goldsky et Desouches gagnant Comby d'une longueur. Et il se réveille, moite de sueur, dans l'angoisse de savoir qui arrivera le premier au poteau.

Mémoires & Documents

Le parfait coup d'Etat

ARGUS.

L'organisation des coups d'Etat est le jeu à la mode cet hiver. Nous avons, paraît-il, failli être pincés entre deux coups d'Etat, lancés en sens inverse ! Voyezvous une tentative Daudet et une tentative Caillaux déclanchées au même moment ?

Les conspirateurs de droite auraient arrêté leurs adversaires de gauche, tandis que les conspirateurs de gauche arrêtaient leurs ennemis de droite.

En fait, il est curieux de noter que les moyens de violence envisagés par les deux adversaires ou ceux qu'on leur prête, sont à peu près identiques, et ceci nous permet de nous demander si le coup d'Etat n'est pas soumis à de certaines règles.

Si j'avais à écrire une introduction au Manuel du parfait conspirateur, je n'hésiterais pas à débuter ainsi : << De nos jours, un coup d'Etat ne peut réussir que s'il a l'armée pour lui. »

Jadis on pouvait triompher à moins de frais. Voyez, par exemple, comment le bon tyran Pisistrate s'empara du pouvoir à Athènes, il y a quelque deux mille quatre cent soixante-dix-huit années. Les Athéniens naïfs lui accordèrent, soi-disant pour le protéger et malgré les protestations de Solon, une escorte de cinquante hommes armés de gourdins... Quelque temps plus tard, grâce à ces cinquante gourdins, Pisistrate s'empara de l'Acropole et devint le maître d'Athènes...

Ce coup d'Etat réalisé avec cinquante matraques nous paraît aisé : il fut rapidement et facilement exécuté parce que le gouvernement athénien n'avait aucune troupe suffisante pour le combattre. Mais de nos jours tout gouvernement dispose d'une armée, et cette armée est munie d'armes terriblement plus efficaces que les gourdins de Pisistrate. Deux mitrailleuses en batterie devant la gare de l'Est balaveraient le boulevard Sébastopol jusqu'an Tribunal de commerce ; deux « soixante-quinze » à l'Etoile empêcheraient des milliers d'insurgés de sortir des Tuileries. Dans le Paris de 1793. de 1830, de 1848, le peuple pouvait lutter à armes presque égales contre la troupe : les barricades étaient faciles à construire dans les petites rues tortueuses des quartiers du centre dominées par les hautes facades. Des fenêtres, on pouvait tirer sur les soldats. les écraser sous des pavés, des pots de fleurs ou des meubles. Une lithographie d'Adam nous montre un aspect de la rue Saint-Antoine, le 28 juillet 1830 : des carabiniers chargent à cheval. sous pluie de fauteuils, de tables, de coups de feu, de bouteilles, d'établis, de commodes, de sommiers. de cheminées, et peu à peu la barricade s'élève contre

une

laquelle viendront se briser les efforts des troupes du gouvernement de Charles X ; comme dix-huit ans plus tard les charges des troupes de Louis-Philippe.

Mais depuis cette date le gouvernement, maître de l'armée, n'a plus jamais cédé à un mouvement populaire. En juin 1848, les insurgés socialistes transforment tout l'est de Paris en un véritable camp retranché ; quatre cents barricades, montant jusqu'au premier étage des maisons, crénelées, garnies de fossés, défendues par 50.000 hommes, sont attaquées par les 40.000 hommes des troupes de l'Assemblée nationale que commande Cavaignac ; des milliers de combattants, trois généraux sont tués, mais l'insurrection est écrasée. En 1851, les troupes du Prince-président viennent sans aucune peine à bout des tentatives de résistance républicaine; en 1871, la Commune est réduite, malgré les armes perfectionnées dont elle dispose, et si la révolution du 4 septembre 1870 réussit c'est parce que l'armée n'existe plus.

Une étude historique des coups d'Etat montre donc que le coup de force contre un gouvernement qui dispose de l'armée est devenu impossible, depuis un demi-siècle, par suite des progrès de l'armement, et de la percée de larges artères au milieu des villes populeuses. Seuls réussiront les coups d'Etat soutenus par l'armée.

X

Si maintenant nous voulons donner un coup d'Etattype, nous ne pouvons trouver de meilleur modèle que le coup d'Etat de 1851. C'est une opération parfaitement organisée, fort bien conduite et couronnée de succès. Analysons-la.

Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, veut se maintenir au pouvoir. L'Assemblée s'y oppose; il se décide à un coup de force. L'opération s'exécute én deux « temps » de sept « mouvements >>> chacun... (Soyons précis !)

I. PÉRIODE DE PRÉPARATION.

Il faut d'abord réunir les éléments militaires qui permettront de réaliser le coup d'Etat. Ces éléments sont 1° un ministre de la guerre, 2° un commandant de l'armée de Paris, 3° des officiers généraux, 4° une armée.

1° Choix d'un ministre de la guerre. Le fils d'un marchand de Paris, le chef d'escadron Fleury, ami personnel de Louis-Napoléon Bonaparte, et son officier d'ordonnance, est chargé d'aller en Algérie chercher un général susceptible de faire un ministre de la guerre de coup d'Etat Il trouve son homme en la personne du général de brigade Lerov de Saint-Arnaud, soldat de carrière assez irrégulière.

Mais Saint-Arnaud n'est que simple général de brigade. On ne pourra en faire un ministre de la guerre que s'il est au moins divisionnaire Afin de trouver un prétexte à cette promotion on décide, sans d'ailleurs consulter l'Assemblée une expédition importante en Kabvlie: on en donne le commandement à Saint-Arnaud. Fleury transmet aux journaux bonanartistes de la part du prince président le mot d'ordre suivant : « Mettre en grande et belle lumière les rares mérites et les prochains services de M. le général de SaintArnaud dans la Kabylie » Les organisateurs du coun d'Etat professent en effet cette théorie que la tublicité est indispensable pour réussir. L'exnédition de Kabylie n'est qu'un demi-succès : mais Saint-Arnaud est promu divisionnaire, on l'a loué dans la presse. On reut en faire un ministre. Il est appelé à Paris. Il entre au ministère le 27 octobre.

2° Choix d'un commandant en chef de l'armée de

« AnteriorContinuar »