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problèmes de dynamique politique sont captivants, ceux de l'économique doivent passer avant eux, ou mieux, s'y mêler étroitement. C'est pourquoi, après avoir publié L'Allemagne a-t-elle le secret de l'organisation? de Jean Labadie, Le Problème de l'Europe centrale, par Henri Lichtenberger et Paul Petit et la Bureaucratie dans l'Etat moderne, par Louis Grimbaud et Jean Labadie, l'Opinion a-t-elle donné une place d'honneur aux Lettres de Probus.

Mais à la discussion des idées doit succéder la réalisation, à la critique doit s'ajouter la réforme des institutions, et tous les efforts doivent être coordonnés. En effet l'ordre ne se trouve que dans la disposition des moyens et leur liaison avec la fin; c'est pourquoi il doit y avoir une dépendance de tous les moyens, afin que le corps du dessein soit ferme et que toutes les par

ties s'entretiennent.

C'est à l'application de cette belle et classique définition de l'organisation que Probus nous convie, et c'est pour que tous nos travaux soient convergents que nous les fondrons désormais en une seule rubrique tenue par Jean de Goitisolo et intitulée l'Action de Probus.

Aux articles généraux, à la chronique de l'« Association Nationale pour l'Organisation de la Démocratie » (A. N. O. D.) qui est en bonne voie de formation, anx exposés des méthodes, s'ajouteront les résultats de nos grandes consultations.

Notre enquête sur l'Université Nouvelle si puissamment menée par les Compagnons, l'enquête de Marcel Provence sur le Régionalisme, dont la cause est prise en mains, on sait avec quel dévouement, par M. Clémentel, seront continuées en même temps que d'autres commenceront sur la diplomatie, la magistrature, l'armée, etc. Que nos amis, tous les jours plus nombreux, ne nous ménagent donc pas leur concours et qu'ils veuillent croire qu'aucune peine ne sera épargnée pour que notre journal, complet et attrayant, alliant l'expérience à la tradition, s'inspirant du bon sens et de la droite raison, aide la France à mettre ordre à ses affaires.

L'OPINION.

Les principes de notre action

La guerre continue à donner à la France de terribles leçons. Nous avons foi en la France, et nous gardons la confiance que la foi donne aux apôtres dans les épreuves. Combien cette confiance serait-elle plus calme, si nous savions que la méthode et le bon sens, propices à l'éclosion du génie, règlent dès aujourd'hui nos institutions politiques, industrielles et militaires. Peut-être contribuerons-nous à imposer le règne du bon sens et de la méthode, dans la conduite de la guerre même, et c'est notre vœu le plus cher. Si notre foi ne nous trompe point, si, comme nous ne voulons pas en douter, la complète victoire vient enfin récompenser nos efforts au terme de cette lutte de géants, nous n'en recueillerons les fruits qu'à la condition d'avoir préparé la paix au plus fort de la lutte même.

Notre démocratie n'a d'autre organisation, en matière économique, politique et sociale, qu'un ensemble disparate de règles que nous a léguées le passé et qui étaient faites pour des sociétés monarchiques où les industries modernes étaient inconnues. D'aucuns pensent qu'avec de telles charpentes vermoulues, on pourrait constituer l'ossature d'une grande nation contemporaine, au sortir d'une guerre telle que l'histoire n'en connaît point d'exemple. D'autres parlent de démolir l'édifice, sans se mettre en peine de le reconstruire. Laissons ces folies opposées battre la digue du bon sens français.

Nous voyons clairement le but. Nous savons qu'il faut une réforme d'ensemble pour que la France soit demain

une grande nation moderne. Nous savons que cette réforme est possible, si nous lui donnons une formule large et précise et si nous savons diriger la volonté des Français vers sa réalisation.

Nous avons entrepris d'accomplir la grande œuvre sans vouloir nous dissimuler les obstacles, mais sans les considérer autrement que pour apprendre à les surmonter l'un après l'autre.

Nous avons d'abord formulé le programme. C'est la refonte entière de notre régime administratif, par la liaison entre les grands services de l'Etat, par l'introduction dans les fonctions publiques d'hommes ayant l'expérience des affaires ou la connaissance des conditions du travail, par l'institution des régions françaises. C'est l'organisation des pouvoirs publics, avec une Constitution supérieure aux lois; des assemblées législatives issues d'un large mode de scrutin, éclairées par des représentants professionnels, et dont la tâche sera préparée ou complétée par un comité restreint composé de quelques-uns de leurs membres, choisis par elles, et de quelques personnalités compétentes; un président de la République élu par les assemblées régionales, et dont les ministres, indépendants des Chambres, assureront l'exécution des lois ; une magistrature, complétée par l'institution d'une Cour suprême, et dont les membres seront indépendants des autres pouvoirs. C'est l'établissement de l'orde social approprié au XXe siècle, impliquant le renforcement des organismes syndicaux, l'institution de conseils mixtes où siégeront, avec un magistrat indépendant, des ouvriers et des chefs d'entreprise pour fixer les règles communes applicables à l'industrie et pour apaiser les conflits. C'est la création et la discipline des initiatives, en vue d'assurer la réfection complète de notre outillage national, la culture de notre sol, la mise en valeur de nos colonies et l'établissement des rapports économiques et moraux entre la France et le monde; un nouveau système d'éducation préparant au métier, à la vie, au respect de la liberté des consciences, au culte de la solidarité nationale; la suppression, par des mesures législatives efficaces et directes, du fléau de l'alcoolisme et la préparation, par le vote plural, par la contribution du pays aux charges des familles nombreuses, par la refonte du régime successoral et fiscal et par une forte organisation économique, d'une natalité vigoureuse et d'une population saine.

Tout cela, nous devons le réaliser, en indiquant les formules appropriécs et en réunissant assez de Français pour imposer l'application de ces formules. Notre programme (1) sera le cristal autour duquel viendront s'agréger d'autres cristaux dans les flots agités de la pansée française. Comme il a seul une forme déterminée, il est seul susceptible d'attirer d'autres éléments à lui. Et si, comme nous en sommes convaincus par les témoignages qui nous parviennent chaque jour, ce programme répond bien aux aspirations de la France qui veut vivre, les éléments susceptibles de se rassembler autour de lui acquerront vite une importance suffisante pour qu'il en vienne à exprimer la volonté commune du pays.

Cette volonté, il faut qu'elle puisse agir, et c'est l'autre partie de notre tâche. Nous demandons d'abord à un certain nombre de Français, désireux de faire un sacrifice pour le pays, le versement d'une cotisation importante, pour constituer avec nous un noyau de fondateurs. Nous attendons avec impatience le moment de nous adresser à tout le peuple de France, à son bon sens et à son amour du pays, en demandant à chacun l'engagement de ne voter aux élections générales que pour les candidats acceptant notre programme minimum, car

(1) On peut le demander à Probus, aux bureaux du journal

c'est par ce moyen, légal et simple, que nous voulons assurer la grande réforme de la démocratie française.

Pour déterminer ce vaste effort de volonté collective nous comptons sur la collaboration spéciale d'un certain nombre de Français résolus qui se donneront de tout leur cœur et de tout leur esprit à cette entreprise.

Décidés à réussir, à mener à bien cette entreprise patriotique, dont la réussite est conforme à l'intérêt de chacun parce qu'elle est conforme à l'intérêt de tous, mais ayant plus particulièrement attaché l'oeuvre de leur vie à son succès, et s'étant engagés spécialement à le poursuivre, ils créeront les liens entre les organisateurs de cet effort et le peuple français pour lequel et par lequel il sera réalisé.

Nous comptons bien trouver parmi les lecteurs de l'Opinion quelques-uns de ces « Constructeurs »>, comme nous comptons trouver encore parmi eux des «< fondateurs » auxquels nous faisons d'abord appel et bientôt une phalange de membres actifs qui feront triompher notre volonté pour assurer la prospérité matérielle et morale de la France.

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L'Officiel esl le plus mal lu des journaux; ses lecteurs ne font qu'y jeter un coup d'œil superficiel et rejettent les feuilles sans y avoir rien recueilli. Cela tient à ce que la « rédaction » est faite par des fonctionnaires dans les ministères. Le secrétaire du journal se borne à insérer toutes ces notes à la suite l'une de l'autre, sans même essayer d'y mettre un peu de variété. Les caractères typographiques sont toujours les mêmes et donnent une impression de gris uniforme. Voyez le communiqué à l'Officiel et dans un quotidien d'information. On dirait deux textes différents. Le compte rendu des séances de l'Académie des sciences, qui est lu partout, disparaît à l'Officiel sans laisser de trace.

Le secrétaire général de l'Officiel a pu constater, une fois de plus, ces jours-ci, cet état d'esprit de son public. Il avait inséré un avis annonçant un changement du prix des abonnements, généralement de pareilles notes sont remarquées; ici, au contraire, la plupart des abonnés qui ont renouvelé leur contrat le 1er mai ont envoyé des mandats correspondant à l'ancien tarif. La hausse était pourtant sensible; les trois mois montaient de cinq à douze francs. Les abonnés ne l'avaient pas remarqué. Il est vrai que, fidèle à son principe, le secrétaire général avait inséré cet avis sous forme d'un décret, précédé d'un simple sous-titre: « MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR »>.

Il n'y avait manifestement pas de quoi exciter la curiosité des foules.

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Ce malentendu a obligé le directeur de l'Officiel à discuter un véritable cas de conscience : étant donné un

lecteur qui envoie cinq francs pour un abonnement qui en vaut douze,faut-il garder cette somme comme acompte ou la refuser? Heureusement, les règles administratives sont constantes, le cas s'était déjà présenté au Bulletin municipal et quand un fonctionnaire a un « précédent >> il est inutile qu'il se fatigue la cervelle à chercher une meilleure solution. L'Officiel a donc décidé de retourner les mandats qui tiraient trop court, en priant l'expéditeur de lui adresser le « montant exact de sa souscription >>.

Quelle que soit la valeur du procédé, l'Officiel n'en a pas perdu un lecteur, au contraire. Le nombre des abonnés continue de croître. La guerre, en effet, a augmenté le nombre des gens qui désirent avoir le texte exact d'un décret ou d'une circulaire. Il faut ajouter les soldats cités à l'ordre du jour de l'armée ou les officiers promus ou nommés à un grade supérieur. Ce ne sera pas un des effets les moins curieux de la guerre, ce retour de faveur aux décrets et lois de l'Etat.

x

On peut cependant toujours poser la question: combien y a-t-il de journaux d'Etat? La réponse est difficile. Le chiffre varie selon ce que l'on compte ou non. Le Bulletin des usines de guerre, fondé par M. Albert Thomas pour renseigner les industriels qui travaillent pour l'armée est plutôt officieux. Il offre la caractéristique d'avoir des abonnés payants et d'accepter la publicité. Le ministre des munitions a voulu en faire une affaire «< commerciale ». Il a ainsi évité, l'écueil sur lequel sombra le Bulletin des armées. Quand on a parlé de le supprimer par économie, il a répondu fièrement: « Je ne coûte rien à l'Etat ». Et ainsi il a échappé à la griffe du Tigre.

Le Bulletin des lois ne pourrait pas en dire autant, mais il est respectable par une tradition révolutionnaire. Les lois doivent y être insérées « dans leur texte exact »>, pour être ensuite « commentées par les vieillards sur la place publique ». Reste-t-il encore une commune qui ait gardé cette tradition? C'est douteux, mais le Bulletin des lois n'en continue pas moins à vivre comme souvenir des temps où le gouvernement rêvait de diriger l'opinion publique.

A la séance de mardi, M. Deschanel suppliait, assez vainement, ses collègues « de bien vouloir écouter en silence ». M. Claussat lança : « D'être la Chambre enchaînée. » Et ce mot suffit pour déchaîner les interruptions.

M. Raffin-Dugens, qui est sans doute un pince-sansrire, accusa le président du conseil de tenir «< un propos défaitiste » et lui proposa d'aller dire dans une cave qu'un « fléchissement » est « dangereux >> il verr it alors!

Quant à M. Deguise, à propos du communiqué de la Conférence de Versailles, il jeta à M. Clemenceau :

Vous l'avez dicté !

Etant donné la fière allure du texte, cette remarque qui voulait être un reproche devenait un beau compliment.

Chez nos Alliés.

Au lieu de protéger les soubassements de leurs chefsd'œuvre par ces capricieux sacs de sable qui, tantôt à cause de l'humidité, tantôt à cause de la sécheresse, paraît-il, s'effondrent si lamentablement, non sans entraîner parfois dans leur chute les sculptures qu'ils devaient protéger, les Anglais ont songé à préserver leurs monuments des bombardements aériens par le côté ciel. Un réseau métallique bien aménagé suffit à dérouter la plus puissante torpille. Dès que la pointe de celle-ci le rencontre, elle bascule et dès lors n'explose plus. Malheureusement la dépense de ces sur-toits est très élevée. Pour le seul British Museum à Londres, elle est montée à 250.000 francs.

Allleurs

Les Madrilènes ont vu s'installer chez eux ces tempsci une épidémie qui se propage avec une telle rapidité que tous les services publics en sont dérangés et qu'on

trouve à peine assez de médecins pour soigner les malades. Elle consiste en une sorte de grippe accompagnée de fièvre et de courbatures, qui rappelle beaucoup, semblet-il, notre influenza de 1889. Mais elle fit son apparition en même temps qu'arrivaient à Madrid les milliers d'exemplaires, répandus à profusion d'une chanson intitulée La chanson du soldat de Naples. Alors, on appelle cette fameuse grippe la Maladie du soldat de Naples.

Quel rapport exact y a-t-il entre ces deux choses? C'est ce qu'on établira peut-être quelque jour? Pour l'instant, et comme il faut toujours une explication prompte et facile à tous les phénomènes, les journalistes espagnols, qui ne manquent pas d'imagination, attribuent cette maladie soudaine aux gaz exphyxiants du front!

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Le miroir du monde. La Suisse qu'on avait baptisée autrefois la plaque tournante de l'Europe - est devenue,aujourd'hui un miroir assez fidèle du spectacle mondial. Toutes les faces. de la guerre s'y réfléchissent à tour de rôle. Appelée à voir de très près tant de victimes de la guerre, la Suisse n'a pu rester désintéressée. Miroir des souffrances qui l'entourent, elle réfléchit aussi les à-côtés pittoresques ou navrants. Elle a eu enfin ses crises intérieures l'affaire des colonels, la démission du conseiller Hoffmann. Et tant de gens s'y rencontrent !

Ce pays neutre est devenu une place de combat. Toutes les nations, représentées en Suisse par leurs diplomates, leurs agents commerciaux, leurs espions, s'y livrent une lutte qui reproduit en miniature celle des champs de bataille. La politique y tend ses pièges, des essais de paix séparée s'y trament et y avortent; dans ses palaces et ses villas, toutes les intrigues diplomatiques se nouent et se dénouent. On voit en Suisse, ou l'on a vu, certaines des figures marquantes de l'époque. On y acclama les généraux Léman et Pau, le commandant Raynal, l'aviateur Gilbert; on y accueille, avec plus ou moins de bonne grâce, des rois déchus et des ministres en exil. Constantin et Bulow, le khédive et Saddik pacha sont des figures familières et l'on se souvient encore du kaiser et d'Hindenburg caracolant, en 1913, dans les plaines zurichoises; de Lénine et de Kerensky hantant les brasseries de Genève.

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-

Sa vie économique enfin a subi le contre-coup direct de la guerre et s'est modelée sur celle de ses voisins. Les crises, les hausses, les cartes, les disettes la Suissé a tout connu. Elle a consulté les graphiques de la guerre sous-marine avec une angoisse, puis un soulagement, semblables à ceux des alliés. La question du charbon où faillit sombrer la neutralité helvétique, n'est pas instructive seulement elle atteint au symbole. L'Allemagne, soucieuse d'assurer sa domination, exerça le plus odieux chantage. La France et ses alliés accomplirent le geste qui libère et permet au petit peuple de résister à la brutalité germanique. Le sens profond de la lutte apparaît dans ce fait avec une admirable clarté. Ainsi, par sa situation géographique, sa politique de neutralité cahotante, l'interférence de ses mentalités, germanique et latine, la Suisse hôtesse de tant de héros et refuge de tant d'indésirables, apparaît aujourd'hui comme un véritable microcosme. Toutes les passions s'y agitent, toutes les idées s'y croisent, et ce miroir du monde actuel est peut-être aussi celui du monde à venir: la Suisse n'est-elle pas, toutes proportions gardées, le type même de cette Société des Nations pour laquelle les ailiés combattent?

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Je n'en crois rien, répondit-il avec calme. Toutefois, un homme prévenu en vaut deux.

Et il prit note sur ses tablettes, pendant que l'ami se retirait.

Un moment avant l'heure fixée comme devant être celle de l'émeute, il se présentait à la porte de l'édifice des présumés rebelles et faisait sonner de la trompe pour les rassembler.

On m'a annoncé que vous vous mutineriez à minuit. Je viens assister à la révolte.

Puis il leur rendit, d'un geste, l'initiative de leurs actes. A minuit cinq, une nouvelle sonnerie rassemblait la troupe.

Cinq minutes se sont écoulées depuis l'heure marquée. Vous manquez à votre engagement.

Il n'en dit pas plus et s'éloigna, dans les ténèbres, sans tourner la tête.

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Quelques jours plus tard, une délégation d'ouvriers demandait à lui présenter les doléances de la corporation. Il les reçut, écouta patiemment leur orateur qui se plaignait du chômage dans la construction.

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Vous avez parfaitement raison, leur dit-il. Je partage votre avis; mais, réfléchissez et vous reconnaîtrez que je ne puis rien pour vous. En toute sincérité, comment obliger les riches à faire construire des palais s'ils n'y sont pas décidés?

Alors, nous manifesterons notre mécontentement en provoquant des troubles et en forcant les autres corps de métier à cesser également le travail.

Très juste. Mais sur ce sujet. ne prenez point mon avis. Demandez plutôt celui de la police, de la garde et des vieilles femmes qui soignent les mauvais coups.

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8 Juin 1918

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La propriété rurale en France souffre d'une crise qui est la conséquence d'un émiettement en parcelles de plus en plus petites, qui rend impossibles une bonne utilisation des terres cultivables et la généralisation de la culture mécanique, unique remède à l'accroissement des frais généraux. C'est cette importante question du « remembrement » que connaissent déjà, dans ses grandes lignes, les lecteurs de l'Opinion (1), que M. Bouilloux-Laffont étudie avec une grande compétence. Il tient compte des difficultés pratiques et juridiques, provenant soit des traditions et des sentiments particularistes des paysans, soit des créances grevant les parcelles.

Des projets de loi ont été déposés. M. Bouilloux-Laffont les expose et cherche la solution de ce problème dont dépend certainement, en grande partie, l'avenir de notre richesse agricole.

NOTES ET FIGURES

Les Scribes accroupis.

La voiture à bras de la Cour des comptes.

La Cour des comptes est la plus grosse usine à paperasses de France. En effet, l'Etat, qui a toujours peur d'être volé, exige de tous les fonctionnaires qu'ils fassent vérifier leurs factures.

Vérification de pure forme d'ailleurs ; il ne s'agit pas de savoir si la dépense était utile. Un bureau de trois fonctionnaires pourrait acheter vingt mille crayons sans qu'on lui dise rien. Mais la Cour des comptes n'accepterait pas une erreur d'un centime sur la facture.

Toutes les pièces comptables étant soigneusement gardées, on pense qu'elles arrivent à faire des montagnes. La Cour des comptes en remplit une cave, puis un grenier, puis un couloir, puis un cabinet, et quand enfin, il n'y a plus le place nulle part, elle déménage. Ajoutez que les conseillers des comptes sont de grands seigneurs administratifs qui ne se dérangent jamais, il faut leur porter leurs papiers chez eux. Aussi l'administration at-elle des voitures à bras à l'année.

Mais la place de « chef de la voiture à bras de la Cour des comptes » est trop honorifique pour que son titulaire travaille lui-même il a deux subordonnés qui tirent chacun une « sous-voiture à bras ». Encore ceux-ci sontils libres de se faire remplacer en payant un auxiliaire.

(1) Voir dans l'Opinion des 16, 23 mars et 20 avril les articles documentés de M. Abel Beckerich.

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1

Je ne les blâme pas, car cela m'a permis de visiter les sous-sols du Palais-Royal où l'on garde ensemble la comptabilité de Paris et celle du Tonkin.

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J'ignore pourquoi l'on a eu cette idée originale de réunir la comptabilité de Paris et celle du Tonkin dans une même galerie. Ce doit être tout simplement un effet du hasard, car on rentre les liasses de papiers en les jetant par un soupirail. En bas, un homme les ra masse à la nelle et les reiette dans des casiers. Pendant le court stage que j'ai fait à la Cour,j'ai commencé par remettre les papiers en liasses, mais je ne restai pas longtemps à ce service. J'avais une tendance invincible à porter les papiers à la lumière pour les mettre ordre. Les autres qui négligeaient ce détail allaient beaucoup plus vite. J'étais toujours en retard.

en

On peut penser dans quel état sont des paperasses ainsi «< rangées » par des aveugles dans l'obscurité. Pour comble, au moment des inondations, la Seine a rempli les caves du Palais-Royal, puis quelques mois plus tard, s'est déclaré un incendie. Pauvres scribes, qui aviez fait de si belle ronde, si vous voyiez en quel état sont vos papiers!

Pendant que je me fais cette réflexion, s'ouvre audessus de ma tête un soupirail par où l'on jette une avalanche de papiers. C'est toute la comptabilité des collèges municipaux que je reçois sur le crâne.

Je me retire dans un coin tranquille et je m'assieds sur quelques liasses de « contentieux ». Avec une lampe électrique de poche, j'en parcours quelques pièces. Elles racontent toutes la même histoire un comptable a manqué au respect des formes substantielles. Avec rien deux scribes accroupis chacun à un bout de la France peuvent s'occuper l'un l'autre pendant des années. Ainsi un économe a acheté en 1913 six kilos de gruyèrę qu'il a payés 13 fr. 50. Le vérificateur lui retourne tout le dossier avec une note « l'économe doit toujours indiquer le prix de l'unité ». Evidemment il ne suffit pas de savoir que les six kilos ont coûté treize francs cinquante, il faudrait encore connaître le prix du kilo. Mais l'économe répond qu'il n'a pas gardé la facture. La correspondance ainsi engagée, dure cinq ans, et se termine par un blâme sévère.

Pendant que je m'absorbais dans ces recherches, on m'appela. Il fallait rentrer trente voitures pleines de vieilles obligations de la Ville de Paris que nous devions porter rue Cambon. Là, en effet, on vérifie une fois l'an, tous les titres remboursés; on les frappe d'un cachet, puis on les remet dans une autre cave. Je fis ce travail une matinée. J'estime que je dus transporter ainsi un demi-million par voiture. A la dixième j'arrivai à cinq millions quand mon chef me donna congé en me disant Allez déjeuner, vous avez bien gagné vos trois francs cinquante.

PAUL BIRAULT.

Le curateur au ventre.

La guerre qui nous a appris tant de choses nous aura révélé, entre autres, un type nouveau que vous pourrez rencontrer à la ville, dans les salons, dans les cafés ou dans les rédactions, car il circule un peu partout, et dont le nom peut même s'imprimer tout vif, chaque matin, dans les gazettes: c'est le type du curateur au ventre. Non pas celui qui fut désigné ainsi par le code avec des attributions bien spéciales, mais celui qui s'est instauré lui-même gardien, défenseur, parrain et pourvoyeur tout à la fois de notre estomac.

Le curateur au ventre a souci de notre santé, de nos aliments, de notre cuisine, de notre digestion et des à la fois le épluchures de notre table. Il surveille fourneau et le gâte-sauce, il jette un œil sur le marché, consulte le cours des Halles et prend consultation

chez les hygiénistes, s'inquiète de nos revenus, se passionne pour les récoltes, suppute le temps qu'il fait et celui qu'il va faire, vaticine sur les moissons et tâte votre poitrine pour voir si vous n'avez pas oublié votre flanelle. C'est en même temps le vieux médecin de la famille et l'antique livre de cuisine, le conseiller des ménages et l'économiste de bon sens, le donneur de recettes et le petit inventeur. Il y a quelqu'un présentement qui joue ce rôle d'une façon admirable, et c'est M. Louis Forest. Chaque jour que Dieu fait, M. Louis Forest se lève avec cette pensée hallucinante qui l'assaille aussitôt : « Il va falloir manger. Qu'allons-nous manger? Comment allons-nous manger? Quel prix allons-nous payer pour manger? » Et aussitôt il enguirlande autour de cette idée fixe tout ce qu'il a pu accumuler d'intelligence, de finesse, de raison, de bon sens et de belle humeur. Etant donné que cette pensée est aussi celle d'un grand nombre de gens qui, à l'heure actuelle, se la formulent en même temps que M. Louis Forest, il se trouve que ce devin est devenu très vite un personnage considérable dans l'esprit de ses lecteurs dont il est, chaque matin, le véridique reflet.

Ne perdez pas de vue que c'est une mission redoutable par le temps qui court, celle qui consiste à penser sans cesse à notre estomac. Et, sans doute, M. Louis Forest n'est pas délégué officiellement comme M. Boret pour alimenter ce gouffre insatiable, mais ne doitil pas critiquer précisément ce que fait l'administration de M. Boret? Ne doit-il pas chercher pour ceux qui ne cherchent pas, deviner pour ceux qui ne devinent pas, imaginer pour ceux qui sont inertes, prévoir pour ceux qui en sont incapables? Un bon curateur au ventre

les

n'est pas seulement préposé aux repas du jour, il s'inquiète aussi de la saison prochaine, il suppute si nous aurons des fruits, du pain, du vin ou des petits pois et à quel prix. Il calcule le temps que mettront asperges à pousser, les tomates à mûrir, la volaille à engraisser. Désireux que nous ne manquions de rien, il s'effare de toutes les catastrophes possibles que son œil de lynx découvre au loin. Il crie: « Alerte!» dès qu'un coq chante de travers, mais jamais « Sauve qui peut! » car son bon sens lui a appris qu'avec un peu de jugeotte et de la volonté, on venait à bout des pires catastrophes.

un

On pense si notre curateur au ventre est à son affaire avec le régime des restrictions, économies et aliments interchangeables. Pas d'expérience qu'il ne tente, pas de vieux livre de cuisine qu'il n'ait feuilleté, pas d'hypothèse qu'il n'ait formulée. Sans cesse sur le front, il signale la plus infime erreur, relève la plus légère faute d'inattention, frémissant à la pensée que nous pourrions manquer de camembert pendant tout jour ou que le train de marée pourrait avoir une heure. de retard! Le curateur au ventre est insatiable: il veut que dans la république de Gaster les fonctions. parbleu! — s'accomplissent régulièrement, qu'il n'y ait ni gêne ni embarras, que tout soit parfaitement organisé. Mieux il prétend que tout soit prévu! Et voilà M. Louis Forest qui, à force de supputer quand les carottes pousseront et si nous aurons des épinards, affirme prévoir l'avenir d'une manière générale et met sa science à notre disposition dans un petit livre qu'il intitule On peut prévoir l'avenir. Comment ? ou la Des

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exemples et il s'élance tête baissée dans la science des prophètes.

Que n'en reste-t-il à la poubelle délicieuse? Nous l'aimions mieux ainsi, spirituel et malin cuisinier, édifiant un plat exquis avec des épluchures, confectionnant une tourte avec rien du tout, calmant notre soif d'un bon mot et notre faim d'une réplique amusante, N'est-ce pas là l'art suprême du magicien, et que nous fait le plat de demain quand M. Louis Forest sait si bien assaisonner celui d'aujourd'hui ?

JULES BERTAUT.

Les obsèques de Tolstoï... avant sa mort.

Tout le monde sait la crainte qu'inspirait au régime tsariste la personne de Toltsoï et son œuvre, jugée subversive, dans les cercles bien pensants. Aussi l'idée que sa mort serait un deuil national et peut-être un prétexte à manifestations séditieuses causait-elle de vives inquiétudes à la bureaucratie chargée du maintien de l'ordre dans l'empire.

Pour ne pas être pris au dépourvu par la soudaineté de l'événement, le gouvernement arrêta, bien longtemps avant la mort de Tolstoï, les mesures propres à assurer le bon fonctionnement des services publics et à envoyer sans incidents et de la façon la plus expéditive le pauvre grand homme dans l'autre monde.

Grâce à la révolution russe, on a pu mettre la main sur les curieux documents où sont consignées les me sures en question, et Bourtseff a eu l'heureuse idée de les publier dans sa revue Byloe (Le Passé).

1901

Tolstoi était tombé sérieusement malade 1902, si sérieusement qu'on s'attendait à sa mort. Les hauts fonctionnaires du gouvernement se hâtèrent alors d'arrêter définitivement des mesures qui ont été conservées dans un dossier intitulé: Le comte Léon Tolstoi (Projet des instructions nécessaires en cas de mort du comte).

Le premier document est un télégramme chiffré aux gouverneurs, aux préfets de police et aux « Ober Polizeimeister », envoyé le 4 juillet 1901 par l'adjoint du ministre de l'intérieur Sviatopolk-Mirski :

«En cas de mort de l'écrivain comte Léon Tolstoi dont l'état de santé est très grave, des demandes pourront vous être adressées en vue d'honorer sa mémoire et d'organiser à ce propos des soirées et des réunions diverses. Il sera expédient de n'accorder ces autorisations qu'avec une extrême prudence, et seulement à

des personnes sûres, de veiller à la stricte exécution des règlements, et de ne tolérer ni discours politiques ni manifestations >>.

Le document suivant est de janvier 1902 Tolstoi était à Yalta, et sa maladie était dans une période très critique. Le ministre de l'intérieur Sipiaguine adressa le 29 janvier au grand duc Serge, gouverneur général de Moscou, le télégramme suivant :

«Etant donné l'arrêté du Saint-Synode interdisant de célébrer des services funèbres à l'occasion de la mort du comte Léon Tolstoï, je vous prie de veiller à ce que l'on n'autorise pas les journaux locaux à publier des annonces de services, et d'empêcher toutes démonstrations populaires en vue d'obtenir ces autorisations »>.

En outre, dès le 29 janvier, on avait préparé le projet d'un télégramme-circulaire chiffré aux gouverneurs : « A l'occasion de la mort du comte Léon Tolstoï, on pourra laissér publier des nécrologies, des articles sur l'activité littéraire de l'écrivain, pourvu que les règles d'objectivité et de prudence soient observées; mais je vous prie d'interdire tous les renseignements et opinions contrevenant aux ordres du Synode. Le ministre de l'Intérieur Sipiaguine ».

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