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qu'elles n'aient pas leurs mitrailleuses. Elles luttent quand même, pied à pied. D'ailleurs l'ennemi non plus n'a pas son artillerie, qui n'a pu suivre son avance trop rapide. On est revenu à la lutte d'infanterie, à la guerre de mouvement et de manoeuvre. A chaque instant les Allemands pensent nous avoir enveloppés. Chaque fois ils trouvent devant eux de nouveaux bataillons qui sont montés et qui, avec les divisions anglaises en retraite qui font volte-face, soutiennent leur choc. La liaison n'est pas rompue entre notre aile gauche et la droite britannique. C'est tout ce que nous pouvons espérer. La journée se termine par une retraite d'une dizaine de kilomètres, sur toute la ligne, et par l'abandon de Bapaume. C'est une sombre journée. Le communiqué de Berlin du 26, 14 heures, peut triompher les armées de von Below et de von Marwitz se maintiennent à Ervillers; elles marchent sur Achiet-leGrand, Biefvillers et Grevillers; au sud de la Somme, le général von Hofagrer a enlevé d'assaut la Maisonnette, illustrée par tant de souvenirs de 1916, Biaches et Barleux; les Franco-Britanniques ont été rejetés par von Hutier au delà de la voie ferrée de Péronne à Roye.

Ces succès s'amplifient encore dans la matinée du 26. Les Anglais sont rejetés jusqu'à leurs anciennes organisations de la bataille de la Somme, vers Bucquoy et Moyenneville. Moraumont est pris, et Beaucourt, et Thiepval, et Fozières, où s'illustra tant de vaillance britannique. L'Ancre elle-même est franchie. Cependant les lisières est d'Albert sont seules atteintes encore, mais Bray-sur-Somme, d'où était partie notre offensive du 1er juillet 1916, est perdu, ainsi que Lihons. Plus au sud, il nous faut enregistrer une perte plus sensible encore : celle de Roye le même jour où nous devons évacuer Noyon. Il est vrai que les Allemands ont d'ores et déjà engagé dans la bataille 70 divisions. Les cadavres des leurs jonchent le terrain. Mais l'ordre est donné de marcher de l'avant. Ils marchent. On voit des compagnies s'avancer à quelques centaines de mètres de la ligne de feu en colonnes, précédées de leur capitaine, à cheval!

Nous voici au 27 mars. Une accalmie intervient. A notre aile droite, autour de Noyon, la situation est assurée. Les Anglais ont tenu devant Albert, mais ils ont accentué leur retraite au delà de Bray-sur-Somme. Notre communiqué du matin précise notre front il passe par l'Echelle-Saint-Aurin et Beuvraignes. Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. C'est l'instant où l'ennemi a compris qu'il ne déboucherait plus dans la vallée de l'Oise et où il reporte vers l'ouest tout son effort. La bataille a repris sur les deux rives de la Somme. On se bat depuis le nord d'Ablainzevelle, au nord de l'Ancre, jusqu'au sud de RozièresAlbert est pris. On se bat aussi ou plutôt les Français se battent des deux côtés de l'Avre. Les Allemands progressent à grands 'pas vers Montdidier dont les abords est. nous tenons pas pour longtemps Lassigny succombe. Il nous faut consommer encore un sacrifice et rabattre délibérément notre front sur une ligne presque horizontale, depuis le sud de Noyon jusqu'à Montdidier, par Roye-sur-Matz. De Montdidier, nous remontons par Fignières, Arvillers, Folies, l'est de Rozières, Sailly-Laurette, l'ouest de Méaulte, l'est d'Anchonvillers jusqu'à l'est d'Arras.

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Dernière épreuve si nous tenons au sud de Lassigny, il nous faut renoncer à conserver Montdidier et même les hauteurs qui dominent la ville au nord-ouest. Les Allemands sont à Pierrepont. Au nord-ouest Rosières, dans la boucle de la Somme, les Anglais, que nous avons à peine eu le temps de secourir, sont repoussés d'une dizaine de kilomètres jusqu'à WarfuséeAbancourt.

Mais voici que soudain intervient une riposte française, devant Montdidier. Elle a eu lieu dans la matinée du 28. Tandis que l'ennemi cherche à étendre ses gains, à l'ouest et au sud de la ville, nos troupes, qui viennent à peine d'être renforcées par quelques arrivées hâtives, s'élancent à la baïonnette. L'ennemi cède sous leur assaut furieux. Nous reprenons les villages de Courtemanche, de Mesnil-Saint-Georges, d'Essainvillers. Nous réalisons ainsi une avance de trois kilomètres en profondeur sur un front de dix. Le combat se prolonge dans la soirée et pendant une partie de la nuit. Notre succès se complète par l'occupation d'un autre village: le Mouchel.

Nous avons, cette fois l'assurance que la porte de Montdidier, même entre-bâillée par l'occupation de la ville, ne livrera pas à la horde envahissante le passage de l'ouest. Par là, du moins, la course vers Amiens n'a pu se poursuivre.

VIII. NOUVEAUX EFFORTS (28-31 MARS)

Mais les Allemands n'ont pas dit leur dernier mot. Is ont monté deux nouvelles offensives qui vont, coup sur coup, tenter d'ébranler, coûte que coûte, le nouveau front des Alliés.

La première ouvre un champ d'action inédit. Elle transporte la lutte sur un secteur qui a été, les jours précédents, relativement calme l'est d'Arras. Plus exactement, elle opère une extension vers le nord du front d'attaque, car ce n'est pas seulement des deux côtés de la Scarpe que l'ennemi fonce dans la journée du 28 c'est sur l'ensemble de la ligne britannique depuis le nord-est d'Arras jusqu'au sud de la Somme, soit sur 88 kilomètres. A l'est d'Arras, son objectif est d'enlever la ville et la crête de Vimy, il a mis en ligne six divisions, avec quatre divisions spéciales d'assaut en soutien. Il dissimule sa préparation d'artillerie pour empêcher la contre-batterie, par des nuages de fumée, il parvient à franchir les réseaux d'avant-postes et la lutte continue dans les premières positions. Elle se termine, le soir, par un échec complet. Les Allemands ont à peine mordu sur les défenses britanniques. Les communiqués de Berlin ne font nulle part allusion à ces combats; c'est suffisamment dire combien leur résultat a été malheureux.

Au nord de la Somme, à Boyelles, Moyenneville, Ablainzevelle Bucquoy et Puisieux, plusieurs assauts lancés à fond sont repoussés. Dernancourt, perdu pour la deuxième fois, est repris par les Anglais. Au sud de la Somme, les engagements ont lieu dans le voisinage d'Arvillers et de Vrely d'abord, puis, plus à l'ouest, de la Neuville-Sire-Bernard, Mézières, Marcelcave, Hamel. Français et Anglais, fraternellement amalgamés, luttent de concert, inférieurs en nombre, mais supérieurs en héroïsme. Le soir du 28, notre front, au nord de Montdidier, passe par Gratibus, longe l'Avre sur quelques kilomètres, traverse les plateaux du Santerre et de la Neuville à Hamel, franchit la Somme entre Hamel et Sailly-le-Sec, bouche l'intervalle entre la Somme et l'Ancre, passe l'Ancre vers Dernancourt, au-dessous d'Albert, contourne enfin Beaumont-Hamel, qui est aux Allemands, pour rejoindre le système d'HébuterneBucquoy-Moyenneville.

Le 29 mars est une journée d'accalmie. Les seuls combats notables se déroulent au sud de la Somme, vers Mézières et Demuin. Ce n'est là, d'ailleurs, qu'un incident dans l'immense mêlée qui va se raviver. Le communiqué français du 30 mars, I heures annonce en effet « La bataille a repris avec une nouvelle violence pendant la nuit. Elle est en cours sur un front de 40 kilomètres depuis Moreuil jusqu'au sud de Lassigny. Nos troupes, appuyées par nos réserves qui continuent

à arriver, opposent une résistance acharnée aux puissants assauts de l'ennemi. » Le communiqué du même jour, 21 heures précise que la lutte s'est encore élargie et qu'elle fait rage, maintenant, sur 60 kilomètres. Les communiqués britanniques ajoutent, d'autre part, qu'on se bat aussi au nord de la Somme.

Deux petites rivières vont prendre une place considé rable dans l'histoire de la guerre l'Avre et la Luce. Par la vallée de l'Avre passe la ligne de chemin de fer de Montdidier à Amiens. La Luce est un affluent de l'Avre; sur ses bords s'étagent des villages, naguère riants Demuin, Hangard, dont les noms apparaissent à plusieurs reprises dans nos communiqués pour l'acharnement avec lequel ils ont été disputés. La ligne de l'Avre franchie, les Allemands se seraient frayé une route jusqu'à la grande voie ferrée de de Beauvais à Amiens, devenue leur but depuis qu'ils avaient dû momentanément abandonner l'espoir d'une marche sur Paris.

La bataille commencée dans la nuit du 29 au 30 est une des plus âpres de la campagne. C'est une bataille d'infanterie, car l'artillerie lourde, qui n'a pu rejoindre encore ses emplacements n'y a point de part. L'ennemi jette sans compter division sur division, en vagues épaisses où nos feux creusent d'effrayants ravages. Les aviateurs ont décrit le champ de la lutte comme une mer furieuse où déferlaient le flux et le reflux des combattants. Sur certains points nos soldats, contraints de reculer, repartent avec frénésie à la contre-attaque et balayent l'ennemi stupéfait. Les villages passent de l'un à l'autre des deux partis. Des batteries de 75, à peine débarquées, ouvrent le feu contre les Allemands. Des colonnes adverses, lancées à l'assaut, s'arrêtent net sous les rafales de mitraille et, malgré les cris des officiers, se replient en désarroi. Moreuil, Orvillers, Plessisde-Roye, Le Plémont sont le théâtre de combats épiques. Moreuil le point le plus rapproché d'Amiens est particulièrement convoité. Des Canadiens s'y cramponnent avec nous. Deux fois le village est repris, deux fois reperdu. Il finit par nous rester. L'ennemi, qui a laissé sur ce point la moitié de son effectif, renonce, pour l'instant, à s'obstiner. Même acharnement dans le parc de Plessis-le-Roye. Un moment débordés, les nôtres reprennent l'avantage, chassent les bataillons allemands et rétablissent notre ligne. Au Plémont,deux divisions ennemies ont reçu l'ordre formel d'avancer, à n'importe quel prix. Elles plient pourtant sous l'élan furieux d'une seule division française qui réoccupe entièrement cette hauteur et fait 700 prisonniers, dont 20 officiers. Au soir du 31, notre ligne, maintenue dans son ensemble, passe à l'est de Moreuil, longe les hauteurs à l'ouest de l'Avre, passe à l'est de Malpart, à l'ouest de Cantigny, remonte. au nord du Mouchel et d'Ayencourt, suit les lisières sud d'Orvillers, englobe Biermont Roye-sur-Matz, la station de Canny-sur-Matz, le Plémont.

IX. LA CRISTALLISATION PROVISOIRE

Le 1er avril la bataille dure toujours. Elle se prolonge les jours suivants avec des épisodes plus ou moins vifs, comme par exemple, les attaques allemandes vers Grivesnes, vers Morisel et Mailly-Renneval, vers Rollot. Au nord de la Somme également les Anglais subissent encore des chocs ou prennent l'initiative de retours offensifs. Mais la situation n'est plus la même. Une cristallisation s'est opérée. Pendant dix jours les Allemands. ont pu substituer sur le front franco-britannique la guerre de mouvement à la guerre de position. La guerre de position a repris. Une ligne continue s'est une fois de plus établie. Des tranchées se sont creusées. L'ennemi a dû amener des pièces d'artillerie lourde pour marteler des défenses hâtivement, mais solidement édifiées. Il n'y a plus sur le front nouveau que des battements de faible amplitude. La marée est étale.

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Dressons le bilan de la « bataille impériale ».

Les Allemands ont repris la totalité du terrain qu'ils avaient perdu depuis le 1er juillet 1917. Ils ont même empiété assez largement sur l'ancien front. Leur pression s'exerce dans une triple direction vers Arras, vers Amiens, vers les routes du sud qui conduisent à Paris. De malheureux évacués ont dû reprendre le chemin d'un exil temporaire. Des régions qui commençaient à peine à renaître sont ruinées à nouveau. Certaines, que les horreurs de la guerre avaient épargnées depuis 1914, les connaissent aujourd'hui. C'est un résultat. C'en est un autre d'avoir exécuté le plus vaste mouvement stratégique qu'on ait vu sur notre front depuis la bataille de la Marne. De Saint-Quentin à Montdidier, il y a soixante. kilomètres comme des marais de Saint-Gond à

l'Aisne.

Paris, qui a failli être menacé, ne l'est plus. Devant Amiens une muraille de poitrines s'est dressée, comme naguère, devant Verdun. La liaison n'a pas été rompue entre la gauche française et la droite britannique. La charnière n'a pas sauté. Les Anglais n'ont pas été rejetés à la mer.

Stratégiquement, la situation des Allemands qui ap paraît, au premier abord, plus avantageuse qu'elle ne l'était en 1916, présente un inconvénient qu'elle n'avait pas alors. En 1916, l'ennemi tenait les hauteurs de l'Aisne. Il étayait ainsi solidement sur sa gauche le saillant qu'il prononçait dans nos lignes. Aujourd'hui, c'est nous qui occupons ces hauteurs. Une offensive heureuse vers Laon compromettrait singulièrement la sécurité de la hernie entre Somme et Oise.

On avait promis au peuple germanique que cette bataille serait la dernière. La paix en devait être la rançon. C'est à ce prix que les soldats des deux kronprinz ont fourni leur prodigieux effort. Ils se sont battus pour ne plus se battre. Ils devront lutter encore. Tout est à remettre. Les armées anglaises se sont regroupées et forment bloc. Les réserves françaises n'ont été que très partiellement engagées.

Cependant par combien de cadavres la progression allemande a-t-elle été achetée? Quelle a été en morts et blessés l'usure des armées de choc? Quelques précisions peuvent être données. Par exemple, le 20, le front conquis entre Saint-Quentin et l'Oise était tenu par six divisions. Pour la grande offensive, on en fit venir six autres. Le 22, ces unités étaient déjà si fortement éprouvées qu'il fallait les renforcer par quatre autres et, le 23, par cinq autres. Le 24, trois divisions encore intervenaient, et deux le 25. Le 30, enfin, l'arrière en dépêchait deux nouvelles. Ainsi pour les combats livrés par l'armée von Hutier devant Saint-Quentin ainsi qu'à Ham, Noyon, Nesle, Roye, Lassigny et Montdidier, vingt-huit divisions ont été jetées dans la fournaise. Huit d'entre elles ont même dû y retourner deux fois! Au cours des trois premiers jours, cinq divisions, dont une de chasseurs et une de la garde, avaient tellement souffert qu'il fallait les retirer. Malgré ses pertes, on refusait de relever la 34° division. La 45 division de réserve, qui avait laissé près de 50 0/0 de son effectif, était relevée le 22 mars. Néanmoins elle était réengagée le 27. Dans l'après-midi du 23, les colonels des 1er et 2° régiments bavarois téléphonaient d'Ugny-le-Bay pour demander la relève de leurs unités, car les mitrailleuses franco-anglaises avaient réduit certaines de leurs compagnies à moins de trente hommes. Le commandement ne pouvait leur donner satisfaction, faute de disponibilités. Des prisonniers ont rapporté que la 16° division bavaroise, la 28 division d'infanterie, la 12° division, la division d'ersatz de la garde avaient perdu 25 0/0 de leur effectif. La 3 division de la garde et la 45° de réserve

avaient encore plus souffert. Quelques-uns de leurs bataillons étaient réduits de 40 0/0. Avec la 2o division de la garde et la 5° division d'infanterie, on arrive à un déchet de 50 0/0 pour certaines unités. Dans les 6°, 195, 4 et 119° divisions enfin, des formations ont laissé sur le champ de bataille 75 o/o de leurs hommes. Mais voici un autre calcul qui peut être fait. Le 31 mars, les Allemands avaient engagé au moins 90 divisions, sur lesquelles 25 avaient dû être retirées. On admet qu'une unité doit être relevée quand elle a perdu 30 olo de son effectif. Pour les 25 divisions en cause, cela ferait près de 100.000 hommes hors de combat. Restent les 70 autres divisions: En évaluant pour chacune d'elles le déchet à 20 0/0, cela fait encore 170.000 hommes. Les pertes allemandes ont certainement dépassé 250.000 hommes. Le chiffre de 300.000 qui a été donné par les journaux anglais n'est peut-être pas très au-dessus de la vérité.

Dernier contre-coup de la grande bataille : les Alliés ont, grâce à elle, réalisé cette unité de commandement qu'ils ne parvenaient pas à faire sortir du domaine des vœux et des conférences. Le général Foch est devenu le directeur stratégique sur le théâtre occidental de la guerre. La coopération franco-britannique s'est opérée. Toutes les forces américaines présentes sur notre territoire ont été mises à notre disposition immédiate. Le moral du pays loin de se laisser abattre, s'est retrempé au contraire dans une nouvelle énergie. Plus que jamais l'avant et l'arrière communient dans une même résolution farouche.

Les Allemands n'ont pas forcé la porte de Paris. Après deux semaines, ils n'ont pas pris Amiens. Ils ont sacrifié en ces quelques jours autant d'hommes qu'ils en avaient perdu en trois mois devant Verdun. Ils ont donné à l'Entente sa cohésion militaire. Ils ont revivifié chez nous le sentiment national. Etait-ce bien là ce qu'ils se proposaient? (1).

X. X. X.

NOTES ET
ET FIGURES

Vidal de la Blache.

La géographie, lit-on parfois encore dans les manuels élémentaires qui en traitent, est la description de la surface de la terre. C'est là aussi une définition du bon vieux temps. Cette étude, jadis uniquement descriptive, en effet, a été promue au rang de science, on lui a créé des «< laboratoires », on l'entend de la réaction mutuelle du sol sur l'homme et de l'homme sur le sol, on y fait entrer la géologie, la météorologie, l'éthnographie et bien d'autres choses encore, elle a revêtu enfin une ampleur qui l'a tirée hors du rang des disciplines subalternes.

La France a été pour beaucoup dans cette rénovation, et l'éminent géographe que la France vient de perdre y a contribué dans une large mesure, avec un tact, d'ailleurs, et un goût parfaits. Vidal de la Blache a été un des promoteurs de cette école qui se continue aujourd'hui par des hommes tels que M. Mar cel Dubois. Il a su faire de la géographie quelque chose 'd'important et de sérieux sans la rendre ennuyeuse; dans une science qui ne semble admettre qu'une part minime d'art et qui cependant a suscité des écrivains com

(1) Une erreur typographique a fait parler, dans le dernier article sur la « bataille impériale », de repli stratégique d'Hindenburg au printemps de 1916, ainsi que de notre offensive d'avril 1916: C'est évidemment 1917 qu'il fallait lire.

me Elisée Reclus, sans rien abandonner de la rigueur de la méthode et de la documentation, il a pu se distinguer par l'agrément et la qualité du style.

Devenu géographe de la bonne manière, c'est-à-dire en voyageant, Vidal de la Blache valut certes par les ouvrages qu'il produisit, depuis son mémoire sur la Géographie de Ptolémée, jusqu'à sa récente description d'une actualité si douloureuse de La France de l'Est. Il fut surtout un maître dans le sens strict du mot et il forma des maîtres. Professeur et séduisant autant que varié dans son enseignement sans cesse renouvelé, il a propagé sa parole de telle sorte que par ses élèves et les élèves de ses élèves il a pénétré jusqu'au plus modeste collège et à la plus humble des écoles primaires.

Il jouit de la moins douteuse des popularités car il n'est pas un enfant de France qui ne sache son nom et qui ne l'associe à l'étude qu'il fait de la patrie.

Fidèle à une ancienne et estimable discipline, il est venu à des considérations plus actuelles par l'antiquité ; il a traité, avant de se consacrer à son pays avec une dilection particulière, du monde gréco-latin au II° siècle. Puis, attachant son nom au meilleur des manuels cartographiques il a écrit les pages les plus brillantes et les plus justement connues de son œuvre dans l'Introduction géographique à l'Histoire de France de M Lavisse.

Inévitablement j'ai pensé en relisant ce « tableau » à celui de Michelet et ce souvenir dangereux n'a point trop pâli les pages que je feuilletais. Certes, nous restons loin ici de la vision grandiose et parfois à demi hallucinée du génie ; s'il nous échoit pourtant une autre fortune, elle ne laisse pas d'avoir son charme et surtout son utilité.

Clair sans fadeur et technique sans pédantisme, l'historien-géographe parcourt avec tendresse et clairvoyance un sol sacré. Il note par exemple l'harmonie et l'équilibre des parties par la coordination des masses minérales, il caractérise, par l'affleurement ou la profondeur du massif primaire la Flandre ou l'Ardenne et le bassin parisien. Il distingue l'indécision de la Loire et l'étroit encerclement du Rhône. Le veut-on voir à un des points les plus favorables de sa veine. Voici comment il apprécie l'apport de la Méditerranée : « Ce qu'elle nous a surtout communiqué, c'est ce que la barque du commerçant porte avec elle : le luxe dans le sens du superflu nécessaire à la civilisation, l'éveil et la satisfaction de besoins nouveaux ; elle fut une initiatrice et c'est pourquoi son nom éveille en nous le charme qui s'attache aux souvenirs d'enfance ». Peut-être la mer des aïeux latins nous a-t-elle pénétrés d'influences plus intimes et plus secrètes: l'expression et l'idée pourtant restent justes dans leur limite.

Une «< personne » écrivait Michelet de notre pays, Vidal de la Blache reprend le mot à son compte et le justifie par des considérations plus concrètes. Il lui semble que chez nous une sorte d'atmosphère commune apparente les êtres et les choses, qu'un genius loci accorde les dissemblances. Cette unité française il la voit encore dans une sage distribution des diverses parts de la France. Serait-elle, ajouterons-nous, une qualité d'esprit, c'est-à-dire, serait-elle surtout de l'homme ? Vidal de la Blache semble le croire.

« Une individualité géographique, écrit-il, ne résulte pas de simples considérations de géologie et de climat Ce n'est pas une chose donnée d'avance par la nature. Il faut partir de cette idée qu'une contrée est un réservoir où dorment des énergies dont la nature a déposé le germe mais dont l'emploi dépend de l'homme. C'est lui qui, en la pliant à son usage met en lumière son individualité. »>

Cette expression de « Géographie humaine » à laquelle font allusion les premières lignes de ces notes, comme elle rend bien le caractère dont se renouvela de nos jours une discipline vieille comme le monde ! La terre a vu son aspect profondément transformé par les générations qui s'y sont succédé, elle est comme la cire malléable où l'homme au cours des âges a marqué ses empreintes successives. Mais nul« canton de l'univers », comme on disait du temps de La Fontaine, ne s'est façonné mieux que le nôtre à l'image de ses habitants... ou ne les a mieux façonnés à son image. Décidément c'est quelque chose d'assez grand que cette doctrine qui, par la science, arrive à exprimer la communion perpétuelle de l'homme et du sol, et Vidal de la Blache pour nous en avoir donné l'honneur mérite de partir avec un abondant tribut d'hommages et de regrets.

C'était un excellent homme, - une grande barbe et des yeux bleus très doux et lointains, un de ces travailleurs qui se taisent et dont on comprend le silence quand on voit s'accumuler tous les jours les fruits de leur besogne.

Il a fait beaucoup pour son pays au cours de sa longue carrière puisqu'il meurt à soixante-treize ans. Il lui a donné dans la joie du labeur et dans la douleur des pires larmes, son fils mort, je crois, en Allemagne. Sa fin qui eût été entourée en des jours de paix d'une glorieuse lumière, s'est assombrie de ce deuil et du regret de ne pas voir pointer l'aurore de la délivrance.

La géographie est, parmi les sciences, une des plus humaines à un autre sens du mot. Familière, concrète et pratique, elle mêle l'être au milieu où il s'agite et passe, et le fait entrer dans l'intimité de ce sol, son origine et sa nourriture. Elle se double pour Vidal de la Blache et elle s'augmente pour ceux qui le lisent de l'intérêt passionné que présente plus spécialement la terre où nos pères reposent et où nous devrons aller à notre tour dormir.

Théâtre & Musique

GONZAGUE TRUC.

De Paris aux provinces.

La question du théâtre continue à être importante et à ne souffrir d'aucunes divergences dans le monde de ses chefs puisque l'unité de commandement a été réalisée, et de quelle façon ! par M. Alphonse Franck luimême. Tous les directeurs si sympathiques marchent à la suite de ce si sympathique directeur...

Pour le reste, nous avons vu à propos des théâtres se manifester la plus lamentable incohérence. Personne ne semblait vouloir prendre, concernant les théâtres de décision définitive. Nous avons, paraît-il, un gouvernement qui gouverne. C'est une vraie chance. Mais il ne gouverne pas les théâtres. Et on assiste à de merveilleux spectacle, qui n'était pas annoncé sur les affiches, de directeurs de théâtres refusant de fermer leurs salles bénévolement mais souhaitant d'être contraints à la fermeture afin de pouvoir se débarrasser sans indemnités d'un personnel encombrant et trop onéreux à leur munificence bien connue. On vit le bon M. Huguenet, non seulement grand artiste mais camarade soucieux d'être utile à tous ses camarades, on vit le bon M. Huguenet, président de l'Association des artistes, intervenir doucement au débat, mais on ne put le voir intervenir efficacement, car l'association de M. Huguenet ne peut que faire entendre des paroles gentiment suppliantes de conciliation. On vit des mesures prises et des mesures rapportées. Et à l'heure actuelle

nous avons encore un gouvernement qui gouverne, mais bien malin celui qui pourra dire en toute certitude si les théâtres sont ouverts ou s'ils sont fermés, ou s'ils sont seulement entr'ouverts ou à demi-fermés seulement.

Mais les directeurs de théâtre ne sauraient sous aucun prétexte demeurer inactifs et voici qu'ils se préparent d'évangéliser les provinces.

On ne sait pas encore ce que fera M. Alphonse Franck lui-même lorsqu'il cessera d'envoyer des lettres aux journaux. Mais on sait déjà et déjà on annonce que la Comédie-Française se rendra en troupe dans les départements... Le génie de beaucoup d'artistes de la Comédie-Française est favorablement apprécié dans la plupart des départements et c'est justice. Et il y aurait une iniquité véritable à ce que le génie d'un certain nombre d'auteurs dramatiques qui travaillent spécialement pour la Comédie-Française ne fut pas apprécié dans les départements avec la même faveur que le génie de leurs interprêtes.

Il paraîtrait d'ailleurs très convenable que la Comé die-Française qui compte plusieurs quarterons d'actrices et d'acteurs presque inutilisés s'accoutumât à donner dans les grandes villes françaises des séries de représentations. On n'exigerait pas d'elle qu'elle jouât constamment Primerose ou des ouvrages de cette origi nalité. Entre deux représentations de Primerose elle pourrait jouer du Corneille ou du Racine ou du Molière et peut-être ne serait-elle pas éloignée alors de causer une extrême satisfaction aux lettrés des départements. Voilà pour le lendemain de la guerre un progrès à réaliser. Déjà aux années heureuses, la Comédie-Française s'en allait parfois à travers les régions françaises en quelque grande cité. Déjà aux années heureuses la Comédie-Française s'en allait plusieurs fois chaque année donner des représentations à Liège, à Gand, à Bruxelles également si je ne me trompe... Le passé peut servir d'exemple pour l'avenir.

Les sociétaires de la Comédie-Française passaient pour être des oiseaux migrateurs. Mais ils voyageaient seuls. Désormais ils voyageront en bande. Et il n'y aura pas grand chose de changé en France, il n'y aura que quelques publics enthousiastes de plus.

Mais on dit que l'Opéra est sur le point d'entreprendre des pérégrinations analogues à celles de la Comédie-Française. Fait nouveau. Fait notable. Il est des villes de province où on se flatte d'aimer la musique et où on ne se lasse pas de l'aimer avec violence. Je me rappelle telle première représentation qui se termina par un concert de cris d'animaux que ne proféraient pas les acteurs. Ce sont là des souvenirs inoubliables et on voit jusqu'où des bourgeois sages, avec leur femme et leurs filles peuvent être entraînés par la passion du grand art... Ön ne peut trouver mauvais que l'Opéra tout entier se soumette à des expériences de cette sorte.

Est-ce que l'habitude imposée aux artistes de Paris de jouer en corps dans les départements peut être profitable au théâtre même ? Peut-être.

Et sans plus tarder, Gémier annonce des essais gigantesques. Gémier jouerait dans un cirque de Lyon une pièce énorme avec une figuration immense. Il compte atteindre le chiffre de quinze mille figurants.

J'aime à croire que Gémier laissera dans la salle quelques places pour les spectateurs et que des couloirs il n'expulsera pas toutes les ouvreuses. D'ailleurs si un théâtre peut se passer de spectateurs les ouvreuses dans tous les cas, restent nécessaires. J'aime à croire que Gémier, pour faire grand, ne s'appliquera pas à faire colossal ce que des gens d'esprit de chez nous écrivent encore kolossal.

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Au reste, nous savons tous que Gémier est plus ca

pable que personne, en se manifestant novateur audacieux et même un peu téméraire, de conserver la mesure, l'harmonie, le goût, le goût français. Il aura dans cette « réalisation » prodigieuse, il aura nous en sommes persuadés le sens des proportions...

Et quoi qu'il advienne, Lyon sera fort aise d'évoquer la lointaine époque où Molière donnait sur les rives du Rhône la première représentation de l'Etourdi avant de la donner sur les bords de la Seine. Il n'y a point abondance de documents sur la première représentation de l'Etourdi, à Lyon en 1653 disent les uns

en 1655 disent les autres. Mais de cette pénurie de documents, il ressort que l'Etourdi triompha à Lyon. Avant l'Etourdi, la troupe de Molière était en proie aux rigueurs de la fortune inconstante. Et c'est pourquoi Molière improvisa son œuvre. Il l'improvisa allègre

ment et victorieusement. Et le succès de l'Etourdi changea tout. Nous avons des preuves que ce succès détermina le plus aimable engouement pour Molière et ses compagnons. En 1659 à Paris alors que Molière jouant la tragédie avait été sifflé maintes fois, la représentation de l'Etourdi sauva tout. Ainsi Paris corroborait le témoignage de Lyon.

Ainsi la province, même au théâtre peut ne pas être inutile à la capitale. Et il n'est pas impossible après la guerre que la vie intellectuelle, la vie artistique ne se multiplie dans les grandes cités. M. Jean Hennessy ne serait pas seul à s'en réjouir. Il n'est pas impossible après la guerre que, même au point de vue théâtral, les grandes cités provinciales ne deviennent des capitales. L'activité théâtrale serait peut-être plus intense tout en étant plus disséminée. Et Paris même n'y perdrait rien. Mais peut-être que déjà la situation des théâtres est

encore une fois modifiée... Puissent du moins toutes ces velléités d'action de théâtres de la province ne pas s'évanouir !

Les Idées

J. ERNEST-CHARLES.

Restreignons-nous

Tandis que nos soldats se battent, que peut faire l'arrière pour témoigner qu'il est digne d'être défendu par eux, pour payer en partie au moins sa dette de solidarité ?

Il peut tout d'abord tenir moralement. Sur ce point, rendons-nous justice. Si nous avions besoin de nous réconforter, rien ne serait plus réjouissant que les légendes lancées par certains journaux boches sur l'angoisse de Paris bombardé,légendes si largement propagées que lon dirait parfois qu'elles ont presque trouvé créance dans certains milieux neutres et provinciaux. La vérité est que, un peu brusquement, Paris a été réveillé d'une tranquillité excessive qui lui faisait oublier qu'il était à cent kilomètres de la ligne de feu. Les raids de gothas et les premiers crachements de « l'imbécile >> ont nécessité une remise au point. Elle s'est accomplie rapidement. Pendant quelques jours, les Parisiens ont fait un peu trop de bruit pour descendre à la cave ou prendre le train. Et puis, les nouvelles habitudes étant contractées, évacués les enfants et les neurasthéniques, l'existenee a recouvré sa physionomie ordinaire. Seules les bandes de papier collées aux devantures des magasins ont rappelé que les vitres étaient moins solides. que les cœurs Les exploits balistiques de la grosse Bertha ont été relégués à leur place parmi les faits divers. En face de la bataille un rapprochement s'est fait entre les âmes. Pendant que le vendredi saint un obus boche écrabouillait deux cents fidèles dans une

église, l'union église, l'union sacrée renaissait, jusqu'au PalaisBourbon. Sans une discordance, c'est la France tout entière qui moralement s'est rangée derrière nos soldats.

Elle leur doit quelque chose de plus. Pendant qu'ils meurent pour la sauver, elle doit apprendre davantage à se priver pour vivre et pour que leurs enfants vivent. La bataille en cours se terminera-t-elle par la décision militaire définitive? Je ne le pense pas, et je pense au contraire que, quoi qu'il arrive, la force de résistance économique, particulièrement la force de résistance alimentaire des nations en présence pèsera d'un poids quasi déterminant sur les conditions de la paix. Vous souvient-il de l'utopie véritablement géniale de Wells, la Guerre dans les airs ? L'embrasement du monde est à bref délai suivi d'une suspension générale de la vie économique, et bientôt se lève le spectre de la grande famine et de la grande peste.

Le phénomène s'est moins rapidement généralisé que ne l'esquissait le romancier. Ne méconnaissons pas qu'il se dessine et qu'en Russie au moins sont en train de reparaître les calamités dont l'Europe pouvoit se croire affranchie depuis le moyen âge. Ou, d'ici peu, par un miracle où, je crois la poigne allemande elle-même échouera, tout s'y trouvera remis en place, ou la faim y fera déserter les villes, les loups reviendront hurler aux portes des villages, les épidémies ravageront les populations affaiblies.

outre

Au soulagement que la paix de Brest-Litovsk apporta à l'Allemagne succéda presque aussitôt une angoissante constatation: la ruine de la Russie était telle que, bien loin de pouvoir sérieusement ravitailler les empires centraux, elle serait elle-même importatrice de blé pour plusieurs années. Or, du malaise alimentaire de nos ennemis, en dépit de toutes les sottises qui ont été écrites sur ce sujet depuis trois ans, nous ne pouvons plus douter aujourd'hui. Si la « bataille de l'Empereur >> a été livrée, c'est sans doute que Hindenburg espère la gagner; c'est aussi qu'il était trop périlleux de prolonger des souffrances devenues à la longue quasi intolérables. J'ai sous les yeux, rédigé uniquement d'après les publications germaniques, un rapport documentaire qui analyse comment Rhin on s'y prend pour subsister. Malgré ses victoires, l'immense empire est soumis au régime d'une place forte assiégée. En dépit de mesures draconiennes, la ration alimentaire moyenne représente pour l'individu 2.100 calories quotidiennes au lieu de 3.150 qui seraient nécessaires. Les enfants et les malades meurent à foison. Un communiqué officiel a dissipé les espérances fondées sur les céréales de Russie et de Roumanie. On craint une diminution nouvelle de la ration de viande qui varie de 100 à 250 grammes par semaine. Le prix du porc est sextuplé par rapport à 1914; et sa nourriture. coûte si cher que se pose la question tragique si les hommes mangent les porcs, ou si c'est l'inverse. Trois éléphants de ménagerie abattus cet hiver firent les jours gras de trois grandes villes. Un saucisson composé d'un mélange coloré de légumes et de suif salé est un des « Ersatz » carnés les plus répandus. La ration d'un œuf par semaine n'a pu être maintenue en janvier à Berlin. Des mélanges de déchets de laiterie et de poudre de brique sont vendus comme succédanés du fromage. Plusieurs fabriques de margarine ont dû fermer. L'huile manque. La salade s'assaisonne avec une huile contenant 90 à 98 0/0 d'eau et de crême végétale Il paraît impossible d'accroître la ration de pommes de terre qui est de 7 livres par semaine. En certains endroits il est douteux si elle pourra être maintenue. Tous les fourrages disparaissent. La ration de sucre sera continuée à grand'peine. La récolte des légumes a été

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