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ge, qui se nomme elle-même la Carrière, avec une majuscule, c'est-à-dire l'unique.

Que si, par hasard, vous vous égarez loin de ces palais et de ces salons, je n'aperçois pas que vous Vous perdiez dans un monde vulgaire ou seulement dans une bourgeoisie douteuse. Vous pénétrez chez les milliardaires américains, ceux qui, précisément, se prononceront demain pour la tradition, ou vous observez la haute société cosmopolite, ou vous vous égarez un instant chez les grands bourgeois, comme vous les appelez, ce qui vous permet de parcourir tous les échelons de la bonne -société.

Avez-vous donc l'intention, Monsieur, de la décrire savamment? Faites-vous de l'histoire? Avouons plutôt que vous faites des histoires. Mais la grande histoire n'est-elle pas tissée des petites histoire de jadis battues et brouillées congrûment pour la postérité? Qui sait si anecdotes ne seront pas des chapitres vivants de la grande histoire que nos petits-neveux écriront avec nos petites histoires? En tous cas, je retiens de cette facilité que vous avez à verser dans l'historiette l'illusion où vous êtes de demeurer ainsi dans la vraie tradition. Sans doute imaginez-vous qu'une société se reconnaît pour policée à ce qu'elle goûte avant tout les potins, la chronique scandaleuse, les portraits masqués et les romans à clé. Dans ce cas, en effet, non seulement vous perpétueriez la tradition, mais vous y ajouteriez, considérablement! Je n'ai pas 'souvenance d'un auteur du passé ni du présent qui se soit attaché avec autant d'obstination au décalquage de ses contemporains. Vous n'ignorez rien de l'art qui consiste à superposer divers décalques et à créer ainsi une manière de personnage synthétique construit avec plusieurs personnages vivants. Mais ce n'est là qu'une de vos habiletés et vous les avez toutes lorsqu'il s'agit de faire entrer dans vos livres, en chair et en os, un homme ou une femme que nous fréquentons et d'en masquer la ressemblance au point que ses intimes doutent que ce soit lui ou elle, tout en demeurant bien persuadés qu'il s'agit de celui-ci ou de celui-là.

et

N'est-ce pas un petit jeu de société qui se continue sans interruption depuis l'alcôve des précieuses jusqu'à nos jours? Et n'a-t-on pas souvent cherché à y faire participer des auteurs qui n'avaient jamais songé à s'y distraire? Et je voudrais bien, entre parenthèses, que l'on fût convaincu que ni Delphine ni Corinne ne sont aussi « à clé » que l'on se plaît à le dire!... Mais, tout de même, Monsieur, je vous assure qu'il est chez nous d'autres traditions et d'autres préoccupation«s que ce carnaval littéraire! Si par hasard, Mme de Staël eût fait seulement des romans à clé, si merveilleusement ha bile que vous la supposiez, serait-elle Mme de Staël ? Et si vous-même, Monsieur, n'aviez composé que ces pres tigeux décalquages, cussiez-vous acquis votre notoriété et aurais-je aujourd'hui le plaisir de vous recevoir?

La vérité, c'est que, s'il est tentant pour un auteur de déshabiller ses contemporains et de les coucher tout vifs entre les pages d'un in-cctavo, il l'est plus encore peutêtre de s'enorgueillir des ressemblances que l'on a réussies et d'en tirer bruyamment vanité. Que si, par hasard, on regimbait soi-mêine à ce genre de publicité, il y a toujours autour de chacun de nous, une coterie toute disposée à le faire non pour notre propre gloire grands dieux! mais par haine de ceux que l'on a portraicturés. C'est un peu l'histoire de Mme de Staël dont je parlais à l'instant ses moindres intentions ont été exagérées, ses plus secrètes volontés déformées. On lui a prêté tout ce qu'elle a pensé et tout ce qu'elle n'a pas pensé, on voulu voir des allusions à chaque ligne, et l'on n'a réussi qu'à causer un beau tapage en irritant Napoléon. Le scandale, voilà, en effet, l'aboutissement ordinaire de ces petits jeux de société qui paraissent innocents au

premier abord, mais qui finissent souvent fort mal. Pour ceux que l'on a peints trop ressemblants? Peut-être, mais aussi, mais surtout pour l'auteur.

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En vérité, Monsieur, il eût été invraisemblable, je dirai plus il eut été anormal qu'une œuvre comme la vôtre qui rend si exactement les petites histoires de nos contemporains, ne soulevât point quelque bruit à l'occasion de certains livres. De là à vous accuser de n'avoir écrit ces livres que pour causer ce bruit, il y a tout juste le temps d'une conversation entre deux confrères. C'est la montée de la calomnie qui commence. Mais de petits esprits, seuls, peuvent s'y laisser prendre. Pas plus pour vous que pour l'auteur de Corinne, il ne viendra à l'idée des gens de goût de vous assimiler à ces hommes de lettres tapageurs qui fondent leur réputation sur sur le scandale. Vous avez, grâce au ciel, d'autres qualités, un autre style et une autre envergure que ces amateurs de décalcomanie dont l'ouvrage sombre, au bout de peu d'années, dans l'obscurité et le silence.

Vous avez, d'abord, une certaine ironie, une certaine hauteur que vous ne savez pas dissimuler entièrement lorsque vous vous campez en face de vos modèles. On peut l'aimer ou l'exécrer elle a, du moins, cet avantage d'établir tout de suite les distances entre vous et vos victimes. C'est, aussi bien, l'attitude traditionnelle de l'observateur des mœurs qui fait déjà figure de moraliste avant même d'avoir parlé et ne se commet pas avec ceux qu'il va juger.

Vous avez, en outre, une vue excellente, et c'est de quoi je me permettrai, Monsieur, de vous féliciter. Vos yeux sont perçants et très sûrs, ils vont droit aux replis les plus secrets du cœur, et il n'est bon pour personne d'être distingué par eux. Instantanément, ils nous détaillent, ils nous décomposent en une série de petits gestes, de petits tics, de petits ridicules qui font de nous-mêmes une réduction grotesque semblable à celles que l'on ob tient avec le jeu de certaines glaces. Votre observation est exactement de la même qualité que celle du caricaturiste. Elle emploie les mêmes procédés, elle s'inspire des mêmes principes. Et, quant au résultat, nous savons par vos livres les images extraordinaires auxquelles elle aboutit!

Oserai-je vous avouer, Monsieur, que ce regard aigu et impitoyable, s'il est justement votre gloire, fait aussi parfois votre perte? Oserai-je vous redire les petits et les grands émois, les craintes effroyables, les appréhensions terribles qu'il a si souvent suscités? Vous transmettrai-je l'écho de ces terreurs?... A la vérité, je pense que cela est fort inutile: vous êtes trop intuitif pour n'avoir déjà compris.

Ici encore, Monsieur, je crois que l'on se méprend sur vos intentions, qu'on les dénature ou qu'on les ignore profondément. En tant qu'observateur de mœurs, vous êtes, d'instinct, moraliste, c'est-à-dire que vous ne vous contentez pas d'observer pour observer, mais pour juger ou pour faire juger. Vous n'êtes point une machine aveugle qui serait douée d'un pouvoir déformateur surprenant et que l'on pourrait disposer devant n'importe quelle société, devant n'importe quelle compagnie pour qu'elle en fournisse des caricatures. Vous choisissez vos victimes et un instinct social très sûr guide votre choix. Les événements graves que nous traversons, s'ils n'ont point affaibli votre belle humeur confiante dans les destinées de l'esprit français et comme vous avez raison! ont déjà assagi votre verve et canalisé votre humour, si j'ose dire. Vous avez compris la nécessité de certaines institutions et qu'il fallait bien qu'il y en eût et qu'il devenait urgent de laisser un peu en repos ceux qui les représentent si nous ne voulons point sombrer dans la barbarie. Votre sens critique demeure aussi aigu, aussi rapide et aussi sûr,

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objets. Votre goût de la tradition, vous pouvez le satisfaire ici, Monsieur, autant qu'il vous plaira, et les Occupations que vous y trouverez laisseront ailleurs le champ libre à votre esprit. La société, qui se renouvelle en ce moment d'une façon prodigieuse, vous ouvre des horizons inconnus, vous façonne des types inédits. C'est vers eux que tout vous invite à vous diriger. Il y a encore quelques places inoccupées dans votre galerie de portraits. Nous attendons avec impatience de votre talent non des redites, mais des effigies inconnues.

Pour copie conforme: JULES BERTAUT.

Enquêtes & Voyages

paperasse

Ce que les poilus pensent de la Lorsqu'un homme d'Etat est parvenu à la cime du pouvoir, il est bien rare qu'il trouve quelque satisfaction à entendre les gens attaquer les services qui dépendent de sa personne. M. Clemenceau est un de ceux qui semblent goûter ce plaisir-là. C'est en effet dans l'Homme libre que se rencontrent les critiques les plus acerbes contre les bureaux de l'armée.

Presque quotidiennement, une demi-colonne, au moins, est réservée par les amis de M. Clemenceau, à des observations peu aimables sur le compte de celui qu'ils appellent M. Lebureau et qui se trouve ainsi personnifier pour eux, comme un portrait composite, toute la tribu des paperassiers du haut en bas de l'échelle militaire. De pareilles campagnes ne sont pas de nature à remonter le prestige des bureaucrates et le lecteur dépose son journal en grommelant : « Le diable emporte la paperasse et les paperassiers! >>

Le danger est que le public en arrive, con fondant dans la même haine la paperasse et les paperassiers, à s'imaginer qu'il existe en France une race d'hommes, vivant les uns dans des palais, d'autres dans des gourbis, mais tous se complaisant à embêter leurs contemporains, à grand renfort de circulaires, écrites en des encres de couleurs variées. De tels êtres peuvent voir le jour; car la Nature s'amuse à créer des monstres; mais ils sont, comme les monstres, tout à fait exceptionnels. Les bureaucrates du front et même d'ailleurs sont de braves gens comme vous et moi et qui maugréent encore bien plus contre la paperasse que M. Clemenceau luimême car ils en sont les premières victimes. Ils sont de tout cœur avec M. Clemenceau dans le combat qu'il mène pour la simplification des écritures. Ils sont même tout prêts à lui suggérer sans rancune des réformes très simples mais qui ne sont peut-être pas à dédaigner pour

cela.

Et d'abord que M. Clemenceau se pénètre bien de cette idée que, s'il est des Lebureau qui sont coupables, il n'aura pas besoin de quitter la rue Saint-Dominique pour les rencontrer. Qu'il décide ces gros Lebureau à donner des ordres nécessaires et tous les petits Lebureau obéiront avec allégresse, trop heureux d'être libérés de travaux fastidieux et inutiles. Ces ordres ne devront pas être d'ailleurs des invitations éloquentes et générales à la simplification, harangues que les subordonnés auront (surcroît de labeur) à reproduire chacune à un nombre variable d'exemplaires sans en tirer d'autre avantage que celui d'avoir enrichi encore leur collection d'un nouveau document, curieux et vain.

J'ai consulté sur ces questions plusieurs Lebureau du front (puisque Lebureau il y a); je leur ai demandé quelles étaient les réformes qui, leur semblait-il, tout en améliorant leur sort, seraient de nature à accélérer le passage des pièces d'un échelon à un autre. Certains (des extrémistes) et plus absolus encore que M. Cle

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menceau c'étaient pourtant des bureaucrates m'ont immédiatement déclaré que la plupart des pièces rédigées par eux ne présentaient aucun intérêt et que la France ne perdrait rien à leur disparition. Mais, au fil de la discussion, nous en vînmes à nous apercevoir que ces pièces, d'apparence inutile, avaient souvent leur valeur pour le commandement et ne pouvaient être supprimées. au pied levé. De même, nous avons tous déploré l'arrêt que les pièces des régiments font à l'I. D. (1) avant que le divisionnaire en prenne connaissance, mais tout en reconnaissant que cet arrêt semblait indispensable puisque l'I. D., gênante au point de vue administratif, était indispensable au point de vue combat et qu'elle avait, par conséquent. le droit d'être renseignée sur ce qui se passait dans les régiments placés sous ses ordres. Ces réserves faites, voici les principales idées qui m'ont paru se dégager de l'ensemble des opinions émises (2).

On estime, en général, que les bureaux demandent trop fréquemment à la main du scribe ce qui pourrait être facilement accompli par la machine. J'ai lu dans le petit Larousse que la découverte de l'imprimerie est avec celle de l'Amérique une des plus grandes conquêtes des temps modernes. Par la force des choses, nous avons profité dans cette guerre de l'ingéniosité du Gênois Colomb; ce n'est pas une raison pour que nous renoncions à la trouvaille, plus ancienne encore du Mayençais Gutenberg. Le G. Q. G. n'a recouru à l'art des imprimeurs qu'après des années de guerre. Depuis lors, le G. Q. G. a même attribué aux régiments des « Mémoires ››› imprimés « de proposition d'avancement pour officiers >>> que les secrétaires n'ont plus qu'à remplir, au lieu d'être contraints à les édifier de toutes pièces, ainsi qu'ils faisaient autrefois.

Quant aux machines à écrire, une note du 30 janvier 1917 fixait que dorénavant les régiments disposeraient d'une seconde machine à écrire.

Sans vouloir demander que l'on suive l'exemple des régiments américains qui possèdent un << typewriter > par compagnie (plus deux machines au moins pour l'état-major) il est évident que deux machines au moins. sont nécessaires à un régiment qui veut aller vite en be sogne.

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Mais il ne suffit pas que les états soient rédigés le plus vite possible; encore faut-il que ces états ne soient pas trop nombreux. Il ne m'apparaît pas comme dispensable que le commandement sache quotidiennement l'état des militaires de chaque grade qui sont présents au corps, ce jour-là. Que le colonel du régiment tienne à connaître le nombre exact de caporaux ou de sergents-fourriers qu'il a chaque jour sous la inain, rien de plus naturel; mais on devrait, plus haut, savoir se contenter pour chaque jour de chiffres globaux, quitte à demander tous les dix jours une situation plus détaillée qu'on demande d'ailleurs par surcroît.

Ce qu'il faudrait aussi rendre impossible, c'est la survivance pour ainsi dire posthume de certains états. Je demandais l'autre jour à des Lebureau du front s'ils avaient eu connaissance d'états qui, demandés à une certaine époque de la guerre, avaient été par la suite supprimés. Ils me répondirent que, presque chaque jour, on leur enjoignait de présenter des états nouveaux mais. qu'une fois demandé, un état périodique doit être fourni pendant l'éternité tous les dix ou quinze du mois

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suivant qu'il a été fixé par les règlements. On voit sans cesse naître de nouveaux états; mais on n'en connaît point qui disparaissent. Le doux François Coppée se demandait si les oiseaux se cachent pour mouric; les états n'ont pas cette peine; ils vivent, eux, éternellement. Il se peut qu'ils tombent en désuétude; certains régiments oublient un jour de les fournir; nul ne les leur réclame; et ils récidivent dans leur oubli souvent devenu volontaire. Mais l'état n'est pas complètement mort pour cela car il y a toujours, de la mer aux Vosges ou peut-être là-bas, à Salcnique, un régiment tenace qui, comme la sentinelle abandonnée de la légende napoléonienne, continue pendant des années, à accomplir stoïquement ses consignes. Mais, s'il persévère, c'est que, jamais, d'en haut, on ne lui a déclaré « Inutile de nous présenter encore votre état-fossile! » Quelquefois, l'état n'aurait même jamais dû être fourni par l'unité; mais comme il lui a été demandé une fois par erreur et qu'elle l'a, une fois, rédigé, elle le rédigera toujours, en vertu de la vitesse acquise. Je connais au moins un régiment à qui on demanda, par erreur, de fournir une fois par mois la liste des cfficiers et hommes de troupe qui, quoique maintenus à l'arrière, remplissent toutes les conditions pour être affectés à des unités combattantes. Naturellement, la réponse ne put être et ne pourra jamais être que néant puisque le régiment est lui-même uhité combattante et que cet état n'intéresse que les formations de l'arrière. Il n'en reste pas moins que, si de nouveaux ordres ne sont pas donnés, ce régiment va éternellement continuer à fournir cet état néant, tiré sur grande feuille double et à huit exemplaires, tout en se rendant éternellement compte de sa complète inutilité.

on pourrait reprocher de pareils errements qui sont, en apparence, des excès de zèle mais qui ne dénotent en réalité que leur absence d'initiative.

Tout luxe aussi devrait être banni des états militaires les doubles cadres, les titres en ronde et en gothique ne sont plus de mise à l'heure actuelle.

Ce n'est pas par des artifices d'écriture qu'on arrivera à les expulser; mais bien au contraire par l'observation stricte de ce principe de l'économie des forces qui ne doit pas seulement trouver son application sur les champs de bataille (comme on l'enseigne fort justement dans les écoles militaires) mais dans tous les bureaux de l'armée, à quelque distance de la ligne de feu que la destinée les ait placés. CHARLES CHASSÉ.

Mémoires & Documents

La Belgique obstinée

La question belge reste pour l'Allemagne un des plus graves problèmes - on l'a vu par la place que prend la Belgique dans le dernier discours du comte Hertling. C'est ce qui la gêne le plus dans la comédie de modération qu'elle joue devant le monde. Aussi les événements dont Bruxelles vient d'être le théâtre et dont la protestation de la magistrature a été le point culminant ont-ils une importance considérable.

En 1914, quand la puissante Allemagne envahit la Belgique, partant pour la guerre « fraîche et joyeuse », elle avait certainement le dessein de s'approprier le petit royaume. Après Verdun la politique germanique se rabattit sur certaines positions de repli. D'une façon générale, on vit les conceptions du pangermanisme écono

Touchons enfin, pour terminer, à une dernière question sur laquelle nous voudiions encore attirer l'attention des réformateurs. Il ne s'agit pas seulement de sup-mique prendre le pas sur les conceptions du pangerprimer des états; il s'agit aussi d'obtenir des chefs de service qu'au cours de la transmission, ils élaguent des circulaires les passages qui sont incontestablement dénués d'intérêt pour les unités placées aux échelons inférieurs. Là, j'avoue que ce ne sont pas tant les organismes d'en haut que les organismes d'en bas qui sont coupables. Il est simple pour un chef de service, au reçu d'une circulaire, de la passer telle quelle à ses subordonnés en leur disant de la tirer telle quelle à 5, 6, 8, 10 ou 20 exemplaires suivant les cas et de la communiquer telle quelle aux organismes inférieurs. Une ligne seulement de la circulaire intéresse l'unité; on lui fera don pourtant, de la pièce toute entière « dans toute la majesté du texte comme disait Mme de Sévigné. Et ainsi des circulaires qui comporteraient deux ou trois lignes en viennent à occuper deux ou trois pages; d'où gaspillage de papier et gaspillage de travail humain.

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manisme territorial. A quoi bon faire des conquêtes, si l'on peut imposer aux peuples voisins une sujétion économique qui les fait travailler pour vous? Quant à la Belgique, un nouveau programme intermédiaire se précisa peu à peu dans les journaux et surtout dans les revues politiques: puisque l'Allemagne avait absolument besoin de Longwy et de Briey, elle pourrait offrir comme compensation à la France les provinces wallonnes de la Belgique; les provinces flamandes eussent formé un Etat autonome, sous le protectorat de l'Allemagne. Mais il fallait colorer ce plan de spoliation. « Je trouverai toujours assez de pédants pour justifier mes conquêtes », disait déjà Frédéric II. On s'imagina à Berlin qu'on trouverait en Flandre assez de pédants et de traîtres à la cause belge pour justifier, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce démembrement d'un Etat que, pour les besoins de la cause, on prétendait purement artificiel.

Très souvent, la circulaire n'intéresse même pas les organismes auxquels on la communique; qu'importe! elle est venue d'en haut; et, entraînée par la pesanteur de son style, elle descend, descend toujours et ne s'arrête qu'à la ligne de soutien. Il n'est pas rare que, dans un branle-bas d'attaque, un chef de bataillon voie soudain arriver à la porte de son gourbi un coureur essoufflé qui vient de traverser un impressionnant barrage. Vite, on déchire l'enveloppe et on y trouve une note sur une amélioration des rations de sel et de café accordée à l'artillerie lourde ». Et encore ne s'en tient-on pas toujours là; souvent, dans les régiments, le texte d'une circulaire parvient aux compagnies et de la façon que nous venons d'indiquer et presque simultanément par la voie de la décision quotidienne. Il serait indispensa-laire destinée à préparer l'ordonnance ble qu'une circulaire (transmise, celle-là, intégralement, à tous les degrés de la hiérarchie) menaçât de réprimandes sévères et effectives les chefs de service auxquels

La manœuvre fut entreprise avec une incontestable habileté : elle paraît avoir été étudiée de longue main par des gens qui croyaient connaître la Belgique, parce qu'ils étaient au fait de ses querelles intérieures. Le 4 février 1917, environ 250 individus sans autorité et sans mandat, se réunirent à Bruxelles, convoqués par on ne sait qui, et constituèrent ce qu'ils appelèrent le Landdag flamand, qui désigna sept délégués lesquels formèrent le conseil des Flandres, chargé de représenter auprès de «l'autorité de fait » les aspirations du peuple flamand.

En réalité ce n'était qu'une manoeuvre préparée par les autorités allemandes et les quelques complices qu'elle avait su se ménager parmi les extémistes flamingants, ce n'était qu'un semblant de consultation popudu 21 mars

1917, organisant la séparation administrative du pays et lui donnant deux capitales : Bruxelles pour le pays flamand, Namur pour le pays wallon.

Les élus du peuple flamand, sénateurs, députés, conseillers communaux, et tous ceux qui avaient quelque autorité dans le parti flaminguant: professeurs, écrivains, publicistes, virent le danger, et adressèrent à M. de Berthmann-Hollweg une protestation solennelle, dont la modération n'excluait pas l'énergie, et qui, déniant toute autorité au Conseil des Flandres, repoussait la séparation administrative, et se terminait par ces mots « Tous, Flamands et Walions, nous n'avons en ces temps qu'un seul souhait, qu'un seul désir, la Patrie belge libre et indivisible. »>

Cette protestation fut suivie par une quantité d'auties, émanant des mandataires des arrondissements. Wallons ou mixtes, des Conseils provinciaux et communaux, bref de tous les corps constitués qui avaient le droit et le moyen de parler. Le gouvernement allemand n'en tint aucun compte : une administration Wallone fut installée à Namur, une administration flamande à Bruxelles, et les fonctionnaires furent obligés de choisir. Ceux des grades supérieurs refusèrent presque tous, et donnèrent leur démission, ce qui valut à un grand nombre d'entre eux la déportation en Allemagne. Ils furent remplacés par d'obscurs employés qui, franchissant d'un bond tous les échelons de la hiérarchie, devinrent brusquement des personnages aussi puissants en apparence que méprisés en réalité. C'est ce qui donna un instant d'inquiétude à ceux qui, de loin, suivaient les évènements. La « réforme » semblait prendre corps. Les Allemands n'étaient-ils pas arrivés à attacher à leur fortune un certain nombre de Belges qu'ils tenaient maintenant par les liens solides de la complicité et de l'intérêt ?

C'est à cette angoissante question que la manifestation de la magistrature belge, suivie par tout le peuple, vient de répondre avec un incomparable éclat. Sa noble protestation a brusquement éclairci toute la situation; elle a obligé le gouvernement impérial à avouer, en quelque sorte, le caractère artificiel de ce mouvement « activiste » (on appelle ainsi le parti qui-veut fender une Flandre autonome sous le protectorat allemand) qu'il représentait comme la libre expression de la volonté populaire flamande. Elle a montré au monde que, malgré plus de trois ans de persécution, le moral du peuple belge et sa foi patriotique n'avaient point faibli.

Les circonstances qui ont amené la protestation de la magistrature belge en précisent la signification.

« Depuis la fin de l'été dernier, m'a raconté un Belge qui est parvenu récemment à passer la frontière hollandaise en passant sous les fils de fer, et qui a quitté la Belgique à la fin de décembre 1917, les gens du Conseil des Flandres et toute la clique des activistes ont commencé à s'agiter étrangement. Sous l'œil bienveillant des autorités militaires boches.

Ces propagandistes n'avaient garde de prêcher l'annexion de la Flandre à l'Allemagne, mais ils faisaient le procès du gouvernement belge, dénonçaient la «tyrannie welche », célébraient la culture flamande, sœur du germanisme, et tentaient de démontrer qu'elle ne pouvait se développer que dans un Etat autonome, n'ayant que les liens les plus lâches avec un Etat wallon. Ces réunions furent accueillies avec une indifférence hostile dans les petites villes et les campagnes. A Bruxelles et à Anvers, elles provoquèrent toujours des contre-manifestations énergiques. Le sentiment dominant, quand j'ai quitté Bruxelles, était la haine de ceux que nous appelions les « flamingo-boches », et que rous considérons tous comme de misérables traîtres. Quand les Allemands décamperont, il faudra qu'ils s'empressent de les suivre, s'ils ne veulent pas connaître les rigueurs de la justice populaire. »

de la geole allemande, nous ne les avons connus que par fragments, et c'est à les considérer dans leur ensemble qu'ils prennent leur valeur et leur couleur vraie. Quand les autorités allemandes crurent que l'opinion avait été suffisamment travaillée, le sous-secrétaire d'Etat von Wallraff vint faire un voyage à Bruxelles. Il reçut les délégués du conseil des Flandres, et ceuxci lui demandèrent de transformer la séparation administrative de la Flandre et de la Wallonie en une séparation politique avec protectorat de Allemagne sur la Flandre. Le 19 janvier 1918, un communiqué officieux annonçait que l'empereur avait donné adhésion à ce projet, et le lendemain, sans qu'aucune publicité préalable ait averti le public, 600 comparses, rassemblés dans un théâtre de Bruxelles, acclamaient l'autonomie politique de la Flandre, et nommaient par acclamations un certain nombre de députés, que l'Allemagne affecta de considérer comme les mandataires des 750.000 habitants de l'agglomération bruxelloise. C'est cette comédie que l'Allemagne appelle « une consultation popu laire sincère ».

Le peuple belge tout entier ne devait pas tarder à en faire justice. Le 1er février, tous les parlementaires flamands et wallons présents en Belgique occupée, adressaient une protestation collective au chancelier impérial. Le 3 février, une manifestation organisée à Anvers par les activistes pour célébrer leur félonie, était l'occasion d'une protestation populaire qui faillit tourner au tragique. Le cortège des activistes fut coupé par une foule immense et exaspérée. Les drapeaux furent lacérés. Les manifestants, dont le nombre n'excédait pas 600, furent sufflés, hués et battus. Les troupes allemandes furent impuissantes à les protéger.

A Bruxelles, il y eut dans les cafés, jusque dans les familles, des scènes extrêmement violentes. Des individus, plus ou moins soupçonnés d'« activisme », furent gravement malmenés par des patriotes indignés. Mais pour donner à ce mouvement de protestation toute sa force et toute son ampleur, il fallait qu'une corporation, un corps constitué, en prît la direction. C'est la magistrature qui a eu le courage d'assumer ce rôle. Le 7 février, la cour d'appel de Bruxelles se réunit en séance piénière, et, toutes chambres réunies, enjoignit au procureur général de poursuivre « pour infraction aux articles 104 et 109 du code pénal et au décret de 1831, les activistes responsables de l'organisation séparatiste de la Flandre et de la Wallonie. Le lendemain, dès l'aube, le Parquet de la cour faisait arrêter deux des principaux chefs de l'activisme, les nommés Borms et Tack, tous deux ministres, depuis quelques jours, dans le gouvernement provisoire du nouvel Etat flamand. La nouvelle se répandit par la ville comme une traînée de poudre, causant à la population une joie universelle, et chez les autorités allemandes, une stupeur comique. L'un des deux « ministres » arrêtés avait eu le temps de faire prévenir par une sentinelle la kommandantur. Néanmoins, celle-ci mît plusieurs heures à prendre une décision, et à faire relâcher par la force les deux traîtrès emprisonnés. Ce n'est que deux jours après, le 9 février, qu'elle ordonnait l'arrestation et le transfert en Allemagne de M. Lévy-Morel, président de la cour d'appel, et de deux présidents de Chambre. MM. Carez et Ernst.

Mais devant ce coup de force, la magistrature belge n'a pas renoncé à la résistance. La Cour de cassation. s'est réunie et a décidé de ne plus siéger protestant ainsi« contre une immixion arbitraire du pouvoir occupant dans l'exercice de la justice belge.» Les cour d'appel de Liége et de Gand, les tribunaux de première instance et de commerce ont suivi cet exemple. Les conseils Les événements auxquels faisait allusion ce rescapé communaux de Bruxelles, d'Anvers, de Gand, de Mali

nes, de Turnhout, de Saint-Nicolas protestèrent à leur tour et le 10 février les délégations de plus de 600 sociétés scientifiques, commerciales, ouvrières, se rendaient à l'Hôtel de Ville de Bruxelles, pour féliciter le Conseil communal de la ferme attitude qu'il avait montrée dans sa campagne contre l'activisme.

La protestation populaire prend parfois les formes les plus naïves et les plus touchantes. A Bruxelles le petit peuple a toujours parlé le flamand; or depuis que les Allemands ont décrété que Bruxelles était une ville flamande il affecte de ne plus le comprendre; les dames de la halle crient leur marchandise en français. Un français un peu bizarre sans doute, mais qu'importe le cœur y est. A Gand M. Anseele, député et échevin socialiste qui avait toujours été considéré comme « flamingant » a organisé des cours publics de français et ainsi se vérifie cette prédiction qu'un des leaders du mouvement flamand faisait en 1913 à un journaliste français qui lui demandait s'il y avait quelque lien entre le flamingantisme et le pangermanisme : « Si par malheur la Flandre avait à subir une domination allemande elle parlerait le français par protestation. >>

Sans doute il est à craindre que l'Allemagne ne cherche à étouffer avec brutalité cette grande voix populaire, mais il est impossible à présent de faire croire à n'importe quel neutre que le peuple belge, ou une partie du peuple belge accepterait cette solution. Comme au temps lointain où Phlilippe II voulut imposer l'absolutisme espagnol à ce vieux pays des franchises, tout le pays s'est trouvé uni. La courageuse intervention de la cour d'appel de Bruxelle fait écho au Compromis des Nobles, point de départ de l'insurrection des PaysBas contre l'Espagne. Ce que le duc d'Albe n'a pu faire au XVIe siècle en répandant des flots de sang, von Falkenhausen ne pourra l'entreprendre même s'il reprend les mêmes méthodes. On n'arrive pas à tuer un peuple qui ne veut pas mourir.

La Vie Économique

L. DUMONT-WILDEN

les produits sortirent en foule de France, l'Allemagne, de Suisse, d'Angleterre.

Chacun connaît les firmes éclatantes de la fabrication française: Erard, Pleyel, Cavaillé-Coll, Elké, Gaveau, Herz, Mustel, Aurand-With de Lyon, d'autres moins notoires. Chacun connaît l'excellence de leurs produits, le goût qui préside à leur facture, l'estime qui s'attache à leur probité commerciale, la haute compétence de leurs collaborateurs et ouvriers d'art. Ce sont de telles vertus qui avant, comme immédiatement après le traité de Francfort, ont assuré la suprématie de ces

marques.

Peu de temps après les expositions de Philadelphie en 1876, de Paris en 1878, l'Allemagne décida de faire bloc contre notre industrie. Une vaste organisation soutenue par les pouvoirs publics et les initiatives officielles créa, développa chez nos ennemis la plus débordante des concurrences. De vastes usines s'élevèrent. En 1900, la facture allemande commençait une invasion terrible que chez nous, ne cherchaient pas même à contre-balancer les résistances officielles. Elle était parvenue à fabriquer 230.000 instruments à clavier environ, par an. Elle exportait, en pianos seulement, pour plus de 60 millions par an chez nos alliés d'aujourd'hui. La France fabriquait à peu près quinze mille instruments par année.

Tous les moyens de diffusion furent employés par nos ennemis plus soucieux du but à atteindre que de la correction des procédés. En voici un qui réussit. Une maison Kops inonda de ses pianos le nord de l'Italie par la tactique connue des faillites successives. Ne pouvant les écouler normalement, elle les laissa vendre à l'encan, au prix coûtant, et bientôt sa fabrication remplaça les autres.

Pas un piano français n'était exposé dans les magasins allemands. Chez un marchand de Francfort, parmi tant de Bechstein, de Blüthner, de Steinway, j'aperçus un jour un malheureux Erard, d'un modèle périmé, fourbu, lamentable. Dans son coin, il servait de repoussoir.

Dans toutes les grandes villes de l'Empire avaient surgi d'innombrables firmes et usines. Est-il nécessaire de citer, outre celles ci-dessus, les Ibach, Bechmann (Cassel), Schilling (Stuttgart), Schaaf (Francfort), Bec

La facture française des instruments à clavier kerof (Dusseldorf), Kaiser (Fribourg), Schultz (Mayen

Aux temps heureux combien lointains, hélas ! où parmi tant de béatitudes, nous avions celle de posséder un sous-secrétaire aux Beaux-Arts, M. DujardinBaumnetz alors surnommé le « dernier des Valois », eut un mot lapidaire, juste d'ailleurs :

« Le rôle de la musique est à la fois artistique, économique et social ». Economique certainement, et c'est à ce dernier caractère que nous voulons ici nous arrêter. Aussi bien, l'heure n'est-elle pas prématurée de s'occuper de l'avenir de notre industrie musicale.

Je veux me borner quant à présent à l'une des branches de la fabrication des instruments de musique : celle des instruments à clavier, pianos, harmoniums,

orgues.

Voltaire, mauvais prophète ne vit dans les travaux de Marius pour transformer le clavecin qu'une « invention de chaudronnerie ». Depuis le XVIII° siècle, malgré ses détracteurs, le piano ne cessa de développer les perfectionnements de sa facture. Citer les noms de Hans Ruckers auquel on doit l'extension du clavier, l'emploi des cordes de cuivre et d'acier, de Pascal Taskin qui réussit à modifier la sonorité et la souplesse, Frederici et son « piano carré », Cristofori, suffit à rappeler l'évolution superbe qui aboutit à l'intense fabrication dont

ce), Tran (Karlsruhe), Silbermann, Zumpe, Stein? Signalerons-nous Th. Steinweg, Stein'ways de Stuttgart? N'est-ce pas le même qui, se faisant naturalisé sujet américain, transporta au delà de l'Océan ses procédés de fabrication avec succursale à Hambourg? Est-ce le même dont les produits s'étalent à Paris et à Bruxelles (agence Fr. Musch) en des succursales de vente au dé tail?

Au surplus, si vous vouliez une nomenclature complète, vous la trouveriez dans le répertoire des marchands de piano, à condition que vous sachiez l'allemand, car l'ouvrage est édité à Leipzig et n'existe point en langue française. Et ne fut-il pas désolant de constater que les accessoires de fabrication, feutres, cordes en acier, marteaux, chevilles, provenaient presque uniquement d'Allemagne, comme les belles tables d'harmonie venaient d'Autriche, prêtes à s'adapter à tous modèles et à toutes mesures?

Où était le temps où Wagner mettant au rancart son vieux Breitkopf époumonné se réjouissait aux sonorités d'un magnifique Erard dont il oubliait d'ailleurs de solder la note?

Bref, à l'Exposition de 1900, l'invasion allemande avait submergé les marchés, nos boulevards, nos plages, nos théâtres.

La concurrence n'était pas moindre quoique autrement loyale, en Angleterre, en Amérique. Citons pour

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