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français obtiennent des passeports pour aller en Suède ou en Suisse. Cependant voilà ce que prédisent contradictoirement les uns et les autres !

Quant à nous, le Congrès de Londres n'a pas modifié notre opinion. Il ne modifie donc pas notre attitude.

Nous croyons, nous avons toujours cru que la guerre est une entreprise politique qui se poursuit par des moyens militaires, industriels, économiques, diplomatiques, psychologiques, etc., etc., et que c'est donc la faire incomplètement que se refuser à l'emploi d'un moyen quelconque.

Nous croyons, nous avons toujours cru, que le socialisme est une force, moins considérable que les socialistes ne la jugent, mais réelle, et donc qu'il ne s'agit pas de l'aimer ou de la détester, mais, l'ayant reconnue, mesurée, disciplinée, qu'il s'agit de la mettre en œuvre.

«Ne penser qu'à soi et au présent » source d'erreur dans la politique. Il est arrivé que les socialistes s'abreuvassent à cette source avec leur habituelle intempérance. Il est arrivé que les gouvernements en goûtassent l'eau perfide avec leur ordinaire aveuglement.

La force socialiste a parfois été mal employée par ses dirigeants. Mais parfois elle a été négligée par les nôtres.

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Elle n'est pas la seule dans ce cas. D'accord!
JEAN SARRAZAC.

Affaires Extérieures

La paix des Bolcheviks

Les détails qui nous passionnent aujourd'hui paraîtront, à ces étudiants d'après-demain, d'un intérêt moins vif et il est fort probable que les artisans de la défaite russe, les Lénine et les Trotsky n'auront pas l'honneur des longues études psychologiques et politiques, pas plus d'ailleurs que la série des chanceliers allemands qui se sont succédés depuis juillet 1914 au pouvoir. Aux uns comme aux autres ii aura manqué cette part d'idéalisme qui fait excuser, chez les hommes de 89, par exemple, les erreurs et même les fautes.

Toute la faiblesse de notre politique en Russie a été de croire à un idéalisme conducteur. Nous avons fait fond sur les réactions fatales de l'idée. Or il n'y avait pas d'idée, mais une volonté destructrice faite de rancune et de haine. La personnalité des bolcheviks nous préoccuppe à l'heure actuelle parce que nous cherchons à deviner, d'après leur caractère, l'évolution immédiate des événements; elle n'intéressera plus demain, car aucune doctrine ne voudra jamais se réclamer de ces hommes comme de précurseurs ou d'apôtres.

D'ailleurs si l'on veut faire le compte des hommes dont la guerre a réellement révélé le caractère supérieur, on s'aperçoit qu'il est prodigieusement restreint. Je ne parle naturellement que dans le domaine politique, car l'héroïsme du champ de bataille dépasse au contraire toute estimation. Il ne sied pas de faire de personnalités et de distribuer l'éloge ou le blâme aux puissants du jour, mais il est certain que la grande majorité n'a pas su s'élever au-dessus des contingences et que les gouvernements comme des diplomaties ont eu des horizons singulièrement bornés. Les questions ont été pour la plupart regardées par le gros bout de la lorgnette, et des théories toutes faites ont suffi à échafauder des

combinaisons, alors qu'une étude des faits et un men de conscience auraient dû diriger les actes.

LA QUESTION D'AUTRICHE

exa

La question d'Autriche est une des preuves de cette façon arbitraire de raisonner. Il y a deux écoles. L'une pousse le cri: Delenda est Austria, l'autre, se souvenant des sourires du Prater, est pleine d'indulgence pour le gouvernement de Vienne et rêve, par des intermédiaires neutres, même haut placés, d'offrir à l'Au

La capitulation des bolcheviks, malgré les phrases, les proclamations, les télégrammes vengeurs contre la conspiration du capitalisme international,est totale. Ces pseudo-apôtres d'un paradis anarchiste sont de pauvres politiciens de carrefour, pataugeant dans les idées socialistes comme un éléphant déchaîné dans un magasin de porcelaines et levant la trompe en signe de soumission dès que le cornac, avec sa pique, apparaît au tournant de la rue. Une honte éternelle s'attachera aux organisateurs de la débâcle russe. Ils ont ruiné leur pays et l'ont livré à l'ennemi. Jamais l'histoire n'a connu drame comparable. Les prétendus adversaires de l'im-triche un généreux pardon en échange de l'abandon pur périalisme allemand ont au contraire donné une vitalité nouvelle, quoique temporaire, aux adversaires acharnés des idées démocratiques. Par leur politique intérieure démente et criminelle, tout entière orientée vers la destruction de ce qui pouvait subsister d'organisation dans l'Empire, vers l'assassinat des individualités raisonnables, ils ont supprimé la possibilité d'un concours quelconque à l'heure d'un prétendu revirement.

Pour aboutir à une entière capitulation, point n'était besoin de faire un tel étalage de vertus supérieures.

Dans ces conditions, l'Entente n'a qu'à poursuivre la lutte avec toute l'énergie dont elle est capable en attendant l'heure de la victoire qui déchirera aussi bien les voiles que les mauvais traités. Napoléon en 1809, au premier traité de Vienne prétendait régenter l'Europe, le second traité de Vienne de 1815 lui démontra la vanité des ambitions démesurées. Il faut espérer que le second traité de Brest-Litovsk qui se signera, souhaitons-le, dans une ville plus hospitalière et plus occidentale, ne se fera pas attendre aussi longtemps. De nos jours les événements formidables se succèdent avec plus de précipitation, si longue que soit déjà la guerre actuelle. Dans le siècle à venir, avec le recul de l'histoire, nos descendants s'étonneront sans doute au contraire qu'un aussi extraordinaire bouleversement politique et social de la vieille Europe se soit produit en un laps de temps aussi court.

et simple de l'alliance allemande. Les théoriciens de la
question d'Autriche publient des livres ou rédigent des
mémoires confidentiels, tirés d'ailleurs à de nombreux
exemplaires. L'Autriche ne mérite ni cet excès d'hon-
neur ni tant d'indignité. Inféodée à la politique
allemande au point de ne plus pouvoir rompre
liens, elle est appelée à partager le sort final de l'impé-
rialisme dont elle s'est faite, dès l'origine, l'auxiliaire.
On oublie trop facilement les responsabilités premiè-

res.

ses

Ce que l'on sait aujourd'hui des débuts du drame européen démontre que Guillaume II et l'archiduc François-Ferdinand avaient, le 12 juin 1914, à Konopitz préparé le plan d'agression contre la Serbie, qui, dès août 1913, au moment même où se signait la paix de Bucarest, était la préoccupation fondamentale de la politique austro-hongroise. La police autrichienne, maîtresse en cet art, avait machiné un faux attentat, celui de Gabrilovitch, à Sarajevo, attentat qui serait le début de l'opération. Un isolé, Princip, que l'on n'avait pas prévu, transforma la comédie en tragédie.. L'assassinat de l'archiduc précipita les choses. Le dossier contre la Serbie était prêt d'avance. Dès le 29 juin, lendemain de l'attentat, la presse austro-hongroise publiait déjà les chefs d'accusation que le gouvernement austro-hongrois prétendait, le 23 juillet, être le résultat d'une longue et sérieuse enquête. Dès le 3 juillet l'Autriche faisait deman

der à l'Allemagne si elle pouvait compter sur son appui et le conseil de Potsdam, le 5 juillet, accordait cette assurance. Fort de cette garantie le comte Berchtold endoctrinait le vieil empereur et lui faisait signer, le 14 ou le 15, l'ultimatum à la Serbie, dont la remise fut retardée jusqu'au 23 pour permettre aux Empires centraux de parachever leur organisation militaire et de choisir un instant favorable diplomatiquement le départ de M. Poincaré de Petrograd et l'éloignement des ministres serbes de la capitale. Cette responsabilité première de l'Autriche fait d'elle la prisonnière de sa complice qu'elle tient d'ailleurs par la même chaîne de papiers compromettants. Vouloir les dissocier à l'amiable est un

leurre.

La place prépondérante que tient la question morale dans l'issue de la guerre est connue aussi bien à Vienne qu'à Berlin. Dans les deux capitales on ne veut à aucun prix rendre des comptes qui seraient l'effondrement de la monarchie. Or comme jusqu'ici ce ne sont pas les peuples, mais les gouvernements monarchiques qui traitent de la paix, il est vain d'attendre de ces derniers un geste qui serait un suicide.

La victoire seule de l'Entente, avec sa répercussion intérieure, fatale chez les vaincus, réglera la question d'Autriche dans un esprit de justice. Toutes les combinaisons les plus subtiles ne sauraient prévaloir contre un simple arrêt de justice. Le président Wilson a cette intuition. Il manque peut-être de données suffisantes pour en apprécier les modalités et certaines victimes de la tyrannie magyare ou du despotisme autrichien s'inquiètent de ne pas voir leurs revendications plus nettement exprimées dans le programme du président américain. Qu'ils se rassurent. Une doctrine saine ne saurait dévier dans l'application. Si l'Autriche perd quelques esclaves elle n'en vivra pas moins.

LA QUESTION D'UKRAINE

Si la question d'Autriche prête aux fantaisies de doctrinaires intransigeants ou de Metternich amateurs, les variations de l'opinion concernant l'Ukraine ne sont pas moins curieuses. La paix que la Rada de Kief a signée avec les empires centraux a provoqué une indignation peut-être exagérée. Les gouvernements de l'Entente s'abstiennent de reconnaître l'indépendance de l'Ukraine et manifestent par là à la fois une méfiance contre sa politique séparatiste et un espoir, plus ou moins clairement exprimé, d'un renouveau de l'unité russe. Si, comme on l'a dit, semaine après semaine, le régime bolchevik n'avait été qu'un soubresaut de quelques jours dont la disparition n'était qu'une question d'heures, la reconstitution de l'empire russe à brève échéance eût pu ne pas être une simple utopie. Mais après des mois de tyrannie terroriste et d'odieuse guerre civile, les diverses nationalités de Russie n'ont plus de refuge qu'en un égoïsme désespéré. Il est très joli à distance de conseiller aux autres une ligne de conduite, en faisant abstraction des situations particulières et des nécessités vitales. Quand les gens sont sous la menace quotidienne de l'assassinat et de la destruction de tous leurs biens, les conceptions politiques apparaissent moins clairement à leur esprit. En ne traitant pas avec les Empires centraux et en demeurant dans un statu quo simili-belliqueux à l'égard de l'Allemagne et de l'Autriche, la Rada de Kief eût sans doute répondu à nos vœux, mais elle eût surtout permis au bolchevisme de poursuivre librement son programme destructeur. Livrée demain aux hordes maximalistes qui déjà mettaient le feu aux faubourgs de Kief, l'Ukraine n'eût pas offert plus de résistance aux uhlans prussiens que la garde rouge qui déclarait devoir défendre Petrograd et qui vend pour 50 roubles des obusiers de gros calibre et livre, en échange d'une

bouteille de mauvais alcool de Hambourg, des pièces à tir rapide. On pouvait objecter que la garde rouge maîtresse de l'Ukraine eût détruit les approvisionnements de blé et ruiné ainsi l'espoir de ravitaillement de l'Allemagne. Si l'on prend comme modèle ce qui se passe dans le Nord, les bolcheviks ne détruisent rien du tout et se contentent de prendre la fuite. A la tête du gouvernement ukrainien sont des hommes de haute culture, comme le professeur Hrouchevsky, le célèbre historien de l'Ukraine, actuellement président de la Rada, comme le grand écrivain Vinnitchenko, président du secrétariat général (ministère). Ce serait calomnier ces éminentes personnalités que de les tenir pour suspectes de connivence avec l'Allemagne. Elles ont simplement cherché à sauver leur patrie.

Certes l'Allemagne a encouragé le mouvement séparatiste ukrainien par une propagande qui tenait bureaux ouverts à Berlin au 131 de la Leipzigerstrasse. Elle y voyait une désagrégation des forces militaires russes et, fidèle aux leçons de Bismarck, cherchait une alliée contre l'irrédentisme polonais. La politique nationale ukrainienne, tout en répudiant toute compromission avec ces indésirables auxiliaires, ne pouvait modifier sa ligne de conduite de ce seul fait. Toutes les grandes causes ont eu des partisans suspects que d'autres mobiles que la justice animaient. Notre république elle-même a connu des aventuriers qui se drapaient dans les plis de son oriflamme.

La paix de l'Ukraine doit donc être jugée objectivement et non sous l'angle exclusif des intérêts militaires de l'Entente. Une excommunication de principe ne pourrait que sceller davantage les accords de l'Ukraine avec les empires centraux.

LES NÉGOCIATIONS ROUMAINES

La capitulation bolchevik, la paix de l'Ukraine et la menace maximaliste ont placé la Roumanie dans une situation dramatique. Nous sommes dans l'impossibilité matérielle de lui porter secours. L'Allemagne en profite pour tenter d'extorquer au royaume danubien une paix qui ruinerait ses aspirations nationales et le placerait sous la domination économique de l'Allemagne, qui déjà a installé en Roumanie ses banquiers et ses ingénieurs. L'Allemagne a déjà assez d'ennemis dans le monde pour aspirer à de prétendues paix de concili?tion. Elle a dans ce genre d'opération la main généralement un peu lourde. Conciliation signifie pour elle tout garder et ne rien céder. C'est la poignée de main dans un gant d'acier. Nous ne savons encore rien des décisions de la Roumanie. Il semble pourtant que le général Averesco, président du conseil, confiant, d'une part, dans la force encore intacte de l'armée roumaine et sentant, d'autre part, que l'Allemagne désire vivement cette paix, à la fois pour répondre aux insistances de la Bulgarie qui voudrait bien faire homologuer ses rapines et pour liquider la question du front occidental, ne soit pas disposé à se laisser facilement convaincre. Si la Roumanie, par l'intermédiaire de la mission militaire française, avait pu concentrer le matériel, les munitions et les hommes disponibles en Russie, sa force en eut été singulièrement accrue. Si les bolcheviks avaient d'autres soucis que la lutte de classes, ils auraient dû, au lieu de faire la guerre au gouvernement roumain, lui apporter aujourd'hui le concours de toutes les forces restantes de la Russie et acheminer vers Jassy tous les stocks d'obus et tous les canons de l'armée russe désarmée. Mais leur indignation contre l'impérialisme allemand est une sinistre comédie. Ils préfèrent poignarder les Roumains dans le dos, au nom de la démocratie et de la fraternité universelles.

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NOTES ET FIGURES

La guerre, le sucre et le chocolat.

Les restrictions nouvelles n'atteignent pas, cette fois, seulement le pain, le lait, le beurre, tout l'essentiel de notre repas; voilà qu'elles s'étendent, à dater de ce printemps, aux entremets, aux biscuits et aux friandises. Bien des gens, qui ne se sont pas rendus encore à l'évidence de leur époque, se demandent non sans crainte où s'arrêtera cette censure des gourmets? M. Victor Boret, notre grand maître de bouche, ne ressemble-t-il pas, en plus d'un point, à Mme de Sévigné, qui écrivait un jour à sa fille : « Je vous conjure, ma très chère, bonne et très belle, de ne point prendre de chocolat. Je suis fâchée contre lui... »

Fâché hier contre le sucre, M. Victor Boret l'est aujourd'hui contre le chocolat; il le sera, demain, contre le thé et le café; si bien que l'on ne sait où il s'arrê

tera.

Certes, j'entends bien que les temps sont durs et que ce sont de petits messieurs, devant M. Boret, que Grimod de la Reynière, Brillat-Savarin et tous ces fins et fameux gourmets qui firent jadis la gloire de la table française. Pensez que, si Vatel vivait en ce moment, il lui faudrait chaque jour mourir, non plus, cette fois, d'un coup d'épée comme à Chantilly, mais de l'un de ces durs et sévères décrets qui, mieux que l'arme la plus meurtrière, savent assommer proprement un cuisinier ou casser les reins à un maître-queux Pour les biscuitiers et les confiseurs, ce sont de bien petites gens et, le dernier règlement va les rayer à peu près de ce monde. Mais Brillat n'avait pas songé à la guerre, il n'avait pas pensé aux restrictions; et, lui, qui vécut sous Bonaparte, il n'avait pas vu, en son temp s, la dictature s'imposer à sa table et régner jusque sur son dessert!

Pourquoi, afin de nous aider à supporter ces arrêts tout spartiates, la Faculté, comme au temps de Pesquet, de Chirac ou de Fagon, n'a-t-elle point pensé à soutenir de sa science un état de choses si sobre et frugal ? Il serait si facile, au moyen d'exemples, de retracer, comme dans l'Oiseau bleu, les méfaits du sucre ou de

montrer, ainsi que dans l'lle des plaisirs de Fénelon, les troubles digestifs que l'abus du chocolat ou l'excès du café entraînent après eux. Il faut bien croire qu'il y a, dans le chocolat, quelque chose de perfide puisque la reine Marie-Thérèse, d'espagnole mémoire, se cachait pour en déguster; et, pourtant, cette souveraine avait amené avec elle, de Madrid, une servante appelée la Molina qui le lui préparait le mieux du monde. Mais, voilà bien, contre le chocolat, un fait qui passe tout et que Mme de Sévigné, cette marquise un peu chatte, relate, dans un billet du genre de celui que nous avons indiqué tout à l'heure, à sa fille chérie. Il s'agit, ni plus ni moins de cette marquise de Coëtlogon qui « prit tant de chocolat, étant grosse l'année passée, qu'elle accoucha d'un petit garçon noir comme le diable, qui mourut ». Il est vrai que Brillat nous confie, de son côté, sans rirc, qu'il avait «< vu à Londres, sur la place de Leicester, un homme que l'usage immodéré du café avait réduit en boule (cripple, estropié); il avait cessé de souffrir, s'était accoutumé à cet état et s'était réduit à cinq ou six tasses par jour ». Tout cela est assez plaisant et ne laisse pas de justifier bien des rigueurs. Encore ne faisons-nous que rappeler pour mémoire les discordes que, plus d'une fois, le café ou le chocolat jetèrent dans la discussion ou glissèrent dans les consciences. Cela est si vrai qu'il y eut, vers 1664, sur la préparation, l'usage et les propriétés du chocolat, une querelle à passer celle du Lutrin. Les théologiens, indulgents à leurs

pénitentes, soutenaient que c'est là un boisson propre à être bue en carême ; mais les médecins étaient d'un avis différent ils répondaient aux théologiens que c'était une nourriture; de là plus d'une nasarde entre les Esculapes et les confesseurs. L'on ne fut pas, par la suite, dans des temps plus aimables, sans trouver spécieux ce sujet de querelle; et, quand l'oriental Liotard peignit, au XVIIe siècle, sa Belle chocolatière, il osa se montrer, dans ce gracieux chef-d'œuvre, un peu mieux qu'indulgent pour ce fin breuvage.

Quant au café, le noir café des îles, dont Michelet, dans des pages brûlantes, chanta l'avènement, il trouva, du vivant de Liotard, parmi les poètes et les philosophes, d'ardents défenseurs. Voltaire, Diderot, Buffon, Rousseau en burent à satiété ; Grimod de la Reynière, que Monselet appelle « le plus gourmand des lettrés et le plus lettré des gourmands », en fit un usage constant ; et il n'est pas prouvé du tout, par ceux qui ies conmurent, que ces personnages devinrent jamais semblables au stropiat de Leicester. Au reste, aussi bien en ce qui touche le sucre que le chocolat, le café que le thé, il est une chose qui contribua à maintenir longtemps ces produits dans les limites d'un restreint c'est le prix vraiment excessif auquel on les vendait.

usage

Du temps de Brillat-Savarin, le bon sucre ne valait pas moins de cinq francs la livre; aussi cette denrée précieuse était-elle réservée, le plus souvent, aux préparations des apothicaires. Sur la valeur élevée du chocolat à la même époque nous avons, ce qui ne va pas sans surprendre, le témoignage de Victor Hugo. Le Témoin de la vie du poète a raconté comment Mme de Chateaubriand, pour aider à soutenir son infirmerie de Marie-Thérèse, faisait fabriquer et vendait elle-même du meilleur chocolat. Il faut avouer qu'elle apportait, à ce petit commerce, une réelle persuasion. <<< Monsieur Hugo, dit-elle au poète, en l'apercevant dans le cabinet de son mari, je vous tiens, et il faut que vous m'aidiez à faire une bonne action. J'ai une infirmerie – pour les vieux prêtres pauvres. Cette infirmerie me coûte plus d'argent que je n'en ai; alors, j'ai une fabrique de chocolat. Je le vends un peu cher, mais il est excellent. En voulez-vous une livre ? Madame, dit Victor Hugo, qui avait sur le cœur les grands airs de Mme de Chateaubriand et qui éprouva le besoin de l'éblouir, j'en veux trois livres.» «Mme de Chateaubriand, dit le témoin qui rapporte le fait, fut éblouie, mais Victor n'eut plus le sou. » Ce que le témoin ne dit pas et ce qu'a signalé Edmond Biré c'est que cette petite industrie, poussée assez loin, valut bientôt, à l'épouse de l'illustre écrivain des Martyrs, le sobriquet assez irré

vérencieux de vicomtesse Chocolat.

Depuis, le sucre, le café, le thé, le chocolat, les dragées, les biscuits,les petits fours et les friandises,comme les écrits des bons auteurs tombés dans le domaine, connurent la gloire populaire. Cette gloire, cependant, s'éclipse; nous entrons dans des temps plus rudes. Et voici l'offensive. M. Boret la prend contre les gourmets ou, plus communément, contre les gourmands. Plus d'un de ceux qui en souffrent et qui mêlent un peu du parfum de l'histoire à leur résignation, se souvient à propos de cette habitude qu'avait le Régent de France, voici deux cents ans, de donner audience au moment du petit déjeuner du matin. Cette faveur s'appelait, suivant le mot de l'époque, être admis au chocolat. Et beaucoup sans doute rêvent, dans le regret du passé, au décret futur, abrogeant les rigueurs présentes, qui leur permettra de nouveau, comme au temps du Régent, d'être conviés au sucre, d'être admis aux gâteaux et au cho

colat

EDMOND PILON.

Journalistes et employés.

On parle beaucoup des journalistes depuis quelque temps. On en parle même trop. La presse a une mauvaise presse. Par une étrangeté asseqz paradoxale, ceux qui contribuent le plus à la compromettre sont ceux là mêmes qui devraient tenir le plus jalousement à son prestige. C'est ainsi que le directeur d'un très grand journal vient de se faire fourrer en prison pour commerce avec l'ennemi et qu'un autre directeur, d'un journal non moins grand, nous a fait connaître que les rédacteurs les plus huppés de sa maison fussent-ils devenus sénateurs et multimillionnaires n'étaient que des « employés ».

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Le temps est lointain où Frévost-Paradol et autres Emile de Girardin prétendaient à la dictature respectée de l'opinion. Nous n'en sommes même plus à l'époque où l'on montrait aux provinciaux, un peu scandalisés mais tout de même déférents, Catulle Mendès prenant au .Café Cardinal l'une de ses absinthes quotidiennes avec Ernest Lajeunesse. La seule marque de considération à laquelle il semble qu'un journaliste ait aujourd'hui le droit de prétendre, c'est d'être incarcéré, à la Santé, en

conseil et u

tre un ancien président du conseil wir pacira.

Et pourtant, il suffit d'avoir traversé les salles de rédaction pour se convaincre qu'elles sont peuplées, en très grande majorité, de professionnels honnêtes, scrupuleux et parés de toutes les vertus bourgeoises. Mais il se passe, pour la presse, ce qui n'advient jamais ailleurs. Lorsque l'on met sous les verrous un quelconque Paul Comby « avocat » ou que l'on coffre un «< banquier le déshonneur n'en rejaillit pas sur le Palais de Justice ou la compagnie des agents de change. Mais que l'on arrête Alemereyda, Landau, Charles Humbert ou Max Raymond: l'humble fait-diversier, qui gagne cent cinquante francs par mois à l'Echo des Batignolles, n'osera plus passer devant sa concierge que la tête basse et elle ne lui rendra pas son salut.

La faute en est aux journalistes eux-mêmes, qui n'ont point d'association corporative digne de ce nom. Je sais bien qu'il existe plusieurs associations de presse, d'ailleurs florissantes; mais leur seul objet est de procurer à leurs membres vieillis un pécule de retraite. Louable souci il préserve de la misère quelques braves gens, mais non de la calomnie beaucoup d'honnêtes gens. Qu'un avocat manque gravement à ses devoirs ou qu'il donne l'exemple d'une vie notoirement déréglée : le Conseil de l'ordre l'exclut, comme il a fait pour Paul Comby. Dès lors, la corporation est sauve. Pourquoi n'y a-t-il pas aussi -on l'a proposé souvent mais jamais réalisé - un Ordre des journalistes ?

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Un journal est aujourd'hui un organisme à trois degrés au sommet, le « patron » qui a généralement fait fortune dans la parfumerie, la vente des comestibles, la confection ou les entreprises de travaux publics. Il a acquis très cher son journal, pour avoir une influence, pour préparer sa candidature politique, pour satisfaire sa vanité ou pour faire des « affaires ». Ces affaires, d'ailleurs, peuvent être parfaitement probes; il est aussi légitime de gagner de l'argent en vendant au public une feuille à un ou à deux sous que des livres à trois francs cinquante ou à quatre francs. Au second échelon, l'administrateur, ou le directeur commercial, ou de quelque nom qu'on l'appelle --- celui qui fait entrer dans les caisses un bénéfice fructueux par le rendement normal de la publicité. Je pourrais citer tel ou tel qui, en parfait commerçant, se fait ainsi, en courtages, des années de trois ou quatre cent mille francs. Enfin et c'est la dernière catégorie les rédacteurs, dont quelques-uns touchent peut-être quarante mille francs d'appointements, mais dont la plupart oscillent entre quatre et douze mille.

Et pourtant, ce sont eux qui écrivent, qui pensent, qui bataillent pour des idées ou des utopies, peu importe, qui, en un mot, font de la presse cette conductrice d'hommes, qu'elle s'honore d'être. Mais au lieu de rapporter de l'argent, ils en coûtent. C'est pourquoi ceux qui les payent les méprisent si facilement et les ravalent au rang d' « employés ». Par un injuste retour des choses, l'opinion publique, qui ne connaît qu'eux et ignore tout ce qui se passe dans la coulisse, leur fait porter la responsabilité de toutes les manigances clandestines qu'elle soupçonne et qu'ils sont bien obligés de supporter à leur corps défendant.

A cet état de choses y a-t-il un remède ? Il est fort simple. Que le journalisme s'organise. Que par le moyen d'une association unique, strictement professionnelle, très libérale, gratuite, mais où l'inscription sera obligatoire, il se donne les moyens d'exclure de son sein tous ceux qui se réclament indûment de lui. Libre à eux de se constituer à leur tour en syndicat de maîtres-chanteurs ou de publicistes véreux. Aux directeurs qui se refuseraient à n'admettre chez eux que des gens qualifiés, on retirerait le « label » que les autres journaux porteraient dans leur manchette. Le nublic counit

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1 - DĈidit ainsi averti.

E que, dans chaque journal, un comité de trois rédacteurs, désignés par leurs camarades, serait associé à la direction. Il contrôlerait l'esprit et les tendances des campagnes, il serait comme un garant officiel de moralité. En cas de litige, il porterait la question devant une sorte de Conseil de l'Ordre, qui déciderait.

N'allez point dire que cette institution existe déjà, dans une certaine mesure, et qu'elle s'appelle le Syndicat de la presse. Non. Le Syndicat de la presse n'est qu'un groupement de directeurs de journaux, désireux d'obtenir des pouvoirs publics le plus d'avantages pour eux-mêmes et d'en accorder le moins à leur personnel. Ce qu'il faut, c'est que les journalistes contrôlent les journaux. Le bon renom de la presse est à ce prix. ARGUS.

Théâtre & Musique

Henry Kistemaeckers: Un soir au front

M. Henri Kistemaeckers a eu le courage d'écrire « la pièce de guerre » la pièce où il est question de la guerre, la pièce dont les péripéties, et quelles péripéties ! se déroulent à la guerre, — la pièce dont les héros sont des hommes de guerre, la pièce enfin qui est un drame né de la guerre. Il faut avoir un grand courage pour écrire ainsi la pièce de guerre...

Il faut avoir, en outre, beaucoup d'énergie pour nous a énormément l'imposer, M. Henry Kistemaeckers a d'énergie. Et son énergie ne muse pas au long du chemin. Elle est directe. Elle est pressante. Elle est même impérieuse. Elle est, croyez-moi, irrésistible.

Et si elle est irrésistible, c'est qu'elle est sincère. D'une émouvante sincérité.

Henry Kistemaeckers depuis qu'il a fait représenter avec un succès considérable La Flambée, passe pour un virtuose des combinaisons dramatiques. On le croit fertile en ressources et extraordinairement ingénieux. Il l'est, certes. Et il ne manque pas à imaginer les épisodes les plus adroitement machinés. Il a le sens du théâtre comme on disait autrefois, et le père. Sarcey eût admiré à maintes reprises l'art des préparations dans l'œuvre de Henry Kistemaeckers. Les pièces de Henry Kistemaeckers sont même, lorsqu'il le veut, tellement théâtrales, que ceux qui les écoutent ne peuvent pas s'empêcher de discerner au passage les petits artifices professionnels. Un soir au front. Château en ruines. Plafond troué par les obus. Poste d'officier français. Une femme,

la châtelaine. Tout le drame de l'invasion. Toutes ses répercussions dans le cœur d'une Française qui eut l'infortune dépouser un Allemand. Du pathétique. Mais voici dans une valise au fond d'un placard secret un uniforme d'officier de uhlans. Ah! Ah! Le pathétique ne s'atténue point pour cela! Et le détail pittoresque n'affaiblit pas l'humanité un peu particulière de l'ensemble. Mais maintenant vous êtes obsédé par le souvenir. Pourquoi cet uniforme de ublan? Henry Kistemaeckers ne nous l'a pas montré seulement parce qu'il est dans la triste circonstance où voici le héros de la pièce, parfaitement symbolique, symbolique le plus parfaitement possible de la trahison, de l'espionnage et de ce qui constitue le fond même du drame. Non pas. Henry Kistemaeckers est un dramaturge expérimenté. Il n'invente que l'essentiel, mais il invente tout l'indispensable. Rappelez-vous l'uniforme. Cet uniforme servira à quelque chose ou à quelqu'un. Cet uniforme joue un rôle ou le jouera. Cet uniforme n'est pas seulement un accessoire, c'est un personnage. En effet, l'Allemand, mari de la châtelaine, revenu dans nos lignes pour espionner sous l'uniforme français doit être fusillé dare dare. On lui fera revêtir un uniforme allemand pour avoir le droit de le considérer comme un simple prisonnier et de lui sauver la vie. Mais pourquoi lui sauver la vie? Ça, c'est une autre histoire. Et cette autre histoire, Henry Kistemaeckers excelle à la conter, n'en doutez pas... Mais l'uniforme ! Vous voyez bien que l'exhibition de l'uniforme trouvé dans la valise au fond du placard secret n'était pas une exhibition vaine. C'était une exhibition théâtrale. Elle n'était pas une fin, mais un moyen... Rappelez-vous l'uniforme! Mais il est superflu de vous le recommander. L'uniforme, vous ne l'oubliez pas. Vous ne pensez qu'à l'uniforme et vous êtes sur le point de négliger peut-être les conflits de sentiments et l'émulation. des officiers et des soldats dans la noblesse. L'uniforme ! Pourquoi Henry Kistemaeckers nous a-t-il montré cet uniforme?

Bref, parce que Henry Kistemaekers manœuvre avec une sûre dextérité ses personnages, ses scènes et son dialogue, vous avez du penchant à le juger comme un constructeur malin d'oeuvres théâtrales et qui n'a nul besoin d'être inspiré tant il est maître des procédés du métier... Erreur! Henry Kistemaeckers est réellement inspiré. Il croit en ses sujets. Il a foi en son œuvre. Et c'est parce qu'il a la foi que Henry Kistemaekers emporte le consentement des foules.

Oui, Henry Kistemaeckers a une éminente sincérité, qui est toujours présente et toujours opérante, et qui vivifie ses ouvrages.

Dans La Flambée, dans Un soir au front, Henry Kistemaeckers traite de l'espionnage et met en scène des espions... L'espionnage. Les espions... Cela paraît à la fois terriblement facile et dangereux épouvantablement. Eh bien non! Ce n'est ni très facile ni très dangereux. Mais il y faut du moins une sincérité solide et le don... La sincérité oserai-je le faire remarquer, ne serait peut-être pas suffisante. Henry Kistemaeckers est très sincère et il a le don.

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Fort de sa sincérité, et sachant bien de quoi il est capable, Henry Kistemaekers a la hardiesse aussi de jeter ses personnages dans un torrent d'aventures. Et ce torrent, s'il est tumultueux, est discipliné. Il est impétueux, mais il est méthodique. Henry Kistemaeckers est à la fois très logique et très véhément. Mais, alors qu'il dirige son torrent,il entend faire dramatiquement, c'està-dire dans l'action même et par l'action, une étude. psychologique et morale. Il compte faire vivre des âmes. Mais ai-je tort si je dis que ces âmes vivent d'une vie un peu conventionnelle !

Evidemment, l'intrigue elle-même ne laisse pas d'être arbitraire. Mais Henry Kistemackers, inventeur dramatique, a tant de fougue et de vigeur qu'il nous entraîne où il lui plait de nous entraîncr. Il n'est rien que nous n'acceptions ou que nous ne subissions de lui. Il est le plus fort.

Voici donc que Mme Marie-Anne Heller revient dans son château dévasté par les Allemands... Depuis le début de la guerre elle a servi héroïquement. Elle fut même sur le point d'être exécutée par nos ennemis en même temps qu'un jeune lieutenant inoubliable. Une compagnie de chasseurs la délivra au moment opportun. Et qui retrouve-t-elle dans son château devenu poste de combat? Le lieutenant inoubliable...

Quant à elle, elle porte le deuil d'un mari alsacien apparemment, allemand naturalisé effectivement et qui a disparu... Mort? Prisonnier ? Ou bien? Mais nous allons tout savoir... Car le mari, docile aux fermes suggestions de Henry Kistemaeckers revient à cet instant précis dans son château. Il a revêtu l'uniforme d'officier · français. C'est un espion. Vite démasqué, Marie-Anne Heller ne dissimule pas à son mari qu'elle aime d'amour le lieutenant inoubliable. Justement on va fusiller l'espion, et cela pourrait finir, dix mois après, par un nouveau mariage. Eh quoi ! un cadavre entre ces amoureux! Impossible. Le lieutenant autorisera donc l'espion à reprendre l'uniforme trouvé à point nommé dans le placard. Une sentinelle veillera sur celui qui n'est plus qu'un prisonnier de guerre. Mais l'Allemand se fera tuer par la sentinelle. Quant au lieutenant, tourmenté dans sa conscience pour avoir, somme toute, et irrégulièrement assuré le salut d'un espion, va, héros bénévole, mourir sous les balles ennemies...

Ainsi Henry Kistemaeckers n'autorise personne à être heureux et son drame est un drame très sombre. Mais tous les personnages ont le sens du sacrifice et comme l'appétit de l'abnégation. Ils sont vertueux. Ils le sont magnifiquement.

Tous, excepté l'Allemand, bien entendu. L'Allemand servira sa patrie avec dévouement. Mais il sera cauteleux, bas, répugnant. es Français, au contraire, sont tous vertueux. Ils sont officiers automobilistes et le corps des officiers automobilistes est incontestablement un corps d'élite. Ils sont séduisants aussi. Ils sont Français.

Mme Marie-Anne Heller est également séduisante, vertueuse et Française. Et lorsque, dans les ruines du château, elle rencontre soudain son mari - la scène à faire ! — son âme palpite exactement comme doit palpiter une âme française, et, dans le grand débat d'esprit et de cœur qui s'ouvre instantanément et inéluctablement entre eux deux, elle trouve sans difficulté les arguments, tous les argumets que nous souhaitons qu'elle trouve, et elle les expose avec une éloquence vive... Mais il nous semble que si elle dit tout ce qu'il faut dire, il ne lui est pas possible non plus de dire autre chose... Elle est simplement la Française loyale et généreuse. Elle n'est pas une Française particulièrement. Peut-être sa personnalité s'affirmerait-elle si, au lieu d'aimer le lieutenant, Marie-Anne Heller aimait encore son mari. Et le drame, certes, serait plus émouvant. Mais Henry Kistemaeckers a fait le drame qu'i la voulu faire et il l'a fait très net, assez sobre, non sans ampleur ni puissance. Il l'a situé dans un railieu militaire du front peint avec un réalisme cordial... (Mais pourquoi a-t-il dit un mot désobligeant aux anciens adjudants devenus capitaines ?) Et il est bon de céder, sans réaction ironique, à la volonté franche et maîtresse d'elle-même d'un auteur dramatique qui a de la décision et qui a de la poigne.

J. ERNEST-CHARLES

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