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voilà, certes, un aspect fort imprévu de cette guerre. A tous les points de vue, il est excellent que l'art ne perde pas ses droits, même en première ligne.

Le théâtre aux tranchées est parti pour une longue carrière. Sa direction annonce déjà Les nuits du Hampton Club (répertoire du Grand-Guignol), Le Piquet, de Zamacoïs, Les Experts, de Bénière...

çà et là.

Au lendemain du raid des gothas on s'est justement préoccupé de diminuer les risques à courir. si les Allemands renouvelaient leur tentative.

C'est ainsi que le public a reçu, par la voie de la presse, des avis parfois contradictoires mais dans lesquels chacun peut choisir ce qui lui conviendra le mieux. Si, parmi les abris, on lui offre la station du Père-Lachaise il n'a certainement pensé qu'au

zèle et à la bonne volonté de l'administration.

Restait à protéger les monuments, ce qui fut immé ditatement entrepris dans la mesure du possible.

Devant les sacs de terre qui s'empilent autour de Notre-Dame on reste rêveur, combien en faudra-t-il ? Mais les bas-reliefs du Petit arc de triomphe du Carrousel et ceux de la colonne Vendôme ont déjà disparu sous les palissades et l'Empereur peut se demander ce que signifient ces nouveaux travaux. Les chevaux de Marly ont leur petite cabane, on camoufle la ville Au Louvre une équipe de cent territoriaux est revenue, comme aux sombres jours d'août 1914, vérifier les mesures prises, un peu hâtivement peut-être, et qui sont jugées insuffisantes. C'est ainsi que les madriers dréssés autour de la Victoire de Samothrace auraient pu, paraît-il, lui causer le plus grand mal, si quelque bombe eût éclaté dans son voisinage ?

Les amis des arts réclament, tous à la fois, qu'on protège qui les fontaines, qui les statues, qui les églises, leurs vitraux, leurs sculptures et comme ceci se fait toujours par la voie de la presse, ces réclamations ont au moins le mérite de nous apprendre la valeur de nos richesses nationales, qui sont ignorées d'un trop grand nombre.

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Au milieu de tout cela on a beaucoup pensé à Versailles. Peut-on dire qu'on y a trop pensé ?

Il est vraiment dommage que pour desceller et rentrer à l'intérieur du Palais les vases Louis XVI qui garnissaient les parterres d'eau et la balustrade des jardins de l'Orangerie, pour édifier des abris provisoires aux centaines de statues qui ornent le parc, on ait cru devoir fermer celui-ci aux visiteurs et pour combien de temps? Car le travail est gigantesque. Les services d'architecture estiment qu'il faudra 2.750 sacs pour chacun de ces abris ; étaient-ils indispensables vu la surface et la dissémination? A Paris, les travaux s'exécutent sous l'oeil bienveillant des passants, et les promeneurs peu nombreux en cette saison n'eussent guère gêné les ouvriers de Versailles. Aux visiteurs, fussent-ils des soldats alliés, on n'offre plus que la Galerie des Batailles et la salle du Congrès. Il est vrai qu'elle a conservé jusqu'ici ses deux tapisse ries des Gobelins qu'on distingue mal vu la hauteur, mais qui ont une valeur d'un million et demi, répète l'infatigable guide.

De l'utilisation des compétences.

Parmi les « spécialistes » occupés à vider de leurs viscères les bêtes tuées pour la nourriture de l'armée, une commission d'inspection découvre un jeune homme de bonne mine, qui procède à cette besogne avec une

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Il y avait une fois, dans un camp de concentration d'une sous-préfecture du Centre, une vieille Allemande dont la dentition était déplorable. Comme elle souffrait beaucoup, le médecin du camp procéda à l'extrac tion des quelques chicots qu'elle possédait encore, mais l'édentée, soulagée, ne pouvait plus manger. Elle sollicité l'octroi d'un râtelier.

Cette demande plongea les autorités du camp dans une grande perplexité. Aux termes du règlement, les soins médicaux sont dus en effet aux internés, et l'art de la dentisterie doit être compris au nombre de ces soins. Mais pouvait-on y inclure la prothèse dentaire ? Le sous-préfet fut consulté. Son avis fut négatif. Le droit international nous commande d'arracher gratuitement les dents des vieilles Allemandes que nous retenons prisonnières, mais non de leur mettre à la place des dents neuves. La dame était donc invitée à payer son râtelier.

jours, on s'avisa que peut-être le gouvernement alle Elle n'avait pas d'argent. Comme elle insistait toumand consentirait à payer la dépense. On constitua donc un dossier qui, de la sous-préfecture fut dirigé sur la préfecture, puis vers le ministère des affaires étrangères qui la transmit, par la voie diplomatique, à l'ambassade suisse, laquelle a la gérance des intérêts allemands en France. Par Berne, le dossier gagna Berlin où la Wilhelmstrasse le fit parvenir nous ignorons à travers combien d'échelons au service intéressé. La réponse suivi la même voie mais à rebours, il ne fallut guère plus de trois mois avant qu'elle parvînt au camp d'origine.

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Pendant ce délai, qu'on put estimer court pour un voyage aussi compliqué, le médecin qui avait l'âme sensible, avait mandé un dentiste et fait confectionner à crédit le ratelier demandé. Catastrophe: le gouvernement allemand se refusait à en supporter les frais !

Ce fut une belle émotion : qui paierait ? Déjà les rapports administratifs s'entassaient. Le sous-préfet. heureusement, avait l'esprit inventif. Ne pouvait-on proposer à l'Allemagne d'offrir, en compensation, un dentier de même valeur marchande à un interné français auquel il ferait besoin? La suggestion parut heureuse. Cette fois il fallut cinq mois pour que le dossier, revu, corrigé et considérablement augmenté, accomplit le même périple. Ce fut une victoire. Le gouvernement de Berlin acceptait. Et l'Etat français, délivré d'un affreux souci solda les dents de la vieille Allemande...

Qui donc regrettait que nous fissions la guerre sans

causer ?

Der deutsche Zuschauer.

« Le spectateur allemand », c'est là le titre de l'ancêtre de la Pariser Zeitung qui avait de nombreux lecteurs à Paris à la veille de la guerre, et ce fut le premier journal en langue allemande qui ait été imprimé à Paris. Il n'eut, d'ailleurs, que treize numéros... en novembre 1791.

Chez nos Alliés.

Les officiers anglais estiment que les Américains ne savent pas s'habiller; ils se moquent un peu de leurs chapeaux ronds et de la façon très démocratique avec laquelle certains d'eux envisagent la vie en campagne. Les Anglais resteront toujours d'incorrigibles gentlemen pour qui la question du vestiaire aura toujours une importance capitale.

Ils disent couramment en parlant des Américains, « What funny birds ! » (Quels drôles d'oiseaux ! ), et l'un d'eux, qui occupe une situation importante au Q. G. de sir Douglas Haig, disait récemment : « Les Français sont d'admirables soldats et je ne comprendrai jamais comment ils peuvent à la fois s'habiller si mal et se battre si bien ».

Quand la Croix-Rouge américaine prit la décision d'organiser en France d'importants services, elle ne se contenta pas de recruter des volontaires dans toutes les classes de la société, elle mit les « right men in the right places >>.

A la tête du bureau des approvisionnements, voici M. Alexander Smith, homme d'initiative, de vision rapide, habitué aux décisions promptes .Il aurait pu demeurer en Amérique, comme associé de la Banque Peabody et comme un des « managers » d'un des plus grands moulins à papier du Canada. Il a préféré mettre au service de la grande cause, ses compétences, qui sont appréciées à leur juste valeur, puisqu'il vient d'être nommé « General manager for the Organisation in France >>.

X

Et pourquoi a-t-on nommé M. Stanley Field, directeur du bureau des achats ? C'est que M. Field est vice-président de la Compagnie Marshall Field,qui possède à Chicago les magasins les plus importants et les plus luxueux « in the world ». Habitué à l'effort,

il

apporte, dans ses absorbantes fonctions, sa sûreté de vucs et ses exquises manières de gentleman. M. Field est secondé par M. John Thorne, un des codirecteurs de l'énorme maison Mongomery Ward, de Chicago, et par M. Robert Jordan un des propriétaires de la maison Jordan Marsh, de Boston, qui a pris en main la direction des achats de « tout ce qui se mange », homme éloquent et spirituel, qui aurait pu demeurer dans sa belle résidence de Chicago à proximité de son golf favori, mais qui a trouvé beaucoup plus simple de devenir bureaucrate. Puis voici M. Paul Wilson dont la maison en Amérique est réputée pour ses lainages, ses tissus, et qui dirige maintenant avec unc juste autorité les achats de vêtements destinés aux réfugiés et aux éprouvés. Il faut ouvrir aussi un bureau d'achat pour les objets en fer (cuisine et jardinage). La puissante Compagnie Internationale des Machines Agricoles (International Harvester Co.) sollicitée, délégua son représentant à Copenhague M. John Morrow qui pourrait être choisi comme le type idéal du « business man ». Il est aidé dans son opiniâtre labeur par M. Herbert H. Riddle, architecte renommé de Chicago, d'une activité surprenante et d'une modestie édifiante.

En Pangermanie.

L'Allemagne en s'éveillant l'autre matin s'est découvert un Montesquieu en herbe parmi les rédacteurs de la pangermaniste Deutsche Zeitung.

L'organe des cartells miniers et métallurgiques du Rheinland vient de publier un conte persan qui ne manque pas de saveur un shah pusillanime perd on trône pour avoir préféré les conseils de son grandizir à ceux de son général victorieux.

Il y a des gens qui adorent les contes et d'autres qui ne les peuvent souffrir. Pour celui-ci, il est possible que Ludendorf l'ait trouvé plaisant, mais il est probable que l'empereur et von Kuhlmann l'ont infiniment moins apprécié.

Quoi qu'il en soit, l'émotion est vive en Pangermanie. Les partis démocrates, qui osent relever un peu la tête depuis l'« En ce qui nous concerne tout au moins » du comte Czernin, trouvent que le kronprinz « va un peu fort» et que son impatience à régner inspire à ses amis de bien fâcheuses manifestations.

La Guerre

La situation militaire

L'ère préparatoire des coups de main continue sur le front occidental sans qu'on puisse discerner des points particulièrement menacés par l'ennemi, ni augurer avec certitude en quels secteurs nos adversaires attaqueront. Il semble que par le discours de l'Empercur la volonté offensive de nos ennemis se soit complètement démasquée; von Ardenne annonce pour la semaine prochaine le déclenchement du grand coup. Pourtant, il est permis de croire que maintenant encore l'unanimité ne règne pas dans le camp allemand sur l'opportunité d'une offensive. On nous montre Ludendori et Hoffmann, l'homme au coup de luttant l'un

poing sur la table de Brest-Litowsk contre l'autre à qui fera prévaloir sa doctrine de guerre. Ludendort serait partisan d'attendre l'attaque des Alliés ; Hoffmann, au contraire, désireux de recommencer la manoeuvre de Riga qui l'a mis en pleine lumière lui et von Hutier, réclamerait l'offensive immédiate et garantirait le succès.

Si le général Hoffmann l'emporte, c'est que les dicux ont pesé dans la balance la destinée de l'Allemagne. Le fait d'hésiter entre le chef à la fois audacieux et prudent qui depuis trois ans dirige la guerre allemande et ce féroce nouveau-venu dont l'ambition ne connaît pas de frein et qui marche à l'abîme prouve dans quel aveuglement sont plongés nos ennemis. Les Alliés souhaitent que le plan d'Hoffmann prévale. La manœuvre de Riga a réussi contre la malheureuse armée russe désorganisée, sans artillerie, sans commandement. Hoffmann aura l'amère surprise de constater une différence entre le front oriental et le front occidental.

Nous avons connu dans notre camp ces espoirs démesurés, nous avons vu tels chefs tabler sur la méthode qui leur avait donné des succès locaux pour escompter le triomphe total et l'enfoncement de l'enne-mi. Il a fallu revenir à la guerre scientifique, qui no laisse rien au hasard et ne compte pour développer la manœuvre que sur les fautes de l'ennemi. Sous ce rapport, les Alliés sont riches d'expérience; on peut avoir foi en leur commandement. Ils ne se lanceront pas dans une aventure hasardeuse avant le moment décisif.

J. S.

Affaires Extérieures

La paix avec l'Ukraine

Les Allemands ont conclu la paix avec l'Ukraine. Trotsky a fait une pirouette et proclamé qu'en démobilisant définitivement ce qui restait de l'armée russe, il renonçait cependant au privilège de mettre sa signature au bas d'un parchemin historique et préférait un statut international jusqu'ici inconnu qui ressemble au néant : ni guerre ni paix:rien du tout.

La Rada de Kief est-elle maîtresse de la situation ou ne l'est-elle pas? Le pays est en tous cas en proie à la guerre civile. L'Allemagne prétend que le traité est valable et qu'elle a négocié avec des autorités représentatives. Les maximalistes déclarent que c'est une trahison d'individus sans mandats, mais ils auraient mauvaise grâce à se plaindre d'un abus de pouvoir, alors qu'ils ont eux-mêmes, par leurs procédés sectaires contre la Constituante, supprimé l'unité russe encore possible et donné ainsi les meilleurs atouts aux revendications égoïstes des nationalités. Par peur d'être régulièrement renversés, Trotsky et Lénine ont trouvé plus commode de supprimer leurs adversaires ou rivaux. Qu'ils ne s'étonnent pas aujourd'hui si leur avis est jugé inutile.

Le traité qui vient d'être signé à Brest-Litovsk est impressionnant par sa belle ordonnance, sa minutieuse précision. Il a du être tout entier rédigé à Berlin et présenté pour la forme à la signature de ces messieurs venus de Kief. Nous manquons tellement de renseignements qu'il serait vraiment aventureux de tenter de tirer des conclusions tant soit peu solides du nouvel état de choses. Pour les uns les greniers d'Ukraine sont pleins, pour les autres ils sont vides, pour les uns la Rada est puissante et pour les autres menacée de la culbute à brève échéance. Le gouvernement allemand ne peut-il enregistrer qu'un succès à répercussion intérieure ou doit-il réellement compter sur un soulagement de sa crise alimentaire? Le coup droit qu'il porte aux aspirations polonaises en dépouillant la Pologne au profit de la nouvelle Ukraine est-il l'indication d'une politique générale antipolonaise, ou le simple résultat d'une ma nœuvre dans laquelle il fallait sacrifier quelqu'un pour un résultat immédiat? Il est assez difficile de se prononcer, mais il paraît assez probable que l'Allemagne, tout bien pesé et réfléchi, préfère la force d'une U raine à celle d'une Pologne trop proche de ses propres frontières. Elle a joué des Polonais tant que le danger militaire russe subsistait et d'honorables politiciens polonais, vêtus de redingotes et coiffés de chapeaux haut de forme ont fait la roue dans Varsovie occupée, persundés que des portefeuilles ministériels ou de hautes charges leur étaient réservés, dans le royaume de Pologne recontitué. Les généraux allemands ont pincé la guitare du nationalisme polonais. Maintenant la sérénade est finie. Le tour est joué. Toute réclamation de la Pologne est désormais vaine. Les redingotes et les gibus peuvent regagner les armoires. Berlin et Vienne sont d'accord pour laisser les Polonais dans le déplorable statu quo d'avant la guerre, situation d'autant plus grave que le contre-poids russe n'est même plus à craindre dans le maniement des affaires polonaises. Si cette solution est à l'avantage de l'Allemagne, l'Autriche ne s'y est soumise qu'avec une certaine anxiété. Elle craignait avec juste raison une répercussion de cette diminution du programme polonais carmi les Polonais d'Autriche jouent dans son Parlement un rôle important. Le résultat n'a pas été long à se manifester. Le groupe polonais du Parlement autrichien vient d'annoncer qu'il se rangeait désormais dans l'opposition. Joints 2118 Yougo-Slaves et aux Tchèques les Polonais rendront la vie intenable au cabinet austro-hongrois. Une fois de

plus le gouvernement de Vienne, en suivant docilement la politique de Berlin a travaillé contre lui-même. La paix avec l'Ukraine est un succès temporaire allemand, elle n'est pas une solution définitive.

L'ATTITUDE DES BOLCHEVIKS

La décision de Trotsky ni paix ni guerre, est avant tout un aveu d'impuissance. Ce maître du désordre reconnaît qu'il ne peut régner que sur le désordre et, ne voulant pas signer la condamnation de son crime, se réfugie dans sa tour cramoisie. « Faites ce que vous vou drez ! je m'en moque. » Quand on se souvient de ses propos grandiloquents : « Si l'Allemagne insiste dans ses tendances annexionnistes nous lèverons une armée révolutionnaire une armée rouge, qui défendra l'idéal démocratique contre l'impérialisme!» on voit le chemin parcouru. Maniant la phraseologie démagogique avec l'imperturbable aplomb des tribuns, il avait évoqué les volontaires de Valmy, brossé à larges traits le tableau du peuple en armes pour une cause sainte. Tout cela s'est évanoui. On va démobiliser, livrer les frontières ouvertes et prendre ensuite le ciel à témoin de la méchanceté de l'Allemagne et de l'Autriche. L'odieux se mêle au bouffon. Vis-à-vis de gouvernements de proie comme ceux de Berlin et de Vienne cette attitude de victime attendant le bourreau les bras croisés est une plaisanterie. Croire que les démocraties d'Allemagne et d'Autriche interviendront en quoi que ce soit pour empêcher les gouvernements d'agir à leur guise contre les Russes désarmés, c'est faire preuve d'une singulière naïveté et d'une méconnaissance absolue des faits. La mentalité germanique est orientée vers une paix guerrière et non évangélique. On pense, outre-Rhin à réaliser des bénéfices de guerre et non à faire un mea culpa. L'effondrement de la Russie a été un encouragement à la cupidité. On rêve d'exploits nouveaux donnant le même résultat à l'Ouest et la dernière harangue impériale n'est pas faite pour diminuer cet espoir. Si les maximalistes démobilisent ce qui restait de leur armée, tant mieux; cela fait autant de divisions allemandes disponibles pour le coup de force contre les Français et les Anglais. Les protestations bolcheviks sont des paroles dans le vent. Elles n'empêcheront pas une organisation, à l'allemande, de la Lithuanie, de la Courlande, de la Pologne et c'est tout ce que l'on demande.

Certes il se manifeste bien, en Autriche et en Allemagne, une certaine inquiétude devant cette situation hybride. On eut préféré, au pays des chiffons de papier un traité en bonne et due forme, qui eut engagé la Russie dans l'avenir. C'eut été, lors du Congrès de la paix, un document dont on se fut servi. Telle qu'elle est actuellement posée, la question reste entière. Si l'Allemagne est battue par la coalition elle n'aura point de parchemin à présenter pour justifier ses revendications. C'est cela sans doute qui la chagrine et ce pourquoi elle tente de faire signer des traités de paix séparée.

Trotsky s'imagine peut-être que son expédient favo risera la contagion maximaliste et servira ainsi la cause. dont il se prétend l'apôtre. Ce calcul semble assez vain. car si la Russie ouvre toutes grandes ses frontières, l'Allemagne fermera rigoureusement les siennes et les conférenciers bolcheviks connaîtront l'agrément des geôles prussiennes, mesure de sécurité d'autant plus facile à prendre que les Russes ne jouiront en Allemagne d'aucun statut international.

Reste à savoir comment le peuple russe lui-même acceptera la décision de son prétendu gouvernement. L'anarchie intégrale ressemble aux mois de vacances où l'on sommeille sur le sable et où l'on dépense à l'Hôtel des Bains les économies réalisées pendant l'hiver. Le jour vient cependant où le nécule est épuisé. Il faut revenir au bureau et à l'atelier et retrouver le samedi

un comptable et un caissier. Le conflit entre la vie et sa négation est fatal. La situation intérieure en Russie ne peut pas demeurer stationnaire. La capitulation de Trosky, baptisée de manoeuvre subtile, est le commencement de la décadence du régime bolchevik.

L'ULTIMATUM A LA ROUMANIE

Dans sa hâte de conclure des paix séparées, l'Allemagne a adressé un ultimatum à la Roumanie sans vouloir donner ce caractère à sa démarche. Le cabinet Bratiano, qui a accompli une œuvre presque surhumaine, semble avoir eu un instant de découragem devant la perpétuelle et injuste disgrâce de la fortune. Le roi a accepté sa démission et chargé le général Averesco de former le nouveau cabinet. Cela semble indiquer que la situation militaire n'étant point considérée. comme désespérée, la résistance est à l'ordre du jour. Si la Roumanie réussit à tenir tête à ses puissants ennemis elle ajoutera une palme de gloire immortelle à celle du martyre.

Armée et Marine

INTERIM.

Les croiseurs sous-marins allemands La presse allemande, inspirée comme à l'ordinaire par son gouvernement, mène grand bruit depuis quel ques mois autour de « croiseurs sous-marins »> nouvellement mis en service, et dont l'action devrait interrompre sous peu, d'une manière définitive, les communications maritimes des alliés. Il ne semble pas que même chez nos ennemis, cette assertion soit acceptée comme le fut, l'an dernier à pareille époque, celle d'une paix immédiate à attendre de la guerre sous-marine sans res triction l'Angleterre n'a pas encore été réduite à merci par les torpillages, et les prophètes officiels y ont perdu une partie de leur crédit. Il n'en est pas moins vrai que les croiseurs sous-marins existent, et que leur entrée en ligne marque un nouvel effort pour gêner et réduire notre ravitaillement en détruisant des cargaisons et du tonnage en continuant avec toute l'intensité possible la guerre navale telle qu'elle a été inaugurée il y a trois

ans.

Il faut lui rendre justice sa conception se développe logiquement. Elle fait peu à peu du sous-marin le remplaçant de tous les types de navires utilisés dans les flottes militaires, et elle crée de nouveaux modèles de sous-marins à mesure que la nécessité lui en apparaît. Pour commencer la guerre au trafic maritime, elle a commencé par ajouter un canon aux sous-marins qu'elle possédait déjà, et qui, de même que ceux de toutes les autres nations, avaient été conçus uniquement pour torpiller les bâtiments de ligne. Pour porter la guerre plus loin elle a construit des sous-marins de plus grandes dimensions (800 tonnes environ au lieu de 400 ou 500) caractérisés par une meilleure tenue à la mer et une habitabilité permettant les longues traversées. En même temps elle inaugurait un modèle de taille très réduite (200 tonnes à peine) destiné à opérer dans les mers resserrées telles que la Manche et la mer d'Irlande, et à faible distance des bases établies sur la côte belge. Afin d'utiliser l'arme redoutable qu'est la mine sous-marine, et ne pouvant pas se servir pour cela des bâtiments de surface qui sont habituellement réservés pour cet emploi, elle faisait des sous-marins mouilleurs de mines capables d'aller déposer leurs engins à l'entrée de nos ports ou sur nos routes côtières, mais capables aussi d'agir par le canon et la torpille après avoir joué leur rôle spécial.

Toutes ces tentatives n'ont pas eu un égal succès. Les sous-marins de petites dimensions se sont rapidement montrés d'une endurance insuffisante et d'un ren

dement médiocre. On y a renoncé au bout d'un an d'expérience. Les sous-marins mouilleurs de mines n'ont pas eu beaucoup d'efficacité, parce que l'organisation du dragage a été réalisée assez vite en France et en Angleterre; de plus c'est dans cette catégorie que les pertes allemandes sont le plus nombreuses, parce que le mouillage des mines doit se faire près de terre pour être utile, et que les bâtiments qui en sont chargés courent de plus grands risques, risques militaires du fait des patrouilleurs ou des divers engins de défense, risques de navigation au milieu des roches ou des bancs de sable qu'il faut bien connaître pour s'y hasarder. Cependant ce moyen de lutte n'a pas été abandonné, car il procure parfois des coups heureux, et sa menace permanente nous oblige à affecter au service du dragage beaucoup de navires que nous pourrions sans elle employer à d'autres usages. Mais le nombre des mines semées sur nos côtes n'a pas tendance à augmenter; la façon dont l'ennemi s'en sert rappelle ce que dans les communiqués officiels on appelle « lutte d'artillerie intermittente », échange de coups de canon dont on n'attend pas de résultats précis ni bien importants, que l'on continue néanmoins pour gêner l'adversaire et parce que sur un grand nombre d'obus il y en a toujours quelques-uns qui produisent de l'effet.

C'est en construisant des sous-marins de grand tonnage que l'Allemagne a obtenu ses plus notables succès. Quel que soit le genre de navire et pourvu qu'on se tienne en dedans de certaines limites - en doublant un déplacement on réalise une puissance offensive à peu près triple de celle du type original, on augmente notablement sa vitesse et son rayon d'action, on améliore ses qualités nautiques dans une proportion que l'on ne peut chiffrer mais qui est considérable: il faut moins d'hommes pour armer un gros bateau que deux petits, moins de temps pour l'achever, et il coûte moins cher comme construction et comme entretien. Ce sont ces vérités connues depuis longtemps qui ont conduit par les cuirassés aux dreadnoughts et à leurs dérivés. Et nous pouvons rappeler sans vanité qu'avant la guerre nous avions commencé, en France,de les appliquer aux sous-marins en mettant en chantiers dès 1011 des bateaux de 800 tonnes que les Allemands ne devaient imiter cue quatre ans plus tard.

Les dimensions des sous-marins de 800 tonnes convenaient parfaitement à la guerre dans les mers d'Enrope; elles permettaient même les longues traversées (voyages en Méditerranée et en Amérique), mais elles ne suffisaient pas aux croisières prolongées à grande distance, loin de tout centre d'approvisionnement ou de réparations. Le dévelonnement des movens de défense à proximité de nos côtes (armement de patrouilleurs de plus en plus nombreux, organisation de nos forces aériennes) devait inciter les Allemands à aller chercher plus au large des proies plus faciles. L'intérêt de cette recherche leur était du reste apparu dès le commencement, et l'on se souvient des corsaires croiseurs ou paquebots armés -- aui pendant les premiers mois de la guerre opérèrent dans l'Atlantique et dans l'Océan Indien. Ces corsaires furent tous pris or coulés, parce que l'on envova contre eux des croiseurs mieux armés et plus rapides; mais ils auraient nu échapper à la roursuite s'ils avaient eu comme les sous-marins la faculté de se dissimuler en s'immergeant. De là l'idée du croiseur sous-marin, réalisée à la fin de 1017, mais née en 1916 au moment où la destruction de certains corsaires. dès leur départ

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pour une nouvelle campagne, montra que la mer du Nord était toujour bien gardée.

Un premier essai fut fait avec le Deutschland, l'ancien sous-marin commercial dont les voyages comme cargoboat avaient donné de médiocres résultats. Transformé en sous-marin de guerre, il gardait ses qualités dont la plus précieuse était une excellente tenue à la mer, déjà démontrée par ses traversées de l'Atlantique; mais il gardait aussi le défaut d'une faible vitesse, due à ce que, dans sa conception, on avait réservé une part importante du poids disponible à la cargaison, et réduit au minimum la part des

moteurs.

CENSURE

Les croiseurs sous-marins seront sans doute plus efficaces.

CENSURE

Leurs qualités de marche en plongée sont très réduites peu de vitesse et peu de rayon d'action sous l'eau, parce qu'on n'a affecté au poids de leurs moteurs électriques et de leurs accumulateurs qu'une très faible. fraction du déplacement. Ces bateaux sont faits pour agir en croiscurs, dans des zones où la rencontre d'ennemis armés est improbable; en fait, ils ne plongent s'ils y sont obligés souvent dans la mer du Nord que en quittant leur base et en y rentrant, rarement quand ils sont au large.

Les parages où ces nouveaux bâtiments comptent opérer sont du reste indiqués par l'agrandissement de la « zone de guerre » que l'Allemagne a indiqué aux neutres, à la fin de 1917.

CENSURE

G. CLAUDE.

NOTES ET FIGURES

Abdul-Hamid.

Le Sultan Rouge comme le baptisa Gladstone lors des massacres d'Arménie est mort, non de peur ou de remords, mais d'une pneumonie, comme un vieillard quelconque. Il eut d'ailleurs toujours les bronches fort délicates. Cette personnalité, devenue infirme, qui terminait ses jours à l'écart, dans l'ombre d'un yali du Bosphore, effacé dans sa retraite, méritait cependant les funérailles imposantes que Guillaume II lui prépare car il se fit l'outil docile d'un brillant élève.

Pierre angulaire de. la « Mittel Europa », fidèle gardien du Bagdad, il fut encore le metteur en scène de la tragédie austro-allemande qui ensanglante l'Europe. I demeura notre adversaire acharné, irréductible. Pourquoi ? Parce que nous lui paraissions des fous idéologues, ennemis séculaires des tyrannies et des servitudes du vieux temps, gens dangereux porteurs de germes révolutionnnaires.

Abdul-Hamid, ce pauvre homme chétif, inquiet, toujours oppressé par une sourde angoisse, avait le culte de la force et le mépris de nos témérités généreuses. Asiatique bercé par les contes arabes et persans, il était un despote des Mille et Une Nuits, aux longs engourdissements, aux sursauts brusques soumis à des accès nerveux qui ne pouvaient se dénouer que par le sang versé. C'était sa folie spéciale; tuer. Ce que l'on mourut à Constantinople, à l'apogée du règne, de 1895 à 1900, c'est inimaginable. Il tuait luimême dans son palais, abattant d'une balle ce qui lui tombait sous la main au cours de ses crises: une femme, un enfant, un soldat de sa garde, un ministre même, à l'occasion; tous les familiers y passaient, les uns après les autres. Au dehors, il faisait tuer par ses fidèles.

Ce maniaque eut aussi la passion de l'usure, avec une méthode et des vues d'avenir; il s'inquiétait de l'appauvrissement rapide de son pays, tout en remplissant largement son trésor privé. Parmi la multitude des peuples qui lui étaient soumis, un seul possédait âprement le goût du travail et l'intelligence du négoce, ce peuple s'enrichissait, malgré les pires spoliations. Ce fut sa perte.

Abdul-Hamid hésita quelque temps; les Arméniens lui fournissaient dans tous les services publics d'excellents agents, des financiers avisés, des hommes d'Etat, des juristes, des conseillers politiques, une main d'oeuvre inépuisable. Sujets loyaux, de grand sens, aucune affaire ne pouvait aboutir sans leur appui; seuls ils pouvaient traiter avec l'Europe. Dans la Turquie féodale, figée en plein quinzième siècle, ils s'imposaient comme agents de liaison entre ce passé chao'tique et la vie contemporaine. On ne pouvait travailler sans eux, mais la cupidité d'Abdul-Hamid l'emporta sur son intérêt évident.

Encouragé par son ami Guillaume II, il décrète le massacre dans toutes les provinces de l'empire.

Entre les deux potentats, il y eut la plus extraordinaire des rencontres d'esprit et de sympathie spontanée; le phénomène se reproduisit en plusieurs circonstances. On peut dire, sans exagérer, que Guillaume I fut le seul ami d'Abdul-Hamid, le rare ami des mauvais jours, qui sut le réconforter lorsque le monde. entier saisi de dégoût se détourna du Sultan Rouge.

Guillaume II conserva jusqu'au bout le courage de son opinion, il approuva hautement les hécatombes : ses sujets n'étaient-ils pas prêts à combler les vides? Abdul-Hamid ordonna donc la suppression en grand

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