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LE

BUCHERON.

PARIS,

BIBLIOTHÈQUE

des pasteurs

7, ch. des Cèdres

1004 LAUSANNE

TP 3024 A

IMPRIMERIE DE J. SMITH, RUE MONTMORENCY, No 16.

1829.

ཟླ

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Le soleil s'abaissait sur les gorges de la Vallorsine, quand nous atteignîmes le Col de Trient (1). L'air était doux et pur, et un vent léger agitait faiblement les branches mousseuses de trois antiques pins qui s'élèvent seuls sur cette hauteur, d'où ils servent comme de signaux aux profondes vallées d'alentour. Un gazon épais et mollement incliné s'étend près de leurs troncs creusés par l'âge : nous nous assimes à leur pied.

Alors je dis à mon compagnon de voyage: Qu'il sera beau le temps où le voyageur chrétien pourra trouver des enfans de Dieu dans les hameaux et les chaumières de ces montagnes ! Nous sommes entrés aujourd'hui dans cinq maisons; nous avons

contré des hommes à leurs travaux, des mères avec leur jeune famille; vous leur avez parlé du Sauveur, à peine ont-ils su répéter son nom. O Evangile! Loi d'amour et de paix, n'est-ce pas cependant au milieu des champs que tu devrais avoir le plus d'empire? mais l'on ne t'y connaît point!

Le cœur de l'homme, répondit mon ami, le cœur de l'homme est le même en tout lieu. C'est un rêve brillant, mais qui trompe, que celui de l'innocence des mœurs villageoises: le péché n'habite pas moins sous ces toits chétifs qui s'aperçoivent à peine près de ces sombres rochers, que dans les demeures somptueuses de notre patrie. Partout où se trouve un descendant du premier homme, là se rencontre aussi le mal; et le pâtre, aux yeux de Celui qui regarde au cœur, n'est pas plus pur que le citadin efféminé.-Mais, ajouta-t-il après un silence, il y aura de nouveaux cieux et une nouvelle terre.

(1) Entre les glaciers de la Savoie et le Valais.

Oui, lui dis-je; mais aussi partout où se trouve cet enfant du premier Adam, là se rencontre une ame que l'Evangile, cette bonne nouvelle, peut combler de joie sous le rude vêtement du montaguard, n'est-il pas un cœur que le Seigneur a formé, que la Parole du Dieu tout-puissant peut réveiller pour la vie?

Comme je disais ces mots, nous entendîmes la voix de quelques paysans qui, jetant leurs fardeaux à terre, s'étendaient sur l'herbe à quelque distance de nous. Les uns allument leur pipe; d'autres tirent quelques vivres de leurs sacs; d'autres s'apprêtent à dormir.

Venez, dis-je à mon compagnon; abordons-les: peut-être le Seigneur nous donnera-t-il pour eux. quelques paroles utiles. Nous nous approchâmes de la troupe, et lui souhaitâmes le bons avec cordialité l'on nous répondit du même ton.

J'ai souvent éprouvé qu'il m'était difficile d'entamer une conversation religieuse avec des étrangers; une sorte de gêne semblait l'écarter de part et d'autre; mais j'ai reconnu, par plusieurs expériences, qu'il ne faut jamais craindre d'aller droit au but, et de s'annoncer d'entrée comme un homme pieux qui désire en trouver d'autres : c'est ce que je fis alors, et, m'adressant au plus âgé de la troupe, je lui dis:

Il y a long-temps que vous faites ce chemin ?

Depuis à peu près quarante ans, répondit-il, ce moulin que vous voyez là-bas tourne pour moi; j'en avais trente quand j'y mis la première meule. Toute cette jeunesse était à naître, que j'avais usé déjà plus d'un soulier dans la montagne; aussi je commence à me fatiguer avant elle.

Bientôt vous vous reposerez, lui dis-je, et ce sera dans le sein de Dieu, si vous êtes son enfant.

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- Enfant de Dieu ou non, dit un vieux bûcheron

qui refaisait le tranchant à sa hache avec la lame de son couteau, il faudra tomber de tout son long comme un sapin, et comme lui pourrir par terre.

Vous pensez donc n'être qu'une plante, lui dit mon ami, vous n'avez rien dans votre corps qui vaille plus qu'un arbre?

Je n'ai jamais regardé dedans, reprit l'homme en se tournant vers la troupe que son mot parul amuser. - Mais croyez-vous, lui dis-je avec gravité, que personne n'y regarde? Il fixa ses yeux sur moi, pour voir qui je pouvais être. Oui, poursuivis je en m'avançant vers lui, vous imaginez-vous que. Celui qui a fait ce soleil qui se couche, et qui vous a fait aussi, ne voie pas dans votre cœur que vous êtes un impie? Il posa sa hache sur l'herbe, et sembla vouloir se lever. Arrêtez, lui dis-je, et écoutez-moi quelques momens : je ne veux point vous insulter ni vous faire aucune peine ; je désire au contraire vous rendre un service que personne, je le crains, ne vous a rendu jusqu'à ce jour. Tout le monde se leva, mêmes les dormeurs, et l'on fit le cercle autour de nos deux vieillards, dont le premier fumait tranquillement une courte pipe, tandis que l'autre regardait devant lui d'un air sombre et

mécontent.

Voyez-vous, dis-je à celui-ci, ces monts, ces forêts, cette prairie et les bestiaux qui la traversent : qui croyez-vous qui les ait faits?

Quand j'étais à l'école, dit-il, c'était déjà le Bon Dieu.

-Et ce Bon Dieu ne vous a-t-il pas fait meilleur que cette vache qui mugit?

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Si je ne valais pas mieux qu'elle, j'irais pat

tre à ses côtés.

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Et si ce n'

n'est pas pour paître, savez-vous pour

quoi Dieu vous a mis dans ce monde ?.

Ah! je ne m'en occupe guères : un mois court

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