N° 3. SOMMAIRE. Lausanne, le 1 Février 1878. XXIII® Année Guerre d'Orient, p. 49. Les économies sur l'armée, p. 54. Société des officiers suisses, p. 58. Circulaires et pièces officielles, p. 59. Place d'armes de la 1re division, p. 61. Nouvelles et chroniques, p. 63. - Avis, p. 64. SUPPLEMENT EXTRAORDINAIRE. Tableau des écoles militaires du er tri mestre de 1878, sauf l'infanterie. GUERRE D'ORIENT Les événements militaires se précipitent. A peine sur les Balkans, les Russes, partie en combattant, partie en négociant, progressent à pas de géants vers Constantinople, la mer Egée et Gallipoli. Le 16 janvier ils ont occupé Philoppopoli, le 20 Andrinople, évacué par les Turcs pour faciliter les négociations d'armistice et de préliminaires de paix. Le plus grave c'est que l'Angleterre ne paraît pas consentir à ce que les Russes, par leur arrivée à Gallipoli, mettent en poche la clef de la Péninsule ainsi que des détroits tant convoités par les uns et par les autres. Des ordres de débarquement à Gallipoli auraient été envoyés à la flotte britannique à Smyrne, puis révoqués et repris. En attendant que la situation s'éclaircisse, ce qui ne peut tarder, nous donnerons ci-après, d'après les sources russes, quelques détails sur la marche des troupes russes à travers les Balkans et en Roumélie : Les chroniques militaires hebdomadaires de l'Invalide résument comme suit les opérations du 26 décembre au 20 janvier : La nouvelle année s'ouvre sous les meilleurs auspices pour notre armée de Bulgarie: après le passage épique des Balkans par le corps de l'Ouest, une série de brillants succès sur le front du sud de nos opérations a définitivemeut renversé toutes les barrières accumulées par la nature même et par l'ennemi et ouvert à nos héroïques soldats le libre accès de la Roumélie, au moment où nos ennemis pouvaient le moins s'y attendre. Les nouvelles officielles reçues cette semaine permettent de tracer un tableau assez détaillé des opérations qui ont mené une partie considérable de notre armée au sud de la chaine des Balkans. Pour tourner les fortes positions turques d'Arabkonak et de Schandornik, dans le défilé d'Orkanie, deux colonnes furent envoyées, l'une d'Orkanie sur Tchouriak (à 18 verstes à l'ouest d'Arabkonak) et la seconde à l'ouest de Vratchesch, par Oumourgath (à 6 verstes à l'ouest de Tchouriak), sur Siliava. Il n'existait pas de routes sur les rochers couverts de glace et de neige que ces colonnes avaient à parcourir; le 9 décembre on commença à établir une route de nuit et à la dérobée, sous la protection d'un petit rideau de cavalerie stationné à Tchouriak. En quatre nuits, nos sapeurs parvinrent à pratiquer dans la passe une route suffisamment large pour l'artillerie, et le 13 l'avant-garde de la colonne d'Orkhanie se mit en marche. Nous ne nous arrêterons pas à décrire les difficultés inouïes de ce mouvement, qui a été opéré en partie de nuit pour le dissimuler à l'ennemi; pour surmonter ces difficultés, il fallait l'endurance, l'abnégation et la discipline du soldat russe. Enfin, le 19 décembre, après six jours d'efforts, tous les échelons de la colonne d'Orkanie descendaient les pentes des montagnes. La colonne de l'Ouest, qui marchait sur Silava, eut à lutter contre des obstacles plus grands encore, mais elle sortit triomphante de cette lutte de géants, et le 18 elle arriva à Thouriak, où elle changea de direction par suite de la nouvelle que les Turcs s'étaient concentrés dans la position retranchée de Taschkissen. Cette position, située sur la route de Sofia, ne fut occupée et fortifiée par l'ennemi qu'après que les avant-gardes de nos deux colonnes tournantes eurent descendu les Balkans et que les Turcs ne pouvaient plus nous empêcher de déboucher des montagnes. Le 19, de grand matin, la colonne d'Orkanie attaqua Taschkissen de front, en envoyant de l'infanterie et de la cavalerie tourner la gauche et les derrières de l'ennemi ; en même temps, le gros des forces du corps de l'Ouest, resté dans la passe d'Orkanie devant le front des positions turques d'Arabkonak et de Schandornik, opérait au nord une démonstration énergique, qui ne permit pas à l'ennemi d'envoyer des renforts à Taschkissen Après une longue canonnade de front, une partie de notre infanterie tourna, à deux heures de l'après-midi, la position turque et pénétra à revers dans Taschkissen, que les Turcs, se voyant coupés d'Aarabkonak, commençaient à évacuer; privé de sa ligne directe de retraite sur ses forces principales, l'ennemi s'enfuit dans le plus grand désordre par des sentiers de montagnes. La victoire de Taschkissen eut pour résultat l'évacuation par les Turcs du débouché de la passe d'Orkanie dans la vallée de Komartsi, où nos troupes descendirent le lendemain matin, à la poursuite de l'ennemi; cernée de toutes parts, une partie de l'armée turque, forte de 34 tabors, chercha à se dérober par la fuite, mais elle fut presque entièrement faite prisonnière. Le jour même où la colonne d'Orkanie s'emparait de Taschkissen, la seconde colonne, qui avait traversé les Balkans de Vratchesca sur Oumourgatch et s'était dirigée sur Tchouriak, se porta du côté de Sofia à Gorny-Bougarow, où attaquée par le corps turc de Sofia, elle le défit complètement, ainsi que nous l'avons rapporté dans notre dernière revue. Nos pertes dans ces affaires sont heureusement restées inférieures aux premiers chiffres communiqués: elles sont de 550 sous-officiers et soldats hors de combat; les pertes en officiers ne sont pas encore exactement connues. Les Turcs ont eu un grand nombre de tués et de blessés, et ils ont abandonné dans leurs positions dix bouches à feu, une grande quantité de matériel de guerre, et tous leurs malades avec une ambulance anglaise et les médecins; parmi les officiers prisonniers se trouverait le colonel anglais Baker. Après s'être rendu maître du débouché de la chaussée de Sophia dans la plaine, le général Gourko se porta avec une partie de ses troupes sur Sofia et, après une courte fusillade, à Kajdebna, il occupa le pont de l'lsker et effectua de sa personne une reconnaissance des environs de la ville. Cette reconnaissance montra que Sofia n'était fortifiée qu'à l'est; en conséquence, la division Véliaminof fut dirigée le 22 au nord de la ville pour l'attaquer par son côté le plus faible, celui du nord-ouest; mais les Turcs n'attendirent pas l'attaque et se retirèrent dans la direction du sud-ouest. Le lendemain, 23 décembre, nos troupes firent solennellement leur entrée à Sofia, au milieu d'une population enthousiaste, et envoyèrent immédiatement deux avant-gardes, l'une sur la route d'Ouskioub, à la suite de l'ennemi en retraite, et l'autre sur la route de Pirot, pour donner la main aux Serbes en marche sur Sofia. Les débris de l'armée turque se retirant par différentes routes de Taschkissen et Arabkonak sur Tatar-Bazardjik et le long des Balkans dans la direction de l'est, furent poursuivis par le général Dandeville, descendu du mont Baban, et par la 3a division d'infanterie de la garde, venant d'Arabkonak; le 21 décembre, le général Dandeville occupa Slatitsa et le même jour la 3e division d'infanterie de la garde attaqua l'arrière-garde ennemie à Mirskovo (entre Dolny-Komartsi et Slatitsa) et l'obligea à se retirer au sud sur Pétrichévo, qui fut également occupé par nos troupes le 23. L'engagement peu important de Mirkovo a malheureusement coûté à nos troupes des pertes sensibles dans la personne du lieutenant-général Kataléï, commandant de la 3 division d'infanterie de la garde, qui a été tué, et du général-major Philosophof, commandant de brigade de la même division, qui a été mortellement blessé. En avant des troupes envoyées à la poursuite des Turcs, des corps de cavalerie furent dirigés sur la route de Slatitsa au débouché du col de Troyan, ainsi que sur les routes conduisant à Tatar-Bazardjik, c'est-à-dire à Otloukioï (sur la Loudoïan), Skhtimon à Samokow. Le passage par nos troupes du Balkan d'Etropol au cœur de l'hiver et l'occupation de Sofia, grande ville bien peuplée, au nom de laquelle les Bulgares rattachent le souvenir de l'ancienne Srédets, devaient produire une forte impression morale tant sur la population chrétienne de la Roumélie que sur les Turcs Dans tous les cas, Sofia, qui forme le noud des principales routes de la Bulgarie danubienne, de la Roumélie et de la Vieille-Serbie, offre les importants avantages d'un point bien défendu, dont la possession nous permet, dans les circonstances actuelles, de nous baser en partie sur la Serbie. Enfin, au point de vue du climat, Sofia et son rayon présentent pour nos troupes les conditions les plus favorables, surtout après les atroces privations que le soldat russe à eu si longtemps à supporter dans les neiges des Balkans. Tandis que les Turcs défaits étaient poursuivis dans la direction de Tatar Bazardjik et à l'est de Slatitsa, celles de nos troupes qui occupaient le col de Troyan et les sommets du col de Schipka se préparaient également à déboucher dans les vallées du Ghiebsou et de la Toundja. Une reconnaissance opérée dans la nuit de Noël sur le versant méridional du col de Troyan constata qu'il était encore occupé par l'ennemi; la nuit suivante un faible détachement se mit en marche par un sentier à peine praticable pour tourner le flanc droit des positions turques, établies sur un rocher inaccessible de front. Ce mouvement, qui présentait d'extrêmes difficultés, fut brillamment exécuté; le 27, avant le lever du jour, le détachement descendit au village de Kornar, débusqua les Turcs de leurs retranchements et détruisit presque en entier un bataillon de nizams sorti de Karlovo, lui enleva son drapeau, lui fit plusieurs prisonniers et s'empara d'un convoi de vivres. Le même jour vers midi, alors que notre détachement avait débouché sur les derrières de la position turque du col de Troyan, nos autres troupes attaquèrent l'ennemi de front et emportèrent son principal ouvrage, où elles prirent un canon et une grande quantité de munitions de guerre. Les Turcs, complétements défaits, s'enfuirent en désordre dans les montagnes, poursuivis par nos deux détachements, qui avaient opéré leur jonction au pied de la montagne, près de Teke et de Kornar, où ils trouvèrent de grands approvisionnements de vivres. Ainsi, cette marche avec de l'artillerie par le col de Troyan, qui était regardée comme impossible, même en été, à cause des difficultés extrêmes de la descente, a été exécutée par un hiver rigoureux, en combattant, et malgré cela le succès de nos troupes ne nous a coûté qu'un officier tué, un officier blessé et 74 hommes hors de combat. Mais le succès le plus capital des armes russes dans la guerre ac tuelle, celui qui a brillamment clos l'année 1877, est sans contredit la victoire remportée par le général Radetzki sur l'armée de Shipka. Quelque sommaires que soient les premières informations reçues sur cet événement, sa gravité est incontestable. Le 28 décembre, dans un combat acharné, le général Radetsky a défait l'armée de Kassim-Pacha, forte de 41 bataillons, 10 batteries et un régiment de cavalerie, et l'a obligée de mettre bas les armes. Les héroïques défenseurs de Shipka, qui depuis cinq mois formaient une muraille vivante contre laquelle sont venus se briser les efforts des meilleures troupes du Sultan, ont prouvé au monde entier que sous la conduite de leur valeureux chef, ils étaient capables non-seulement de se faire tuer à leur poste et de supporter les plus grandes souffrances, mais d'infliger à l'ennemi une défaite telle qu'une armée entière n'a pu trouver de salut que dans sa reddition. Les conséquences de la victoire du 28 décembre ne sont pas encore connues, mais il n'est pas difficile de les prévoir : Kazanlyk et la vallée de la Toundja sont maintenant en notre pouvoir, et les corps russes qui descendent des Balkans sont en mesure de couper en plusieurs parties les troupes turques de Roumélie et de les battres avant qu'elles aient réussi à se réunir devant Andrinople. Le moment actuel indique la nécessité de vigoureuses opérations contre un ennemi démoralisé, et on peut être certain que nous saurons en profiter. Sur le front de l'est, la lutte continue à se borner à d'insignifiantes escarmouches d'avant-postes; les endroits où ont lieu ces engagements montrent que l'ennemi tient encore plusieurs points sur la rive gauche du Lom Noir. Par contre, nos détachements de Bebrovo et d'Elena, réglant leurs opérations sur celles de nos troupes, dans les autres passes des Balkans, s'avancent avec succès au sud-est et au sud, en se frayant un chemin à travers les montagnes et en cherchant à couper les communications de la droite de l'armée turque du Danube avec les cols de Slivno et de Kazan. Un de ces détachements a emporté ainsi de vive force le village d'Akhmedli, a poussé jusqu'à la Stararéka, sur la route de Slivno, et a envoyé de là une colonne volante couper les communications d'OsmanBazar avec Kazan (Kotel); un autre détachement, venant d'Elna, a atteint le versant méridional du col de Tvarditsa, qui conduit à la vallée de Toundja et à Yéni-Saghra. En même temps quelques colonnes mobiles ont balayé les bachi-bouzouks de l'espace compris au nord de la Stararéka, dans la vallée du Stévrek. Les conséquence du fait d'armes de Schipka, certainement honorable pour l'armée russe, n'ont pas tardé à se produire. Considérablement réduite, dispersée sur plusieurs points d'une vaste province, l'armée turque de Roumélie n'a plus donné signe de vie. Au moment où nous écrivons, on ne sait pas exactement à Constantinople, à ce qu'il parait, où se trouve Suleyman pacha, qui semble avoir essayé, mais inutilement, de concentrer ses troupes, d'abord à Iamboli, puis à Philippopoli et à Andrinople. Profitant de leur victoire, les Russes ont, aussitôt qu'ils ont eu des troupes suffisantes disponibles, couvert la Roumélie de leur cavalerie qu'a suivie bientôt l'infanterie et quelque artillerie de campagne. Le 10 janvier, le général Karzoff, descendant du col Trojan, occupait, dans la vallée du Giopsu, qui se jette dans la Maritza, en aval de Philippopoli, Sopot, Carlowo et Karatoprak, et donnait la main aux troupes du général Gourko, qui, venant de Sofia, s'emparaient successivement, dans la vallée de la Maritza, le 11, de la porte de Trojan; le 12, de Vietrenovo; le 14, de Tatar-Bazardjik, et le 16 de Philippopoli, où entrait avec elles la cavalerie du général Skobélef. Pendant ce temps, le corps Radetzki, s'assurant du cours supérieur de la Tundscha, qui se jette à Andrinople dans la Maritza, s'emparait le 10 de Kazanlyk, le 11 de Haïn-Keui et de Twarditza, le 12 d'Ieni-Sagra. Les Tures ayant abandonné, le 13, le 14 et le 15, le défilé de Kotel ou de Kazan et Itara-Rieka au nord de Slivno, au sud des Balkans, les troupes russes occupaient ces deux positions, et, se sentant assurées contre une attaque sur leurs derrières, coupaient le chemin de fer d'lamboli à Tirnova, occupaient Eski-Sagra, lançaient leur cavalerie sur la ligne ferrée entre Philippopoli et Andrinople, entraient à Tchirpan et s'emparaient, le 16, de Tirnowa, d'où se détache, montant vers le nord, le chemin de fer d'Iamboli, ainsi que d'Hermanly, situé à 25 kilomètres au sud-est, dont les habitant opposèrent une courte mais inutile résistance. C'est à Hermanly, le 17, que Server et Namyk pacha, dont l'arrivée avait été annoncée par Réouf pacha au grand-duc Nicolas, se seraient présentés au général Skobélef pour traiter de l'armistice. Ils auraient été reçus avec les honneurs militaires et conduits au quartier-général du grand-duc, à Kasanlyk, où ils seraient arrivés le 19 janvier. Ce jour même, le gouverneur d'Andrinople, Djemil pacha, ainsi que les autorités civiles, quittaient Andrinople pour s'établir en arrière de cette ville, à Tchorlu. En même temps qu'eux se retiraient Mehemed-Ali et ses troupes, L'abandon de la ville ayant été résolu à Constantinople, les Turcs, en se retirant, ont brûlé les dépôts de provisions et l'ancien harem. Une force publique a été aussitôt organisée pour maintenir l'ordre, mais elle aura bientôt été aidée dans ses fonctions, car dès le lendemain, 20 janvier, l'avant-garde russe est entrée dans la grande cité, dont la plupart des habitants musulmans étaient partis dans la direction de Constantinople. C'est dans la capitale et à Tchataldja, éloigné de 50 kilomètres environ vers l'ouest, et devant Gallipoli que se rencontreraient, à ce qu'il parait, toutes les troupes dont la Porte ottomane dispose encore. On pense que celles de Suleiman pacha, qu'on croit être sur le versant sud-ouest de Rhodope, à Drama, pourront s'embarquer à Kavala pour Gallipoli, où elles risqueraient d'arriver trop tard s'il est vrai que, descendant la vallée de la Maritza, les Russes soient déjà ce qui est problable, d'après les dépêches d'hier - à Usun-Kopru et à Karabounar, en marche vers Keschan, qui n'est qu'à une cinquantaine de kilomètres de Gallipoli, où sont attendues des troupes venant de Smyrne et où règne déjà la panique. Toutes les forces turques qui se trouvent encore l'est de la Maritza et au sud des Balkans seront rappelées à Tchataldja pour disputer à l'ennemi les lignes fortifiées qui sont tracées de Boyük-Tchekmedje de la mer de Marmara à la mer Noire, et défendent les approches de Constantinople. C'est Mouktar pacha qui serait chargé de cette défense. Mais la marche en avant des Russes et la retraite des Turcs laissent le champ libre au Circassiens et aux bachi-bouzouks, que les populations chétiennes et musulmanes redoutent au moins autant que les Russes. Aussi la Roumélie présente-t-elle en ce moment un bien triste spectacle. Dans la vallée de la Tundscha, les Bulgares ont exercé de nouvelles et sanglantes représailles A Slivno, à Tatar-Bazardjik, à Andrinople, les Turcs en se retirant, ont allumé l'incendie. De Iamboli à Bourgas, la contrée est dévastée par les bachi-bouzouks et les Circassiens, qui ont pillé puis incendié Aidos, Karnabad et Sisebolu. Bourgas |