Si les Turcs se présentent seuls devant les Russes, c'est qu'une influence occulte les y pousse; si la guerre a lieu et si l'Europe laisse les deux belligérants se débrouiller, elle ne sera du moins ni de longue durée, ni bien sérieuse, car les armées turques sont, sous tous les rapports, trop faibles pour tenir tête aux Russes: leur administration, leur organisation et leur tactique ne permettent pas qu'ils entreprennent des opérations stratégiques sur une vaste échelle; ils ne se battent que sur place, dans des positions retranchées, et cette défense passive échouera infailliblement devant les opérations actives des Russes. Et enfin, pour terminer, nous avons ajouté: Si les Russes sont commandés par un général vigoureux, il prendra immédiatement l'offensive, passera le Danube, franchira le Balkan, et pendant qu'avec son armée d'opération il marchera sur Andrinople, son armée de réserve observera les forteresses du Danube et du Balkan. Si l'armée turque s'avise d'accepter la bataille en deça des montagnes, elle sera culbutée dans les défilés ou bien refoulée dans une place forte, où elle éprouvera le sort que celle de Bazaine a subi à Metz. Si les armées russes en entrant en campagne, au lieu de suivre deux directions divergentes, avaient opéré, comme nous avions tout lieu de le supposer, par une seule zone, de Galatz par Sistova et Pravadi sur Andrinople, elles auraient eu à observer Silistrie, Choumla et Varna, mais dans ce cas les réserves russes, au lieu de se trouver éparpillées sur plusieurs fronts, sur plus de 100 lieues, se seraient trouvées réunies dans le quadrilatère, parfaitement en mesure d'assurer les communications de leur armée opérant dans le Balkan, et celle-ci, en continuant sa marche sur Andrinople, y serait entrée dans le courant du mois d'août 1877, au lieu d'y arriver seulement le 20 janvier 1878. Le passage du Balkan au plus fort de l'hiver, à travers les glaces et les neiges, par les Russes, battant et dispersant les Turcs partout où ils les ont rencontrés, prouve bien, comme nous venons de le dire, qu'en campagne ceux-ci ne peuvent pas tenir devant les Russes, et démontre en outre que si le plan d'entrée en campagne de ces derniers avait été bien conçu, leur armée d'opération dans sa marche offensive n'aurait pas éprouvé de temps d'arrêt, et alors nos prévisions se seraient complètement réalisées, c'està-dire que la guerre n'aurait été ni sérieuse, ni de longue durée. Il ressort des comptes-rendus officiels que le nombre des Russes tués ou blessés pendant la guerre qui vient de se terminer s'élève à 89,304 officiers et soldats; parmi ce nombre se trouvent 21 géné raux, dont 40 tués et 14 blessés. Un prince de la famille impériale et 34 membres de la haute noblesse russe sont morts sur le champ de bataille. 121 Russes seulement étaient prisonniers des Turcs. Les pertes de ceux-ci sont inconnues; leur organisation ne permet pas de les constater très approximativement. A propos du passage du Balkan, faisons ici une remarque sur la conduite de la guerre dans les montagnes : Les Russes, en débouchant des gorges du Balkan par trois directions éloignées l'une de l'autre, par Schipka, Troyan et Sophia, pour se réunir vers Andrinople, ont obtenu un succès complet; tandis qu'en 1797, les Autrichiens, en débouchant de la même manière des montagnes du Tyrol, pour se réunir dans la direction de Vérone, ont éprouvé un désastre à Rivoli. De ce que deux opérations effectuées dans les mêmes conditions aboutissent à des résultats diamétralement opposés, s'en suit-il que, comme le soutiennent des esprits faux, à la guerre, le succès est généralement le fait du hasard? Evidemment non. A la guerre comme à tous les jeux la partie se joue à deux, et on peut considérer comme un axiome que la veine heureuse se range généralement du côté du bon joueur ou du moins mauvais joueur des deux. Dès lors il n'y a rien d'étonnant qu'une opération offensive mal conçue réussisse contre une défense très mal disposée. C'est ce qui est arrivé dans le passage du Balkan; là la défense étant encore plus mal conçue que l'attaque, c'est celle-ci qui a réussi. Dans les montagnes du Tyrol, la défense a été bien conçue et l'attaque a été mal dirigée; là il y avait donc deux raisons pour que l'attaque échouât, et elle a échoué. Quand nous disons que dans le Balkan l'offensive a été mal conçue, nous faisons allusion à la conception stratégique de ce passage, qu'on ne doit pas confondre avec les dispositions tactiques, qui ont été très bien et très vigoureusement conduites. Nous l'avons déjà dit, les généraux qui ont dirigé ces dispositions et les troupes qui les ont exécutées ont fait preuve d'un courage et d'une abnégation sans bornes, et méritent les plus grands éloges. Quoi qu'il en soit, dans la défense du Balkan, Andrinople aurait pu rendre le service que Vérone a rendu dans les montagnes du Tyrol; et Vérone comme pivot de manoeuvres a servi: En 1796 et en 1797, au général Bonaparte, pour battre les Autrichiens à Arcole et à Rivoli; en 1848, à Radetzky, d'abord pour arrêter les révolu tionnaires italiens et ensuite pour anéantir l'armée du roi CharlesAlbert; en 1859, à l'armée de l'empereur François-Joseph, pour arrêter les armées victorieuses de Napoléon III et de Victor-Emmanuel; en 1866, à l'archiduc Albert, pour battre l'armée italienne, numériquement double de la sienne. Cette comparaison démontre une fois de plus que ce n'était ni dans la vallée du Danube, ni dans les cols du Balkan, ni sur son versant septentrional que les Turcs devaient combattre les Russes, mais, comme nous l'avons dit avant la guerre, sur le versant méridional de cette chaîne, aux débouchés des montagnes, dans la plaine d'Andrinople, avec cette ville pour pivot de manœuvres. Depuis que nous avons écrit les quelques pages ci-dessus, la publication du traité de San-Stefano a fait surgir un différend entre la Russie et l'Angleterre, différend qui pourrait amener une guerre entre ces deux puissances. Que par ce traité les intérêts de la Grande-Bretagne soient ou ne soient pas compromis, les ministres de la reine ont fait fausse route. Ils ne pouvaient pas ignorer qu'une guerre entre la Russie et la Turquie devait infailliblement aboutir à un désastre pour cette dernière et que le traité de paix qui en découlerait serait évidemment. plus onéreux pour l'empire du Padichah que les conditions que le congrès de Constantinople voulait lui imposer. Or, si le ministère tory avait intérêt à protéger la Turquie, pourquoi n'a-t-il pas évité cette guerre? Il le pouvait : Pendant le congrès de Constantinople, au lieu de soutenir la Porte, il n'avait qu'à l'abandonner. Elle aurait cédé aux injonctions des grandes puissances; on aurait ainsi évité la guerre, et les tendances russes, que l'Angleterre redoute tant, eussent été éludées. Si, comme d'anciens ministres et des hommes d'Etat éminents de la Grande-Bretagne le prétendent, leurs intérêts ne sont pas compromis, si ce n'est qu'une question d'amour-propre national, excité par la presse européenne, qui ne cesse de répéter sur tous les tons que l'Angleterre a perdu toute sa renommée, tout son prestige, elle aurait tort d'avoir recours à la guerre pour rétablir cette renommée, qui n'est nullement altérée par ce qui vient de se passer en Orient. La presse, qui s'évertue ainsi à provoquer une guerre sans issue entre la Russie et la Grande-Bretagne, n'ignore cependant pas que cette dernière ne peut s'engager sur le continent qu'avec le concours d'un ou de plusieurs allies; mais aussi qu'on ne perde pas de vue que la marine de l'Angleterre pourrait écraser celles de tous les autres États de l'Europe, que c'est cette suprématie sur les mers, qui fait sa force, qu'on qualifie de prestige, et que cette force ou ce prestige, comme on veut l'appeler, est aujourd'hui ce qu'il était au commencement de ce siècle, alors que dans le congrès de Châtillon, en 1814, les conseils de lord Castlereagh étaient très écoutés et prévalaient dans toutes les solutions politiques, bien que cependant l'Angleterre n'eut pas un soldat dans la grande armée des souverains alliés. Depuis lors l'Angleterre, ayant fait du principe de non-intervention sa règle de conduite, s'était presque complètement désintéressée des grandes questions internationales. Les torys, croyant sans doute que cette politique d'isolement pourrait diminuer la renommée de la puissance de leur pays, or, pour maintenir son prestige, à tort ou à raison, ils se sont crus obligés de faire des préparatifs de guerre, afin de prouver au monde que la Grande-Bretagne n'est pas déchue de sa grandeur passée. Il est donc probable que le ministère Beaconsfield s'en tiendra à de simples menaces: d'abord, par la raison que la Russie semble disposée à vouloir éviter la guerre et à faire de larges concessions; ensuite, parce que dans une guerre entre ces deux puissances on ne découvre pas de point où l'une pourrait porter un coup bien sensible à l'autre; et, enfin, parce qu'un Etat constitutionnel ne s'engage que difficilement dans une guerre quand ses intérêts ne sont ni directement compromis, ni même menacés. Toutefois, si ce différend faisait surgir un conflit entre l'Angleterre et la Russie, où et comment les forces militaires de ces deux puissances pourraient-elles se rencontrer? La Grande-Bretagne n'a pas à craindre un débarquement sur ses côtes de la part de la Russie, et celle-ci n'a guère à redouter les attaques des navires anglais dans la mer Noire ou dans la Baltique. Les expéditions des escadres combinées des flottes anglaises et françaises, en 1854 et 1855, ont démontré que la marine seule ne peut rien entreprendre de sérieux contre les grands ports militaires de ces deux mers, que la marine ne peut obtenir de résultats qu'à l'aide d'une armée de débarquement. Or, il serait fort difficile, dangereux même pour les armées de terre de la Grande-Bretagne, d'aller combattre celle des Russes en Crimée, sur les côtes de la mer Noire ou sur celles de la Baltique. Les forces de terre de ces deux puissances sont trop disproportionnées et les expéditions maritimes sur une aussi vaste échelle offrent de trop grandes difficultés et présentent de trop graves dangers pour admettre que l'Angleterre seule entreprendra des opérations de cette nature contre la Russie. On croit que l'Angleterre pourrait tirer des Indes une armée indigène, et que, la débarquant dans le golfe Persique elle pourrait, en remontant les vallées de l'Euphrate ou du Tigre, gagner promptement le théâtre de la guerre en Arménie. Admettons qu'il soit possible de recruter et de débarquer une armée d'Indiens à l'embouchure de l'Euphrate, mais, arrivée là, il faudrait encore la conduire sur le théâtre de la guerre. Or, les 400 lieues qu'elle aurait à parcourir pour atteindre les sources de ce fleuve, qui descendent de l'Arménie, la réduiraient absolument à rien. Ce projet est d'une application impossible, c'est une utopie, Pour le moment on s'occupe beaucoup des troupes indiennes que les ministres de la reine se proposent d'amener en Europe. On dit que sous peu les navires anglais débarqueront 7000 cipayes à Malte. Pour deux raisons, il n'est pas à présumer qu'on veuille se servir de ces troupes sur les champs de bataille de l'Europe: d'abord par la raison que les Indiens ne sont pas organisés pour effectuer des marches et ensuite se présenter dans un ordre convenable devant des soldats européens: et puis parce que, s'ils se battaient bien et s'ils rentraient victorieux dans leur pays, ce serait un fâcheux précédent, dangereux pour l'Angleterre. Ce petit paquet d'Indiens doit avoir une autre destination que celle de combattre en Europe; il est probable qu'il sera débarqué en route, avant d'avoir atteint Malte, La Grande-Bretagne pourrait envoyer une armée d'Anglais au secours de la Turquie; mais, si on se rappelle ce qui s'est passé en Crimée en 1854 et 1855, le succès d'une telle expédition n'inspirera qu'une médiocre confiance. D'abord, dès que les Anglais feraient mine d'embarquer une armée, il est probable que les Russes entreraient à Constantinople et occuperaient le long du Bosphore et des Dardanelles des points d'où ils pourraient interdire le passage de ces détroits aux navires anglais et turcs. Dans cette éventualité, pour peu que les Russes aient dans la mer Noire quelques paquebots armés en guerre, comme la l'esta1, con La Vesta était un paquebot armé en guerre, son commandant, le capitaine Bara duits par des Baranof, à leur tour ils pourraient acquérir la supré matie dans cette mer, ce qui serait très utile pour eux et fort gênant pour leurs adversaires. L'action de la marine de ceux-ci serait alors quasi neutralisée, tandis que les Russes pourraient tirer un bon parti de la leur. Nous l'avons déjà dit, l'entrée de l'escadre d'Hornby dans la mer de Marmara est une faute stratégique. Si elle était restée dans l'Archipel, il est probable que l'armée russe aurait évacué, sinon en totalité, du moins en partie, l'isthme de Constantinople. Or, en cas de conflit, l'escadre d'Hornby serait tout aussi à portée du théâtre de la guerre à Besika que mouillée dans la mer de Marmara et à l'entrée des Dardanelles. Elle ne serait pas exposée à être bloquée entre les deux détroits. Il est même probable que si elle était restée à Besika, les Russes auraient déjà rapatrié une partie de leurs troupes, et qu'alors ils ne se seraient plus trouvés en forces autour de Stamboul, pour occuper cette capitale, fermer les détroits et conserver une armée mobile assez forte pour agir en campagne. On craint que l'Angleterre avec ses finances inépuisables n'amène la Russie vers une banqueroute par une paix armée très prolongée. Il est vrai qu'une menace de guerre est plus nuisible au commerce et à l'industrie que ne l'est la guerre même. Or la guerre ou une menace de guerre est infiniment plus à redouter pour les ouvriers. d'un pays essentiellement industriel que pour la population d'un pays presque exclusivement agricole. Une paix armée prolongée serait donc tout aussi calamiteuse pour la Grande-Bretagne que pour l'empire des Tzars. Il est donc à présumer que si l'Angleterre ne trouve pas d'autre allié que la Turquie, sa menace de guerre ne tardera pas à céder le pas à une intervention diplomatique, afin d'adoucir les conditions que le traité de San-Stefano voudrait imposer à la Sublime-Porte. Si l'Autriche-Hongrie se liguait avec l'Angleterre et la Turquie contre la Russie, la situation militaire de cette dernière en Bulgarie deviendrait très précaire. Une menace de guerre de la part de l'Autriche-Hongrie, une concentration de troupes dans la Transylvanie, suffiraient pour inquiéter fortement les diplomates et les militaires russes. Une telle mesure serait une seconde édition du rôle que l'Autriche a rempli en 1854, lors de la levée du siége de Silistrie et pendant la guerre de Crimée. La Russie ne doit donc jamais perdre de vue que pour elle il est dangereux de laisser ses armées franchir le Danube, si elle n'est pas nof, apercevant un bâtiment au sud, courut à sa rencontre. C'était un cuirassé turc. Au lieu de virer de bord et de s'échapper, il engage le combat. Le cuirassé avait une formidable artillerie. La Vesta fut fort maltraitée, elle allait peut-être succomber lorsqu'un coup heureux fit pencher la victoire de son côté! un obus tomba à travers le pont du cuirassé, une épaissé colonne de fumée ou de vapeur s'éleva de son bord. C'était un commencement d'incendie ou une avarie dans la chaudière qui obligea le cuirassé de quitter le combat. Ce paquebot légèrement armé a cu raison du cuirassé qui portait des pièces de 29 centimètres. |