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DE LA FABLE.

Il y a quelque temps qu'un de mes amis,

L

me voyant occupé de faire des fables, me proposa de me présenter à un de ses oncles, vieillard aimable et obligeant, qui toute sa vie avoit aimé de prédilection le genre de l'apologue, possédoit dans sa bibliothèque presque tous les fabulistes, et relisoit sans cesse La Fontaine.

ans à

J'acceptai avec joie l'offre de mon ami: nous allâmes ensemble chez son oncle. Je vis un petit vieillard de quatre-vingts peu près, mais qui se tenoit encore droit. Sa physionomie étoit douce et gaie, ses yeux vifs et spirituels; son visage, son souris, sa manière d'être, annonçoient cette paix de l'ame, cette habitude d'être heureux par soi, qui se communique aux autres. On étoit sûr, au premier abord, que l'on voyoit un honnête homme que la fortune avoit respecté. Cette idée faisoit plaisir, et préparoit doucement le cœur à l'at

trait qu'il éprouvoit bientôt pour cet honnête homme.

Il me reçut avec une bonté franche et polie, me fit asseoir près de lui, me pria de parler un peu haut, parce qu'il avoit, me dit-il, le bonheur de n'être que sourd; et déjà prévenu par son neveu que je me donnois les airs d'être un fabuliste, il me demanda si j'aurois la complaisance de lui dire quelques-uns de mes apologues.

Je ne me fis pas presser : j'avois déjà de la confiance en lui. Je choisis promptement celles de mes fables que je regardois comme les meilleures ; je m'efforçai de les réciter de mon mieux, de les parer de tout le prestige du débit, de les jouer en les disant; et je cherchai dans les yeux de mon juge à deviner s'il étoit satisfait.

Il m'écoutoit avec bienveillance, sourioit de temps en temps à certains traits, rapprochoit ses sourcils à quelques autres, que je notois en moi-même pour les corriger. Après avoir entendu une douzaine d'apologues, il me donna ce tribut d'éloges que les auteurs regardent toujours comme le prix de leur travail, et qui n'est souvent que le salaire de leur lecture. Je le remerciai, comme il me louoit, avec une recon

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noissance modérée; et ce petit moment passé; hous commençâmes une conversation plus cordiale.

J'ai reconnu dans vos fables, me dit-il, plusieurs sujets pris dans des fables anciennes ou étrangères.

Oui, lui répondis-je, toutes ne sont pas de mon invention. J'ai lu beaucoup de fabulistes; et lorsque j'ai trouvé des sujets qui me convenoient, qui n'avoient pas été traités par La Fontaine, je ne me suis fait aucun scrupule de m'en emparer. J'en dois quelques-uns à Ésope, à Bidpaï, à Gay, aux fabulistes allemands, beaucoup plus à un Espagnol nommé Yriarté, poète dont je fais grand cas, et qui m'a fourni mes apologues les plus heureux. Je compte bien en prévenir le public dans une préface, afin que l'on ne puisse pas me reprocher...

Oh! c'est fort égal au public, interrompit-il en riant. Qu'importe à vos lecteurs, que le sujet d'une de vos fables ait été d'abord inventé par un Grec, par un Espagnol, ou par vous? l'important, c'est qu'elle soit bien faite. La Bruyère a dit : Le choix des pensées est invention. D'ailleurs vous avez pour vous l'exemple de La Fontaine il n'est guère de ses apologues

que

que je n'aie retrouvés dans des auteurs plus anciens lui. Mais comment y sont-ils ? Si quelque chose pouvoit ajouter à sa gloire, ce seroit cette comparaison. N'ayez donc aucune inquiétude sur ce point.

En poésie, comme à la guerre, ce qu'on prend à ses frères est vol; mais ce qu'on enlève aux étrangers est conquête.

Parlons d'une chose plus importante. Comment avez-vous considéré l'apologue? A cette question, je demeurai surpris, je rougis un peu, je balbutiai; et, voyant bien à l'air de bonté du vieillard, que le meilleur parti étoit d'avouer mon ignorance, je lui répondis, si bas qu'il me le fit répéter, que je n'avois pas encore assez réfléchi sur cette question, mais que je comptois m'en occuper quand je ferois mon discours préliminaire.

J'entends, me répondit-il vous avez commencé par faire des fables, et quand votre recueil sera fini, vous réfléchirez sur la fable. Cette manière de procéder est assez commune, même pour des objets plus importans. Au surplus, quand vous auriez pris la marche contraire, qui sûrement eût été plus raisonnable, je doute que vos fables y eussent gagné. Ce genre d'ouvrage

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