Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Quand, de l'Eschyle anglais heureux imitateur,
Je te vois, d'une main hardie,
Porter sur la scène agrandie

Les crimes de Macbeth, de Léar le malheur,
La gloire est un besoin pour ton ame attendrie,
Mais elle est un fardeau pour ton sensible cœur.
Seul, au fond d'un désert, au bord d'une onde pure,
Tu ne veux que ta lyre, un saule et la nature;
Le vain désir d'être oublié

T'occupe et te charme sans cesse ;
Ah! souffre au moins que l'amitié
Trompe en ce seul point ta sagesse.

FABLE XXII.

LE POISSON VOLANT.

CERTAIN poisson volant, mécontent de son sort, Disoit à sa vieille grand'mère :

Je ne sais comment je dois faire Pour me préserver de la mort. De nos aigles marins je redoute la serre Quand je m'élève dans les airs; Et les requins me font la guerre Quand je me plonge au fond des mers. La vieille lui répond: Mon enfant, dans ce monde, Lorsqu'on n'est pas aigle ou requin,

Il faut tout doucement suivre un petit chemin, En nageant près de l'air, et volant près de l'onde.

ÉPILOGUE.

C'EST assez, suspendons ma lyre,
Terminons ici mes travaux :
Sur nos vices, sur nos défauts,
J'aurois encor beaucoup à dire;
Mais un autre le dira mieux.
Malgré ses efforts plus heureux,
L'orgueil, l'intérêt, la folie,
Troubleront toujours l'univers;
Vainement la philosophie
Reproche à l'homme ses travers,
Elle y perd sa prose et ses vers.
Laissons, laissons aller le monde
Comme il lui plaît, comme il l'entend;
Vivons caché, libre et content,
Dans une retraite profonde.

Là, que
La paix, la douce paix du cœur.
Le désir vrai qu'on nous oublie,
Le travail qui sait éloigner
Tous les fléaux de notre vie.
Assez de bien pour en donner,
Et pas assez pour faire envie.

faut-il pour le bonheur?

[ocr errors]

FIN.

RUTH,

EGLOGUE TIRÉE DE L'ÉCRITURE SAINTE,

Couronnée par l'académie française en 1784.

A S. A. S. MonseigneUR LE DUC

DE PENTHIÈVRE.

Le plus saint des devoirs, celui qu'en traits de flamme
La nature a gravé dans le fond de notre ame,
C'est de chérir l'objet qui nous donna le jour.
Qu'il est doux à remplir ce précepte d'amour!
Voyez ce foible enfant que le trépas menace:
Il ne sent plus ses maux quand sa mère l'embrasse;
Dans l'âge des erreurs, ce jeune homme fougueux
N'a qu'elle pour ami dès qu'il est malheureux;
Ce vieillard qui va perdre un reste de lumière
Retrouve encor des pleurs en parlant de sa mère.
Bienfait du Créateur, qui daigna nous choisir
Pour première vertu notre plus doux plaisir !
Il fit plus : il voulut qu'une amitié si pure
Fût un bien de l'amour comme de la nature,
Et que les noeuds d'hymen, en doublant nos parens,
Vinssent multiplier nos plus chers sentimens.
C'est ainsi que de Ruth récompensant le zèle,
De ce pieux respect Dieu nous donne un modèle.

Lorsqu'autrefois un juge (1), au nom de l'Eternel,
Gouvernoit dans Maspha les tribus d'Israël,
Du coupable Juda Dieu permit la ruine.
Des murs de Bethleem chassés par la famine,
Noémi, son époux, deux fils de leur amour,
Dans les champs de Moab vont fixer leur séjour.
Bientôt de Noémi les fils n'ont plus de père.
Chacun d'eux prit pour femme une jeune étrangère,
Et la mort les frappa. La triste Noémi,

Sans époux, sans enfans, chez un peuple ennemi,
Tourne ses yeux en pleurs vers sa chère patrie,
Et prononce en partant, d'une voix attendrie,
Ces mots qu'elle adressoit aux veuves de ses fils:
Ruth, Orpha, c'en est fait, mes beaux jours sont finis;
Je retourne en Juda mourir où je suis née.
Mon Dieu n'a pas voulu bénir votre hyménée:
Que mon Dieu soit béni! Je vous rends votre foi.
Puissiez-vous être un jour plus heureuses moi!
que
Votre bonheur rendroit ma peine moins amère.
Adieu; n'oubliez pas que je fus votre mère.

Elle les presse alors sur son cœur palpitant. Orpha baisse les yeux, et pleure en la quittant. Ruth demeure avec elle: Ah! laissez-moi vous suivre; Partout où vous vivrez, Ruth près de vous doit vivre. N'êtes-vous pas ma mère en tout temps, en tout lieu (2)?

(1) In diebus unius judicis, quandò judices præerant, facta est fames in terra. Abiitque homo de Bethleem Juda, ut peregrinaretur in regione moabitide, cum uxore sua ac duobus liberis, etc.

(2) Ne adverseris mibi, ut relinquam te et abeam : quocunquè enim perrexeris, pergam; et ubi morata

Votre peuple est mon peuple, et votre Dieu mon Dieu.
La terre où vous mourrez verra finir ma vie;
Ruth dans votre tombeau veut être ensevelie;
Jusque là vous servir sera mes plus doux soins;
Nous souffrirons ensemble, et nous souffrirons moins.
Elle dit. C'est en vain que Noémi la presse
De ne point se charger de sa triste vieillesse;
Ruth, toujours si docile à son moindre désir,
Pour la première fois refuse d'obéir.

Sa main de Noémi saisit la main tremblante,
Elle guide et soutient sa marche défaillante,
Lui sourit, l'encourage, et, quittant ces climats,
De l'antique Jacob va chercher les états.

De son peuple chéri Dieu réparoit les pertes:
Noémi de moissons voit les plaines couvertes.
Enfin, s'écria-t-elle en tombant à genoux,
Le bras de l'Eternel ne pèse plus sur nous;
Que ma reconnoissance à ses yeux se déploie!
Voici les premiers pleurs que je donne à la joie.
Vous voyez Bethleem, ma fille; cet ormeau
De la tendre Rachel vous marque le tombeau.
Le front dans la poussière, adorons en silence,
Du Dieu de mes aïeux la bonté, la puissance:
C'est ici qu'Abraham parloit à l'Eternel.
Ruth baise avec respect la terre d'Israël.

Bientôt de leur retour la nouvelle est semée. A peine de ce bruit la ville est informée,

fueris, et ego pariter morabor. Populus tuus populus meus, et Deus tuus Deus meus. Quæ te terra morientem susceperit, in ea moriar, ibique locum accipiam sepulturæ.

« AnteriorContinuar »