FABLE XVIII. La Taupe et les Lapins. CHACUN de nous souvent connoît bien ses défauts; D'avoir été témoin d'un fait Mais je l'ai vu, voici l'histoire. Près d'un bois, le soir, à l'écart, Des lapins s'amusoient, sur l'herbette fleurie, jouer au colin-maillard. Des lapins! direz-vous, la chose est impossible. Rien n'est plus vrai pourtant : une feuille flexible Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquoit Et puis sous le cou se nouoit, Un instant en faisoit l'affaire. Celui que ce ruban privoit de la lumiere Sautoient, dansoient, faisoient merveilles, S'éloignoient, venoient tour-à-tour Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain, Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain, Une taupe assez étourdie, Qui sous terre entendit ce bruit, Et se mêle dans la partie. Vous jugez que, n'y voyant pas, Elle est sans yeux et sans défense, Ainsi je suis d'avis..... Non, répond avec feu - Pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle en colere, Serrez bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encor. FABLE XIX. Le Rossignol et le Prince. Un jeune prince, avec son gouverneur, Et s'ennuyoit, suivant l'usage; Mais pour le prendre il fait du bruit, Pourquoi done, dit alors son altesse en colere, Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire, Tandis Le mérite se cache, il faut l'aller trouver. FABLE X X. L'Aveuglé et le Paralytique, AIDONS-NOU La charge des malheurs en sera plus légere; Pour le mal que l'on souffre est un soulagement. Dans une ville de l'Asie Il existoit deux malheureux, L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux, Ils ne pouvoient mourir. Notre paralytique, Etoit sans guide, sans soutien, Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue, Il entendit ses cris, son ame en fut émue. J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres; Unissons-les, mon frere, ils seront moins affreux. Hélas! dit le perclus, vous ignorez, mon frere, Que je ne puis faire un seul pas; Vous-même vous n'y voyez pas: A quoi nous serviroit d'unir notre misere? Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide: moi. |