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Prenons, dit le cheval, les hommes pour arbitres :
En voici venir trois, exposons-leur nos titres.
Si deux sont d'un avis, le procès est jugė.
Les trois hommes venus, notre bœuf est chargé
rapporteur ; il explique l'affaire,

D'être

Et demande le jugement.

Un des juges choisis, maquignon bas-normand,
Crie aussitôt : La chose est claire,

Le cheval a gagné. Non pas, mon cher confrere,
Dit le second jugeur, c'étoit un gros meûnier;

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L'âne doit marcher le premier:

Tout autre avis seroit d'une injustice extrême,
Oh que nenni, dit le troisieme,

Fermier de sa paroisse et riche laboureur,
Au bœuf appartient cet honneur.

Quoi! reprend le coursier écumant de colere,
Votre avis n'est dicté que par votre intérêt?

Eh mais, dit le Normand, par quoi donc, s'il vous plaît?
N'est-ce pas le code ordinaire?

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AUTREFOIS dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.

Cent colonnes d'albâtre en formoient le portique;
L'or, le jaspe, l'azur, décoroient le parvis;
Dans les appartements embellis de sculpture,
Sous des lambris de cedre, on voyoit réunis
Et les trésors du luxe et ceux de la nature,
Les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure,
myrtes odorants, les chefs-d'œuvre de l'art,
Et les fontaines jaillissantes

Les

Roulant leurs ondes bondissantes

A côté des lits de brocard.

Près de ce beau palais, juste devant l'entrée,
Une étroite chaumiere, antique et délabrée,
D'un pauvre tisserand étoit l'humble réduit.
Là, content du petit produit

D'un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,

Couloit des jours doux et paisibles,

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Masquoit le devant du palais.

Le visir veut d'abord, sans forme de procès,
Qu'on abatte la maisonnette;

Mais le calife veut que d'abord on l'achete.
Il fallut obéir : on va chez l'ouvrier,

On lui porte de l'or. Non, gardez votre somme,
Répond doucement le pauvre homme;

Je n'ai besoin de rien' avec mon attelier:

Et

quant à ma maison, je ne puis m'en défaire;
C'est là que je suis né, c'est là qu'est mort mon pere,
Je prétends y mourir aussi.

Le calife, s'il veut, peut me chasser d'ici,
Il peut détruiré ma chaumiere;

Mais, s'il le fait, il me verra

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Venir, chaque matin, sur la derniere pierre
M'asseoir et pleurer ma misere;

Je connois Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colere
Du visir, qui vouloit punir ce téméraire
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit : Non,

J'ordonne qu'à mes frais elle soit réparée ;
Ma gloire tient à sa durée:

Je veux que nos neveux, en la considérant,

Y trouvent de mon regne un monument auguste:
En
voyant le palais ils diront, Il fut grand';

En voyant la chaumiere ils diront, Il fut juste.

FABLE IX.

Le Chien et le Chat.

UN chien vendu par son maître
Brisa sa chaîne, et revint
Au logis qui le vit naître.

Jugez de ce qu'il devint

Lorsque, pour prix de son zele,
Il fut de cette maison
Reconduit par le bâton

Vers sa demeure nouvelle.

Un vieux chat, son compagnon,
Voyant sa surprise extrême,

En passant lui dit ce mot:

Tu croyois done, pauvre sot,
Que c'est pour nous qu'on nous aime!

FABLE X.

Les deux Jardiniers.

DEUX freres jardiniers avoient par héritage
Un jardin dont chacun cultivoit la moitié;
Liés d'une étroite amitié,

Ensemble ils faisoient leur mènage.

L'un d'eux, appelé Jean, bel esprit, beau parleur,
Se croyoit un très grand docteur;
Et monsieur Jean passoit sa vie

A lire l'almanach, à regarder le temps
Et la girouette et les vents.

Bientôt, donnant l'essor à son rare génie,

Il voulut découvrir comment d'un pois tout seul
Des milliers de pois peuvent sortir si vîte;

Pourquoi la graine du tilleul,

Qui produit un grand arbre, est pourtant plus petite
Que la feve, qui meurt à deux pieds du terrain;
Enfin par quel secret mystere

Cette feve qu'on seme au hasard sur la terre
Sait se retourner dans son sein,

Place en bas sa racine et pousse en haut sa tige.
Tandis qu'il rêve et qu'il s'afflige

De ne point pénétrer ces importants secrets,

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