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préceptes d'un voile qui semble les conserver, durent encore en Asie; leurs poëtes, leurs philosophes, n'ont jamais écrit

autrement.

Oui, lui dis-je, je suis de votre avis sur ce point: mais quel est le pays de l'Asie que vous regardez comme le berceau de la fable?

Là-dessus, me répondit-il, je me suis fait un petit systême qui pourroit bien n'ètre pas plus vrai que tant d'autres: mais, comme c'est peu important, je ne m'en suis pas refusé le plaisir. Voici més idées sur l'origine de la fable: je ne les dis guere qu'à mes amis, parcequ'il n'y a pas grand inconvénient à se tromper avec

eux.

Nulle part on n'a dù s'occuper davantage des animaux que chez le peuple où la métempsycose étoit un dogme reçu. Dès qu'on a pu croire que notre ame passoit après notre mort dans le corps de quelque animal, on n'a rien eu de mieux à faire, rien de plus raisonnable, rien de plus conséquent, que d'étudier avec soin

les mœurs, les habitudes, la façon de vivre de ces animaux si intéressants, puis qu'ils étoient à la fois pour l'hommel'avenir et le passé, puisqu'on voyoit toujours en eux ses peres, ses enfants et soi-même. De l'étude des animaux, dela certitude qu'ils ont notre ame, on a dû passer aisément à la croyance qu'ils ont un langage. Certaines especes d'oiseaux l'indi. quent même sans cela. Les étourneaux, les perdrix, les pigeons, les hirondelles, les corbeaux, les grues, les poules, une foule d'autres, ne vivent jamais que par grandes troupes. D'où viendroit ce besoin de société, s'ils n'avoient pas le don de s'entendre? Cette seule question dispense d'autres raisonnements qu'on pourroit alléguer.

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Voilà donc le dogme de la métempsycose, qui, en conduisant naturellement les hommes à l'attention, à l'intérêt pour les animaux, a dû les mener promptement à la croyance qu'ils ont un langage. De là, je ne vois plus qu'un pas à l'invention de la fable, c'est-à-dire à l'idée de faire parler ces animaux pour les rendre les précepteurs des humains.

Montagne a dit que notre sapience apprend des bétes les plus utiles enseignemenis aux plus grandes et plus néces

saires parties de la vie. En effet, sans

parler des chiens, des chevaux, de plusieurs autres animaux, dont l'attachement, la bonté, la résignation, devroient sans cesse faire honte aux hommes, je ne veux prendre pour exemple que les mœurs du chevreuil, de cet animal si joli, si doux, qui ne vit point en société, mais en famille; épouse toujours, à la maniere des Guebres, la sœur avec las quelle il vint au monde, avec laquelle il fut élevé; qui demeure avec sa compagne, près de son pere et de sa mere, jusqu'à ce que, pere à son tour, il aille se consacrer à l'éducation de ses enfants, leur donner les leçons d'amour, d'innocence, de bonheur, qu'il a reçues et pratiquées; qui passe enfin sa vie, entiere dans les douceurs de l'amitié, dans les jouissances de la nature, et dans cette heureuse ignorance, cette imprévoyance des maux, cette incuriosité qui, comme dit le bon Montagne, est un chevet si doux, si sain à reposer une tête bien faite. Pensez-vous que le premier philosophe qui a pris la peine de rapprocher de ces mœurs si pures, si douces, nos intrigues, nos haines, nos crimes; de comparer avec mon chevreuil, allant paisiblement au gagnage, l'homme, caché derriere un bais son, armé de l'arc qu'il a inventé pour tuer de plus loin ses freres, et employant ses soins, son adresse, à contrefaire le cri de la mere du chevreuil, afin que son enfant trompé, venant à ce cri qui l'ap pelle (1), reçoive une mort plus sûre des mains du perfide assassin; pensez-vous, dis-je, que ce philosophe n'ait pas aussitôt imaginé de faire causer ensemble les chevreuils pour reprocher à l'homme sa barbarie, pour lui dire les vérités dures que mon philosophe n'auroit pu hasarder

(1) C'est ainsi qu'on tue les chevreuils.

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sans s'exposer aux effets cruels de l'amour propre irrité? Voilà la fable inventée; et, si vous avez pu me suivre dans mon diffus verbiage, vous devez conclure avec moi que l'apologue a dù naître dans l'Inde, et que le premier fabuliste fut sûrement un brachmane.

Ici le peu que nous savons de ce beau pays s'accorde avec mon opinion. Les apologues de Bidpaï sont le plus ancien monument que l'on connoisse dans ce genre; et Bidpaï étoit un brachmane. Mais, comme il vivoit sous un roi puissant dont il fut le premier ministre, ce qui suppose un peuple civilisé dès long temps, il est assez vraisemblable que ses fables ne furent pas les premieres. Peutêtre même n'est-ce qu'un recueil des apologues qu'il avoit appris à l'école des gymnosophistes, dont l'antiquité se perd dans la nuit des temps. Ce qu'il y a de sûr, c'est que ces apologues indiens, parmi lesquels on trouve les deux Pigeons, ont été traduits dans toutes les

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